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Vladimir G: LA DIVERGENCE HISTORIQUE
le 13/12/2017 23:16
LA DIVERGENCE HISTORIQUE: L’ÉGLISE DU CHRIST DANS SA PLÉNITUDE, ANTI-ŒCUMENISME ET UNIATISME
Le bulletin de Compiègne de juin 2012 (1) contient un intéressant dossier sur la divergence historique entre l'Orthodoxie et le Catholicisme, en particulier un extrait d'une interview du père Placide (Deseille) (2) par Jean Claude Noyé (3). "Le père Placide résume parfaitement la position Orthodoxe à propos de l'œcuménisme", écrit le père Nicolas Kisselhoff (4) dans son éditorial: « L’image des “deux poumons de l’Église” appliquée à l’Église catholique et à l’Église orthodoxe ne peut satisfaire les Orthodoxes car ils ont la certitude d’être l’Église du Christ dans sa plénitude. Et l’Église catholique a la même conviction de son coté, même si elle réserve une place, à côté du rite latin, à des rites orientaux. Mais ces constatations ne doivent pas nous donner l’impression de nous trouver devant une impasse, continu le père Placide, ni nous porter à la passivité et au découragement. » (ibid).
Pour expliquer les divergences entre l'Église Orthodoxe et les confessions occidentales, le père Placide commence par un rappel sur l'organisation ecclésiale: "depuis les origines, l'Église est structurée localement autour de son évêque sur un territoire donné, les évêques d'une province se réunissent autour de l'évêque de la ville principale sans que celui-ci ait d'autorité particulière sur les autres, il est “primus inter pares” – le premier parmi ses pairs. Les villes les plus prestigieuses deviendront des Patriarcats et Rome a toujours joui d'une primauté d'honneur à ce titre."
"Le «schisme d'Orient», officialisé en 1054, est la conséquence de trois causes principales qui se sont conjuguées, continue le père Nicolas à résumer l'interview du père Placide:
• des «innovations théologiques» de Saint Augustin qui ne furent jamais reçues dans l'Orthodoxie (5);
• la volonté des Capétiens de s'affranchir de l'Empire Chrétien d'Orient qui fut menée à terme par Charlemagne: prenant appui sur ces «innovations théologiques» pour se distancer des Pères de l'Église, ils imposèrent l'ajout du Filioque au Symbole de foi et intentèrent aux «Grecs» une fausse querelle sur la vénération des icônes;
• et enfin « un mouvement de réforme [qui] naquit dans l’est de la France, et se développa grâce à l’abbaye de Cluny qui, pour la première fois dans l’histoire du monachisme, regroupa ses filiales, réparties dans toute l’Europe, en un ordre monastique fortement centralisé. Les réformateurs ne virent pas d’autre remède, pour libérer l’Église de l’emprise des pouvoirs laïcs, que de renforcer la puissance et le prestige de la papauté, en affirmant sa prépondérance sur le pouvoir temporel des rois et des empereurs. »(ibid.) (6)
Cette réaction de défense s'est déclinée de diverses manières, mais les plus néfastes, quant à leurs conséquences pour l'unité de l'Église, ont été le durcissement du pouvoir temporel et spirituel du Pape de Rome au détriment des autres évêques, la méthode scolastique étendue à la théologie et l'isolement et la rupture avec les autres Patriarcats et la théologie des Pères de l'Église conduisant finalement à l'« hérésie, puisque des éléments dogmatiques furent affirmés d’un côté, niés de l’autre. »(ibid.)
Ainsi le renforcement du pouvoir papal a logiquement abouti au dogme catholique romain de l'infaillibilité pontificale, la coupure théologique avec les patriarcats orientaux et le développement des présupposés augustiniens ont abouti à la dogmatisation du Filioque, à l'abandon de la théologie des Énergies divines surabondantes remplacée par celle de la grâce créée et distribuable, des mérites, du péché originel dont chacun est fautif dès la naissance, du purgatoire et de l'enfer comme un lieu physique et de l'Immaculée Conception (que l’Orthodoxie n’admet pas sous cette forme, sans minimiser aucunement la vénération et le culte de la Mère de Dieu)… (ibid.) "
Anti-œcuménisme et Uniatisme
Interrogé sur les moines zélotes (7) du Mont Athos, que le père Placide compare aux intégristes de l'Église Catholique Romaine, il en dit : « Non, [ils ne sont] pas [remontés] contre les catholiques comme tels, mais contre l’idée d’une union avec les catholiques qui sacrifierait, si minimes soient-ils, des éléments de la foi orthodoxe. Mais, en cela, ils ne diffèrent pas des autres orthodoxes. Leur erreur consiste dans leur attitude exagérément soupçonneuse, qui les amène à toujours suspecter du laxisme doctrinal chez les autres.» (ibid.) Ainsi, le père Placide prône-t-il un dialogue ouvert, mais ferme sur le témoignage de la vérité : « Je me refuse à condamner, comme certains orthodoxes, le mouvement œcuménique, car l’expérience a montré qu’il peut contribuer efficacement à une meilleure connaissance et charité réciproques, et donc offrir aux orthodoxes la possibilité d’aider ceux qui s’en sont éloignés à retrouver la plénitude de la grande tradition des apôtres et des Pères de l’Église. Mais il n’est pas sans danger non plus, car il peut conduire certains à relativiser la vérité. Il est sûr que l’unité ne pourra jamais se réaliser au détriment de la vérité, et, pour moi, il n’y a qu’une vérité, celle qui était reconnue par l’ensemble des chrétiens avant la déchirure du XIe siècle.» (ibid.)
Parlant de son expérience personnelle de l’uniatisme, par laquelle il est arrivé à l'Orthodoxie, le père Placide explique que ce principe "avait été conçu par Rome comme un moyen d’amener les Orthodoxes à la foi et à l’unité romaines, sans les obliger à renoncer à leurs usages. […] Mais peu à peu, un problème que nous n’avions pas entrevu à l’origine se fit jour. Nous avions été amenés à entrer en rapports à la fois avec des monastères orthodoxes et avec des communautés de rite oriental unies à Rome. A mesure que nous nous connaissions mieux les uns et les autres, nous pouvions constater à quel point les Églises uniates étaient coupées de leurs racines et de leur propre tradition, et n’occupaient dans l'Église catholique romaine qu’une position très marginale. Même lorsque les Uniates reproduisaient aussi exactement que possible les formes extérieures de la liturgie et du monachisme orthodoxes, l’esprit qui animait leurs réalisations était très différent." (Ibid.)
Notes du rédacteur (pour ceux qui ne liraient pas l'ensemble du texte)
(1) Source:ICI
(2) Le père Placide est entré à l'abbaye cistercienne de Bellefontaine en 1942 à l'âge de seize ans, son intérêt constant pour les Pères de l'Église l'a amené en 1966 à tenter une expérience d'uniatisme 2 dans le monastère de la Transfiguration qu'il a fondé à Abazine avec d'autres moines, puis il est devenu Orthodoxe sur le Mont Athos et finalement il a fondé le monastère Orthodoxe Saint Antoine le Grand dans le Vercors. Cela fait de lui un observateur de premier plan du dialogue œcuménique et un passeur entre l'Orient et l'Occident chrétiens. (père Nicolas Kisselhoff; Ibidem)
(3) Jean Claude Noyé, Propos d'un moine orthodoxe, Groupe DDB (Lethielleux, 2010)
(4) ICI
(5) Le père Placide écrit: "Saint Augustin "a été amené à majorer les capacités de l’intelligence humaine en ce qui concerne la connaissance de Dieu et du mystère même de la Sainte Trinité (…). Il résulte de cette conception que toutes les notions qui expriment la nature, les propriétés et les opérations de l’esprit créé peuvent être appliquées à Dieu, d’une manière qui, assurément, transcende tous leurs modes de réalisation dans les créatures, mais néanmoins au sens propre." Et le père Placide oppose cette approche à la théologie orthodoxe gardera toujours une conscience très vive de ce que la transcendance de Dieu le place tellement au dessus de toute essence créée qu’aucun des concepts que nous employons pour parler des créatures ne peut s’appliquer à lui dans son sens propre ; c’est pourquoi aucune définition, aucun raisonnement ne peuvent être appliqués aux réalités divines avec une rigueur permettant de construire une théologie systématique." (ibidem)
(6) "Les légats pontificaux qui, en 1054, déposèrent une bulle d’excommunication sur l’autel de Sainte Sophie, appartenaient au milieu des réformateurs. Deux éléments donnèrent à leur geste, hâtif et inconsidéré, une portée qu’on ne pouvait alors apprécier. D’une part, les légats soulevaient la question du Filioque, désormais introduit à Rome dans le Symbole de la Foi ; or la chrétienté non latine avait toujours ressenti cette addition comme contraire à la tradition apostolique. D’autre part, les « Romains » d’Orient, sujets de l’empereur de Constantinople, découvraient le dessein des réformateurs occidentaux d’étendre l’autorité absolue et directe du pape sur tous les évêques et les fidèles, même dans leur Empire. C’était une ecclésiologie totalement nouvelle pour eux, et ils ne pouvaient que la refuser, au nom de la fidélité à la Tradition de l’Église." (ibid.)
(7) Qualificatif généralement donné aux anti-œcuménistes. Pour le père Placide, lui-même Athonite, il ne s'applique qu'aux moines du mont Athos "qui ont rompu la communion avec tous les autres moines de la Sainte Montagne pour, croient ils, mieux défendre l’intégrité de la foi" (il s'agit essentiellement des moines du monastère d'Esphigménou). Car pour ce qui concerne l'attitude générale de la sainte Montagne, le père Placide écrit "En matière d'œcuménisme comme de vie spirituelle, l’attitude de l’Athos est faite de sobriété et de discernement. Il faut savoir filtrer aussi bien les élans de la sensibilité que les raisonnements de l’esprit, et surtout renoncer à « plaire aux hommes », si l’on veut plaire à Dieu et entrer dans Son Royaume."
2.
LaHyre
le 25/12/2017 22:06
Charlemagne n'était pas "capétien" mais "carolingien", il faudra attendre l'an 987, et l'avènement au trône d'Hugues Capet pour voir apparaître la dynastie des Capétiens.
3.
Affeninsel
le 26/12/2017 14:04
Effectivement, et c'est plutôt Charlemagne lui-même qui est à l'origine de ce mouvement. Ses successeurs, dans le monde germanique notamment, continuèrent l'entreprise.
4.
Vladimir G: Le christianisme orthodoxe face aux défis de la société occidentale par Christophe Levalois
le 02/08/2019 11:52
Le christianisme orthodoxe face aux défis de la société occidentale par Christophe Levalois
par Franck ABED (son site)
vendredi 26 juillet 2019
Christophe Levalois est enseignant, prêtre orthodoxe (1), rédacteur en chef du site orthodoxie.com. Ses derniers ouvrages portent sur le christianisme et la communication, ainsi que sur la place du sacré dans l’histoire des sociétés.
L’objet du livre est énoncé dès les premières lignes : « Les pages qui suivent présentent une sélection d’écrits récents, courts et incisifs. Ceux-ci proposent à la fois une présentation du christianisme orthodoxe aujourd’hui, de son développement et de son rayonnement actuel dans ceux-ci [les différents pays], mais aussi des éléments fondamentaux de sa tradition qui le distinguent des autres confessions chrétiennes, ainsi qu’une réflexion sur les défis, notamment les questionnements nés de la confrontation avec la société occidentale, plus généralement avec l’esprit dominant du monde moderne, notamment son matérialisme et l’individualisme qu’il diffuse. » Le programme se veut dense et ambitieux. Cependant, le livre reste accessible au plus grand nombre grâce au talent d’écriture de l’auteur.
Cet ouvrage s’articule autour de quatre grands thèmes : Le christianisme orthodoxe et l’Europe occidentale ; Eléments de la pratique et de la foi du christianisme orthodoxe ; Pour une communication qui mène à la communion ; Face aux défis du temps présent.
Levalois rappelle donc avec intérêt que « la présence du christianisme orthodoxe en Europe occidentale à l’époque contemporaine est un phénomène qui n’est plus nouveau. En effet, on peut considérer globalement qu’il a deux siècles d’ancienneté, un peu plus ou un peu moins selon les pays. »
Il stipule également que « la démarche fut souvent la même dans la plupart des pays. Ce sont tout d’abord des communautés d’étrangers qui furent à l’origine des paroisses orthodoxes. Avec le temps, les générations suivantes, d’autres arrivées, les mariages mixtes et les conversions, ces communautés se sont intégrées dans la société d’accueil. La plupart du temps, elles ont conservé un lien avec le pays d’origine, lien juridictionnel, mais aussi culturel et assez souvent linguistique. »
Pour Levalois, l’orthodoxie représente un rempart face à la modernité désastreuse de notre époque. Il remarque : « En outre, en raison de l’importance primordiale de la tradition dans l’orthodoxie, qui est plurimillénaire, ces communautés observent naturellement une très grande réserve, et parfois expriment des critiques vigoureuses, vis-à-vis des évolutions du monde occidental, qui est également un modèle devenu, peu ou prou, planétaire aujourd’hui. » Effectivement, l’auteur précise que « la tradition orthodoxe manifeste le souci de l’intériorisation de l’humilité, qui est à l’opposé des aspects volontiers tapageurs et exhibitionnistes de la société actuelle. »
Cet ouvrage répond à un fait convenu et admis, en savoir qu’en Europe de l’Ouest et dans le monde occidental d’une manière générale, l’orthodoxieest méconnue. L’auteur explique qu’il existe « une tension » spirituelle et culturelle, qui est « ancienne et profonde, mais surtout due à une incompréhension. » Il ajoute avec raison : « A part des spécialistes, des chercheurs remarquables et quelques personnes, l’Orient est peu connu en France, [et] c’est également vrai pour l’Europe orientale. » Pourquoi sommes-nous dans cette situation ? Levalois propose la réponse suivante : « Cela s’explique notamment par le fait que l’enseignement scolaire n’offre qu’une place limitée aux cultures orientales et à leur histoire. C’est également vrai de la Russie. »
Il estime que certains remontent à Charlemagne pour expliquer cette fracture, « même si Anne de Kiev fut reine de France au XIèmesiècle. » Nous lisons ce propos avec intérêt : « La recréation d’un empire en Occident (conçu comme étant la résurgence de l’Empire romain, l’Empereur portant le titre d’empereur des Romains) a suscité une opposition à l’Empire romain d’Orient (un intitulé que nous préférons à Empire Byzantin, une création occidentale du XVIèmesiècle). Déjà, peu d’années auparavant, au concile de Francfort, en 794, sous l’impulsion de Charlemagne qui n’était pas encore empereur, le deuxième concile de Nicée, en 787, fut condamné. L’opposition était là principalement théologique, mais la rivalité politique n’est pas à exclure. » Nonobstant le sac de Constantinople de 1204, le dialogue «bien que difficile, parfois suspendu, n’était pas encore rompu. Par contre la chute de Constantinople, en 1453, consacre définitivement une rupture entre l’Occident et l’Orient chrétien.»
Aujourd’hui les relations sont plutôt apaisées, malgré les vicissitudes et les aléas des politiques internationales. Cependant, Levalois écrit : «Les Russes connaissent mieux la culture française que les Français la culture russe». Il ne faut pas oublier qu’après la révolution de 1917, nombreux sont les Russes Blancs qui émigrèrent en France. Ce phénomène consolida l’appropriation culturelle et sociale des Russes à l’endroit des mœurs françaises que la francophilie des siècles précédents avait suscitée en Russie (la noblesse parlant et écrivant le meilleur des français).
L’auteur regrette cette méconnaissance, car il estime que c’est regrettable de mettre ainsi «des distances avec des populations qui ont un préjugé très favorable vis-à-vis de nous, notamment en raison de notre héritage historique et culturel, mais aussi parce que nous sommes complémentaires, on le voit dans nos approches intellectuelles : la rigueur française d’un côté, l’ampleur et l’illimité russes de l’autre, qui produisent une fascination réciproque pouvant être fructueuse pour chacun.»
De fait, orthodoxes et catholiques se rejoignent dans leurs critiques au sujet des dérives de la science, de la société de consommation, et du divertissement, comme l’expriment les différents articles de Levalois. C’est pourquoi nous apprécions les différentes analyses au sujet des désastres provoqués par la modernité, notamment celles qui sont consacrées aux dérives de la communication. L’auteur rappelle le lien évident entre communication et christianisme. En effet, l’Eglise fut l’une des premières institutions à avoir eu recours à la communication comme facteur, entre autres, de cohésion sociale. Aujourd’hui, bien au contraire, les outils de communication, et particulièrement les réseaux sociaux, peuvent favoriser l’atomisation de la société et donc des individus – et les médias y contribuent largement, car ils le plus souvent loin de servir la vérité, dans quelque ordre que ce soit.
En fin de compte, ce livre commis par Levalois s’adresse à tous ceux qui désirent connaître les grandes lignes de l’histoire orthodoxe, ainsi que les prises de position des Eglises orthodoxes sur les sujets d’actualité les plus récents. Le style concis, direct et professoral de Levalois permet de comprendre aisément les idées qu’il développe. Il pense, et nous approuvons son propos, que « le temps du ressourcement est de plus en plus limité par une agitation constante qui épuise physiquement et psychiquement. » Lire cet ouvrage vous permettra d’échapper à cette doxaofficielle si abrutissante… et si peu ortho-doxa.
Franck ABED
(1) Orthodoxe, orthodoxus, issu du grec orthos, droit, et doxa, opinion. En matière de religion, l'adjectif « orthodoxe » qualifie ce qui est conforme à la doctrine, considérée comme une vérité. D’un point vue catholique, les orthodoxes sont ceux qui suivent le Pontife Romain.
https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/le-christianisme-orthodoxe-face-216862?fbclid=IwAR0Q30jUbuYsQwdQzQ8OHEbJ9ZYIGvHPSfUwLK_deJ1ql7BA36i_gmI6xM0