L’homme à l’ère de la modernisation

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L’homme à l’ère de la modernisation
Intervention de Mgr Hilarion, métropolite de Volokolamsk au forum « Dialogue de Saint Pétersbourg »

Le 4 juillet 2010 Mgr Hilarion, métropolite de Volokolamsk est intervenu à la séance inaugurale du forum « Dialogue de Saint Pétersbourg »

« Mesdames, Messieurs, chers frères et sœurs,
C’est un honneur pour moi que d’intervenir le premier à la réunion du groupe de travail « L’Eglise en Europe ». Le sujet de la modernisation de la société est ces derniers temps de plus en plus d’actuelité. Les hommes politiques, les milieux d’affaire, les économistes et les sociologues y consacrent leurs réflexions. La notion de « modernisation » fait ces derniers temps la une des médias. Comment concevons-nous la personne humaine à l’ère de la modernisation ? Elle est avant tout créative, instruite, intellectuelle, pragmatique, susceptible de communiquer facilement.

N’oublions cependant pas que l’homme est un être spirituel tout autant que physique. Aussi, toutes ses qualités sont fonction de l’intensité de sa vie spirituelle. Au cours de ces deux derniers siècles le sécularisme s’est appliqué à essayer de démontrer que la religion est le principal ennemi de la modernisation. Il en a résulté que la modernisation est de plus orientée vers l’acquisition de biens matériels et les plaisirs de ce monde. La culture de masse veut que les objets et les biens matériels deviennent un objet de culte et prévalent sur la spiritualité. Ces deux notions sont ainsi perçues comme contradictoires. La modernisation et le sécularisme militant vont ainsi de pair. L’homme n’aspire qu’à la possession de biens matériels. Il veut aménager au mieux sa demeure, faire l’acquisition d’un objet couteux, il préfère consacrer ses loisirs à des repas dans les restaurants ou se rendre dans des lieux de distraction. Il consacre ses lectures à la presse, à des études économiques et financières, à des brochures de voyage.

L’homme à l’ère de la modernisation
Tout ceci aux dépens d’œuvres classiques ou d’ouvrages religieux. Fatalement cela conduit à la désacralisation de la personne humaine. Nous devons faire face à un défi très grave : l’Europe, continent traditionnellement chrétien, voit émerger un mode de vie qui se fonde sur la laïcité, le relativisme moral ainsi que l’existence acceptée d’activités et de valeurs hostiles aux fondements de la religion. Celui qui répudie ses racines religieuses et qui fait abstraction de la dimension spirituelle de sa personnalité devient affaibli et aliéné. Seule une personnalité harmonieuse et équilibrée est à même de contribuer à la modernisation. Et ce n’est qu’en puisant à la tradition spirituelle que l’on peut atteindre cette harmonie et cet équilibre. Un vecteur religieux est indispensable dans la famille comme à l’école… Nous trouvons dans l’histoire des exemples de modernisation réalisée dans le mépris des valeurs spirituelles et culturelles de la nation. Pierre le Grand a réussi une modernisation économique sans précédent de la Russie. Mais il a fallu payer un prix terrible ! Pierre a sapé les fondements de la société, brisé l’éducation traditionnelle. L’Eglise qui avait toute sa place dans la société russe fut placée dans des conditions humiliantes. Des principes et des modes de vie étaient imposés à une population qui n’y était pas préparée et pour laquelle tout ceci était profondément étranger. Nous ne pouvons l’affirmer avec certitude mais c’est peut-être alors que furent inoculés à la société russe les germes destructifs mis en œuvre en 1917.

Il existe d’autres exemples de modernisation : ils se fondent sur le rejet absolu de l’expérience historique des nations et de leurs traditions. Je pense au bolchévisme en Russie et au national-socialisme en Allemagne.
L’Etat soviétique aspirait au progrès au prix de la suppression totale de la religion et de la tradition dans la vie de la société comme dans celle de chacun de ses membres. Les portraits des chefs de file du communisme vinrent se substituer aux saintes icônes. L’espoir en l’avenir radieux devait évincer la foi en Dieu. Il était inadmissible, voire criminel, pour un citoyen soviétique d’aller à l’église, de porter une croix pectorale, de célébrer les fêtes religieuses. La personne humaine était considérée comme une pièce de peu d’importance appartenant à la grandiose machine qui occupait un sixième du territoire émergé du globe. Un Etat dont la spiritualité était bannie et qui se fondait sur la peur, l’oppression, les interdits et les restrictions, les prisons et les camps n’était pas viable et il a fini par s’effondrer.
En Allemagne le national socialisme professait la supériorité d’une nation sur toutes les autres et l’avènement d’un homme « normalisé » en fonction des standards élaborés par l’appareil de propagande du III Reich. Les valeurs morales furent remplacées par des vertus fictives : l’homme y était également considéré comme une pièce de peu d’importance. La loyauté à l’égard du Reich et de son Führer, la volonté d’élargir « l’espace vital » de son peuple par l’asservissement et l’extermination d’autres peuples, voilà ce qui était considéré comme essentiel. Seule une défaite militaire infligées par les peuples du monde permet de mettre fin à cette idéologie antihumaine.
L’aspiritualité dévalorise tous les biens matériels du monde. Une civilisation sans repères spirituels n’est qu’un géant aux pieds d’argile. Un pays qui se veut intègre ne peut se fonder sur les activités d’une armée de fonctionnaires uniquement soucieux de la valeur ajoutée. De même, l’individu ne saurait fonder sa vie sur le cours du dollar et de l’euro ou sur le niveau du Dow Jones. Il est donc indispensable d’équiper la personne humaine d’une échelle de valeurs qui lui donnerait des repères et des orientations dans la vie comme dans le travail.

La Russie procède actuellement à l’introduction, à titre expérimental, d’un système scolaire prévoyant l’enseignement de la culture spirituelle et morale. Ce modeste essai de modernisation du système scolaire suscite de très vifs débats dans l’opinion. Nous nous tenons disposés à débattre de tous les aspects de cette expérience avec tous ceux qui le souhaiteraient, et en premier avec nos collègues allemands. En effet, il s’agit de sujets qui sont actuellement très présents en Allemagne. En février 2010 le Fonds Konrad Adenauer et le Département des relations extérieures du patriarcat de Moscou ont organisé une conférence dont le thème était « L’enseignement de la religion dans l’école publique : comment le sujet est abordé en Russie et en Allemagne ». Ce sujet va continuer à être débattu afin de maintenir au mieux les traditions spirituelles de nos pays ».

Traduction "P.O."


Commentaires (3)
1. Cathortho le 16/07/2010 23:01
Dans cette juste dénonciation de la "modernisation" Mgr Hilarion montre bien que cette déviation née des "Lumières" (Mgr Hilarion ne le dit pas explicitement mais sa critique mesurée de l'action de Pierre le Grand le laisse, me semble-t-il, suggérer) s'est montrée sous trois formes. Les deux premières, le bolchévisme russe et le national-socialisme allemand et qui ont heureusement disparues ; la troisième, celle dans laquelle nous vivons actuellement en Occident, que Mgr Hilarion appelle "sécularisme" et qui n'est autre que le libéral-libertarisme (libéral pour ce qui est du domaine économique, libertaire pour ce qui est du domaine sociétal) et qui a des prétentions planétaires.

Si on les regarde bien, on peut dire que, d'une certaine manière, ces trois formes de la "modernisation" sont des parodies de la parole du Christ : " La vérité vous rendra libres ". La parodie bolchévique se résumait à : " La lutte des classes vous rendra libres" ; la parodie national-socialiste à : " La lutte des races vous rendra libres" ; la parodie libéral-libertaire actuelle à : " Le libre-marché vous rendra libres ".

Nous sommes avec ces trois parodies modernes en plein, me semble-t-il, dans cette "falsification du bien" débusquée par Vladimir Soloviev et à laquelle j'ai fait allusion dans le post " "Les" forces du mal plutôt que "la" force du Mal ".
2. vladimir le 11/10/2010 22:30
Je remercie la rédaction d'avoir remis en avant ce texte, passé inaperçu pendant les vacances. Il est évidement très important il montre bien ou est le vrai combat des Chrétiens, et Cathortho réagit très justement en faisant remonter le problème aux "Lumières". Il devrait aussi souligner que ce texte est en parfaite harmonie avec nombre de déclarations du Pape Benoît XVI, dont France Soir (!) a pu écrire qu'il était "le seul vrai rebelle de la modernité" (1). Cela explique aussi la convergence actuelle entre les deux Églises sur le terrain...

(1) http://www.francesoir.fr/pedophilie-dans-leglise-certains-medias-ont-ete-plus-indulgents-avec-polanski-et-frederic-mitterrand
3. Fabre le 12/10/2010 08:42
et oui, ce siècle de lumière est aussi à l'origine de l'humanisme....................sans Dieu !
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