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Interview de Nikita Krivochéine au site consacré aux élections du patriarche de Moscou



Interview de Nikita Krivochéine au site consacré aux élections du patriarche de Moscou
Nikita Krivochéine, membre du conseil diocésain de l'Église orthodoxe russe en France et un des fondateurs du Mouvement pour l'orthodoxie locale de tradition russe (OLTR), a été interrogé par le site « Patriarh 2009 », consacré au prochain concile local et aux élections du patriarche de Moscou. Ci-dessous la traduction française de cette interview fournie par l'auteur.

Quelles seront, selon vous, les principales tâches que devra se fixer le prochain patriarche de Moscou et de toute la Russie ? Quelles sont les qualités qui lui seront indispensables pour réaliser les objectifs qui sont ceux de l'Église ?

N.K. : Cela risque de paraître paradoxal, mais les tâches du nouveau primat de l'Église orthodoxe russe seront, et ceci en fonction de nombreux facteurs, plus complexes et ardues que celles qu'a si brillamment réalisées le défunt Alexis II.

L'Église des années quatre-vingt dix fait penser à un malade en début de convalescence se relevant d'une opération très lourde, d'une longue et profonde anesthésie. La période de réhabilitation, de reconstitution des forces et des moyens, spirituels pour commencer, requérait amour éclairé et énergie. Le défunt patriarche disposait sans conteste de ces qualités. La preuve en est qu'il nous laisse une Église en plein épanouissement spirituel, structurel et intellectuel. Une Église ayant su reconstituer à partir de zéro le prestige dont elle bénéficie aux yeux du monde. Lors des putschs communistes ratés de 1991 et de 1993, l'Église conduite par Alexis II a contribué à l'échec de ceux qui, encore la veille, étaient ses bourreaux. Une autre réaction à ces menaces était-elle concevable ?

C'est peu avant son rappel à Dieu que Sa Sainteté a consacré par sa signature le rapprochement entre les deux branches de l'Église Russe, aboutissement logique de la chute du régime déicide.

Aux yeux du monde chrétien non orthodoxe, de Rome ainsi que de l'ensemble des formations protestantes, le siège patriarcal de Moscou a su conquérir le respect, devenir un interlocuteur et un partenaire de choix dans la résistance que la chrétienté doit opposer à la sécularisation, à l'offensive d'un agnosticisme agressif. Ce statut privilégié a été conquis sans qu'ait été acceptée la moindre concession dans le domaine de la foi, sans qu'aient été appauvrie la Tradition, sans qu'il y ait eu d'écarts par rapport aux canons. Seuls les tenants les plus zélés de la stagnation généralisée se hasardent à reprocher à l'Église des dernières décennies de s'être écartée de l'orthodoxie et de la Tradition.

Le successeur d'Alexis II ne saurait, cependant, se contenter de maintenir le cap fixé par le défunt patriarche.

Il est osé pour un parisien d'essayer de formuler les priorités qui devraient inspirer le futur primat de l'orthodoxie russe. Deux orientations viennent en premier à l'esprit. D'abord, même si cela peut paraître surprenant, la mission. Non parmi les Inuits ou la population du Maghreb, mais chez les habitants des HLM dans toute la Fédération de Russie, les pensionnaires des camps de rééducation par le travail et des prisons, dans les écoles, les centres de recherche, parmi les jeunes habitués des sorties en boîte… Mission également dans le monde de la presse : hier encore la télévision a eu l'impudence de solliciter ses spectateurs à choisir leur préféré entre Lénine et Stolypine ! Les médias servent pour pâture à leur public le brouet le plus insipide.

Il faudra trouver les approches, le langage, les images auxquels seraient réceptives les masses qui empruntent les lignes des métros dans les grandes agglomérations. L'évidence est que l'écrasante majorité des passagers n'ont que la représentation la plus confuse du Créateur, ils se contentent d'un vague souvenir du goût qu'ont les mets traditionnels de Pâques. Établir le contact est l'une des futures priorités essentielles de l'Église de demain. Il convient de faire reculer l'indifférence à l'égard du concept même de religion. Cette désaffection est malheureusement l'une des réussites les plus durables des bolcheviks. Réussite, hélas, d'autant plus marquée dans les milieux de l'intelligentsia.

Approfondir l'interaction créatrice avec l'Église catholique, telle sera l'une des tâches de l'Église russe dans ses rapports avec le monde extérieur. Il reste également beaucoup de « points chauds » dans les relations interorthodoxes : la situation en Estonie est difficilement acceptable, le patriarcat de Moscou y a été lésé d'une partie considérable de son patrimoine au profit des structures ecclésiales du patriarcat de Constantinople qui bénéficie du soutien du gouvernement de Tallin. La scission s'est installée en Ukraine. La visite de Sa Sainteté Alexis II en Ukraine, l'été dernier, s'est déroulée dans une ambiance de brutalité et de discourtoisie telles que cela n'a pas contribué à prolonger les jours sur terre du patriarche russe. Une normalisation des relations avec Constantinople s'impose : le patriarcat de Constantinople, revenant à ses prérogatives premières et renonçant à ses projets d'appropriation de tout ce qui, à la suite des révolutions et des guerres, donne l'impression d'être en déshérence dans le monde orthodoxe.

En Europe occidentale il incombera, ceci à la lumière de la Lettre du patriarche Alexis II en date du 1 avril 2003 et de l'Acte d'union avec l'Église russe hors-frontières de trouver des structures ecclésiales qui permettraient de mettre fin à l'aliénation artificielle et arbitraire des émigrés « traditionnels » ainsi des migrants récents des pays de la C.E.I. par rapport à l'Église Mère, aliénation imposée par un groupe peu nombreux et en aucun cas représentatif. Les fidèles qui suivent ce groupe sont dupés, poussés vers le "rénovationnisme" qu'il s'agisse de la doctrine ou des offices. C'est à essayer de surmonter ces divisions que s'applique le Mouvement pour l'orthodoxie locale de tradition russe (OLTR). Les orthodoxes résidant au Royaume-Uni se sont divisés en vertu de critères linguistiques, cette scission, elle aussi, porte le cachet de Constantinople.

Le nouveau patriarche réussira-t-il, de concert avec l'Église russe hors-frontières, à faire revenir dans le troupeau ecclésial les nombreux îlots « vytalistes » de diverses obédiences qui refusent l'union, disséminés un peu partout de par le monde, essentiellement en Amérique latine, voire en Russie même ?

Restent les modalités du travail à effectuer en commun avec les nouvelles autorités laïques de la Fédération. Les relations Église-État peuvent paraître idéales. Elles se fondent sur « La doctrine sociale », document qui expose les fondements de l'émancipation de l'Église par rapport aux pouvoirs publics (« Fondements de la doctrine sociale », CERF-Istina, 2007). Cependant, la restitution des biens confisqués à l'Église n'a pas encore été menée à terme. Le problème de l'enseignement des fondements de la culture orthodoxe dans les écoles n'a pas jusqu'à présent trouvé de solution satisfaisante, l'institut des aumôniers dans les régiments n'existe pas, les détenus des prisons et des camps sont privés du secours de leurs religions (la présence des serviteurs du culte dans les instituions pénitentiaires reste aléatoire). Tout ce qui vient d'être répertorié n'a absolument rien à voir avec « la cléricalisation de la société » qui fait pousser des cris d'orfraie à l'académicien Guinzburg et ses amis libres penseurs.

J'espère avoir réussi à répondre à la première question de sorte à ce qu'il ne soit plus nécessaire de répondre à celles qui suivent.

Chaque séance du concile commencera par le chant de la prière à l'Esprit Saint… Que le concile soit donc guidé dans le choix qu'il fera du successeur du défunt Alexis II de sorte que l'orthodoxie se trouve renforcée dans sa foi et dans son œuvre de salut.

L'auteur a tenu à préciser que ses propos sont personnels.

Vendredi 9 Janvier 2009