V.G.
L'adoption de la dernière résolution du Conseil de l’ONU aux droits de l’homme ne fait pas les grands titres et pour cause: ce vote a vu la majorité des états, réunis autour d'une proposition élaborée avec l'Eglise orthodoxe russe, imposer une position en faveur des valeurs traditionnelles contre l'opposition des occidentaux, minoritaires mais soutenus par la Pensée Unique qui contrôle le "main stream" des médias. Les voila donc qui font silence. Mais pour ma part je pense intéressant d'aller plus loin et de mieux comprendre la position de l'Eglise russe dans ce domaine, puisqu'elle commence ainsi à faire sentir son influence largement au delà des frontières de la Russie et même de l'Orthodoxie. Pourtant cette position, soigneusement élaborée depuis la fin des années 1990, reste plutôt mal connue.

Une analyse magistrale en avait été proposée en 2009 dans une publication peu diffusée de notre compatriote, le professeur grenoblois Alexandre Bourmeyster (*).

Partant des "Fondements de l’enseignement de l’Église orthodoxe russe[1]", adoptés en 2008, et des textes du métropolite de Smolensk Cyrille (devenu le patriarche Cyrille I) qui ont précédé, Alexandre Bourmeyster analyse la position de l'EOR sur les droits et libertés de l'homme, le rôle de l'Eglise et de l'état, le libéralisme moral les questions d'éthique, etc. Il donne une vision très claire et précise de chacun des sujets en citant de larges extraits de textes de Mgr Cyrile et des "Fondements". Il le fait avec une grande connaissance de l'Eglise russe et de ses positions de principe. On note toutefois à la fin une digression qui me parait inutile: s'éloignant du sujet des droits humains, le professeur Bourmeyster entreprend de critiquer les relations spécifiques entre l'Eglise et le pouvoir soviétique, et il reprend là l'argument du "sergianisme", que l'Eglise Hors Frontière avait largement développé pour attaquer le patriarcat au siècle dernier et qu'elle semble avoir mis de côté après la réunification de 2007.

Malgré cette digression le texte dans son ensemble présente un très grand intérêt pour qui veut connaitre et comprendre l'action de l'EOR; j'en propose, en "bonnes feuilles", l'introduction et la conclusion.

Introduction de la publication du professeur Alexandre BOURMEYSTER

Le pape Jean-Paul II, au cours de ses déplacements et dans son activité doctrinale, aspirait à renforcer les valeurs traditionnelles de l’Église catholique dans le monde moderne. Dans sa confrontation avec le communisme, il n’avait pas hésité à brandir les « droits de l’homme », une notion hérétique encore peu auparavant, et avait rassemblé autour de lui l’intelligentsia laïque polonaise. Dans un contexte, certes, très différent, le métropolite Cyrille de Smolensk et Kaliningrad, promu depuis patriarche de Moscou, avait entrepris une ouverture semblable dans ses fonctions de président du département des Relations extérieures du patriarcat de Moscou. Il a développé les contacts médiatiques avec la population en Russie, en particulier avec la jeunesse ; à l’étranger, en dehors des canaux œcuméniques de jadis, il a multiplié les interviews, les conférences, traitant notamment des droits de l’homme et de la responsabilité éthique ; il a manifesté en outre le souci de rassembler la diaspora russe et, plus généralement, les orthodoxes en Occident autour du patriarcat de Moscou. Il y a partiellement réussi par la réunification avec l’Église orthodoxe russe hors des frontières.

Le métropolite Cyrille a joué incontestablement un rôle moteur dans l’effort d’insertion de l’Église orthodoxe dans le monde moderne, sans pour cela céder sur des questions doctrinales, comme l’ecclésiologie institutionnelle. À le lire et à l’entendre, on se demande parfois, si dans ses plaidoyers, il est question des droits de l’homme ou des droits de l’Église. Bien entendu, il est loisible de présupposer que ce sont les mêmes. Pour échapper à un exposé académique et ennuyeux où seraient confrontés des préceptes spirituels, des règles canoniques, à des principes laïcs, séculiers, je me propose de m’interroger sur l’identité de l’antagoniste auquel l’Église orthodoxe oppose ses valeurs traditionnelles :

Les" Fondements de l’enseignement de l’Église orthodoxe russe"[1] est le document qui pose ouvertement la question des droits de l’homme en relation avec l’enseignement orthodoxe. Il a été adopté au concile des évêques en 2008. Accessible par Internet, il est destiné aux séminaires du patriarcat et aux paroisses, en vue d’une coordination dans la réflexion et dans l’action des frères orthodoxes. En préambule, il constate que la promotion des droits de l’homme peut servir au développement de la personne et de la société, mais qu’en pratique, la référence à ces droits entraîne parfois des divergences avec l’enseignement chrétien. Les chrétiens se trouvent alors contraints par les structures politiques et sociales à penser et agir contrairement aux préceptes divins, au détriment de leur Salut. Le document se propose de rappeler les thèses essentielles de l’enseignement chrétien et de les confronter avec la théorie des droits de l’homme.

Suite ICI

Conclusion de la publication du professeur Alexandre BOURMEYSTER

Au XIXe siècle, l’EOR n’était pas à l’écoute de ses « réformateurs », Kireïevski, Khomiakov, Soloviev et d’autres encore, dans leur opposition aux idéalistes et aux nihilistes. Quand l’athéisme militant des bolcheviks entreprit de l’anéantir, il ne lui resta plus que le choix entre le martyre, l’affirmation de sa foi et le pacte avec l’ennemi, le diable. Les pages sombres et opaques du sergianisme ont été occultées lors de la « réconciliation » entre le patriarcat et l’Église hors des frontières. Pour le métropolite Cyrille, la confrontation avec le communisme appartient au passé. L’Église a survécu au communisme, désormais elle est confrontée à un autre ennemi, autrement redoutable. Il est clairement désigné, c’est le libéralisme, et à travers lui, l’Église réformée. Au nom de la liberté, face au monopole de Rome, elle aurait joué le rôle du « cheval de Troie » en introduisant l’ennemi au sein de la chrétienté pour la détruire. L’Église catholique, elle, n’est qu’un « concurrent », parfois arrogant, sur des terres canoniques orthodoxes.

Compte tenu de l’ampleur des tâches qui lui sont dévolues, accabler une Église officielle, parce qu’elle est trop proche du pouvoir politique serait injuste et excessif. En réalité, elle est loin d’avoir reconquis la place qu’elle avait avant la révolution et elle le sait. La Sainte Russie est une utopie aussi inaccessible que l’Avenir radieux. L’EOR ne cessera de se heurter à l’incompréhension et à l’hostilité d’une partie de l’opinion tant qu’elle feindra d’ignorer que son véritable antagoniste, l’ennemi caché, c’est le Prince de ce Monde, le Grand Tentateur.

* * *
(*) Note du rédacteur: Alexandre (Sacha) Bourmeyster, fils d’émigrés russes né en 1930, est un éminent slaviste; professeur émérite de russe, il a dirigé le Centre d’Études Slaves Contemporaines (CESC) à l’Université de Grenoble. Il a rédigé de nombreux ouvrages et publications, en russe et en français, sur l’analyse du discours politique soviétique en Russie, l'histoire de la Russie au XXe siècle, la place de l'Eglise et de la religion en Russie… cf. ICI .
Note de l'auteur:

[1] Основы учения русской православной церкви о достоинстве, свободе и правах человека, Архирейский Собор Русской Православной Церкви, 2008, официальный сайт Московского Патриархата [Les Fondements de l’enseignement de l’Église orthodoxe russe au sujet de la dignité, de la liberté et des droits de l’homme, concile des évêques de l’Église orthodoxe russe, 2008, site officiel du patriarcat de Moscou]:ICI ; http://www.mospat.ru/fr/documents/dignity-freedom-rights/introduction/

Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 24 Octobre 2012 à 17:12 | 26 commentaires | Permalien



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