Vladimir Bourega parle des événements de ces dernières deux semaines en Ukraine
Les politiciens continuent à agir par la force comme avant. C’est un défi pour l’Eglise appelée à transformer la situation dans la société.

Le vice-recteur de l’Académie de théologie de Kiev Vladimir Bourega parle de la nuit du 22 au 23 février dans la Laure des Grottes, de la commission synodale de dialogue entre les représentants de l’EOU (« Patriarcat de Kiev ») et l’Eglise orthodoxe autocéphale d’Ukraine, de la morale dans la politique et des épreuves endurées aujourd’hui par les Ukrainiens.

Revenons à cette nuit très difficile pour la Laure des Grottes. Les informations des média étaient confuses. Qu’est-ce qui s’est réellement passé ?

- Je n’ai pas été dans la Laure cette nuit-là. Mais j’ai été en contact permanent avec des personnes impliquées. La situation à Kiev était inquiétante. Mais je pense que personne n’a tenté à prendre la Laure d’assaut. Cependant, lorsque quelques milliers de révolutionnaires se concentrent dans le centre-ville on peut toujours s’attendre à des provocations.

Il s’est passé quelque chose dans ce genre. La rumeur s’est répandue dans la foule selon laquelle des objets de valeur étaient en train d’être emportés de la Laure. Tout le monde s’est rué là-bas pour vérifier ce qui s’y produisait. Ensuite, les réseaux sociaux ont appelé à récupérer la Laure du Patriarcat de Moscou. Dieu merci, on a réussi à apaiser les esprits.

Qu’est-ce que vous pensez des appels à protéger la Laure ? Faut-il former des groupes de défense ?

Je pense qu’il faut faire preuve de réserve et de prudence. Bien sûr, défendre la Laure est louable mais l’apparition de groupes de défense aux alentours provoque toujours l’instabilité. Il faut bien peser les paroles. Tout ce qui n’est pas réfléchi est susceptible d’entraîner de nouveaux conflits. Avant de défendre quoi que ce soit il faut comprendre si besoin il y a.

Peu après ces événements le Saint Synode de l’EOU (Patriarcat de Moscou) a pris la décision de mettre en place une commission pour le dialogue avec les représentants de l’EOU (Patriarcat de Kiev) et les « autocéphalistes ». Vous êtes le seul laïc qui en fait partie.

Cette commission a une histoire. Aujourd’hui nous ne menons pas de dialogue officiel avec le prétendu « Patriarcat de Kiev ». En septembre 2009 le Saint Synode de l’EOU (P.M.) a déjà mis en place un groupe de travail pour préparer ce dialogue. Nous avons eu une seule rencontre avec des représentants du « Patriarcat de Kiev » le 2 octobre 2009. Il s’agissait de négociations sur les futures conditions du dialogue. Le compte-rendu de cette rencontre a été publié. Malheureusement, notre entrevue n’a pas eu de suite et depuis 2009 le groupe de travail n’a pratiquement pas fonctionné.

Aujourd’hui, dans le contexte d’une situation politique difficile le Synode du « Patriarcat de Kiev » a adressé une demande à l’EOU pour reprendre les négociations. En réponse, le Synode de l’EOU a décidé de créer une commission qui prend la suite du groupe de travail de 2009. Le président de la commission est Mgr Mitrophane, archevêque de Lougansk et d’Altchevsk, le Protopresbytre Nicolas (Danilevitch) et moi-même faisions partie du groupe de 2009. La nouvelle commission comprendra en plus Mgr Théodore, archevêque de Kamenets-Podolsk ainsi que Mgr Philarète, archevêque de Lvov. Mgr Philarète est en charge du diocèse de Lvov et y communique directement avec des représentants du « Patriarcat de Kiev » et de l’Eglise Autocéphale d’Ukraine. Il est important que Mgr Théodore qui tient à ce que le schisme soit surmonté sur des bases canoniques strictes fasse partie de notre commission. Elle a été mise en place il y a quelques jours et nous n’avons pas encore élaboré un programme de nos futures actions. Il faut, cependant, comprendre que le dialogue sera extrêmement difficile.

Sur quel terrain pouvez-vous obtenir un accord ?

- Tout d’abord, il faut créer des conditions de travail constructives qui éviteraient toute agressivité des deux parties. Il faut réduire les tensions. Si nous nous mettons à négocier il n’est pas question d’envahir quoi que ce soit. Tout acte de force ferait s’échouer les négociations. Ensuite, la position de l’EOU a été exprimée à plusieurs reprises ces dernières années : pour surmonter le conflit il faut dialoguer. Cela permettra de trouver des points communs et une issue de l’impasse dans laquelle nous sommes.

Deuxièmement, le respect des canons est primordial. Et enfin, surmonter le schisme est une affaire intérieure de l’Eglise. L’intervention des politiques dans ce processus doit être exclue. Nous encourageons des initiatives d’Etat qui ont pour but de nous seconder mais cette assistance ne doit pas se transformer en une intervention dans les affaires intérieures de l’Eglise. Quant au modèle de la résolution du schisme, aucun n’a encore été accepté par les deux parties.

L’année dernière le Concile local du « Patriarcat de Kiev » a décidé qu’il n’accepterait pas la fusion ne serait-ce que temporaire avec le Patriarcat de Moscou. Cela rend la situation presque insolvable parce que la position de l’EOU se résume au fait qu’au départ il est nécessaire de rétablir l’union canonique pour que ceux qui se sont aliénés du plérome orthodoxe puissent réintégrer l’Eglise orthodoxe canonique. Ensuite, on peut discuter du futur statut de l’Eglise Orthodoxe en Ukraine. Mais le « Patriarcat de Kiev » privilégie d’abord la question du statut canonique. De leur point de vue, l’EOU doit d’abord obtenir le statut d’autocéphalie et quitter le Patriarcat de Moscou. Ensuite le « Patriarcat de Kiev » consentira à rétablir l’union canonique avec l’Eglise Orthodoxe d’Ukraine devenue indépendante de Moscou.

Il semble que l’une des voies consiste à mettre l’EOU au sein de la juridiction du patriarcat de Constantinople.

- Je ne crois pas que ce soit une approche valable pour résoudre le schisme. Autant que je sache l’EOU (« Patriarcat de Kiev ») et l’Eglise autocéphale considèrent l’intégration au Patriarcat de Constantinople comme le meilleur moyen de surmonter « l’isolement canonique ». Cependant, si des structures du Patriarcat de Constantinople sont fondées de nos jours cela ne signifiera pas la disparition du schisme mais l’émergence d’un soi-disant « pluralisme juridictionnel ». Deux Eglises locales coexisteraient : la russe et celle de Constantinople. Le principe fondateur du droit canon sera ainsi transgressé puisqu’il stipule que la juridiction ecclésiastique se répartit exclusivement en fonction du territoire.

C’est le cas de l’Europe de l’Ouest…

- L’Europe de l’Ouest est un territoire où historiquement il n’y avait pas d’Eglises Orthodoxes Locales. Aujourd’hui diverses diasporas y maintiennent l’union canonique avec leur Eglise. Diverses juridictions ecclésiales coexistent en Europe Occidentale. Par exemple, une dizaine d’évêques d’églises locales différentes « coexistent » à Paris. Mais c’est là un problème propre à l’Europe de l’Ouest. Dans le cas où un pays fait partie de l’Eglise Orthodoxe depuis des siècles, un tel « pluralisme juridictionnel » est une source de conflits et d’instabilité.

Ainsi, les solutions qui prévoient le transfert dans la juridiction de Constantinople ne contribueront pas à surmonter le schisme mais à en changer la donne. De plus, un tel conflit peut générer un conflit panorthodoxe. En effet, si des structures ecclésiales de Constantinople sont établies en Ukraine, vraisemblablement le patriarcat de Moscou ne les reconnaîtra pas. Et cela est lourd d’un conflit entre Moscou et Constantinople. Ainsi l’EOU (P.M.) ne soutient pas le principe d’une intégration des structures du Patriarcat de Constantinople en Ukraine.

Quels sont les autres objectifs de l’EOU (P.M.) ?

- L’Ukraine traverse une période très difficile. Les événements de cet hiver ne peuvent pas être oubliés, c’est une partie de notre histoire tragique. La mort de dizaines de personnes place Maïdan a traumatisé les Ukrainiens. Il faudra plus d’un an et peut-être des décennies entières pour cicatriser les plaies. Je pense que c’est la priorité de l’EOU. L’Eglise doit être attentive à sa stratégie de communication avec ses ouailles, cela dans une société qui a été au bord de la guerre civile. Il est important que l’EOU ainsi que d’autres confessions religieuses appellent les personnes à répudier l’agression et la violence. Nous devons faire tout notre possible pour que ces événements ne se répètent pas.

Lorsque la personne se trouve dans un état de traumatisme elle est ouverte à la Bonne Nouvelle, à la parole de Jésus parce qu’aux moments vitaux les questions essentielles se posent: le sens de la vie, sa valeur, la lutte politique et ses limites. Au bout du compte la question de la morale dans la politique s’impose d’elle-même. Nous ne devons pas oublier que toute l’élite politique précédente se déclarait membre de l’EOU. Mais ces personnes ne se sont pas arrêtées devant la solution de force appliquée dans le centre de Kiev. Ainsi, l’appartenance formelle à une paroisse n’exclue pas l’agression. C’est un défi lancé à l’Eglise. L’appartenance de nos compatriotes à l’Eglise ne signifie pas que notre société est chrétienne. Hélas, il n’y a pas de christianisme en politique. Ce n’est que de la force à l’état brut. C’est un défi lancé à l’Eglise qui est appelée à transformer la société.

La source du pouvoir politique est le peuple, comme le dit la Constitution. Ce n’est pas le pouvoir qui s’impose au peuple mais le peuple qui génère le pouvoir, il le contrôle et le limite. Si notre peuple est chrétien il doit produire des politiciens qui se souviennent des commandements de Dieu. Si l’Eglise veut exercer une influence réelle sur les esprits en Ukraine elle doit travailler avec la société sinon cette dernière perdra tout intérêt à son égard.

Dans l’ancien temps lorsqu’un peuple traversait une période de détresse les autorités proclamaient un jeûne général pour mieux prier. Est-ce que le carême se répercutera sur la vie du pays ?

- L’EOU a adressé une demande aux autorités pour prolonger le deuil jusqu’à la fin du Carême. L’Eglise a proposé de renoncer aux divertissements et de prier pour les défunts, de consacrer l’attention à la prière, au jeûne et à une perception chrétienne des événements. J’espère que la société l’entendra. Est-ce que la société ukrainienne est prête à pardonner ? Il sera difficile de persuader les personnes dont les amis ont péri sous les balles des tireurs embusqués de tout pardonner. Ils ne l’oublieront pas. C’est dur de faire un pas vers le pardon mais il n’y a pas d’autre chemin vers la réconciliation.

Pravoslavie i Mir

Traduction E.Tastevin


Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 8 Mars 2014 à 12:17 | 2 commentaires | Permalien



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