Sur la prière du cœur, le yoga, la richesse et le mariage: Extraits des entretiens avec l’archimandrite Sophian (Boghiu)

Parlons d'orthodoxie

Traduction Elena Tastevin pour " Parlons d'orthodoxie"

L’Archimandrite Sophian (Boguhiu, 1912 – 2002) dont nous commémorons le centième anniversaire de la naissance était l’un des pères spirituels roumains les plus vénérés. Peintre reconnu d’icônes, il restaurait aussi l’image de Dieu dans les âmes rongées par le péché et sombrées dans une agitation stérile. Vous trouverez ci-dessous les réponses de l’archimandrite Sophian aux questions de jeunes étudiants sur la prière et son exercice

Le mariage est un chemin naturel de la vie, une vocation universelle de l’humanité. La famille a été établie au tout début de la société humaine et elle est la source de la vie. Le monachisme est un conseil de l’Evangile, c’est une vocation. Le moine a une mission qui lui est propre, la famille en a une autre. La vie de la famille avec ses problèmes quotidiens se concentre souvent sur des préoccupations à court et à moyen terme qui font souvent oublier de penser à la vie céleste. Le devoir du moine et du prêtre consiste à éclairer l’esprit et les aspirations des hommes en les faisant réfléchir à la vie éternelle après la mort.


-Que diriez-vous de ceux qui pratiquent la prière du cœur mais suivent des enseignements étrangers à l’orthodoxie ? Par exemple, le yoga ou la parapsychologie ?

- Je pense que Dieu n’accepte pas leurs prières. Ces pratiques sont étrangères à notre peuple, à notre mentalité, elles ne sont pas inspirées par Jésus Christ. La prière de telles personnes est hypocrite, illusoire. On confond tout pour altérer la vérité, par exemple, le yoga et la prière de Jésus. Or, ils sont différents comme le ciel et la terre.
Certains sorcières et magiciens ont des icônes chez eux. En regardant l’icône ils prononcent des formules et des invocations. Ils trompent ceux qui cherchent des conseils auprès d’eux. Le Saint Esprit ne peut pas se réconcilier avec un pareil mensonge et une telle hypocrisie. C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez (1) Si l’on observe attentivement la vie des personnes qui associent la prière de Jésus au yoga, on verra qu’en général, ils ont perdu le vrai chemin et que leur vie est devenue différente. C’est justement dans le yoga qu’il y a des choses discutables voire très indécentes. Ceux qui le pratiquent comprennent de quoi je parle.

- Est-ce que le mariage peut devenir un obstacle pour la pratique de la prière du cœur ?

- Oui. Mais je connais des personnes mariées qui pratiquent efficacement cette prière. C’est-à-dire que même dans le mariage, en famille il est possible de prier mais c’est plus difficile.

-Pourriez-vous commenter le verset de la Bible : car où est ton trésor, là sera aussi ton cœur (2)

- Je pense que ce verset ne nécessite pas de commentaires car, en effet, ce qui nous attire le plus accapare notre attention.
D’abord la richesse sous-entend le kopeck, ou le dollar. Il existe des personnes qui ne pensent qu’à s’enrichir. Actuellement, les hommes se divisent en trois catégories : les pauvres, la classe moyenne et les très riche. Je pense que le cœur des personnes très aisées se trouve souvent là où est leur argent : comment s’en procurer, le multiplier pour augmenter le revenu et accroître sa richesse. Et pendant la prière, la lecture de la « Philocalie », des Saintes Ecritures et d’autres textes bénis et sacrés leur attention est clivée entre cette richesse, les moyens de la faire augmenter et le sens du livre qu’ils lisent. Généralement, l’esprit s’envole plutôt vers la richesse matérielle plutôt que vers la richesse spirituelle (ce qui est propre à l’âme et au salut). C’est pourquoi l’Evangile dit : car où est ton trésor, là sera aussi ton cœur .(3) Je pense que chacun le sait grâce à sa propre expérience.

Saint Antoine, par exemple, s’est libéré en renonçant complètement à la possession terrestre : après la mort de ses parents il a donné ses biens aux pauvres et il est parti dans le désert, peut-être même sans besace. Il a gardé contact avec un citadin qui lui apportait de temps en temps quelques pains et de l’eau. Quant à ses biens il s’est débarrassé de tout, à savoir que la famille de ses parents était riche. Et il ne pensait plus à ces biens, à ce trésor car il ne le possédait plus. Il a donné ce trésor aux pauvres au nom du Royaume de Dieu. Ainsi, son cœur se trouvait là où était sa richesse qu’il a donnée, c’est-à-dire dans le Royaume de Dieu. Tous les saints faisaient de même en renonçant à la possession.

- Comment peut-on savoir quel chemin choisir : le mariage ou le monachisme ?

- Le mariage est un chemin naturel de la vie. Dès le début du monde les hommes vivaient en couple. Nous connaissons le premier couple. Ce sont nos ancêtres : Adam et Eve. Dieu leur a donné un commandement : soyez féconds, multipliez, emplissez la terre (4) Ainsi, la famille a été établie avant tout, à l’origine de la société humaine et elle est la source de la vie. Grâce à cette forme de la vie, au mariage, l’homme devient créateur, l’homme et la femme multiplient la race humaine. Ce mode de vie est une vocation universelle de l’humanité.

Le monachisme est un conseil de l’Evangile (5) et ceux qui ont cette vocation se font moines. Celui qui est appelé et incité des profondeurs de son être devient moine. Ces deux modes de vie sont très différents. Le moine a une mission, la famille en a une autre. La vie de la famille avec ses préoccupations quotidiennes se concentre essentiellement sur des activités à court et à moyen terme qui évincent la pensée à la vie céleste. Un frère vient au monastère pour établir des liens avec Dieu. Et il est capable d’attirer l’attention et d’éclairer l’esprit et les aspirations des hommes en les faisant penser à la suite éternelle de la vie après la mort. Cela nous incite ainsi à réfléchir sur l’avenir qui nous attend outre-tombe, et c’est quelque chose que nous oublions souvent. Nous travaillons jour et nuit en gagnant la vie pour avoir un toit au-dessus de la tête et des divertissements et nous oublions la mort ainsi que les comptes que nous aurons à rendre de toute parole inutile que nous avons prononcée. C’est Jésus Christ le Sauveur qui nous le dit Lui-même.(6)

Le devoir du moine et du prêtre consiste à répandre cette lumière et à éclairer les ténèbres de notre vie quotidienne. Je pense que c’est la mission du moine à l’égard de la famille.

Archimandrite Sophian (Boguiou)
Crestinortodox.ro
19 avril 2012
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(1) Mt. 7 ; 16
(2) Mt. 6 ; 21
(3) Mt. 6 ; 21
(4) Genèse 1 ; 28
(5) St. Mat. 19 ; 29
(6) Mt. 12 , 36

PRAVOSLAVIE.RU



Commentaires (6)
1. V. GOLOVANOW: De l'application exagérée du missel le 29/04/2012 17:42
Les époux doivent-il se repentir de "forniquer"…l'un avec l'autres? (1)
Traduction VG

Une femme écrit avoir reconnu en confession qu'elle avait fait l'amour avec son conjoint pendant la Semaine Radieuse (2). Le confesseur l'a qualifiée de "fornicatrice" (блудницей), interdite de communion pendant 40 jours et imposé une pénitence de 50 métanies quotidiennes en répétant "pardonne-moi Seigneur, fornicatrice et pécheresse". Le père Andrey Dudchenko (3) lui répond

Chère en Christ Xenia!
A en juger par votre description, la pénitence qui vous est imposée est absolument illégale et doit être considérée comme inexistante. On peut malheureusement rencontrer de nos jours ce type de pseudo-confesseurs, qui trouvent on ne sait pourquoi très intéressant de s'immiscer dans les détails de la vie intime des époux pour instiller un complexe de culpabilité et prendre ainsi le pouvoir sur les gens.

L'apôtre Paul, dont les mots ont beaucoup plus d'autorité pour les chrétiens que l'opinions de tous les prêtres mis ensemble, écrit dans sa première épître aux Corinthiens (chapitre 7) "La femme n'est point maîtresse de son propre corps, mais c'est le mari; de même aussi, le mari n'est point maître de son propre corps, mais c'est la femme. Ne vous privez point l'un de l'autre, si ce n'est d'un consentement mutuel, pour un temps, afin de vaquer au jeûne et à la prière; et ensuite, retournez ensemble, de peur que Satan ne vous tente par votre incontinence." (4).Ainsi, l'abstention des relations conjugales n'est possible que, et uniquement dans ce cas là (*), quand il s'agit d'une décision commune des époux. Un prêtre n'a pas à réglementer cela.

Maintenant essayons de comprendre à quoi pensait votre confesseur.

L'abstinence durant la Semaine Lumineuse est effectivement prévue dans le cas où, conformément aux canons de l'Eglise et à la logique du missel (5), les laïcs communient au Corps et au Sang du Christ tous les jours cette semaine.

En effet, toute la semaine Lumineuse constitue un unique dimanche, et la règle 66 du concile in Trullo (sixième œcuménique) (6) prescrit à tout Chrétiens pendant la Semaine Radieuse de "fréquenter sans négligence toute la semaine les saintes églises, se réjouissant dans le Christ et chantant des psaumes et des cantiques et des chants religieux, s'appliquant à la lecture des saintes écritures et faisant leurs délices de la communion aux saints mystères". Or, il est strictement de règle dans l'Eglise de s'abstenir de toute relation conjugale durant la nuit précédant la communion et de là vient l'abstinence continue pendant la Semaine Radieuse si l'on communie tous les jours. Toutefois, même cette dernière règle n'est pas sanctifiée par l'autorité de l'Écriture ou d'un Conseil œcuménique ...

Tout est pur pour ceux qui sont purs. L'Orthodoxie est la voie de la vie et de la liberté, et non pas un système d'interdits sur chaque éternuement.

Source: Traduction VG
http://www.kiev-orthodox.org/site/family/3520/
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Notes du traducteur:
(*) En gras dans le texte original
(1) Toute une polémique s'était déclenchée en Russie sur les relations conjugales en carême (http://kuraev.ru/smf/index.php?topic=242858.0), La réponse du père Andrey reflète les positions de personnalités comme le père diacre André Kouraev ou Dmitry Pershin (http://www.liveinternet.ru/users/dmpershin/), qui font l'objet d'attaque sévères de la part de la garde rigoriste de l'Eglise.
(2) Semaine Radieuse ou Semaine Lumineuse: semaine suivant Pâques chez les Russes appelée "Semaine du Renouvellement" chez les Grecs. Dans l'Eglise russe il n'est pas célébré de mariages durant cette semaine (cf. http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Mariage-Orthodoxie-Directives-spiritualite-Cana-ou-le-couronnement-du-mariage-Directives-pour-le-mariage-dans-l-Eglise_a2373.html )
(3) Le père Andrey Dudchenko est archiprêtre de l'Eglise Orthodoxe d'Ukraine à Kiev, rédacteur en chef du journal en ligne kiev-orthodox.org.
(4) Cor 7, 4-5, traduction Ostervald http://www.enseignemoi.com/bible/1-corinthiens-7-ostervald.html
(5) C'est bien dans le missel (Требник) que se rencontrent ce type de règles mais, d'après le père André Kouraev (ibid. 1), il s'agit d'introductions tardives et strictement russe. En particulier l'interdiction des relations conjugales des laïcs pendant le carême n'apparaitrait que dans le missel de Pierre Moghila., métropolite de Kiev, publié en 1646
(6) Le concile in Trullo ou Quinisexte (691 à 692) est la suite du 6ème concile (Constantinople III, 680-681) et porte donc aussi le numéro 6. Il fixa des règles de discipline.

2. Irénée le 29/04/2012 23:08
Il y a une petite erreur de date je crois, Le père Sofian est né au ciel en septembre 2002, et pas 2012.
J'ai eu la chance de le fréquenter autour des années 1975-1978. Je remercie Dieu de m'avoir fait rencontrer le père Sofian alors que j'étais encore étudiant. C'était un homme exceptionnel, et un père spirituel qui m'a beaucoup marqué.
Je ne vois par contre pas bien pourquoi Vladimir poste ce commentaire...
3. Marie Genko le 30/04/2012 08:58
Cher Irénée,

J'ai au contraire découvert avec intérêt le message de Vladimir ci-dessus.
Ce site ne s'adresse pas seulement à des personnes aussi au courant que vous des règles de l'Eglise, de ses interdits et aussi de l'application qu'en font certains prêtres confesseurs.

Il me semble que le message de Vladimir est un excellent enseignement, autant pour de jeunes prêtres que pour des jeunes gens mariés et peu informés des règles de l'Eglise.
4. vladimir le 30/04/2012 09:52
Je suis assez déçu de la publication ici de mon document sur les relations conjugales: comme Irénée, je ne vois pas la logique des modérateurs: uniquement parce qu'on y parle aussi de mariage?. Mais, si le document que je propose est très loin de la question "monachisme ou mariage", dont traite le père Sofian, il reflète par contre un débat qui clive une fois de plus l'Orthodoxie en Russie... Je pense y revenir.
5. Boris le 30/04/2012 10:34
D'abord remercions Elena Tastevin d'avoir transposé cet intéressant texte.

Pour ce qui est de l'amour conjugal les mercredis, vendredis, carêmes Saint Pierre, etc. suis plus que curieux d’en savoir des détails?
Chez les judaïques, par exemple, les relations conjugales sont une obligation chaque vendredi soir...
6. Daniel le 30/04/2012 12:23
@ Boris

Par défaut, le jeûne inclut aussi l'abstinence sexuelle entre époux. Mais cela exige aussi un commun accord. Dans son Manuel de la Confession, Saint Nicodème, évoqauant le canoniste Balsamon dans Responsa ad Interrogationes Marci (question 50) explique que ceux qui n'ont pas respecté ce jeûne de la chair ne peuvent pas communier (par exemple à Pâques si la période en question était le grand carême) et qu'ils doivent recevoir une épitimie. Mais il ne s'étend pas sur la nature de l'épitimie.

Saint Jean Chrysosotome a dû aussi aborder ce thème quelque part, dans son homélie sur la Virginité, peut-être.
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