7.
Vladimir: Marie, vous n'êtes pas "stalinienne" au sens de Desnitzky
le 04/02/2013 18:46
Non, bien chère Marie, vous n'êtes pas "stalinienne" au sens de Desnitzky ni "légitimiste" au sens Tchapnine. En effet, ce que démontre particulièrement bien S. Tchapnine, c'est que cette mouvance, traditionnellement appelée "conservatrice" ou "traditionaliste" ne correspond pas à ces définitions car elle n'a pas de TRADITION à CONSERVER. Les véritables traditions orthodoxes ont été irrémédiablement détruites en 70 ans de persécutions totales ET les seules traditions vivantes sont maintenant celles de l'époque soviétique (comme exemple très concret je citerais les libations au cimetière de la nuit de Pâques, qui attirent plus de "croyants" que la Liturgie). Ceux qui ont maintenant investi en masse l'Eglise en Russie y apportent cet esprit totalitaire (Mgr Hilarion de Volokolamsk parle des ces "babouchka" qui font régner dans les églises les méthodes du Komsomol, dont elles étaient cheftaines il y a 30 ans) qu'ils travestissent en pseudo-traditions reconstituées: Desnitzky nomme cela fort justement "stalinisme orthodoxe" (je dirais même "pseudo-orthodoxe"), Tchapnine parle "d'une espèce de fiction, de jeu de rôle" et, avec le père Pierre Meschtcherinov, l'analyse comme "subculture traditionaliste" (*). De l'extérieur on ne perçoit souvent que les aspects visibles de cette pseudo-tradition, les processions, métanies, jupes noires et foulards, carêmes et bains d'eau bénite … Mais il y a aussi les imprécations et fulminations que souligne le père Pierre et le discours chauvin que cite Desnitzky.
Nous n'avons, heureusement, rien de tout cela ici: nous avons, vous comme moi, maintenu vivante la véritable tradition d'avant 1917, avec ses grands esprits héritiers du siècle d'or de la pensée russe, y compris de sa théologie, qui ont pu continuer à Saint Serge, à Saint Vladimir ou à Jordanville, et les "babouchka", dont vous et moi faisons partie, n'ont rien à voir avec le Komsomol stalinien. C'était d'ailleurs là notre véritable mission, garder cette tradition pour la rapporter à notre Eglise-mère, et c'est la trahison de cette mission qui nous fait si mal!
(*)http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Defense-de-la-desecclesialisation_a1878.html et http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/L-Eglise-la-culture-et-le-nationalisme-en-Russie_a1805.html
8.
Vladimir : Staline : de l’amour à la haine
le 08/03/2013 12:16
Staline : de l’amour à la haine
Mercredi 6 mars 2013 à 20:24
60 ans, c’est le nombre d’années qui se sont écoulées depuis la mort de Staline le 5 mars 1953. Grand leader, dictateur, assassin, ignare ou homme cultivé, les Russes sont toujours partagés sur celui qu’ils aiment encore appeler « Grand-père Staline ». Le Courrier de Russie a réuni l’avis de plusieurs écrivains, rédacteurs et historiens russes sur leur vision actuelle de l’ancien maître du Kremlin.
« Nous avons pardonné tout et tout le monde, il n’y a qu’à toi que nous ne pardonnons pas »
Nous nous sommes installés dans ton socialisme.
Nous nous sommes partagés ce pays que tu avais construit. Puis, nous avons vendu les navires nucléaires et les brise-glaces que nous te devions pour nous acheter des yachts. Ce n’est pas une métaphore, mais un fait historique.
C’est pourquoi ton nom nous brûle, nous démange à l’intérieur, nous voudrions que tu n’aies jamais existé.
Tu as préservé notre peuple. Mais nous ne te remercierons pas pour nos vies et la survie de notre espèce, chien moustachu. Bien que nous sachions en secret que sans toi, nous n’existerions pas.
L’être humain est ainsi fait : personne ne veut se sentir obligé envers quelqu’un d’autre très longtemps. L’activité est éreintante ! Nous acceptons d’être redevables tant que ce n’est qu’à nous-mêmes, à notre talent, notre courage, notre intellect, notre force.
Il nous arrive de dire (et ce sont les rares fois où nous disons la vérité) que tu étais sans remords et que régulièrement tu décimais le peuple russe. Toutefois, nous avons pour tradition d’exagérer le nombre de victimes, de le multiplier par dix, voire par cent. En outre, nous taisons le plus important : nous sommes, au fond, indifférents au sort de ce peuple et de son élite intellectuelle.
D’ailleurs, pour nous, l’extinction du peuple russe n’est que réalité objective. C’est sous ton règne que les gens étaient assassinés ; actuellement, ils meurent d’eux-mêmes. Tu n’as pas eu le temps d’en tuer autant que ce qu’il en meurt aujourd’hui de leur propre volonté. C’est de l’objectivité ça, non ?
Nous disons qu’à la veille de la terrible guerre, tu n’as pas voulu négocier avec les « démocrates occidentaux », pendant que certains de ces « démocrates occidentaux », comme nous le savons en secret, négociaient eux-mêmes parfaitement avec Hitler et que d’autres occidentaux, ainsi que certaines démocraties orientales, prêchaient le fascisme et bâtissaient des États fascistes.
Nous avons pardonné tout et tout le monde, il n’y a qu’à toi que nous ne pardonnons pas.
Zakhar Prilepine, écrivain
« Staline est le symbole du choix qui se dresse face à nous en tant que peuple »
Le Conseil annuel du peuple russe, qui s’est tenu le 4 mars à Moscou, a rassemblé de nombreuses personnalités, la plupart des chrétiens orthodoxes et notamment le patriarche Kirill, autour de la question de l’anniversaire de la mort de Staline. Les discussions portaient sur le rôle du dirigeant soviétique dans l’histoire. L’assemblée a fait salle comble, il n’y avait même pas assez de chaises pour tous les présents. Le plus surprenant, néanmoins – et effrayant –, est que la majorité des discours prononcés ont tendu soit à légitimer, soit à encenser le dictateur.
Ces gens, chrétiens pourtant, ont trouvé des arguments dignes des plus étonnantes théories du complot pour justifier les événements de l’histoire soviétique. Les répressions des années 30 ? Les conséquences du combat de l’élite du Parti contre une prétendue volonté de Staline d’instaurer des élections alternatives et d’autres organisations de pouvoir en URSS ! La retraite de l’armée en 1941 ? Le résultat d’un changement de commandement au sein de l’Armée rouge !
J’ai écouté toutes ces interventions avec beaucoup de mélancolie et d’amertume. Des idées qui n’étaient encore il y a dix ans que le fait de journaux à tout petit tirage ou des délires de fous isolés sont aujourd’hui sérieusement débattues à un niveau officiel.
Toute cette mascarade est symptomatique moins de l’incapacité de l’élite russe à proposer au peuple des perspectives d’avenir attrayantes que de son manque de volonté à renoncer pour de bon, et non seulement dans le discours, à l’idée selon laquelle l’individu n’existe que pour l’État. Ainsi les débats actuels concernent-ils en réalité non Staline mais vous et moi, et notre avenir à tous. Staline n’est qu’un symbole du choix qui se dresse face à nous en tant que peuple.
Soit nous continuons de vivre dans un doute perpétuel sur notre capacité à construire nous-mêmes notre vie librement, sans bâton ni carotte, soit nous prenons enfin en mains le destin de notre pays, c’est à dire le nôtre.
Konstantin Egguert, rédacteur au journal Kommersant FM
« Pourquoi ne pouvons-nous pas démystifier le passé ? »
Quand je parle de « la Russie », ce n’est pas un seul pays mais trois, ou quatre. Et l’image de Staline rayonne dans l’une de ces Russies.
Les gens qui habitent loin de Moscou sont très attachés aux médias de masse, notamment la télévision. Ils sont moins instruits, et acceptent facilement la figure radieuse de Staline. Je n’appellerais pas ça du stalinisme, mais plutôt la quête d’une autorité symbolique qui manque aujourd’hui.
Ce qui caractérise la jeune génération est moins un rapport positif ou négatif à la figure de Staline que l’indifférence, qui n’est pas un très bon terreau pour l’éradication des préjugés. Un vieil écrivain a dit : « N’ayez pas peur des fanatiques, mais craignez les indifférents ». Le mythe qui se transmet de génération en génération s’affaiblit peu à peu.
Pourtant, le travail qui consiste à séparer la figure de Staline de la mémoire de la victoire dans la Seconde Guerre mondiale n’a pas été effectué. La victoire dans la guerre est certes une victoire, mais elle ne nous a apporté ni la liberté, ni la richesse, ni la prospérité. La deuxième moitié des années 1940 a été à l’inverse marquée par une nouvelle vague de répressions. Alors que les gens qui avaient subi cette guerre et qui l’ont gagnée avaient un immense espoir de vivre mieux, plus humainement. Depuis, cette idée de victoire qui ne débouche sur rien est devenue très typique de la mentalité russe.
Pourquoi ne pouvons-nous pas démystifier le passé ? L’intelligence soviétique a vécu des choses catastrophiques, irréversibles. Et les intellectuels n’ont pas eu assez d’influence. C’est pourquoi la figure de Staline reste aujourd’hui intimement liée dans les esprits au symbole, à la grandeur de la victoire – pas à la guerre elle-même, mais bien à la victoire.
Boris Doubine, sociologue
« Le développement économique sous Staline ne fut pas un succès »
Sous Staline, l’économie a certes connu une forte croissance : construction d’usines, productions, élaboration de nouvelles technologies. Dans les années 1930, le taux de croissance du PIB par habitant était d’environ 3,7% par an. C’est un indice correct.
Mais si l’on compare les taux de la croissance économique avant, sous et après Staline avec la croissance économique moyenne en Russie au cours des 130 dernières années, on se rend clairement compte qu’il n’y a pas eu de percée. Le « miracle économique stalinien » dont on entend souvent parler est une illusion. Si l’on prend en compte que toute économie évolue de fait avec le temps (au moins en termes de progrès technique), alors l’existence d’une croissance et d’un développement ne peuvent pas être, seuls, indicateurs d’un quelconque succès.
Il n’y a succès qu’en cas de croissance ultra-rapide, de bond par rapport à la normale. Et sur le long terme, le développement économique sous Staline ne fut pas un succès. D’autant que les réalisations économiques se sont payées au prix de la famine et des répressions.
C’est la propagande soviétique qui a favorisé la naissance d’une perception purement positive du passé soviétique. Car une fois les résultats obtenus, la politique pour y parvenir est jugée juste – et on en oublie le prix.
Andreï Markevitch, historien et économiste
« Sans toi, Dedouchka, on boirait de la bavarskoïe »
Loin de moi l’idée de faire l’éloge de Staline. Mais il faut reconnaître qu’il fut l’homme qui permit d’éviter l’anéantissement de la civilisation russe. À un prix certes démesuré : avec effusion de sang et monstrueuses erreurs. Mais ce n’est pas à cause des mares de sang qu’il est profondément haï.
Les libéraux détestent Staline parce qu’il a monté l’Union soviétique contre l’Occident, et assuré la survie de l’Union. Mais aussi parce que sa fureur, sa terreur, ses massacres avaient pour cible les représentants du projet libéralo-occidental. Interrogez-les sur Octobre 1993 – vous verrez qu’il y a sang et sang, terreur et terreur, qu’il est finalement permis de mentir, de voler et de tuer au nom de la « démocratie ».
La quintessence des griefs contre Staline rejoint ce que disaient les vétérans à la fin des années 1980 : « Sans toi, Grand-père, on boirait de la bavaroise ». Aujourd’hui, nous en buvons, de cette bière de Bavière !
La seule fois où Staline est entré dans une colère noire sur autre chose que la lutte politique, c’était à propos de Dostoïevski : « C’est un génie, certes. Mais je suis prêt à le mettre en morceaux. » Parce que Dostoïevski avait, avant Gaïdar et Tchoubaïs, mis à jour l’essence du libéralisme et sa haine pour la Russie. Sans oublier que Dostoïevski incarnait le désir de justice dans l’art. Alors que Staline personnifiait le désir de justice en politique. Il n’y a rien de plus cruel dans la nature que le désir de justice. Mais il est aussi absolument indispensable.
Mikhaïl Delyaguine, économiste, publiciste et homme politique
« Staline avait une marge de manœuvre extrêmement limitée »
Je suis pour que l’on rende à Volgograd son ancien nom de « Stalingrad ». Simplement parce je suis persuadé que Joseph Vissarionovitch Djougatchvili n’est pas responsable de tous les crimes dont on l’accuse.
Staline avait une marge de manœuvre extrêmement limitée. Conseiller politique de profession, j’ai été confronté à de multiples situations m’ayant fait comprendre à quel point le champ d’action des dirigeants est restreint, particulièrement quand leurs initiatives ne sont pas du goût de leurs subordonnés.
À mon sens, on se trompe par habitude. Concernant Staline, il n’est pas question d’idées, ou de popularité. Il était simplement impossible, au moment de la déstalinisation, de mener une politique autre que celle de Staline.
Je crois donc qu’on n’oubliera pas Staline tant que ne seront pas venus des dirigeants capables de régner mieux que lui. Et ces derniers, alors, n’auront précisément plus de raison de blâmer Staline, de le calomnier, d’en faire le pire des hommes.
Anatoliï Vassermane, journaliste, conseiller politique, érudit
« Staline était un père : sévère mais juste »
Sous Staline, les gens aimaient passionnément leur chef, même si chaque famille avait aussi ses raisons de le maudire. L’image de Staline répondait à une demande populaire de leader patriarcal. Et lui se comportait ainsi, en père des peuples : sévère mais juste.
La terreur a amorcé des mécanismes psychologiques de défense. Les gens ont développé un instinct de survie. Ils éprouvaient pour leur dirigeant un amour sincère et étaient à l’affût des traîtres, qu’ils dénonçaient pour être épargnés, eux et leurs familles. Ils n’avaient pas conscience du massacre.
La période a vu naître un puissant syndrome de l’autorité absolue, qui voulait que les gens s’inclinent et se soumettent. On avait peur, partout, tout le temps. Cela engendrait, d’un côté, des sentiments d’infériorité et d’impuissance et, de l’autre, une volonté de dénoncer les plus faibles, de rechercher sans cesse les traîtres. Ce syndrome, en outre, excitait l’agressivité : quand la peur te paralyse, tu ne peux pas la garder à l’intérieur, tu dois la déverser d’une manière ou d’une autre.
Pour les anciens, Staline incarnait – et incarne toujours – les grandeurs de la Russie et la victoire dans la Seconde Guerre mondiale. Si l’image de Napoléon a été fabriquée par son entourage, celle de Staline émane des évènements historiques.
Valeriya Kassamara, politologue
Source : Propos traduits par Léa Tonnaire, Rusina Shikhatova, Mélanie Moxhet
Rusina Shikhatova