Archimandrite Savva (Toutounov): «La paroisse, ce n’est pas le bâtiment, ce sont les gens»
Traduction Élisabeth Toutounov

Que peut faire un prêtre pour transformer sa paroisse en une véritable communauté ? Il est important de bien choisir ses adjoints, de soutenir les initiatives prises par les paroissiens. Il est primordial d’y participer soi-même. C’est ce que nous dit l’archimandrite Savva (Toutounov), Responsable adjoint des affaires internes du Patriarcat de Moscou, et recteur depuis un an et demi de l’église du Prophète Élie à Tcherkizovo (1)

- L’Eglise du Prophète Élie est votre première paroisse en tant que recteur, n’est-ce pas ? Quelles orientations prend votre travail au sein de la paroisse ?

Effectivement, c’est ma première paroisse en tant que recteur. Pour moi, il était très important de faire de la paroisse une communauté. Le mot communauté a la même racine que le mot communiquer : je voudrais que la paroisse fonctionne de telle façon que les gens puissent communiquer entre eux, qu’il y ait une vie autour de l’église.
J’avais déjà une certaine idée de la façon dont sont organisées les communautés à l’étranger, souvenir de mon enfance (j’ai grandi en France), mais les paroisses à l’étranger sont différentes, en règle générale elles sont bien plus petites.

Aussi, quand le 30 décembre 2011 j’ai été affecté en tant que recteur à la paroisse Saint-Élie, j’ai décidé de fonder mon travail, même si cela peut paraître étrange à ceux qui passent leur temps à critiquer tout ce qui est officiel, sur les documents approuvés par la hiérarchie ecclésiale concernant le travail avec la jeunesse, la catéchisation et le travail social.

Archimandrite Savva (Toutounov): «La paroisse, ce n’est pas le bâtiment, ce sont les gens»
Mon opinion est, qu’avant même de chercher à faire évoluer la vie d’une paroisse, il est de première importance de bien choisir ses adjoints. Une fois trouvés les collaborateurs à chaque poste, le travail a immédiatement porté ses fruits.

Ainsi, grâce à l’action de la personne en charge de l’aide sociale, nous avons pu apporter notre aide aux paroissiens démunis, en leur fournissant des médicaments, des vêtements et de l’équipement ménager. Des volontaires se sont manifestés, qui amènent à l’église les personnes âgées ayant du mal à se déplacer seules. Notre collaboratrice reçoit toutes les personnes qui demandent de l’aide à notre paroisse. Dans le même temps la prudence est de mise quand il s’agit de dépenser l’argent de l’église. Il n’est pas rare de refuser notre aide, lorsque que la demande provient de personnes malhonnêtes et malintentionnées. Nous patronnons également plusieurs organismes d’aide sociale. C’est une de mes collaboratrices, une paroissienne active, qui gère toute l’activité sociale de notre paroisse. Elle a réussi à rassembler autour d’elle d’autres paroissiens bénévoles. Nous en comptons une dizaine, de tous âges et de toutes origines sociales.

Je constate aujourd’hui que notre groupe de jeunes a pris une ampleur significative, ce qui en grande partie est l’œuvre de ma collaboratrice chargée de la jeunesse. À l’époque de mon prédécesseur, l’actuel évêque Alexandre de Briansk, il y avait déjà un chœur de jeunes qui chante à toutes les premières liturgies le dimanche et lors des douze grandes fêtes. Ils viennent à l’église 4 à 5 fois par semaine, ce sont en quelque sorte des « militants de base ». Petit à petit le chœur a grandi, et ses membres ont décidé d’étendre leurs activités. Ainsi, à Noël, les jeunes ont décidé de rassembler des cadeaux pour les personnes âgées de notre paroisse. Chacun d’entre eux a acheté, selon ses désirs, de la nourriture, des objets de toilette, et a préparé des paquets. Puis, tous ensemble, ils ont apporté ces cadeaux à ceux qui n’avaient pas pu venir à l’église. Quant à ceux qui y sont venus, les jeunes leur ont donné leur cadeau sur place, puis ont organisé un thé pour tous.

Autre exemple : en juin un groupe a pris l’initiative de proposer aux paroissiens de nettoyer les rives de l’ancien étang de l’Archevêque. Une vingtaine de personnes sont venues, dont pas moins de la moitié était des jeunes du « Flambeau de Saint Élie », tel est le nom que porte notre association de jeunes.

Même tableau en ce qui concerne l’éducation. En septembre de l’année dernière, nous avons démarré un programme de catéchisation systématique des catéchumènes ; nous craignions d’abord de voir le nombre de postulants au baptême décroître. Finalement, même si nous avons observé une certaine diminution, la situation s’est finalement normalisée. Actuellement entre 20 et 30 personnes viennent aux réunions organisées par notre catéchète paroissial. Les gens sont contents : ils découvrent que l’on peut apprendre quelque chose d’intéressant à l’église, que l’on peut agir en toute conscience, et non pas simplement « venir au baptême ».

Nous tous – le conseil paroissial aussi bien que mes adjoints – nous faisons tout pour que la paroisse soit active. Si nous y arrivons, c’est entre autres parce que le recteur est mis partout à contribution. Non pas que j’organise tout, mais que je participe à presque tout. Par exemple, au cours des six premiers mois de ma présence dans la paroisse, certains de nos paroissiens ont pris part à une excursion dans Moscou appelée « le Moscou des marchands ». Ce fut une promenade pédestre de trois heures, durant laquelle notre guide nous a parlé de la vie des marchands. J’y suis allé avec eux. À l’époque, nous ne nous connaissions pas trop, alors en nous promenant dans Moscou, nous apprenions en même temps à nous connaître. Beaucoup s’étonnaient : Père, vous marchez à pied ? (rire). Plus tard, nous sommes allés ensemble au festival de la reconstruction historique à Kolomenskoïé. En soi c’est bénéfique : les gens voient que le prêtre est avec eux, qu’il n’a pas juste organisé quelque chose pour ensuite s’en détacher.

Archimandrite Savva (Toutounov): «La paroisse, ce n’est pas le bâtiment, ce sont les gens»
Il n’y a pas longtemps, le 7 juillet, la veille de la fête des saints Pierre et Feuronie, nous avons organisé une fête consacrée à la famille, qui s’est déroulée aux abords de l’étang de l’Archevêque à Tcherkizovo. Je n’ai pas de famille, mais je suis venu, j’ai parlé avec les paroissiens, les adultes, les plus jeunes, j’ai joué au badminton avec une de nos petites paroissiennes, au foot avec d’autres enfants. Nous avons passé un moment très joyeux. Ensemble.

Petit à petit les jeunes gens autour de nous ont remarqué que l’église n’était pas fréquentée seulement par des ermites renfermés sur eux-mêmes et priant sur leur chapelet, ni par des moines, mais par des personnes de leur âge tout à fait ordinaires. Ils ont amené des amis, des camarades de classe. Notre nouveau chœur de droite, formé de plusieurs jeunes gens très actifs, a aussi apporté sa part de dynamisme, en se joignant au groupe de « jeunes ». Tout récemment il y a eu une excursion nocturne à vélo à travers Moscou. Pour le coup, je n’y ai pas participé (sourire). Cette excursion a réuni ceux qui sont dans l’Église depuis longtemps et ceux qui n’en sont qu’à leurs premiers pas. C’est un processus naturel : si la vie avance, elle entraîne avec elle la vie.

Désormais, nous organisons un thé après chaque office. Ce n’est pas nous qui l’avons inventé, ce genre de tradition existe déjà à l’église de la Sainte-Trinité à Khorochëvo chez Monseigneur Marc (2) : cela fait des années qu’après chaque office il installe un samovar et offre le thé. C’est une magnifique tradition, qui apporte beaucoup de joie et nous donne l’occasion d’être un tout. La paroisse, ce n’est pas l’église, ce sont les gens. Les thés, ainsi que toutes les autres activités qui entourent les offices, nous permettent à tous de nous découvrir, de sentir que nous ne sommes pas seuls, que quelqu’un d’autre a besoin de nous. S’il n’y avait pas tout cela, il n’y aurait pas de paroisse, mais juste un rassemblement de personnes se connaissant à peine.

Mais bien sûr, le plus important, ce sont les offices. Je n’ai pas encore vraiment regardé les statistiques, mais le nombre de communiants a augmenté. C’est le but même de ma « politique » : j’en parle souvent durant mes homélies ; et lorsque je confesse, j’invite les personnes à communier régulièrement. C’est le fondement de la vie de toute paroisse.

Au moment où le prêtre lit la prière avant la Communion, nous montrons désormais une pancarte avec les paroles de celle-ci (c’est aussi quelque chose que j’ai repris d’une autre paroisse). Avant, 3-4 personnes prononçaient les premiers mots de la prière, puis se taisaient : soit qu’ils ne se rappelaient plus les paroles, soit qu’ils se sentaient gênés. Maintenant, beaucoup disent la prière ensemble. C’est très important, les personnes comprennent qu’elles se préparent toutes ensemble à communier.

Nous avons une autre activité très importante : informer. Nous avons transformé notre site, nous publions un journal, nous avons désormais un catéchète-missionnaire qui suspend toutes les semaines à son stand une homélie de Sa Sainteté, ou bien un extrait des œuvre de Théophane le Reclus ; par exemple, le jour de la fête des saints Pierre et Paul, nous avons préparé une documentation sur les apôtres. Notre objectif maintenant est de paraître dans les journaux de l’arrondissement. Parce qu’une paroisse, ce ne sont pas uniquement ceux qui viennent à l’église, mais aussi ceux qui vivent alentour, et dont il faut atteindre le cœur.

Archimandrite Savva (Toutounov): «La paroisse, ce n’est pas le bâtiment, ce sont les gens»
- Au début, il vous a bien fallu prendre vous-même des initiatives, pour organiser ou faire quelque chose. Mais maintenant ?

Oui, bien sûr, au début les initiatives venaient de moi ou des collègues que j’ai amenés avec moi de la Direction des Affaires Internes du Patriarcat de Moscou et qui, outre le fait qu’ils sont mes collègues, sont aussi mes amis. Mais désormais c’est différent. Pour reprendre l’exemple de la fête de la famille organisée le 7 juillet : c’est une de nos paroissiennes, une des plus actives parmi le groupe de jeunes, qui en a eu l’idée, et c’est ce groupe qui a entièrement pris en charge toute la réalisation. Nous n’avons fait que donner un peu d’argent pour la nourriture et les raquettes de badminton. Ma seule contribution a été de proposer que cette kermesse coïncide avec le Jour de la famille et de la fidélité.
Voici une autre initiative prise par nos paroissiens : la consultation paroissiale. Une de nos jeunes femmes, Irène, a trouvé, au département de l’éducation religieuse et de la catéchisation, une brochure qui parlait de la consultation paroissiale. Cela lui a plu, elle est venue me voir et m’a dit : organisons cela chez nous. Et nous avons fait un essai. La première tentative a eu lieu à Pâques : nous avons installé à l’entrée de l’église une table avec un écriteau, les organisateurs ont épinglé un badge, et ont répondu aux questions des gens. Maintenant, elles « recrutent » petit à petit d’autres paroissiens. Tout cela est totalement bénévole, notre seule participation est d’imprimer des brochures. Si l’église avait dû faire cela par elle-même, nos finances n’auraient jamais résisté ne serait-ce qu’aux besoins en salaires. Et la santé du prêtre n’y aurait pas résisté non plus (sourire).

Il ne faut pas croire que nous soyons une paroisse tellement progressiste – d’autres églises font aussi beaucoup de choses. Peut-être nous distinguons-nous des autres, parce que nous en informons les gens : nous essayons de renouveler notre site, etc. Je trouve que c’est important de montrer ce qu’est la vie d’une paroisse. Dans le même ordre d’idée, mais cette fois-ci via la Direction des affaires internes, nous avons créé le site Prichod.ru qui est consacré à la vie des paroisses. Nous voulons montrer que la vie de l’Église – ce ne sont pas seulement les offices solennels (dont on trouve généralement mention sur les sites des paroisses), mais une vie quotidienne active, et que cette vie est très intéressante.

- Les gens ont souvent envie de faire des propositions, d’apporter leur aide, mais on a l’impression qu’ils attendent quelque chose…

Parfois les gens n’osent pas, tout simplement. Il est donc important que le recteur dise : prenez des initiatives, faites. Dans notre paroisse il n’y a pas de raison de ne pas oser. Je voudrais citer un autre prêtre, dont j’ai entendu parler par une de mes paroissiennes. Quand il a été nommé dans sa paroisse actuelle (assez récemment), il a dit : mes amis, la paroisse – c’est votre maison, parlez-moi de vos initiatives, je ne peux que les saluer. Agissez !

- Vous est-il arrivé de ne pas bénir telle ou telle initiative ?

Je peux dire : non, c’est une idée absurde, ou bien : cela ne marchera pas, ou bien : il est trop tôt. Je me souviens qu’une de nos paroissiennes avait proposé, pour la fête du Prophète Élie, d’organiser un spectacle pyrotechnique, une sorte de fire show (3) . J’ai refusé, d’autant plus que le bâtiment de la résidence métropolitaine, où nous organisons notre fête paroissiale, est en bois, et qu’il a déjà brûlé deux fois. Nous pouvons être limités soit par la législation, soit parce que la proposition entraînerait de trop grandes dépenses, soit parce que vraiment l’idée est par trop saugrenue : alors je peux dire « non ». Mais en en principe, plus il y a d’initiatives, mieux c’est.

- Quelle place occupe pour vous l’activité missionnaire auprès de personnes étrangères à l’Église, par exemple auprès de celles qui viennent à l’église une fois par an à Pâques pour faire bénir les koulitchs ? Est-ce la peine, par exemple, de leur distribuer des tracts, ou bien vaut-il mieux ne pas s’imposer ?


Nous le faisons. Ils sont venus dans la maison de Dieu, ils doivent donc en comprendre la raison. C’est pourquoi nous distribuons systématiquement des tracts à Pâques, à la Théophanie. A mon sens, ce n’est pas une activité missionnaire agressive. Ou bien, par exemple, le Jour de la famille et de la fidélité, nous avons imprimé des tracts contenant une brève explication du mariage chrétien, quelques conseils de saint Païssy de la Sainte Montagne et l’ « hymne à l’amour » de l’apôtre Paul (4) . Les jeunes filles en charge de la catéchisation ont distribué ces tracts à l’entrée du métro. Pourquoi pas ?

- Vous avez passé votre enfance en France. Comment y est organisée la vie paroissiale ? Y a-t-il des éléments qu’il serait bon de transplanter sur le sol russe ?

Je peux parler des paroisses à l’étranger, telles qu’elles étaient lorsque j’étais jeune, et que je vivais là-bas, c’est-à-dire il y a maintenant plus de 15 ans. Il est important de comprendre que durant ces 15 années la structure des paroisses s’est profondément modifiée : beaucoup de gens sont arrivés d’Europe Orientale, de Russie, d’Ukraine, de Moldavie, et ils ont fortement transformé la structure des paroisses. En conséquence, il a aussi fallu changer la façon d’aborder ces personnes. C’est ce qu’a m’a raconté tout récemment le père Alexandre Lebedev des États-Unis.

Dans mon enfance, tout était fondé sur le fait que tout le monde se connaissait. Ces mêmes thés après l’office, sont une forme de relation très répandue à l’étranger. Dans la grande majorité des églises à l’étranger, les gens se réunissent après la Liturgie pour parler, parce que c’est l’occasion pour eux de rencontrer des coreligionnaires ou même simplement des membres de leur famille. Chez nous, pour l’instant, les gens ne se connaissent pas, moi-même je ne connais pas encore le nom de beaucoup de mes paroissiens. Mais petit à petit nous y arriverons.

Archimandrite Savva (Toutounov): «La paroisse, ce n’est pas le bâtiment, ce sont les gens»
Notes

1 ) Quartier à l’Est de Moscou (NdT).
2) L’archevêque Marc (Golovkov) de Yegorievsk (NdR).
3) En anglais dans le texte (NdT).
4) Épitre de saint Paul aux Corinthiens, chapitre 13, versets 1 à 8 (NdT)

(Interview publiée sur le site de « Neskoutchny Sad » le 31/07/2013.
Original en russe
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Un nouveau livre de l’higoumène Sabba (Toutounov) : « Les réformes diocésaines »

Une interview de l'archimandrite Sabba (Toutounov) à l'hebdomadaire "Expert"


Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 20 Décembre 2014 à 20:00 | 3 commentaires | Permalien



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