Une lettre de Nicolas Ross

Parlons d'orthodoxie

Ce texte avait été adressé au forum Orthodoxierusseoccident le 11 Mars 2006
Elle n'a rien perdu de son actualité.


* * *
Je suis content de constater que, malgré ce qui nous sépare, le dialogue se poursuit et qu’il reste courtois et civilisé. […] Vous trouverez plus bas ma réponse à une longue lettre du correspondant (désirant rester anonyme) qui m’avait déjà permis de vous soumettre une première réflexion

"Contrairement à toi, je pense que la distinction entre traditionalistes et modernistes est non seulement un problème actuel, mais également l’un des chevaux de bataille le plus souvent enfourchés par les dirigeants de notre Archevêché.[…] Cette distinction entre " bons " et " moins bons " orthodoxes est constamment présente dans le discours de notre archevêque, qui défend sans relâche l’idée que son Archevêché est tout d’abord celui des " gens d’ici " qui, cela va de soi, sont tous partisans des évolutions linguistiques et cultuelles qu’il appelle lui-même de ses vœux. Souviens-toi de sa formule à l’Assemblée diocésaine " les Russes ne sont pas chez eux en France " (citation libre). […]

Pourquoi crois-tu que je considère comme des " traîtres " les gens qui ne sont pas des " traditionalistes " confirmés ? […] Je considère simplement qu’il n’y a pas un modèle unique de vie liturgique. Si la célébration eucharistique constitue le centre de notre vie religieuse, n’est-il pas évident que chacun devrait s’y sentir à l’aise ? Penses-tu vraiment que s’il n’y a pas le triple " amen " de l’assistance cela " fonctionne " moins bien sur l’autel ? Tu ne peux ignorer que le discours " anti-slavon ", par exemple, est un thème récurrent chez de nombreux partisans de la ligne actuelle de l’Archevêché et qu’il en irrite beaucoup d’autres parmi ses fidèles.

Le sermon de dimanche dernier de Mgr Gabriel rue Daru est une bonne illustration de ces dérives que je reproche à certains (il lisait un texte, tu pourras vérifier). Prononcé en français devant une assemblée en large majorité issue récemment de l’ex-URSS (correctement traduit, je le concède, par notre diacre), il s’adressait uniquement à nous autres, les rares orthodoxes occidentaux présents.

Mgr Gabriel nous demandait d’aider (dans une perspective d’assistance humanitaire) nos frères réfugiés des pays de l’Est, c’est-à-dire la quasi totalité de l’assistance. Nous avons ainsi eu droit, le premier dimanche de carême, à une homélie à la fois mal ciblée et (selon mes critères) peu orthodoxe, le " social " y ayant totalement remplacé le liturgique et le spirituel. Je suis en train de terminer la lecture du " Journal " du père Alexandre Schmemann, dont tu te reconnais le disciple. Il y dénonce constamment ce genre de dérives chez nos frères catholiques ou protestants.

Je pense que pour avoir une chance de réunir à nouveau notre troupeau qu’elles ont si efficacement dispersé, les instances dirigeantes de l’Archevêché devraient se recentrer sur ce qui constitue les valeurs de base de notre existence en Église (avant tout notre tradition liturgique et paroissiale). Il faut arrêter de continuellement instrumentaliser ce qui nous divise, notre attitude à l’égard du Patriarcat de Moscou, par exemple. Chez nous, ces derniers temps, chacun y va de son couplet personnel dans le chœur cacophonique de notre rapport à l’Église de Russie.

Il me semble qu’il serait mieux venu de traiter cette question avec discrétion et responsabilité, comme à l’époque de Mgr Serge. Il n’est pas agréable de se sentir impliqué, en tant que fidèle de l’Archevêché, dans cette activité chaotique, en se demandant continuellement quel sera le prochain épisode de ce déplorable feuilleton.

Soyons, pour terminer, constructif.

Pourquoi, par exemple, ne pas organiser un grand congrès rassembleur et pluraliste, non pas un " Week-end à Zuydcoote " ou une " Journée de St-Serge ", mais une rencontre dans un lieu approprié et consensuel de Paris ou de la région parisienne ? Ce congrès pourrait être centré sur le thème essentiel qu’est la définition de notre tradition liturgique et paroissiale. Avec participation, bien sûr, de conférenciers de sensibilités diverses, et où chacun se sentirait à l’aise. […] "

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Commentaires (10)
1. Nicolas Ross le 27/11/2011 19:14
Je tiens à préciser que cette lettre a été publiée sans mon accord sur le site "Parlons d'orthodoxie". Contrairement à ses modérateurs, je ne la considère plus comme actuelle sur plusieurs des points que j'y aborde. Ce texte à caractère polémique reflète en particulier une réaction émotionnelle à un événement ponctuel qui n'a rien d'exemplaire et qui ne mérite pas d'être exhumé d'un oubli parfaitement légitime.
2. Liuba le 27/11/2011 21:46
Polémique? sûrement. Inutile? Je ne sais pas, M. Nicolas Ross.
J'admire votre travail littéraire sur la cathédrale de Paris. Entre autre. Il y a de toute façon de la polémitque dans l'air un peu partout. Pour moi, cet article a une autre valeur: celle d'un suivi, d'une évolution qui conduit à aujourd'hui: des brisures et incohérences culturelles et surtout de la foi et de l'héritage dans la foi orthodoxe. Je peux comprendre aussi votre réaction.
Je situe autrement la mention de cet article.
3. Mischa le 27/11/2011 22:13
Странно? Конечно приязанности меняются, Но текст Н.Росса 2006 года к сожалению вполне подходит под сегодняшнюю ситуацию в Архиепископии. Эта фраза из его письма вполне актуальна : Il faut arrêter de continuellement instrumentaliser ce qui nous divise, notre attitude à l’égard du Patriarcat de Moscou, par exemple.
4. vladimir le 28/11/2011 16:42
Mon cher Nicolas,

Je partage les commentaires précédents et je ne vois pas vraiment ce qu'il faudrait changer dans ton texte pour le rendre plus actuel: le discours de Mgr Gabriel ne date pas de dimanche dernier? Mais ce que tu en dis reste bien dans la tonalité du discours de Daru, de même que toutes tes autres constatations... malheureusement!

C'est bien dommage que tu ne nous fasses profiter pas plus souvent de tes connaissances et de tes observations. Heureusement qu'il y a tes livres; trop rares aussi!

Avec toute mon amitié
5. Liuba le 28/11/2011 23:24
Comme le mentionne un correspondant plus haut, je trouve que ce forum est ouvert. C'est le seul auquel je participe en tant qu'orthodoxe qui connait le français. C'est vrai, c'est un espace de liberté.

J'espère alors que je ne vais pas instrumentaliser mais je crois que le texte de Nicolas Ross est très actuel. Il s'agit plus d'un concours de circonstances qui conduisent finalement à un gonflement de situation exagérée, pas monarchique en soi. Mais je voudrais avoir les vues sur ceci: sur le site du patriarcat de Moscou, j'ai lu voici plusieurs jours qu'il y a une vente prévue au profit de la cathédrale russe Saint Alexandre Nevsky de Paris le jeudi. Je ne sais pas quel jeudi, si c'est passé ou à venir. Cela semble à venir.
Il est dit - comme pour Nice - que tout est poreux dans ces cathédrales.
Cela revient à ce que dit Nicolas Ross: car, est-ce que l'on parle de la Sainte et Divine Liturgie ET OU BIEN on cherche encore du social, même de pierre poreuse? Est-il sérieux entre un référé et une décision de référé (Nice royal Gates) de transformer les поручи à passer une corbeille de réparation qui aurait du être réglé de belle lurette! C'est une chose de parler des Choses Saintes, de rebâtir la Maison, mais est-ce avec un peu de jugeotte? je me demande ca.
6. Nicolas Ross le 29/11/2011 09:11
Je me sens moralement obligé de répondre, au moins brièvement, à mes trois contradicteurs.
Tout d'abord, il me semble contestable de publier à l'état brut des extraits d'un texte polémique ancien, correspondant à un autre contexte, sans en demander l'autorisation à son auteur. Je le dis en toute amitié pour nos dynamiques et compétentissimes modérateurs. Mais "sans la liberté de blâmer il n'est pas d'éloge flatteur".
Je pense, par ailleurs, que la situation actuelle est très différente de celle du milieu des années 2000. C'est faire l'autruche que de ne pas constater que le Patriarcat de Moscou a notablement renforcé son poids et sa présence non seulement dans l'orthodoxie française, mais, plus globalement, dans la vie religieuse de notre pays. Et, parallèlement, on ne peut nier que la politique sectaire et jusqu'auboutiste d'un partie des dirigeants de l'Archevêché est en train de les mener dans le mur. Ses forces vives semblent en avoir déjà largement pris conscience et on peut voir se multiplier de leur part les initiatives "transjuridictionnelles".
En dehors de quelques conflits locaux (qui ont toujours existé dans notre vie religieuse), il y a des signes de rapprochement et de bonne volonté qui peuvent inciter à un certain optimisme. Comment ne pas se réjouir de voir Mgr Hilarion présider la liturgie rue Daru, ou, il y a trois jours, Mgr Gabriel, Mgr Nestor et Mgr Michel, accompagnés de prêtres issus de nos trois juridictions, concélébrer une panikhide à Sainte-Geneviève-des-Bois devant le carré des anciens de Gallipoli? Depuis des décennies, on ne pouvait que rêver de pouvoir un jour participer à de tels événements.
Dans ce contexte, où l'initiative a manifestement changé de camp, il me semble impératif d'accompagner de son soutien actif toutes les initiatives de bonne volonté et d'éviter d'instrumentaliser ce qui nous a séparé ou continue à le faire. Pour que nous arrivions un jour à construire une métropole orthododxe de tradition russe viable en Europe occidentale, il faut que chacune de nos entités respectives s'y sente en sécurité et à sa place. Et c'est envers la plus faible et la plus menacée d'entre elles qu'il faut faire les plus grands efforts si on se considère comme chrétien.
7. Mischa le 29/11/2011 12:41
Для меня огромная честь на этом открытом дискуссионом блоге общаться с Вами, уважаемый господин Росс.
Вы знаток. Ответьте мне на вопрос, который я никак не могу разрешить ( может быть и не только я ?) что такое «французское православие?
В Вашей фразе есть такое определение : « le Patriarcat de Moscou a notablement renforcé son poids et sa présence non seulement dans l'orthodoxie française »

Насколько мне известно есть ПРАВОСЛАВИЕ как таковое. Есть Церкви – русская, сербская, болгарская, греческая, грузинская и проч. Во главе них стоят патриархи. Эти ЦЕРКВИ служат на своих местных языках, соблюдая свою местную православную литургическую традицию.
Во Франции, в Европе, есть РПЦ и РПЦЗ и Экзархат КП Архиепископии представленные Епископами и соблюдающие русскую традицию служения литургии. Есть храмы где язык службы французский, в Италии по-итальянски, в Испании по-испански и тд.
Насколько я знаю на заборе Архиепископии Дарю написано что они "Архиепископия православных русских церквей в Западной Европе". Они всегда утверждали, что их истоки это мит.Евлогий и что они временно перешли под Вселенского, но остаются верными Церкви Матери и ссылаются на Собор 1917-18 года.

Что же такое французское православие? Это просто Архиепископия выдаёт свои франкоязычные службы за особую церковь? Или это совсем другая, новая традиция литургии, с новыми акафистами, новым пением, новыми иконами – т.е. французскими?

Насколько мне известно у католиков единая ЦЕРКОВЬ. Мусульмане тоже ЕДИНЫ, нет французского мусульманства. Нет у евреев французского иудаизма. Да, могут быть нюансы язык или местные обычаи. Но есть единый ЦЕНТР.
Но вернувшись к «французскому православию», скажите мне, что это такое?

8. Gueorguy le 29/11/2011 13:33
A la citation de Nicolas, dans son premier paragraphe, je rajouterais "Qui aime bien, chatie bien!"

Et ce n'est pas parce que je n'hésite pas à venir apporter, ici ou là, ma contribution au présent blog PO que je vais hésiter à dire que je comprends bien l'état d'esprit de Nicolas Ross d'être très surpris (c'est le moins que l'on puisse dire) de voir ressortir, à la une et sans avoir été sollicité pour donner son avis, un texte ancien.

Ce texte et tous les autres qui proviennent du forum orthodoxierusseoccident sont encore en ligne et sont librement consultables même s'ils ne sont pas toujours facilement accessibles et souvent, ces derniers temps, brouillés (à cause de problèmes techniques dus à l'obsolescence du serveur Yahoo qui abrite ce forum).

L'occasion de faire observer un autre point quant à ce présent blog où la multiplication des sujets mis en ligne rend très difficile le suivi du débat. J'ai voulu rechercher, par exemple, où était abordé le sujet de la "monarchie" des évêques - introduit par Vladimir et qui a été repris dans une autre file de discussion. On finit par s'y perdre. Ce n'est que mon avis.

Mais ceci relève des choix d'édition des animateurs du blog et je sais trop ce qu'il en coute d'énergie pour ne pas leur recommander d'entrevoir mes présentes remarques seulement comme des critiques constructives et pour leur donner la restitution de la perception d'un participant de base.

A partir de là, il leur appartient de faire les choix qu'ils estiment les plus judicieux. Et à moi de leur souhaiter bon courage pour la suite. Faut-il le relever, il y a peu de lieu de dialogue où des avis les plus contrastés puissent si librement s'échanger.

PS. Nicolas ROSS a très précisément réagit sur le fond de cette discussion pour nécessiter un quelconque commentaire de ma part.
9. Liuba le 29/11/2011 13:50
@ Nicolas Ross et mes autres collègues en Christ contradicteur,

Je suis au moins heureuse de lire quelques mots d'explications de l'auteur du document initial. Même si ce document date, il n'est pas apparu ces jours-ci sans raison, même si sans autorisation de l'auteur. Il y a un contexte. Et ce contexte subsiste. Nicolas Ross indique qu'il y a des jusqu’au-boutistes qui foncent dans le mur avec une clique de minoritaires archevéquistes... Oui.
Partout dans le monde orthodoxe, il existe des points de rencontres et des points de frictions, d'empathie, de communion, de concélébration, de hugs and kisses et d'exclusion. Rien de neuf.

La nouveauté est la transition vers une vraie mutation. Il y a alors des personnes qui agissent en décalage et effectivement contre l'Eglise même s'ils pensent en être dépositaires. Ce sont des moments cruciaux. Il faut je crois en tenir compte. Une pannichyde ou même une célébration commune ne peuvent en profondeur remettre en question les interrogations que tous, y compris l'auteur se pose et ne peut se manquer de se poser.
Il y a un devoir d'aimer son prochain, oui. La force de l'Eglise orthodoxe c'est que les fidèles ont le droit et le devoir - comme le clergé - d'apostropher le plus fort comme le plus faible. Je dois dire que votre réponse ici est plus meuleuse ou atermoyant alors que nous assistons à une lutte, de part et d'autre et que dans votre texte, vous en appeliez à la vraie tradition orthodoxie qui est centrée sur la louange.

Parler de transjurdictionnel est réel, mais je ne l'ai évoqué ici - à un niveau européen ou américain ou ailleurs - qui si cela débouche non sur une fuite, un abandon, un repli, mais comme la recherche d'une unité spirituelle enracinée dans l'histoire et dynamique pour l'avenir.
10. vladimir le 30/11/2011 10:40
Très cher Nicolas,

Merci de ta réponse qui fait réellement avancer le débat. Le constat que fait ton texte de 2006 reste totalement juste, à mon sens, mais je suis d'accord que le peu de polémique que tu y mettais (même si c'est extrêmement modéré par rapport à d'autres!) n'est plus d'actualité: tu écris très justement "c'est envers la plus faible et la plus menacée d'entre elles qu'il faut faire les plus grands efforts". Je me permettrais une méchante trivialité: "on ne tire pas sur les ambulances"…

Je crois aussi que ce n'est par hasard que nous constatons toutes ces réunions (Ste Geneviève, Moscou, Daru) de nos trois composantes autour de l'essentiel, la Liturgie, la théologie, la mémoire: comme toi j'y vois l'espoir que "les forces vives semblent avoir déjà largement pris conscience" de notre besoin d'unité. Contrairement à Liuba, je pense que c'est en retrouvant cet essentiel que nous nous retrouverons et que ces signes là sont de vrais indicateur. Je trouve aussi très importante ton affirmation "il faut que chacune de nos entités respectives s'y sente en sécurité et à sa place". Je suis entièrement d'accord que c'est là dessus que nous devons maintenant concentrer nos efforts alors que, beaucoup d'entre nous, continuent à chercher la polémique, "le coup qui fait mal" (1). Mais encore faut-il que la main tendue soit acceptée et non ignorée… voire mordue!

Pour Misha, l'expression "orthodoxie française" peut être comprise de deux façons différentes:
- L'ensemble des Orthodoxes de France: c'est le sens que lui donne clairement N. Ross dans la phrase que vous citez.
- Le projet d'Eglise orthodoxe de France tel qu'il est en effet porté par un courant minoritaire mais très actif et voyant parmi les Orthodoxes de France. Je pense que c'est à cela que vous pensez et j'avais consacré un essai d'analyse à ce phénomène il y a quelques mois: voyez
http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Deux-projets-pour-l-Orthodoxie-en-Occident-PROJET-1-REVE-D-AUTOCEPHALIE_a728.html

(1) Voir certains commentaires sur http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/L-exarchat-des-eglises-russes-en-Europe-occidentale-a-bien-toute-sa-place-dans-l-Eglise-russe_a1460.html?com#comments
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