Commentaire sur la conférence du professeur Arjakovsky

Vladimir GOLOVANOW

V.G.

Cette intéressante conférence provoque déjà de nombreuses réactions et demande une analyse fouillée. J'en propose un commentaire des points principaux qui n'est pas exhaustif car cette conférence est très riche.

Une position minoritaire

Le professeur Arjakovsky est un grand connaisseur de "l’école de Paris", spécialiste en particulier de sophiologie et du mouvement œcuménique. Dans cette conférence il représentante bien cette tendance très "parisienne" dont je qualifie le projet d'Eglise locale de rêve (1). Ce courant est probablement majoritaire à Daru, en tout cas dans les instances dirigeantes, mais ses représentants ne sont pas conscients qu'ils ne représentent qu'une toute petite minorité dans l'ensemble de la diaspora orthodoxe: "les autres Églises n'acceptaient même pas l'idée du passage de leurs "diasporas" dans la juridiction du patriarche grecque" écrivait le P. Jean Meyendorff à propos de la fondation de l'OCA (2) et cela s'applique parfaitement à la majeure partie de la diaspora encore aujourd'hui. Le professeur Arjakovsky semble vouloir faire croire qu’il parle au nom de toute la diaspora

Un point d'achoppement

Il insiste sur la distinction de l'organisation ecclésiologique entre "modèle territorial", découlant du lien avec l'Eglise mère, et modèle "parisien" (3), centré sur l'évêque. Je pense en fait qu’il s’agit plutôt d’un malentendu : contrairement au français, où le mot "locale" désigne les deux concepts, la langue russe distingue clairement (4) la communauté épiscopale d'une ville autour de son évêque (местная церковь) et un groupe ecclésial de plusieurs communautés épiscopales autour d'un synode et d'un primat (ПОместная церковь) (5). Mais une fois cette question linguistique résolue, tout le monde semble d'accord sur les différents niveaux d'organisation de l'Eglise.

Par contre il y a une différence fondamentale d'interprétation des canons concernant la diaspora qui n’est pas abordée dans la conférence: Constantinople défend le principe de la soumission de toutes les diasporas au siège œcuménique alors que Moscou, soutenu par les autres grandes Eglises, entend que chaque diaspora garde des liens avec son Eglise-mère (6). Je suis, tout comme Marie (ibid. commentaire 34), heureux que le professeur Arjakovsky confirme les bonnes relations entre les patriarches de Moscou et de Constantinople et j'espère que cela permettra de surmonter cette difficulté qui est l'un des points d'achoppement de la préparation du concile.

L'icône de la Trinité

En fait le professeur Arjakovsky semble oublier cette composante essentielle de l’Orthodoxie que sont les Eglises locales. Marie le souligne (ibid. commentaire 32) en se plaçant sur un plan culturel et en introduisant de façon originale la problématique très actuelle de la mondialisation. Mais la question va bien au-delà puisque qu'il s'agit d'un point théologique fonda,ental: les Eglises locales, par leur "unité dans la diversité", participent à la voie du Salut. En effet, contrairement aux Catholiques ou Protestants, nos Eglises locales ne sont pas de simples divisions administratives; elles ont leur charisme propre et forment une "icône de la Trinité" dans l’Eglise comme l’écrit Mgr Kallistos de Diokleia (7). C'est par l'intermédiaire de son Primat que chaque évêque communie à l'ensemble de l'Eglise, et chaque croyant participe ainsi à la communion de toute l'Eglise qui constitue le Corps du Christ; c'est fondamentalement différent du principe romain où les évêques sont tous en lien direct avec le Pape et, en insistant outre mesure sur le rôle de l'évêque au cœur de la "petite Eglise locale" (местная церковь) comme si le lien avec le Primat et la participation à la "grande Eglise locale" (ПОместная церковь) n'existaient pas, les représentants de cette approche tombent en fait dans une vision très "romaine" de l'Eglise.
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(1) ICI
(2) P. Jean Meyendorff; nécrologie du p. Alexandre Schmemann annexée à l'édition russe du Journal, après une 1ère publication ds St Vladimir's Theological Quarterly, 28, 1984, pp 3-10. Traduit du russe par V. Golovanow

(3) Je l'appelle ainsi parce qu'il me semble avoir d'abord été développé à Saint Serge, par des théologiens comme les pères Meyendorff et Schmemann, puis repris par les théologiens de Constantinople comme Mgr Jean de Pergame "l’ecclésiologue attitré du Patriarcat de Constantinople". Cf.
(4) Il semblerait qu'en grec l'appellation "topike ekklesia" induise la même confusion qu'en français. C'est du moins ce qui ressort des écrits de Mgr Jean de Pergame (ibid.)
(5) ICI/Cf.
(6) Cf. Sur le sujet la lettre du patriarche Alexis II du 18 mars 2002
(7) cf. Mgr Kallistos Ware, évêque de Diokleia, "L'Orthodoxie. L'Eglise des sept Conciles", Cerf Paris 2002, p. 311


Commentaires (5)
1. Marie Genko le 04/01/2013 13:57
Cher Vladimir,

Merci pour votre réflexion!
C'est vrai que les nuances de la langue russe ne sont pas prises en compte !
Mais tant d'autres aspects ne sont pas pris en compte par Antoine Arjakovsky et tous ceux qui soutiennent cette nouvelle hérésie du papisme orthodoxe...
Quelle tristesse!
2. Gueorguy le 04/01/2013 14:56
Il n'est pas inutile de rappeler le texte de Séraphin Rehbinder consacré à la primauté dans l'Eglise, fourni sur le lien ci-dessous.
3. Marie Genko le 04/01/2013 22:36
Ne nous trompons pas, écoutons les véritables pasteurs!

Sur Orthodoxie.com le Père Jivko Panev a réalisé l'interview de Sa Sainteté le Patriarche Elie de Géorgie.
Admirable interview qui explique à ceux qui ne l'ont pas encore compris combien l'Eglise mère se préoccupe de ses enfants en diaspora afin qu'il ne perdent pas la foi de leurs Pères!

Non moins intéressante et riche est la communication de Mgr Amphiloque Radovic, qui nous rapelle que le monde a été créé pour devenir Eglise et que l'Eglise est pour le monde le levain de l'Eternité!

Comment ne comprenons-bous pas encore que chacun d'entre nous doit oeuvrer à la construction de cette Eglise, dans l'amour et la paix!

Un immense Merci au Père Jivko Panev d'avoir mis en ligne et le discours du Mgr Hilarion de Volokolamsk et ces magnifiques interviews!

4. Irénée le 05/01/2013 19:16
Chers amis,
Je crains que vous ne surestimiez l'importance de ce que dit Antoine Arjakovsky.

Il me semble bien excessif d'en faire un "grand connaisseur de "l’école de Paris", ni un "spécialiste de l'oecuménisme". Je respecte tout à fait ses positions, même si je ne les partage pas ! mais il ne me semble pas représentatif d'autre chose que de lui-même, et peut-être d'un petit courant de pensée très minoritaire dans l'Eglise orthodoxe, même à Paris !
5. Antoine Arjakovsky, un historien orthodoxe aux Bernardins le 16/12/2013 12:12
À cheval entre ses racines slaves et son attachement à la France, cet historien passionné d’œcuménisme plaide pour davantage de dialogue entre l’Europe et la Russie, entre les Églises d’Orient et d’Occident....SUITE "La CROIX"
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