Archiprêtre Alexandre Borissov : Il y a 28 ans, l’échec du putsch communiste en Russie
Parlons d'orthodoxie

"Peu avant les évènements d’août le patriarche Alexis II m’avait nommé recteur de la paroisse Cosme et Damien, rue Stolechnikov, dans le centre ville. Sous le régime soviétique cette église servait d’imprimerie au Ministère de la Culture. Les responsables de l’entreprise nous ont attribué un local dans lequel nous disions régulièrement des offices d’action de grâce et des acathistes. La paroisse à laquelle je restais rattaché était celle de la Vierge du Signe, non loin du port fluvial.
C’est le matin du 19 août 1991, fête de la Transfiguration du Seigneur, que nous avons appris la nouvelle du putsch. J’ai, bien sûr, officié la liturgie. De 1990 à 1993 j’ai été député du Conseil de Moscou.

Nous avons réussi, à imprimer cet appel à mille exemplaires d’une manière clandestine et nous avons tiré autant d’exemplaires du Manifeste lancé par Boris Eltsine. Je faisais alors partie du Conseil de la Société biblique de Russie. Nous avions en stock un grand nombre d’évangiles en format de poche, don de la société des « Frères de Gédéon ». Le 20 août nous avons chargé un minibus de livres et de tracts et nous sommes allés les distribuer aux soldats. Lorsque je suis sorti du car, vêtu de ma soutane, avec ma croix pectorale, arborant aussi l’insigne de député de Moscou mon apparence fit une telle impression sur les officiers et les miliciens qu’ils nous laissèrent nous approcher des chars et des véhicules blindés. Plusieurs collaborateurs de la Société biblique, mon épouse ainsi que des paroissiennes de mon église participaient à cette action.
Chargés de caisses remplies d’évangiles nous frappions aux hublots des tanks. Un soldat se montre. Je lui demande combien d’hommes d’équipage compte ce blindé. Silence. J’explique que nous voulons distribuer des évangiles. Le soldat fait un sourire et répond qu’ils sont cinq. A chacun d’entre eux nous donnons un livre et un tract. En une soirée nous avons réussi à distribuer près de deux mille livres et autant d’appels du Soviet de Moscou. Commencée dans les parages de l’hôtel Baltchoug l’action s’est poursuivie Pont Kamenny, puis Place du Manège et rue Tverskaya. Un seul militaire a refusé d’accepter notre don. Les officiers ne faisaient pas obstacle à cette distribution, au contraire, ils se montraient plutôt bienveillants.
Le lendemain matin j’ai appris que trois jeunes gens avaient péri pendant la nuit dans le tunnel du Nouvel Arbat en essayant d’arrêter l’avancée des tanks. Avec l’aide de quelques paroissiens et chantres nous avons confectionné un crucifix en assemblant des planches et nous nous sommes rendus sur les lieux pour y chanter une panikhide, office funèbre. Des traces de sang étaient encore apparentes sur le sol.

Nos espoirs ne sont pas tous réalisés. Mais l’Eglise est à nouveau libre et en plain épanouissement. Des paroisses nouvelles s’ouvrent constamment, il est possible d’acquérir facilement les Saintes Ecritures, des ouvrages religieux. Cependant l’intelligentsia russe n’était pas tout à fait prête aux changements démocratiques. De nombreux députés ont fait preuve de cupidité.

Les erreurs ont certes été nombreuses. Mais malgré certaines déceptions je ne regrette en rien de m’être ainsi comporté en ces journées d’août 1991. Nous avons fait de notre mieux pour éviter une effusion de sang. C’était de la part d’un croyant la réaction la plus naturelle qui puisse être.
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L’archiprêtre Alexandre Borissov
Traduction "PO"
L’archiprêtre Alexandre Borissov : « A la Loubianka, on m’a prévenu que j’allais avoir des problèmes »
L'archiprêtre Alexandre Borissov : l’indifférence est l’ennemi numéro 1 de l’église

On peut voir là un signe irréfutable de la sainteté de la Russie, sainte par sa sainte et immense patience (que d'aucuns prennent pour une indéfinie, intolérable et incompréhensible soumission) et le signe aussi que le moment était venu pour être transfiguré à la stupeur du monde entier, mais non de ceux qui savent qu'un jour "ceux qui pleurenty seront consolés".
Anne Khoudokormoff/Vienne/Autriche
