Opinions sur la démocratie

Vladimir Golovanow

Vladimir GOLOVANOW

La démocratie occidentale est elle un model universel qui doit servir d'étalon pour l'organisation sociale dans tous les pays comme le pensent nos commentateurs? Le patriarche Cyrille met régulièrement en doute ce parti-pris: "… cela aboutit à la négation de l'originalité de la vie nationale, dont les nombreux aspes positifs ne sont plus mis en pratique", écrivait-il dans son livre publié avant sa désignation comme patriarche (1). "Il en découle que le modèle occidental est incapable d'assumer toute l'expérience nationale positive et d'y discerner ce qui est négatif", continue t-il en appelant ses concitoyens "à faire ressortir le principe propre de leur organisation sociopolitique." Il oppose au modèle occidental la recherche du consensus conciliaire (sobornost), qui "inclut tous les principes d'organisation sociale, les mécanismes de prise de décisions et les fondements spirituels de la société." (ibid).

En septembre dernier il appelait à se ressourcer au modèle démocratique de l'ancienne Novgorod en racontant: "Au cours d'une conversation avec Madame Merkel (…), je lui disais que la Russie avait ses propres racines de la conscience démocratique; mon honorable interlocutrice fut très étonnée en apprenant l'expérience démocratique de l'ancienne Novgorod, qui, en un sens, avait été ensuite transmise à la Moscovie, et que la Russie n'avait jamais connu, jusqu'à Pierre le Grand, cet absolutisme dont soufrait l'Europe occidentale.

Depuis la plus antiquité notre peuple avait appris à équilibrer la puissance du tsar par des institutions non moins puissantes, qui exprimaient la conscience du peuple, ses attentes." (Novgorod était une république autonome gouvernée par l'assemblée des citadins, le "vetché", qui élisait ses échevins, ses évêques et son prince, essentiellement chef militaire dont le plus connu fut Alexandre Nevski (1220-1263); Novgorod fut annexée à la Moscovie en 1478)

Bien entendu, cette position du patriarche reflète celle d'une grande partie de la population comme le montre un exemple récent: alors que les commentateurs occidentaux font l'éloge de la démocratie ukrainienne issue de la Révolution orange et l'opposent à l'autoritarisme du régime de Poutine en Russie, les populations intéressées pensent le contraire. Ainsi, une étude faite en commun par deux instituts d'études sociologiques russe et ukrainien au début de cette année (2), avant les élections ukrainiennes, posait la question simple "quel pays considérez-vous comme plus démocratique, Russie ou Ukraine?":
- 57% des Russes répondent la Russie contre 8% seulement l'Ukraine (19% les considèrent aussi peu démocratiques l'une que l'autre et 16% ne tranchent pas)
- Et chez les Ukrainiens, seulement 32% considèrent que leur pays est plus démocratique, 22% pensent que c'est la Russie et 24% les considèrent aussi peu démocratiques l'une que l'autre (22% % ne tranchent pas)

Ainsi moins de 1/3 des Ukrainiens et moins de 1/10 des Russes pensent que l'Ukraine est plus démocratique que la Russie alors qu'une solide majorité croit le contraire (Russie plus démocratique ou les deux le sont peu). Fait intéressant, la même enquête avait été faite en Russie en 2004 et l'opinion des Russes n'a fait que se renforcer: 12% de plus (57% au lieu de 45%) préfèrent leur démocratie, 4% de moins (8% au lieu de 12%) préfèrent la démocratie ukrainienne et le nombre de ceux qui renvoient les deux dos à dos décroit de 25% à 19%.

Aucun commentateur occidental n'a relevé cette étude, à ma connaissance, probablement parce que ce jugement des Russes et Ukrainiens diverge de la Pensée Unique que les intellectuels occidentaux croient universelle et veulent imposer au monde entier. Il rejoint par contre l'analyse du Patriarche: la situation ukrainienne se rapproche certainement plus du modèle occidental, avec sa presse libre de publier n'importe quoi, son opposition émiettée à l'italienne (10 partis et 10 groupement aux dernières élections!) et son instabilité gouvernementale; mais pour les populations concernées, il est surtout proche de la Russie éltsinienne, synonyme de désordre, de gabegie et de crise économique (le niveau de vie ukrainien est maintenant 2,5 fois plus bas que celui de la Russie, inférieur de moitié à celui de la Biélorussie: cf. PIB /tête) ; la Russie par contre, avec sa recherche du consensus autour d'un parti dominant, l'opposition non représentative exclue du parlement et les média tenus à une discipline certaine, apparaît comme représentant au mieux la volonté et les intérêts de la majorité de la population.

Notes
(1): in "L'évangile de la liberté"; Métropolite Cyrille de Smolensk et Kalingrad; 2006; pages 133-134.
(2) Sources: étude complète en anglais
partie russe détaillée



Commentaires (16)
1. Cathortho le 21/08/2010 16:16
Quand on voit de quelle manière se manifeste la démocratie dans nos pays occidentaux, et particulièrement en France, pays toujours si prompts a faire la leçon au reste du monde, on ne peut qu'y voir une gigantesque supercherie.

Lorsqu'on parle de démocratie il convient en premier lieu de faire la distinction entre la démocratie grecque antique et la démocratie moderne apparue avec les pseudos Lumières et qui sont 'ces deux démocraties) très différentes l'une de l'autre. Il convient aussi de ne pas oublier que, en France, la démocratie a été non pas désirée par le peuple mais lui a été imposée par la pseudo Révolution française (qui dans les faits était un coup d'état comme sa fille la non moins pseudo Révolution russe). Or la réalité de la "Révolution" française c'est aussi la terreur, la démocratie française d'aujourd'hui, dont tous les bien-pensants se targuent jusqu'à l'indigestion, est donc largement fille de cette terreur et de tout son cortège d'horreurs. Enfin il convient encore de ne pas oublier que les totalitarismes communistes se qualifiaient de "démocraties populaires" (soit-disant en opposition aux "démocraties bourgeoises" alors qu'elles étaient les unes et les autres soeurs ennemies filles de la "Révolution" française) et que le totalitarisme nazi est arrivé au pouvoir par le jeu électoral démocratique. La démocratie est donc loin d'être un rempart contre le totalitarisme, elle en est même la mère.

Bien que la politique chrétienne ne puisse se réduire à un système politique particulier et qu'une véritable démocratie chrétienne reste possible (dont il est possible que la démocratie de Novgorod était un exemple, démocraite chrétienne que l'on ne voit pour le moment nulle part), je suis persuadé que le sytème le plus proche (ou le moins éloigné) de la Hiérarchie céleste est la Royauté sacrée. En France le Roi recevait son mandat de Dieu par la vertu du saint chrême administré par l'évêque c'est-à-dire le représentant de l'autorité spirituelle, supérieure au pouvoir politique temporel. Il était considéré comme "lieutenant (tenant lieu) du Christ" sur terre et/ou "évêque de l'extérieur (hors la véritable hiérarchie écclésiale)".

C'est ce lien sacré entre Dieu et l'homme, le Ciel et la terre, que la "Révolution" française a coupé en toute connaissance de cause en tranchant la tête du malheureux Louis XVI, en commettant le sinistre régicide anti-chrétien. C'est la raison pour laquelle, pour reprendre une expression du regretté Vladimir Volkoff, je suis "modérément démocrate" (pour dire le moins !).
2. Daniel le 22/08/2010 18:48
Je ne suis pas enthousiasmé par la démocratie; à dire vrai en tant qu'anarcho-capitaliste, j'abhorre l'état qui est comme le dit Bastiat l'instrument par lequel "tout le monde veut vivre au dépens de tout le monde" avec les subsides de l'Etat qui ne sont en fait que des sommes prises aux habitants contre leur consentement, opération qui, en français, se nomme le vol... Aurais-je reçu ma déclaration d'impôts? Et depuis que le suffrage universel fait fonction d'huile sainte pour oindre le pouvoir politique, ce dernier s'est fait plus envahissant...

Je ne suis pas non plus un admirateur de la monarchie de droit divin car je ne crois guère à ce droit divin. Je ne vois que des groupes ou des personnes qui ont pris le pouvoir, très souvent par la force et contre un pouvoir précédent et qui ont fait avalisé la situation par l'Eglise. Clovis est-il le roi légitime des Francs? Il est surtout le vainqueur des Wisigoths qui avaient le malheur d'être ariens, de Syagrius, roi des Romains qui avait quand même la légitimité d'être un gallo-romain et non un envahisseur. Ensuite, la couronne passe aux Carolingiens qui ne font que tirer parti de la faiblesse des Mérovingiens; cela s'appelle en somme un coup d'Etat. De là, il passera aux Capétiens; mais la légitimité d'Hugues Capet ne vient pas de Dieu mais de l'élection par les autres nobles (l'un d'eux lui demandera même qui t'a fait roi?). Cette idée de pouvoir d'origine divine me semble être une jolie fable pour faire oublier l'origine vraie du pouvoir qui est la force, tout bêtement. Celui qui s'empare du pouvoir va alors tenter de le légitimer : y contribue le soutien de l'Eglise ou le fait de le transmettre de génération en génération, ce qui le fait entrer dans la coutume voire le sacralise. Ceci est d'autant nécessaire que le roi n'est au début de la royauté qu'un noble parmi d'autres nobles, jaloux de conserver leurs avantages et méfiants à l'égard de tout empiètement royal. Dans les cas où les nobles ont gagné cette bataille, cela a pu donner des monarchies électives non héréditaires comme en Pologne, dans d'autres, en France, le roi a maté les nobles. Mais au final l'origine du pouvoir est bien la force et souvent un acte violent de prise de pouvoir. Voyez Monaco. Qui sont les Grimaldi si ce n'est que les descendants d'une bande d'aventuriers qui s'emparèrent du château par une méthode fourbe en se déguisant en moines... Leur descendance peut bien se faire bénir par le pape, les faits n'en demeure pas moins les mêmes. Sur les origines du pouvoir politique, le livre de Jouvenel "Du pouvoir" hélas oublié quoique facilement trouvable et toujours édité bon marché , demeure à mes yeux l'analyse la plus lucide, la plus objective que je connaisse.

A mes yeux le seul véritable état envisageable serait un état théocratique mais le seul qui ait existé et puisse exister fut l'antique Israël, dont la loi fut donné par Dieu. Cet état a connu différents types de gouvernements, par Moïse, par des Juges, par des Rois. On note au passage que quand les Israélites demandent un roi, comme les peuples des environs, Dieu les mets en garde et leur précise que le roi va les assujettir de corvées de toutes sortes, ce qui n'est qu'une forme d'impôts, alors qu'il y avait une grande liberté du temps des Juges... Dès la mort de Salomon, les anciens demanderont d'ailleurs un assouplissement de ces corvées.

Mais le christianisme n'est plus dans ce modèle d'état théocratique qui ne reviendra qu'avec la parousie... Alors le gouvernement sera vraiment idéal...
3. Daniel le 23/08/2010 14:15
Autre réflexion qui me vient de Jouvenel. La monarchie absolue n'est initialement pas absolue. Le roi du Moyen-Âge a en face de lui bien des pouvoirs qui peuvent le mettre en échec et retreindre sa puissance : les nobles, l'église, certains droits locaux de villes ou de région qu'il ne peut enfreindre etc. La monarchie absolue est une altération de la vision de la fonction royale, altération qui s'appuie d'ailleurs parfois sur le fait qu'étant l'oint de Dieu, le roi a un pouvoir absolu face auquel toute critique ou révolte est illégitime.
4. Marie Genko le 23/08/2010 15:19

Chers Daniel et Cathorto,

Merci pour ces deux intéressantes analyses.
Il me semble que nous devons tous nous battre pour la Vérité historique!
Et dans notre pays, la France, cette Vérité historique concernant la Révolution française n'a toujours pas été rétablie!
Si nous ne voulons pas que ceux de nos enfants qui habitent ce beau pays le voient disparaître, noyé dans ses propres mensonges, il est de notre devoir d'essayer d'obtenir le rétablissement de l'Histoire enseigné selon la morale chrétienne qui est la notre et non pas celle des mythes de la Révolution française qui ne font plus rêver personne, si ce n'est les ahuris....
5. Tudry le 23/08/2010 21:40
Un jeu de mot assez simple mais parlant est celui de "démonocratie" ! Ce qui correspond plutôt bien aux orientations prises par le démocratisme occidental qui reprend en les inversants tant et tant de préceptes évangéliques tout en déniant toute réalité au domaine spirituel chrétien. Les déviances de toutes les tentatives de royalisme divin ou de théocratie semblent bien lui avoir donné raison et politiquement, il est clair, que les chrétiens orthodoxes en sont tout à fait déboussolés... Toutefois il faudrait aussi que s'engage une vraie réflexion sur cette idée récurrente qu'il y aurait ou devrait y avoir une "civilisation" chrétienne... n'est-ce pas cette idée "universaliste" (et là, précisément, le terme s'oppose à la catholicité-sobornost) qui aura débouché sur le volontarisme occidental a imposer ses conceptions ?
6. Marie Genko le 24/08/2010 09:38

@Tudry,

Cher Monsieur, je pense qu'il faudrait un livre entier pour vous répondre!!!
Plus simplement: La société est une somme d'individus!
Plus chaque individu dans une société donnée a une éthique et un comportement chrétien, plus il sera représenté par un gouvernement de qualité chrétienne!
Nous en sommes loin....!
Quant à l'universalisme chrétien, n'oublions pas que la religion orthodoxe a toujours respecté et s'est même acculturée aux cultures et au génie des peuples qui l'ont adoptée.
Si les Catholiques, demain, décidaient de s'en tenir aux dogmes qui sont communs à nos deux Églises, il seraient sans aucun doute l'Église Locale orthodoxe, qu'ils n'auraient jamais du cesser d'être!
Donc il me semble sage d'avançer pas à pas, et de nous efforcer de penser à demain, et non à après demain!
Car notre société est bien malade et si ne ne voulons pas qu'elle s'effondre sur elle-même, nous devons essayer de parer au plus pressé.
7. vladimir le 24/08/2010 10:40
Les fondements chrétiens de la société ukrainienne semblent particulièrement bien reconnus par tous les bords (il suffit de voir tous les candidats aux présidentielles se précipiter à l'église... voir aussi l'émission sur http://www.mixcloud.com/orthobel/rtbf-leglise-orthodoxe-en-ukraine-ses-defis/). La situation est plus complexe en Russie, mais là aussi l'importance du fait religieux est reconnue officiellement, grâce à l'action de l'Église russe et du Conseil Inter-religieux qu'elle inspire et à l'implication des présidents successifs, clairement accentuée par Medvedev. Toutefois l'administration ne suit pas et essaye, par exemple, de limiter l'accès de l'Église à la jeunesse (on l'a vu avec la promotion de la morale laïque au lieu des fondements religieux dans les écoles...)
8. Cathortho le 24/08/2010 11:10
Chère Marie Genko

Vous avez tout à fait raison, nous devons nous battre pour la vérité historique et ce n'est pas facile en ces temps de mensonge et d'hypocrisie généralisés.

Concernant la Révolution française, comme sur beaucoup d'autres sujets tel que la démocratie dont il est ici question, nous vivons sur des mythes forgés de toutes pièces par les modernes qui ont vaincus la Tradition par un coup d'état déguisé en révolution, or comme le dit l'adage : "Les vainqueurs ont toujours raison". Ainsi le mythe de la prise de la Bastille est une formidable imposture, en effet n'importe qui ayant pris le soin de s'informer sérieusement sait que la Bastille n'était pas une infâme prison destinée au peuple mais une prison dorée, faiblement gardée, pour des nobles opposés pour diverses raisons au Roi. Quant au rôle du peuple dans la pseudo Révolution française, il est quasi nul, en vérité c'est la populace, à savoir la frange la plus basse du peuple, ce que l'on nommerait aujourd'hui la racaille, facilement manipulable et prête à s'enflamer et commettre les pires exactions sous le moindre prétexte. Or autant le peuple, qui dans sa très grande majorité était fidèle au Roi, est digne de repect, autant la populace est méprisable. Ne s'est-elle pas fait complaisamment l'écho, cette populace, d'ignobles accusations propagées par des forces obscures envers la reine Marie-Antoinette accusée de pratiques infâmes envers son fils le dauphin ; et que dire du sort réservé à la princesse de Lamballe lors des massacres de septembre 1792, et dont je ne rapporterais pas ici certain détails pour éviter aux lecteurs d'être pris de nausée.

Voilà qu'elles sont les orignes de notre belle démocratie dont nous nous targuons tant et que nous avons la prétention d'imposer au reste du monde. Ceci étant dit, bien que je sois royaliste et que je pense que Platon avait raison lorsqu'il disait qeu la démocratie pouvait conduire à la tyrannie, je pense, comme je le disais dans mon précédent commentaire, qu'elle peut être un système politique légitime si elle est in-formée (formée de l'intérieur) par des principes chrétiens ce qui n'est évidemment pas le cas aujourd'hui, et Tudry à raison de faire la distinction entre démocratie et démocratisme. Quant à Daniel, s'il n'a pas tort de rappeler certaines réalités peu louables et même condamnables de l'Ancien Régime, il n'en reste pas moins que les principes d'alors étaient infiniment plus vrais, beaux et bons que les pseudos principes modernes issus des Lumières, Lumières dont on peut dire sans mauvais jeux de mot qu'elles sont assez obscures quant aux véritables intentions. Certes ces vrais beaux et bons principes ont été trop souvent mal appliqués dans les faits, mais peut-on demander aux représentants du pouvoir temporel, agissant dans le domaine politique lieu d'affrontement des passions humaines, de mieux se conduire que leurs supérieurs, les représentants de l'autorité spirituelle, à savoir la hiérarchie écclésiastique, qui trop souvent ne manquaient pas eux aussi, et de manière plus blâmable eu égard à leur haute fonction, de violer les saints principes évangéliques ? Le patriarche Cyrille a donc raison de mettre en doute l'arrogance occidentale, donneuse de leçons en matière de bien-pensance politico-sociale.

Pour terminer, ces mots du grand Alexandre Soljénitsyne prononcés lors de son discours d'une grande clairvoyance adressé aux étudiants de l'université de Harvard en 1978 :

"...si 'lon me demande si je peux proposer à mon pays, à titre de modèle, l'Occident tel qu'il est aujourd'hui je devrai répondre avec franchise non, je ne puis recommander votre société comme idéal pour la tranformation de la nôtre.
"[...] Complexe, mortelle, une vie écrasante y a forgé des caractères plus forts, plus profonds et plus intéressants que la vie occidentale au bien-être réglementé. Pour cette raison, la transformation de notre société en la vôtre signifierait sur certains poins une élévation ; sur certains autres - et combien précieux - un abaissement. Non, une société ne saurait demeurer au fond d'un abîme sans lois, comme c'est le cas chez nous, mais ce lui serait une dérision de rester à la surface polie d'un juridisme sans âme, comme vous le faites. Une âme humaine accablée par plusieurs dizaines d'années de violence aspire à quelque chose de plus haut, de plus chaud, de plus pur que ce que peut auourd'hui lui proposer l'existence de masse en Occident que viennent annoncer, telle une carte de visite, l'écoeurante pression de la publicité, l'abrutissement de la télévision et une musique insupportable. " (Alexandre Soljenitsyne, "Le déclin du courage, dicours de Harvard, 1978, Seuil, 1978, pp.34-36 ")
9. vladimir le 24/08/2010 12:06
@ Cathortho:

Grand merci pour cette excellente citation! Elle vient compléter et concrétiser ma démonstration des différences d'approches de la démocratie et illustre l'erreur que commettent nos commentateurs et, ce qui est plus grave, nos dirigeant quand ils veulent jauger (et juger!) toutes les organisations sociales du monde à l'aune de valeurs strictement occidentales! Le patriarche Cyrille développe beaucoup ce thème dans l'article que je cite plus haut
10. Cathortho le 24/08/2010 22:05
Cher Vladimir

Effectivement, le patriarche Cyrille mène un combat de résistance, qu'on peut sans hésitation qualifier de salutaire, contre le démocratisme occidental et non pas contre la démocratie elle-même comme tentent de le faire croire la majorité des médias occidentaux.

A propos des médias occidentaux justement, je me fais un plaisir de citer à nouveau A. Soljénitsyne :

" La presse (j'emploi le mot "presse" pour désigner tous les mass media) jouit naturellement, elle aussi, de la liberté la plus grande. Mais comment en use-t-elle ?
Nous le savons déjà : en se gardant bien de transgresser les cadres juridiques (1), mais sans aucune vraie responsabilité morale si elle dénature les faits et déforme le proportions. Le journaliste et son journal sont-ils vraiment responsables devant leurs lecteurs ou devant l'Histoire ? Quand il leur est arrivé (2), en donnant une information fausse ou des conclusions erronées, d'induire en erreur l'opinion publique ou même de faire faire un faux pas à l'Etat tout entier - les a-t-on jamais vus l'un ou l'autre battre leur coulpe ? Non, bien sûr, car cela aurait nui à la vente. Dans une affaire pareille, l'Etat peut laisser des plumes - le journaliste, lui, s'en tire toujours.
[...] La presse à le pouvoir de contrefaire l'opinion publique, et aussi celui de la pervertir. La voici qui couronne les terroristes des lauriers d'Erostrate (3) ; la voici qui dévoile jusqu'aux secrets défensifs de son pays ; la voici qui viole impudemment la vie privée des célébrités (4) au cri de : "Tout le monde a le droit de savoir".
[...] La presse est le lieu privilégié où se manifestent cette hâte et cette superficialité qui sont la maladie mentale du XXième siècle. Aller au coeur des problèmes lui est contre-indiqué, cela n'est pas sa nature, elle ne retient que les formules à sensation. "

Mes notes :
(1) Aujourd'hui ce n'est plus toujours le cas.
(2) Cela leur arrive de plus en plus souvent.
(3) Aujourd'hui elle a de plus en plus tendance à se faire la plus servile complice de la pseudo "guerre contre le terrorisme" d'inspiration "Zétasinienne".
(4) Lesquelles célébrites ne sont cependant pas mécontentes que l'on parle d'elles dans les magazines "pipeule".
11. vladimir le 25/08/2010 09:32
Vos citations sont inépuisables! Est-ce aussi le discours de Harvard?
12. Cathortho le 25/08/2010 14:01
@ Vladimir

Oui, c'est toujours le discours de Harvard, prononcé je le rappelle en 1978 ! Les grands esprits sont toujours prémonitoires. C'est un texte assez court, dans l'édition de 1978 que j'ai il fait 56 pages, les traducteurs en sont Geneviève et José Johannet. Je ne s'il a été réédité, peut être est-il sur internet quelque part. Et puisque vous l'appréciez, en voici les toutes dernière lignes :

" Le monde, aujourd'hui, est à la veille sinon de sa propre perte, du moins d'un tournant de l'Histoire qui ne le cède en rien en importance au tournant du Moyen Age sur la Renaissance : ce tournant exigera de nous une flamme spirituelle, une montée vers une nouvelle hauteur de vues, vers un nouveau mode de vie où ne sera plus livrée à la malédiction, comme au Moyen Age, notre nature physique, mais où ne sera pas non plus foulée aux pieds, comme dans l'ère moderne, notre nature spirituelle.
Cette montée est comparable au passage à un nouveau degré anthropologique. Personne, sur la Terre, n'a d'autre issue que d'aller toujours plus haut. "



13. Cathortho le 25/08/2010 16:36
Dans mon premier commentaire sur ce sujet je disais que, bien que la politique chrétienne ne puisse être réductible à un système particulier, c'est néanmoins la Royauté sacrée qui est le système le plus fidèle à l'esprit chrétien. Et ce parce que la base de la royauté sacrée est la doctrine médiévale du Christ-Roi comme le rappelle Jean Hani dans "La Royauté sacrée. De pharaon au roi très chrétien" (Guy Trédaniel, 1984) :

" La croix est célébrée comme un trône : ainsi dans ces répons appartenant à la liturgie gothique d'Espagne : "Du haut du trône de Ta croix, jette un regard sur nous, misérables et captifs dans les liens de nos passions. O rédempteur, délivre-nous des supplices que nous avons mérités" (Texte et traduction dans Dom Guéranger, "L'Année liturgique, la Passion" ,p. 229)." Dans l'ancienne iconographie byzantine et romane, le Crucifié n'est pas représenté abattu et sanglant, mais droit, vivant et portant la couronne royale. L'image, qui traduit la réalité invisible cachée derrière l'événement visible, est saisissante de grandeur. Elle exprime avec puissance la victoire du Christ que symbolisent les quatre directions de la croix, attestant que cette victoire contre les ténèbres s'étend à l'univers entier selon les quatre points cardinaux (Voir St Irénée "Epideixis" 1, 34), et que le Christ, roi vainqueur étend Son règne sur toute la Création, et est réellement le Roi du Monde.
La scène de la croix contient déjà, en puissance, la gloire de la Résurrection et l'épiphanie du Christ vainqueur de l'Apocalypse. Dans celle-ci l'écrivain sacré décrit par le détail le combat contre les forces des ténèbres, le dragon et ses armées, le triomphe final du Bien sur le Mal, de la Vie sur la Mort, assuré par l'agneau immolé. Et la défaite du Dragon est célébrée par les noces de l'Agneau immolé, qui rappelent les hiérogamies royales des vainqueurs, et préludent au règne universel de la justice et de la paix que prophétisait le Psaume messianique (Ps. 84).
Parlant du Christ, Saint-Paul écrit : " En lui toutes choses ont été créées, au ciel et sur la terre, les visibles et les invisibles... Il est avant tout et tout subsiste en Lui" (Col. 1, 12 ). Et Jésus Lui-même a proclamé : "Tout pouvoir m'a été donné sur la terre comme au ciel" Mt 28, 16). Ces deux textes nous donnent le fondement de la royauté universelle du Christ, qui est, selon la terminologie traditionnelle, le Roi du Monde. Le pouvoir royal du Christ s'enracine dans sa personne même : il est roi parce que Verbe de Dieu (Jn 1, 1-14), et maître de la création qui s'est faite en Lui et par Lui ; et c'est par Lui que le créé retourne à sa source divine : c'est pourquoi il est le médiateur suprême. " (pp. 139-140)

" Il est le médiateur suprême " donc absolu, alors que le "roi très chrétien", son représentant régulier dans l'ordre du politque (de par le sacre conféré par l'évêque représentant de l'Eglise instituée par le "médiateur suprême") n'est que médiateur relatif. C'est pourquoi la monarchie, comme le rappelle effectivement Bertrand de Jouvenel, n'a jamais été abolue et ne peut pas l'être pour les raisons que je viens d'indiquer. A ma connaissance d'ailleurs, aucun roi, même parmi les plus centralisateurs et élognés cu véritable esprit monarchique comme Louis XIV, n' eut la prétention d'exercer un pouvoir absolu. C'est une fable inventée par les modernes à cause de leur parti-pris anti monarchique.




14. Cathortho le 05/09/2010 16:07
Chère Marie Genko

Pour apporter une pierre à votre louble voeu exprimé en votre commentaire 4 : " Si nous ne voulons pas que ceux de nos enfants qui habitent ce beau pays le voient disparaître, noyé dans ses propres mensonges, il est de notre devoir d'essayer d'obtenir le rétablissement de l'Histoire enseigné selon la morale chrétienne qui est la notre et non pas celle des mythes de la Révolution française qui ne font plus rêver personne, si ce n'est les ahuris.... " :

" 1789, c’est la prise du pouvoir par la bourgeoisie. On a glosé, bien sûr, sur une révolution imaginaire : celle faite par le peuple et pour le peuple. Cela n’a jamais existé. Les « foules révolutionnaires », chères aux historiens républicains et marxistes, n’ont en réalité représenté qu’une faible fraction du pays. On a glosé, aussi, sur les résultats imaginaires de cette révolution imaginaire : la naissance d’une démocratie authentique. Balivernes. Disons-le tout net : 1789, c’est la prise du pouvoir par la bourgeoisie, et rien d’autre.

Une classe dominante en remplace une autre, exit la noblesse. Quand le « Tiers-Etat » prend le contrôle de la machine d’Etat, le « Tiers-Etat », c’est la bourgeoisie.

En dispositif annexe, comme toujours dans ce type de situation, il y a remplacement d’une classe productrice de l’idéologie par une autre : la nouvelle classe intellectuelle associée à la domination sera, après 1789, constituée par ce que l’on appelait alors les philosophes – plus tard, on parlera des « intellectuels ». L’ancienne classe productrice de l’idéologie d’Ancien Régime, le clergé catholique, a payé, ce n’est pas à vous que je l’expliquerai, un tribut très lourd à la révolution. En arrière-plan, bien sûr, et là, on touche à la clef de voûte de l’escroquerie de 1789, il y a une religion d’Etat, la Franc-maçonnerie, qui en remplace une autre, le catholicisme.

Voilà les faits. Essayons d’en dégager les causes. Et pour cela, puisque j’ai l’honneur de m’exprimer au centre Saint-Paul, soyons aristotélicien. Nous sommes en pays de connaissance.

La cause économique de 1789 est évidente : c’est la bourgeoisie qui a financé cette révolution, elle n’a pu le faire que parce qu’elle était devenue plus riche que l’aristocratie. Mais cette cause économique, à y regarder de plus près, n’est qu’efficiente. Certes, s’il ne s’était pas trouvé des banquiers pour financer tour à tour l’émeute parisienne et sa reprise en main napoléonienne, nous n’aurions eu ni 14 juillet, ni 18 Brumaire. Mais d’un autre côté, sans l’existence, dans la population, d’une prédisposition à accepter le 14 juillet, puis le 18 Brumaire, ni Mirabeau ni Napoléon ne seraient devenus des personnages historiques.

Alors quelle est la cause formelle de la révolution ? Il doit se trouver, dans cette salle, de nombreux lecteurs de Pierre Gaxotte. Ils ne seront pas surpris par ce que je vais maintenant dire : la cause formelle de 1789, c’est une mutation de la notion de bien commun. Sous l’Ancien Régime, le bien commun était produit, dans un cadre largement communautaire, par d’innombrables corps intermédiaires – dont beaucoup, on le remarquera, s’opposait au libre déploiement des forces du Marché – Corporations, villes dotées de privilèges, etc. A partir du XVIII° siècle, le bien commun est, progressivement, construit dans une optique essentiellement individualiste : ce sont les individus qui produisent, par la confrontation de leur sens particuliers, un sens commun partagé, et ce sens commun est supposé fondé, par la fiction agissante de la « Volonté générale », le bien commun.

Alors bien sûr, cette mutation du bien commun trouve elle-même, en partie, sa source dans le développement économique. Mais en partie seulement… La cause matérielle de la mutation, c’est l’évolution des techniques de communication : l’apparition de la presse a complètement modifié l’architecture du système d’information de la société française. Et donc, exactement comme la cause matérielle de la Réforme, au XVI° siècle, résidait sans doute dans l’imprimerie, la cause matérielle de la Révolution Française est à chercher dans l’apparition de la presse.

Cette architecture – cause efficiente, la mutation économique ; cause formelle, la mutation du sens commun ; cause matérielle, la presse – dit assez clairement ce qu’était la cause finale de la révolution : il s’agissait d’adapter le « Cerveau global » construit par la France à ses nouvelles conditions de fonctionnement. "

Extrait du texte de la conférence de Michel Drac donnée au Centre saint-Paul et publiées sur "www.égalitéetréconciliation.fr"



15. Marie Genko le 06/09/2010 21:46

Cher Cathortho,

Merci pour cet intéressant extrait de la conférence de Michel Drac.
Je reviens moi-même de quelques jours passés auprès d'un de mes enfants dans la région nantaise, et je peux dire que ce n'est pas sans tristesse que j'ai pu lire une plaque, apposée à un puits, au centre de l'étonnante forteresse médiévale de Clisson:

"le 8 février 1794, 18 Clissonnais furent massacrés et jetés dans ce puits par la colonne infernale du général Cordelier en février 1794, et exhumés en février 1961 à l'instigation du Souvenir Vendéen"

Que d'horreurs sont encore bien vivantes dans les esprits des habitants de cette région!

Et quelle n'ont pas été cette fois ci ma surprise et ma joie, en pénétrant dans l'église de cette petite ville, dimanche matin, de la voir remplie de fidèles jusque dans le moindre de ses recoins!

Cher Cathortho, vous verrez que la prière de tous les chrétiens va enfin avoir raison de nos querelles et de nos divisions!
Cela j'en suis complètement convaincue, puisque nous prions chaque jour pour que le règne de Dieu vienne!
16. vladimir le 08/05/2012 22:47
samedi 21 avril 2012
Lettre d'un prêtre orthodoxe à un électeur français

Aux urnes citoyens !
"Dans son Commentaire de la première épitre de saint Jean, saint Augustin est l'auteur d'une bien belle formule devenue à juste titre célèbre : Dilige et quod vis fac, aime et fais ce que tu veux. (Sources chrétiennes, n°75, Bd. du Cerf, Paris, 1961, p. 328). Nombreux sont ceux qui ont mal compris cette phrase de l'évêque d'Hippone en l'entendant en un sens laxiste.

Augustin veut dire que la liberté véritable ne consiste pas à suivre ses caprices et ses instincts, la belle liberté celle qui consiste à ne pas voir, parce qu'elles sont dorées, les chaînes qu'on enroule autour de soi ! La vraie liberté consiste à être délivré par l'acquisition du saint Esprit de la tyrannie des passions et à ne connaitre d'autre hétéronomie que celle que nous recevons de Dieu.

Lectrice, lecteur, ma sœur, mon frère, si en entrant dans l'isoloir, tu penses comme moi que la séparation de l'Église et de l'État est une conquête de l'humanité qui honore celle-ci au même titre que l'abolition du servage, de l'esclavage et de la peine de mort, mais qu'elle ne saurait signifier la séparation de la raison et de la foi, de la science et de la sagesse, de la connaissance et de l'amour, de l'humain et du divin; si tu partages ma conviction que la démocratie est le régime politique le plus honorable dans la mesure où, par le moyen du pluralisme et de la laïcité il se fonde sur le respect de la part de divin qui est en nous, c'est-à-dire de notre liberté même si celle-ci fait tragiquement le choix de se perdre et de refuser la Vie, la vraie, celle sans laquelle nous nous contentons de vivoter à petit feu, en attendant la mort inéluctable, que l'on soit noir ou blanc, athlète ou tétraplégique, trisomique ou Prix Nobel, que l'on croit au ciel ou que l'on n'y croit pas; si comme moi tu penses qu'un chrétien ne saurait absolutiser l'engagement politique – en étant candidat, militant ou électeur – au point d'oublier que nous sommes ici-bas des voyageurs, des pèlerins cheminant vers le Royaume ; si, comme moi, tu es d'avis que, dans la situation d'éclatement, de fragmentation où se trouve désormais le Christianisme, et sans doute pour très longtemps, peut-être pour des siècles et des siècles, les Orthodoxes sont en mesure d'offrir pour le partage œcuménique avec leurs frères d'Occident, un mode d'existence caractérisé par le double refus de la morale juridique et de l'éthique individuelle ; et surtout, si entrant dans l'isoloir, tu évoques la douce mémoire de l'Higoumène Missael, et si tu te laisses envahir par la joie de contempler en rendant grâce la convergence trop rarement remarquée entre le respect infini de la liberté de tout homme qui comblait le cœur du P. Missael, et l'idéal démocratique et laïque de n'asséner aucune vérité a une conscience qui refuse de l'accueillir, si tu penses vraiment cela, je paraphraserai saint Augustin pour te dire en te quittant: «Va et vote pour qui tu veux » !"

Père André Borrely
(in Conclusion de "Aux urnes citoyens" supplément au n° 141 de la revue "Orthodoxes à Marseille")
Le père André Borrely est recteur de la paroisse francophone Saint-Irénée à Marseille (diocèse du patriarcat œcuménique).
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