Le prêtre et le scientifique

Vladimir Golovanow

V.G. - Le père Georges Leroy m'avait écrit à la suite du commentaire de mon ami "scientifique de bon niveau" sur ses "Etudes" Cf. "L'Adieu a une vision positiviste du monde" commentaire 2 et celui-ci vient de lui répondre. Il se trouve qu'il connait en plus le Québec et ela donne un dialogue savoureux que je vous livre pratiquement in-extenso, en ajoutant des titres pour faciliter la lecture:

DEUX POINTS DE VUE DIFFERENTS

LE PRÊTRE: malgré ma "gangue idéologique" (Dieu, révélation et Co), comme le dit notre ami, je le remercie très cordialement pour son intervention, à la fois tout-à-fait pertinente et particulièrement intéressante... Le point de départ de mon texte est la constatation que les objections les plus courantes contre le message chrétien se fondent sur une compréhension de la science qui date du XIXe siècle et se trouve largement dépassée aujourd’hui; de plus, ce qui est merveilleux, c'est que la science actuelle permet d’exprimer le message chrétien qui a enthousiasmé les apôtres, avec bien plus de facilité que cela n’a jamais été le cas pendant les vingt siècles précédents, car nous sommes désormais délivrés de la notion autrefois toute-puissante d’une ligne de temps et d’un espace-temps uniques.


Le prêtre et le scientifique
LE SCIENTIFIQUE commente: OK!

LE PRÊTRE Et voici que votre "ami scientifique de bon niveau" m'honore du titre : "ermite québécois en Abitibi" - titre dont je suis extrêmement indigne, car je suis beaucoup trop agité dans mes pensées et intérieurement proche du "monde", que pour pouvoir revendiquer une telle noblesse ! L’avis de votre ami est vraiment stimulant. C’est très intéressant de recevoir l’écho d’une pensée qui se trouve en quelque sorte "de l’autre côté de la barrière".

Il ne dit pas que ce que je dis est totalement stupide,

LE SCIENTIFIQUE commente: Ca me parait évident: rien de stupide, mais des questions pénibles.

LE PRÊTRE continue: ce qui est déjà bien. Sous ce point de vue, je suis soulagé… Il reconnaît même que l’avis des mystiques (toute la clique !) converge par rapport aux acquis de la physique. C’est plus que ce que j’aurais espéré de la part de quelqu’un qui se place officiellement dans le pâturage des incroyants. Il soulève l’hypothèse que l’introspection des mystiques orientaux les amènerait à la révélation - tout en tenant compte que la mystique bouddhiste n’est pas déiste. Si pour lui il serait "plus sage" de suivre le chemin inverse des mystiques, c’est-à-dire de se baser sur les connaissances physiques pour en arriver aux "intuitions géniales" des personnes qui ont vécu profondément leur spiritualité. Ce serait deux chemins complémentaires, aboutissant à un résultat semblable… Sauf que

- Si l’univers ne trouve de justification qu’en lui-même, les intuitions des mystiques ne sont qu’illusions.
- Par contre, s’il existe une Volonté ontologiquement fondamentale qui exprime son désir que l’univers existe, et en particulier qu’un être conscient y vive, les intuitions des mystiques correspondent à quelque chose.

C'est l'un ou l'autre. Il est difficile de mélanger les deux points de vue.

LE SCIENTIFIQUE: Ca doit être vrai???

Mais, calvaire, hostie, (note du rédacteur: interjections typiquement québécoise) c'est bien ça qu'on cherche! Pour savoir s'il y a une volonté "ontologiquement fondamentale" il faut chercher! Ou alors on se contente d'une foi, d'une conviction, d'une intuition? Mais chercher tous les éléments qui pointent vers un "désir", ne me semble pas hérétique, ni condamnable, au contraire. J'ai en ce sens un livre excellent de Jean STAUNE: "Notre existence a-t-elle un sens? Une enquête scientifique et philosophique"
Il recherche les indices de cette volonté, de façon très sérieuse et documentée.

LE PRÊTRE:
"Si pointue que soit la recherche et si remarquables que soient les résultats que l’on obtient, toujours on progresse dans la connaissance du «COMMENT» des choses, mais jamais l’on ne parvient à une réelle connaissance du «POURQUOI» - de la raison ultime pour laquelle ces choses existent, du sens ultime qui nous montre le point de convergence final de l’évolution."


UN PROCESSUS ASYMÉTRIQUE

LE PRÊTRE continue: Bien sûr, la science tend toujours à déborder de son domaine propre, continue-t-il, mais les explications parfois puériles qu’elle donne du «pourquoi" sont en réalité un abus de pouvoir (l’une des explications qui vise à supprimer toute idée de "commencement absolu" serait celle-ci, parmi de nombreuses autres : le «big-bang" ne serait aucunement une singularité, car dans ce cas cela ouvrirait dangereusement la porte à ceux qui voudraient y voir l’action d’une quelconque divinité, mais un phénomène indéfiniment répété, formant un nombre indéfini d’univers, phénomène lui-même alimenté par "l’énergie du vide", car le vide quantique n’est aucunement vide, mais nous offre le spectacle d’un bouillonnement incessant de naissance et d’annihilation d’oscillations fondamentales. - Tout ceci ne me paraît pas particulièrement convaincant). Il est fondamentalement impossible de passer du "comment" au "pourquoi". Par contre, rien n’empêche de passer du "pourquoi" au "comment"… CE QUI EST VRAI DANS UN SENS, NE L’EST PAS DANS L’AUTRE.


LE SCIENTIFIQUE intervient: Aïe!!! Maudit! C'est tannant en hostie, mais ça a beaucoup de sens. (note du rédacteur: toujours l'accent québécois :-) )

LE PRÊTRE continue: C’est d’ailleurs une constatation extrêmement intéressante. Cela se vérifie aussi en certains domaines théologiques quelque peu subtils : dans mes "Études", j’ai souligné le fait qu’en la Personne du Christ, l’humanité n’est pas vécue dans le même sens que la divinité. La théologie constate une "asymétrie" dans la Personne du Christ. C’est une situation analogue que l’on trouve dans les relations entre la Volonté fondamentale ("Dieu", si l’on ne fait pas de l’urticaire à l’énoncé de ce terme) et les êtres conscients qui sont situés en ce monde. La relation qui va de "Dieu" à l’être conscient créé, n’est pas la même que la relation qui va de l’être conscient créé à "Dieu".

Tout cela pour dire que le processus qui consisterait à se baser sur l’étude des phénomènes physiques, pour en arriver à un accord avec les intuitions des mystiques, ne me paraît pas dans l’ordre des possibilités.

***

LE SCIENTIFIQUE: Ah enfin! Là JE SUIS PAS D'ACCORD! Quasi tous les physiciens quantiques du 20è siècle, et beaucoup d'autres après, ont aussi écrit des textes philosophiques, disons "mystiques" Ces mondes, avec ses approches totalement différentes, peuvent se retrouver!

Pour ma part, mon intérêt se porte surtout sur l'étude de la conscience; J'ai même consacré plus de 5 ans de ma calvaire de vie à essayer de décoder le fonctionnement du cerveau! A la Faculté de Médecine de l'Université de Montréal, de 1966 à 1971. J'y suis pas arrivé, j'ai seulement attrapé un doctorat PhD.

En particulier, l'étude de la conscience, depuis environ 1975, utilise comme outil les expériences d'EMI (ou NDE pour "Near Death Experience"). J'ai participé à un Colloque International sur ce thème à Marseille en Mars cette année. Un aspect fondamental, publié dans les meilleures revues scientifiques mondiales, apporte des preuves fortes que la Conscience (termes proches: l'esprit, l'âme pour les théistes) n'EST pas une production du système nerveux, mais qu'elle existe en dehors de lui. Où, comment? Mystère. Le cerveau ne fait que l'interface avec cette "conscience" qui existerait donc sans le corps, et sur laquelle le cerveau se "branche"…

Si le Père Georges lit mes propos jusqu'ici, qu'il veuille bien ne pas m'excommunier de suite…J'ai été Enfant de Chœur, et suis officiellement Ange maintenant (Business Angel, j'ai une Certificat qui le prouve!).

Et j'ai reçu une excellente pédagogie chrétienne au Catéchisme de la Sainte Eglise Universelle, Catholique, Apostolique et Romaine. Par exemple, à 11 ans, le curé demande à notre quinzaine de gamins: Qu'est-ce qu'un Pasteur? Niaiseux que je suis, je réponds "C'est comme un curé, mais chez les protestants". Pas le temps de dire ouf! Je prends une gifle magistrale à l'aller, sans un mot. Et au retour de la main, "les protestants, ça n'existe pas"…Pédagogie très efficace, je m'en souviens encore…
J'attends avec impatience votre réponse stimulante…

A suivre. J'ai mis les interlocuteurs en contact direct mais ils ont promis de me mettre en copie de leurs courriers…





Commentaires (2)
1. Vladimir.G le 13/11/2013 14:12
Début de réponse du prêtre:

Cher Ange des Préoccupations matérielles et immatérielles,
(cela sonne nettement mieux que « Business Angel »)

- un québécois pure laine, sacres (note de VG: synonyme de jurons, font partie intégrante du lexique du français québécois parlé...) compris – pour donner une marque incontestable d’authenticité !
- et de plus, un québécois vivant en France, situation à propos de laquelle on citerait volontiers la réplique d’une pièce de Molière : « mais qu’est-il allé faire dans cette galère ? »… - plus sérieusement, les Québécois sont un peuple entreprenant, et l’on en retrouve des dignes représentants un peu partout sur la planète.

Que voilà une rencontre intéressante ... Je vois que vous avez fait la cruelle expérience de la dictature catholique romaine du Québec de la « Grande noirceur » : ce fut une gifle de grandes conséquences ! et une stupidité dite par un membre du clergé : « les protestants, ça n’existe pas »… - en fait, il n’en avait jamais vus, et était incapable de répondre aux questions les plus élémentaires. À cette époque, innombrables étaient les vocations « sociologiques », celles des gens qui étaient poussés à devenir membres du clergé, soit par leur famille, soit du fait de la pression sociale. Tout ce beau monde va défroquer lors de la « Révolution tranquille », mais, en attendant, c’étaient trop souvent des monuments de frustration et d’agressivité. Dans le domaine de l’éducation, cela fit des ravages…

Une autre personne de notre connaissance - psychologue de profession - lors de sa jeunesse, sur les bancs de l’école, risqua de dire à une « bonne Sœur » qui enseignait la mariolâtrie au catéchisme, qu’« une femme qui est vierge, ce n’est pas possible ! » Il s’ensuivit une gifle (décidément, c’était un argument fréquent dans les écoles…), et elle devint athée pour le restant de sa vie.

Il me semble pourtant qu’après une quarantaine d’années, on peut retrouver une certaine sérénité par rapport à ce genre de cuisante expérience. Le curé ou la bonne sœur qui vous a tapé sur les doigts, mange les pissenlits par la racine depuis des décennies. L’Église romaine de l’époque est carrément morte, du moins au Québec. Le monde a changé radicalement, et nous vivons dans un univers qui n’a vraiment rien à voir avec celui du Québec d’antan. Les églises deviennent des condos (VG: raccourci de "condominium", appartement en québécois), à moins qu’elles ne s’écroulent ou ne soient démolies. Tout change !

Le reste du texte, sur le fond du sujet, fera l'objet d'un post ultérieurement...
2. Nicodème le 30/11/2013 11:31
Merci de nous voir transmis ce savoureux dialogue . Je me suis régalé ! Nonobstant la tristesse de voir combien d'athées ont réussi à fabriquer les mauvais membres ou membres forçés des Eglises institutionnelles (principalement la romaine) , parce qu'il leur manquait la seule chose utile : l'amour . La seule qui puisse "convertir" .
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