1.
Laurence Guillon
le 11/09/2011 01:26
C'est assez vrai. J'ai souvent été choquée par des attitudes rigoristes et pharisiennes qui faisaient fuir les gens normaux, par le besoin infantile d'être tyrannisé par un père spirituel qui ne tenait aucun compte des réalités, par un terrible manque de charité de la part de gens qui confondaient sainteté et héroïsme de komsomol. En revanche, quand j'entendais parler par exemple le patriarche Cyrille, alors métropolite, ou d'autres hiérarques, je pouvais constater qu'ils n'approuvaient pas les délires qui me rebutaient. J'avais une paroisse où de telles dérives ne se produisaient pas. Mais j'ai connu nombre de gens qu'elles avaient découragés. Pour certains prêtres, ce n'était pas grave, seuls les purs capables de supporter une religion de croquemitaine étaient dignes du Royaume des Cieux. En vertu de tout l'amour que je porte à l'orthodoxie et à la Russie, je pense que si on pouvait aller davantage dans le sens de la deuxième tendance, celle de l'orthodoxie ouverte, on verrait en Russie un renouveau spirituel spectaculaire. Beaucoup de Russes ont besoin de la foi, ils n'y sont pas hostiles, comme les Français, par exemple. Mais si on leur met sur le dos un fardeau qu'ils ne peuvent pas porter, en les traitant durement et en les humiliant, eh bien, à moins d'être masochistes, ils partent en courant. Comme s'ils n'étaient pas déjà assez brimés et humiliés à l'extérieur de l'Eglise! J'en avais presque perdu la foi, et l'ai récupérée grâce à un prêtre qui, en confession, m'a répondu à ce sujet: "hélas, tout cela est vrai, que voulez-vous que je vous dise, pardonnez-nous au nom du Christ!"
2.
Daniel
le 11/09/2011 09:17
@ Laurence et Vladimir
Peut-être pourriez-vous nous aider à voir plus clair en expliquant ce que sont ces "attitudes rigoristes et pharisiennes qui faisaient fuir les gens normaux, par le besoin infantile d'être tyrannisé par un père spirituel qui ne tenait aucun compte des réalités, par un terrible manque de charité de la part de gens qui confondaient sainteté et héroïsme de komsomol."
3.
Tchetnik
le 11/09/2011 11:49
La Russie connait déjà un renouveau spirituel spectaculaire, pas besoin de "religion" complaisante pour cela. Les gens en Russie sont justement attirés par l'absolu et l'exigence que représentent les églises. Cela est à mettre en parallèle avec les églises sympathiques, modernes et faciles de Vatican II...lesquelles sont en France complètement vides alors que celles des Catholiques Traditionnels font le plein tous les dimanches.
Car, même si on doit être bienveillant et discerné dans l'application des règles et idéaux de l'Église, ces derniers n'en existent pas moins et, si on veut accomplir le sens de salut et de sainteté que le Christ donne à notre vie, on ne peut en faire l'économie. Le Christianisme "sympatoche", complaisant et gentillet n'existe pas et n,a jamais existé. Pas plus qu'un Christ, des Prophètes ou des Apôtres "sugar daddy".
La sainteté consistant à chasser de soi la nature déchue et remettre en cause les pensées et comportements qu'elle implique, on voit mal comment cela pourrait se faire sans un travail sur soi, un travail de remise en cause et de purification qui ne va pas forcément tout seul et qui nécessite efforts et exigences.
Si le Christianisme n'est pas érservé à une élite intellectuelle ou physique, il demande quand même pas mal d'efforts.
Ets'il faut effectivement être compréhensif et bienveillant à l'égard de la faiblesse (et certains pères spirituels manquent sans aucun doute de cette bienveillance), il convient de ne jamais se montrer complaisant à l'égard de la paresse. Tout comme les Prophètes, les Apôtres, les Pères et même le Christ le montrèrent. Il suffit de relire les Petites Règles de Saint Basile pour s'en convaincre...
Mais une des principales crypto-hérésies du monde moderne consiste souvent à faire croire que Charité et autorité, que bienveillance et exigence seraient forcément opposées. Un père qui aime son fils sera très exigent à son égard, en terme de travail à l'école comme en terme de comportement, et pourra se montrer sévère, s'il le faut. Manque-t-il de charité pour autant?
En revanche, que certains prêtres et évèques fassent preuve d'arbitraire, de manque de discernement, d'intelligence et de charité est une chose. Mais le mauvais usage qu'ils font des exigences de l'Église n'abolit pas ces dernières pour autant.
Prudence: Charité ne veut pas dire complaisance.
4.
vladimir
le 11/09/2011 15:15
Bien cher Daniel,
Je veux vous remercier pour votre long commentaire dont nos modérateurs ont fait une fil particulier où je vais répondre plus longuement. Je trouve que les deux pages qui précédent ma conclusion développent assez bien ce que Laurence appelle justement "attitudes rigoristes et pharisiennes qui faisaient fuir les gens normaux..." (votre commentaire 2) et dont parlent les pères Pierre et Georges après Alexandre Schmemann. Je suis heureux que Laurence vienne ainsi apporter ce témoignage vivant sur ce problème qui, pour moi, constitue un des défis majeurs posés à l'Orthodoxie de nos jours, et pas seulement en Russie comme les montrent les débats autour de ceux que l'on appelle habituellement «zélotes», au premier rang desquels se trouvent les «vieux-calendaristes» ou les moines du monastère Esphigmenou, au Mont Athos.
5.
justina
le 11/09/2011 18:28
« ces croyants doivent se libérer du courant "ecclésio-subculturel": prendre leur propre mesure des jeunes, offices, préparations à l'Eucharistie, sortir du cadre infantile de la paternité spirituelle, analyser de façon critique telle ou telle formulation des Pères, séparer l'essence de l'Eglises des contingences politico-économico-idéologiques actuelles et même, d'une certaines façon, s'affranchir du poids de l'histoire de l'Eglise pour appréhender l'Eglise de façon personnelle plutôt qu'historique. Ainsi cette démarche est parfaitement légitime pour tous les croyants sincères (qui constituent toujours le "petit troupeau" comme il est écrit dans Luc 12,32) »
Je me demande si l’auteur de ces lignes est orthodoxe. Il semble bien que non. En tout cas, ses arguments temoignent d’une mentalite protestante.
6.
Marie Genko
le 11/09/2011 22:33
Ce sujet est un sujet difficile à commenter car il ne supporte pas d'être abordé avec des a prioris d'ordre général.
Le rôle de nos Pères spirituels est de nous appeler à la Sainteté, cela ne fait aucun doute!
Il ne peut être question d'une "Orthodoxie light" comme l'a écrit un jour Daniel sur un fil différent.
Cependant, je pense que certains prêtres se conduisent sans aucun respect envers les pécheurs et effectivement les écartent de l'Eglise.
Je me souviens d'une scène qui m'avait particulièrement frappée lors d'un séjour en Crimée en 1996
C'était un dimanche et l'église était remplie de monde.
Non loin de moi se tenait un vieil homme, visiblement endimanché, rasé de près et portant même ses décorations. Son attitude était humble, timide presque. Il donnait l'impression de venir pour la première fois de sa vie à l'église et d'avoir particulièrement soigné sa tenue pour cela.
Etant donné l'affluence, deux prêtres se sont mis à confesser les fidèles dans l'église.
Le vieil homme s'approcha lui aussi de l'un de ces prêtres et je pu voir à distance avec quel visage fermé et quelle sévérité ce dernier l'accueillit. C'est avec infiniment de tristesse que ce vieil homme revint à sa place, et j'en eu le coeur serré pour lui.
L'accueil du prêtre ne doit-il pas être celui d'un Père envers son fils prodigue?
Je pense qu'il s'agit de prêtres semblables à celui que je viens de décrire, que d'autres prêtres s'opposent volontiers aujourd'hui.
Mais ce n'est pas à cause de certains ecclésiastiques obtus, que tous les prêtres doivent être remis en question, ni qu'une permissivité inadmissible doive remplacer notre désir de nous améliorer pour
nous rapprocher de ce que le Seigneur attend de nous!
Lorsqu'un prêtre ou un moine est particulièrement ouvert et intelligent, il se met à vouloir changer les règles pour éviter justement les impairs et les maladresses.
Simplement nous pouvons observer que le peuple de Dieu ne veut pas suivre ces changements de règle!
Tchetnik l'explique parfaitement dans son commentaire N° 3 ci-dessus!
Je pense qu'en Russie, où les fidèles ont encore en mémoire le scandale des rénavotionistes au début du XXème siècle, des innovations seront encore bien moins accueillies qu'elles ne pourraient l'être en Occident.
7.
Tchetnik
le 12/09/2011 08:30
Le problème étant que les Zélotes, effectivement parfois maladroits, ne constituent qu'une composante parmi d'autres.
Les prendre comme justification pour renier des exigences et enseignements qui furent toujours ceux de l'Église apparait peu justifié.
De plus, lesdites exigences n,ont jamais fait que faire fuir des gens qui dès le départ, étaient réfractaires à toutes règles. Cependant, je vois mal pourquoi l'Église devrait s,aligner sur leurs désidératas.
@Marie
Vous avez très bien décrit la différence qu'il y a entre desapprouver des attitudes effectivements peu charitables et inintelligentes de la part de certains prêtres et le fait, moins légitime de rejeter complètement des règles qui restent nécessaires (indispensables0 au salut humain et qui, de toute manière, ne satisfairont jamais tout le monde.
8.
Théophile
le 12/09/2011 19:49
Pourquoi tapez-vous sur la tête de Vladimir, alors qu'il dit substantiellement la même chose que vous:
"...ce n'est pas le système normatif en tant que tel que dénoncent le père Pierre et les autres tenants de cette approche, mais uniquement ses excès et sa prétention à l'universalité, car tous reconnaissent bien que ces règles normatives constituent une base et un point de départ incontournables pour qui veut véritablement comprendre et rejoindre l'Orthodoxie."
Ou alors cela vous dérange-t-il qu'il fasse preuve de modération? Je vous rappelle les paroles du Seigneur : "C'est la miséricorde que je veux, non le sacrifice".
Toute règle est une règle pour avancer sur le chemin de la vie chrétienne. Si cela n'était pas le cas, les Apôtres auraient continué toutes les pratiques juives. Or celles-ci avaient un sens pour préparer la venue du Messie, non pour annoncer le salut à toutes les nations.
Il en est de même pour les ascèses chrétiennes - celle-ci sont au service de la vie en Christ - elle ne sont pas un but en soi, mais un moyen pour atteindre le but: l'acquisition du Saint-Esprit, comme le disait saint Sérafim. La sainteté, la déification comme le vivent les saints de tous les siècles.
L'attachement du peuple à telle ou telle pratique n'est pas un argument. Si l'on se base là-dessus, alors, il faut aussi justifier la lapidation - que le peuple hébreux pratiquait et que le Christ a remis à sa juste place - une loi humaine, rien de plus. De notre temps, on pourrait alors justifier la peine de mort (que malheureusement certains chrétiens ont l'audace de plébisciter). Or justement, la théologie orthodoxe nous enseigne des chemins qui dépassent ce genre d'approche. La théologie, c'est d'abord l'expérience et la vie des saints: si l'on pense un seul instant à ce qu'aurait enseigné ou fait le Christ dans telle ou telle situation, on se ferait un peu plus humble et doux vis-à-vis des pratiques de telle ou telle personne !!! ("Des protestants!" - sans doute est-ce ainsi que les Pharisiens auraient désignés les bienheureux Apôtres...).
9.
Marie Genko
le 13/09/2011 09:23
Cher Théophile,
Vous avez parfaitement raison dans votre message N°8.
Cependant relisez le message N°5, celui de Justina, et vous comprendrez, que certaines paroles prononcées par un théologien, comme le Père Pierre Mestcherinoff, peuvent, sorties de leur contexte, paraître pour le moins surprenantes!
J'ai eu la chance de pouvoir écouter le Père Pierre Mestcherinoff, lors d'un de ses passages en France, et je peux assurer que tout en lui respire l'Orthodoxie.
Enfin il n'est pas question de taper sur la tête de Vladimir, auquel nous sommes tous redevables pour les les articles passionnnants, qu'il veut bien se donner la peine de publier sur ce site.
Simplement, au sein de l'archevêché, nous sommes assez bien placés pour nous rendre compte des changements vers une occidentalisation de certaines de nos paroisses, (absence d'iconostase à Nantes par exemple et autres détails mille fois évoqués ici) et je pense ne pas me tromper en disant que rester fidèles à notre identité patriarcale russe, apparamment chère à notre archevêque Gabriel, consiste aussi à perpétuer les rites et les traditions que nous ont enseigné nos prédécesseurs.
Par ailleurs, si la cathédrale de la rue Daru se mettait à officier en langue française, ou supprimait son iconostase, elle se vidrait immédiatement de tous les fidèles Moldaves qui remplissent l'église chaque dimanche....
je veux enfin terminer en disant que votre exemple concernant l'attachement du peuple à la pratique de la lapidation ne me semble pas une bonne image.
Certaines pratiques populaires sont cruelles et contraires à la Parole du Christ!
Mais la Tradition de l'Eglise, ne s'est-elle pas construite justement sur l'expérience de ce qui convient aux fidèles pour leur faciliter une mise en condition de prières et les aider à gravir les échelons qui les conduiront surement à se rapprocher du Christ?
Ou bien pensez-vous que les besoins de l'âme humaine évoluent dans le temps?
Et que c'est à nous tous, et à notre foi orthodoxe de s'adapter à l'époque contemporaine?
10.
Tchetnik
le 13/09/2011 09:31
Quand on regarde la vie des Saints, on constate justement, comme dans leurs écrits, que l'exigence l,emporte largement sur la complaisance.
Les exigences et règles de l'Église ne sauraient être considérées comme de simples "lois humaines", de plus. Elles datent de l'ère du Salut, pas de la période vétérotestamentaire. Elles sevrnet à la sanctification tant spirituelle que corporelle, et si tout n'est certainement pas à mettre au même niveau, elles conservent néanmoins leur importance.
Au sujet de l'intelligence des situations, du discernement des forces et des faiblesses comme de la bienveillance, ces thèmes ont déjà été mentionnés. Ils modulent certainement l,application de ces règles sans pour autant les annuler.
Enfin, soyez très prudent sur:
-l'utilisation abusive de l'appelation "pharisien". En effet, on peut parfaitement être pharisien du libéralisme et de ses critères personnels,
-le fait de prétendre révéler ce que telle ou telle personne aurait pu dire ou faire dans l'Histoire vis à vis de telle ou telle autre, car vous n'en savez rien. EN l'occurence, si vous lisez attentivement les Épitres, vous verrez que Saint Paul, qui a le plus remis en cause les pratiques vétérotestamentaires, a été aussi le plus grand défenseur de ces exigences, que l'Église n'a fait que reprendre, en les adaptant ensuite.
11.
Théophile
le 13/09/2011 21:00
Quelques anciens allèrent chez abba Poemen et lui demandèrent : "A ton avis, quand nous voyons les frères s'assoupir à l'office, faut-il les secouer pour qu'ils soient éveillés durant les vigiles?" Il leur dit: "Quand je vois un frère s'assoupir, je mets sa tête sur mes genoux, et je le fais reposer".
Cher Tchetnik, dans la vie des saints, l'exigence l'emporte assurément concernant leur propre vie, mais la miséricorde l'emporte dès qu'il s'agit de leur prochain.
12.
Tchetnik
le 14/09/2011 07:01
Saint Basile écrit:
""Par contre, si quelqu'un montre dans la place qu'il occupe l'ardeur de son zèle conformément à
l'avertissement de l'Apôtre : "Ne ménagez pas votre zèle" (Rm 12, 11), il recevra la louange que
mérite la bonne volonté ; tandis qu'au négligent sera sûrement réservé comme un triste lot cet
anathème de l'Ecriture : "Maudit celui qui accomplit avec négligence les oeuvres du Seigneur". (Jr
48, 10)""
omplèté par ceci:
""Et si l'aiguillon de la mort est le péché, non tel ou tel péché, mais, évidemment, tout
péché sans distinction, c'est en se taisant que l'on est cruel et non pas en faisant des reproches,
comme on le serait en enfermant le venin d'une morsure dans la plaie plutôt qu'en l'en retirant.
C'est ainsi également qu'on manquerait à la charité, car il est écrit : "Celui qui ménage le bâton
hait son fils, et celui qui aime châtie au contraire avec soin" (Pr 13,24).""
Il est bon de lire les Pères, mais encore faut-il le faire jusqu,au bout, et non hors contexte.
Car dans leur écrits, jamais "misericorde" n'a aboli les exigences, ni signifié "complaisance". Une hérésie moderniste consistant à confondre ces deux termes.
13.
vladimir
le 17/09/2011 15:54
Les Orthodoxes vivant en occident ont du mal à saisir l'acuité du problème soulevé par les penseurs orthodoxes que je cite pour deux raisons principales:
1/ Les représentants de la subculture traditionaliste (intégriste?) dont il est question sont très minoritaires ici: on ne le trouve guère que dans les "débris"(1) de l'Eglise Hors Frontière qui ont refusé la réunification de 2007 et les "Vétéro-calendaristes" (2). Par contre ils sont très nombreux au sein des Eglises d'Europe de l'est, en particulier l'Eglise russe, et c'est leur prétention à vouloir être TOUTE L'EGLISE qui apparait comme un danger aux théologiens que je cite. Coller l'étiquette "protestant" est aussi une façon de "désécclaisialiser" qui les caractérise…
2/ D'un autre côté, il nous manque un père Pierre pour analyser la subculture qui s'affiche sur le devant de la scène chez nous: je pense aux "modernistes" dont parle Marie (commentaire 9). Tout comme les traditionalistes ils prétendent représenter l'Eglise ou, à tout le moins, ils prétendent porter la Vérité de l'Eglise et, tout comme eux, ils rejettent tous ceux qui pensent différemment dans leur dèsecclésialisation spécifique: "l'obscurantisme", "l'idolâtrie", "la superstition", etc.
Je pense que la partie modérée de ces deux courants est non seulement utile, mais même nécessaire à la vie de l'Orthodoxie mais que les excès, et surtout l'intolérance, de leurs courants extrémistes sont nuisibles. Et c'est bien de cela que traitent les publications que je cite.
Références:
(1) Cf. http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Un-point-de-vue-interessant_a1057.html
(2) http://fr.wikipedia.org/wiki/Orthodoxes_vieux-calendaristes