Visite en Serbie et Monténégro de Mgr Hilarion de Volokolamsk

Vladimir GOLOVANOW

V. Golovanow

Le président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, s'est rendu en Serbie et au Monténégro du 20 au 22 juillet dernier. A Belgrade il a rencontré le ministre des affaires étrangères de Serbie et le Patriarche Irénée avec qui il a discuté des perspectives de collaboration entre les Églises orthodoxes russe et serbe et de la réalisation du projet de l’intérieur en mosaïque de la cathédrale Saint-Savva de Belgrade. D’autres questions concernant les relations bilatérales entre les deux Églises et les relations inter-orthodoxes ont été également abordées.

Au Monténégro Mgr Hilarion a rencontré le président de la république, avec qui il a parlé des relations entre l'état et l'Eglise et qu'il a congratulé au nom du patriarche Cyrile pour le 300e anniversaire de l’instauration de relations diplomatiques entre la Russie et le Monténégro (1). Le lendemain il a visité le monastère de Cetinje en compagnie du métropolite Amphiloque du Monténégro et du Littoral dont le monastère constitue la résidence.

Cette visite prend une importance particulière d'abord du fait de la situation de l'Eglise de Serbie, qui subit des schismes séparatistes justement au Monténégro, et aussi en Macédoine. Les patriarcats de Serbie et de Russie sont proches sur de très nombreux points, et en particulier sur le refus de lier l'ecclésiologie orthodoxe aux vicissitudes politiques. L'Eglise russe soutient aussi l'Eglise de Serbie dans la défense des lieux saints orthodoxes du Kosovo, dont plusieurs ont été détruits et qui subissent encore des dommages de la part des indépendantistes On voit aussi que le patriarcat de Moscou apporte une aide matérielle aux Eglises-sœurs, par exemple ici pour la restauration des mosaïques de Saint-Savva.

(1) Vassal de l'empire ottoman depuis le XVIe siècle, le Monténégro a toujours luté pour maintenir une autonomie maximale sous la direction de ses métropolites. En 1711 Pierre le Grand prit l'initiative d'envoyer une ambassade au métropolite Daniel 1 pour lui proposer une alliance contre l'empire turc. L'offre fut acceptée et l'alliance entre les deux pays fut durable, en particulier contre les troupes napoléoniennes qui occupèrent la côte dalmate en 1806-1810 et s'allièrent avec les Turcs dans une tentative infructueuse d'envahir le Monténégro… C'est à la suite de la guerre russo-turque de 1877-78 que le Monténégro se libéra et fut reconnu indépendant jusqu'à la première guerre mondiale pendent laquelle il fut occupé par l'Autriche. Libéré en 1918 il décida de rejoindre le royaume yougoslave.


Commentaires (6)
1. Daniel le 29/07/2011 21:49
Sauf erreur de ma part, le Monténégro n'a jamais décidé de rejoindre la Yougoslavie. Il a été annexé, le souverain en titre étant dépossédé de son trône...
2. Tchetnik le 30/07/2011 01:47
Petar Petrovitch Njegos, l''un des plus grands écrivains de langue Serbe (1813-1851), fut prince-évèque du Montenegro. Les "Lauriers sur la Montagne" et "Lumières du Microcosmes" restent parmi les plus grandes oeuvre poétiques Européennes.

En fait, c,est une assemblée plus ou moins légalement constituée qui décida de déposer le roi Nicolas et de s''unifier au royaume de Serbie le 13 Novembre 1918, ce qui fut réalisé le 28. Le Montenegro intégra alors logiquement le royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes (yougoslavie en 1929) lors de sa création, le 1er Décembre 1918.
3. vladimir le 30/07/2011 22:19

Ce sont les troupes serbes qui chassèrent les Austro-hongrois du Monténégro en 1918 et une nouvelle assemblée se constitua alors qui démit le roi, interdit son retour (il était en exil en France) et décida d'unifier le Monténégro à la Serbie avec la bénédiction des alliés. De nombreux opposants prirent les armes et l'armée serbe du se battre deux ans pour en venir à bout. (1)

L'Eglise du Monténégro se considérait comme autocéphale au moins depuis la conquête turque, puisque ses princes-métropolites gouvernaient le pays indépendamment de Constantinople dont dépendaient les autres Eglises orthodoxes de l'empire. Toutefois cette autocéphalie ne fut reconnue que par le Saint Synode de l'Église Russe à la fin du XVIIIe et les Metropolites Monténégrins reçurent leur consécration épiscopale à Saint-Pétersbourg. L'Eglise fut officiellement absorbée par l'Eglise de Serbie en 1920…

Un groupe de clercs entra en dissidence et se proclama "Église orthodoxe du Monténégro", autocéphale, en 1993 (2). Elle n'est reconnue que par les soi-disant "patriarcat de Kiev" (3) et "Église orthodoxe macédonienne"(4).

(1) Détails sur http://www.montenet.org/history/podgskup.htm
(2) http://www.cpc.org.me/latinica/
(3) http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/L-Ukraine-orthodoxe-ORTHODOXIE-MAJORITAIRE-MAIS-DIVISEE-1_a1117.html
(4) http://www.mpc.org.mk/English/default.asp
4. vladimir le 24/12/2011 15:59
Dans un article très documenté publié sur Religioscope (http://religion.info/french/articles/article_557.shtml) Jean-Arnault Dérens interprète ainsi cette visite de Mgr Hilarion:

" Médiation russe?
Alors que les tensions entre les autorités politiques et l'Église serbe ne cessent de se multiplier, une solution au schisme monténégrin pourrait venir de Moscou... L'Église russe, très influente auprès de sa sœur serbe, s'est en effet directement engagée dans la résolution du problème, en promouvant une option basée sur le «modèle ukrainien», c'est-à-dire l'octroi d'un statut d'autonomie sans autocéphalie. Tout comme il existe en Ukraine une Église orthodoxe ukrainienne fidèle au patriarcat de Moscou, la métropolie du Monténégro et du littoral se transformerait en Église orthodoxe monténégrine, dans la communion maintenue avec le Patriarcat de Belgrade.

Cette solution marginaliserait l'Église autocéphale, certainement condamnée à s'étioler, voire à disparaître à brève échéance, car elle dispose d'une «base» beaucoup plus étroite que l'Église ukrainienne du patriarcat de Kiev [6]. Par contre, elle pourrait convenir aux dirigeants politiques monténégrins, tout en offrant une voie de sortie très honorable à un Amfilohije qui renoncerait à ses ambitions patriarcales belgradoises...

Le métropolite Hilarion (Alfejev), le chef de la diplomatie de l'Église russe - son titre exact est celui de président du Département des affaires ecclésiastiques étrangères - était à Podgorica le 21 juillet, deux mois après que Milo Djukanovic ait annoncé, lors du Congrès du DPS, que le programme du parti était «d'encourager l'unification des fidèles orthodoxes dans une seule Église», et que «l'Église orthodoxe devait être autonome au Monténégro».

Au cours d'une conférence de presse, Hilarion a déclaré que l'Église orthodoxe monténégrine était un «groupe autoproclamé», que l'Église orthodoxe serbe était «l'unique Église canonique au Monténégro» et que, «selonle droit canonique, il ne pouvait y avoir deux Églises orthodoxes dans un même État». Toutefois, le métropolite Hilarion ne s'est pas contenté de répéter ces positions de principe. Plus discrètement, il a envoyé des messages que les connaisseurs ont su décrypter, soulignant l'existence de «questions ouvertes».
Selon le quotidien belgradois Blic, «le terrain se préparerait pour une autonomie de la métropole du Monténégro et du Littoral», et les hommes d'affaires russes faisaient du lobbying pour régler cette question du conflit religieux: «En plus des affaires qu'ils gèrent au Monténégro, ils ont d'excellents rapports avec les autorités de Podgorica, mais aussi dans certains milieux de l'Église russe». La métropole du Monténégro et du Littoral a vivement réagi au texte publié par Blic. Le prêtre Velibor Dzomic, coordinateur du Conseil juridique de la métropole, a déclaré que ces informations n'étaient pas fondées et qu'il ne s'agissait que d'une «pure fantaisie».

Mais est-ce vraiment une fantaisie? Le 28 août, le quotidien monténégrin Dan écrivait que les clients du bar Grand de Podgorica avaient été surpris, la veille au soir, en voyant le métropolite Amfilohije attablé en compagnie de Milan Rocen, le ministre des Affaires étrangères. Tous deux ont expliqué qu'il s'agissait «d'un entretien amical et d'une rencontre habituelle de deux amis se connaissant de longue date»!

Ces dernières années, on a beaucoup évoqué la relation de Milan Rocen avec le Fonds pour l'unité des peuples orthodoxes de Moscou, filiale «civile» de l'Église russe au Monténégro, plus précisément du Département des rapports ecclésiastiques étrangers présidé par ce même métropolite Hilarion. Ce Fonds a tenu une conférence à Cetinje en 2006, en présence de Milo Dukanovic et de Milan Rocen, qui était alors ambassadeur de l'Union Serbie et Monténégro.

Le représentant local du Fonds russe est Slavko Krstajic, véritable «pèlerin» monténégro-russe, directeur exécutif de la société Odigitrija d.o.o., dont le fondateur n'est autre que la métropole du Monténégro et du Littoral. Au monastère d'Ostrog et dans tout le Monténégro, Odigitrija développe depuis 2002 un tourisme de pèlerinage fort lucratif: à Budva, la société possède l'hôtel Podostrog comportant 56 chambres et 4 suites. La nuitée s'élève à 106 euros.

Amfilohije siège au Conseil d'administration d'Odigitrija, même si le ministère des Finances a révélé que la métropolie n'est pourtant pas enregistrée pour mener des activités commerciales, pas plus qu'elle ne paie des impôts.

Les réseaux d'affaires serbo-monténégrins pourraient donc peut-être réussir à «réconcilier» le métropolite Amfilohije et les dirigeants monténégrins, tout en permettant une résolution de la situation ecclésiale dans le petit pays. Encore faudrait-il, toutefois, pour que ce scénario ait une chance de réussir, que le métropolite Amfilohije rompe avec sa culture de la provocation et essaie de se réconcilier avec les différents secteurs de l'opinion monténégrine."

Soulignons toutefois que cette interprétation est celle de l'auteur de l'article. Ainsi Bernard Le Caro, laïc orthodoxe notamment auteur d'une biographie de Saint Jean de Changhai (2e éd. revue et complétée, Lausanne, L'Age d'Homme, 2011) a fait un analyse critique de cet article (cf. http://www.religion.info/pdf/2011_12_Montenegro.pdf) où il écrit en conclusion: "… A l'heure actuelle, exception faite des intéressés eux-mêmes, nul ne peut dire quel a été le contenu réel des conversations /entre MMgr Hilarion et Amfilohije /". Les informations de Blic ne sont que des spéculations. Quand à l'appuy "ouvert" de Patriarcat de Moscou à ladite autonomie, on voudrait bien savoir quelles sont les déclarations affirmations officielles qui étayent cette affirmations.

Il est pour le moins étonnant que M. Dérens l'un des rares journalistes occidentaux qui soit réellement spécialiste des Balkans, sorte cette fois du cadre de l'information qui lui est habituel pour exprimer des "opinions" sur un sujet ecclésial qu'il peine, de toute évidence, à appréhender." Fin de citation.

Comme on voit, la situation de l'Eglise au Monténégro n'est pas simple… comme ailleurs aussi!
5. Interview de Sa Sainteté le Patriarche Cyrille - vVadimir le 14/02/2012 12:49
Les Večernje novosti (Serbie) ont publié le 29 janvier 2012 une interview de Sa Sainteté le Patriarche Cyrille de Moscou et de toute la Russie dans laquelle il parle des problèmes de l'Eglise de Serbie au Kosovo et au Monténégro.
6. Vladimir.G: un article engagé mais véridique le 15/04/2018 08:41
L'article suivant, publié dans "Libération", est clairement écrit par une partisane engagée de l'autocéphalie pour l'Église du Monténégro. Elle reconnait toutefois que 2/3 des fidèles restent dans l'Église serbe (à comparer au "joug serbe" du titre...) et que la pétition, annoncée comme signée par "des milliers de fidèles" n'a recueilli que 6000 signature (1% de la population...)

Voici l'article:
Monténégro : douze ans après l’indépendance, les orthodoxes toujours sous le joug serbe

Au Monténégro, des milliers de fidèles réclament, via une pétition, la restitution de leurs églises, encore détenues par la Serbie.

Une croix est accrochée au rétroviseur. Le jeune chauffeur de taxi se signe en passant devant la cathédrale de la Résurrection du Christ, à Podgorica. Pour ce fidèle, la controverse religieuse sur fond de profondes divisions politiques qui agite le Monténégro est «honteuse» et vise à «diviser». Lui, comme environ 30 % des habitants du pays, se sent serbe et pas monténégrin. Il va même jusqu’à accrocher le portrait du patriarche Pavle dans sa voiture. A la tête de l’Eglise orthodoxe serbe de 1990 à sa mort, en 2009, le dignitaire avait béni des miliciens qui ont commis des crimes en Croatie et en Bosnie. Le Hram («cathédrale»), situé au cœur de la capitale du pays indépendant depuis 2006, appartient, comme quasiment tout le patrimoine religieux monténégrin, à l’Eglise orthodoxe serbe. Une situation insupportable pour les milliers de signataires d’une pétition en cours qui réclament la restitution de ces biens au Monténégro. Des centaines d’églises et de monastères, des hectares de forêt et de champs dont la valeur est difficile à estimer. L’Eglise monténégrine, autonome auparavant, avait été contrainte après que le pays a rejoint le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes en 1918 de se dissoudre dans le patriarcat serbe, qui la considère depuis comme un simple diocèse. Et qui veut toujours assurer l’autorité hiérarchique sur tous les fidèles orthodoxes vivant dans les frontières de l’ex-Yougoslavie.

Drapeau.

L’Eglise monténégrine, dont l’autocéphalie (l’indépendance) n’est pas reconnue dans le monde orthodoxe, tente de se reconstituer depuis 1994. A ce jour, plus d’un tiers des fidèles de ce petit pays a choisi son Eglise locale au détriment de sa puissante rivale serbe. C’est le cas de la metteuse en scène Ana Vuketic, l’une des initiatrices de la pétition. «Il n’est pas possible que l’Eglise serbe soit propriétaire des deux tiers du patrimoine culturel du Monténégro sur lequel l’Etat monténégrin n’a aucun droit de regard. Ces églises ont été construites par des Monténégrins, des riverains, nos ancêtres.»

Pour les signataires de la pétition, la confiance a été rompue avec les Serbes dans les années 90 lorsque l’Eglise s’est compromise avec le nationalisme. «Des hommes armés rentraient dans les monastères. Les obsèques de la mère de Radovan Karadzic [ex-chef politique des Serbes de Bosnie condamné pour génocide, originaire du Monténégro, ndlr] avaient été organisées dans les années 2000 comme s’il s’agissait de la mère d’un saint», dénonce l’artiste quadragénaire. Les églises et les monastères affiliés au patriarcat serbe arborent souvent sur leur façade le drapeau de la Serbie, combattent les «monténégristes» au pouvoir et exaltent la fraternité avec la Russie, refusant aussi toute influence occidentale. Les opposants à l’autocéphalie monténégrine sont en fait les partisans de l’appartenance à l’Eglise orthodoxe serbe, ceux qui se réclament de l’identité nationale et politique serbe.

«Schismatique».

Les initiateurs de la pétition ont déjà recueilli les 6 000 signatures nécessaires à l’examen de la question par les députés. Milo Djukanovic, qui a dirigé le pays pendant vingt-cinq ans et est le favori de la présidentielle de ce dimanche, a permis à l’Eglise monténégrine d’obtenir un statut juridique de personne morale en 2002. Mais rien n’est gagné.

En 1967, l’Eglise macédonienne a proclamé son indépendance vis-à-vis de l’Eglise orthodoxe serbe, qui l’a en retour déclarée «schismatique». Cinquante ans plus tard, l’institution n’a toujours pas réussi à se faire reconnaître au sein du monde orthodoxe. Les Monténégrins, dont l’indépendantisme religieux orthodoxe est plus faible, risquent eux aussi de rester encore longtemps des parias.

Mersiha Nezic Envoyée spéciale à Podgorica
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