La Terre Sainte à Iassienievo ou une église pas ordinaire
Traduit par Laurence Guillon, Photos Vladimir Echtokine, texte Sergueï Khoudiev

J'ai choisi de traduire cet article pour deux raisons: d'abord je connais bien Iassiéniévo, où j'ai des amis, mais j'ignorais l'existence de cette église dans ce "quartier-dortoir' plein de gigantesques barres en béton. Et ensuite, il fait référence à quelque chose de très orthodoxe, à ce mystère de la transfiguration du temps et de l'espace que j'ai connu moi aussi un jeudi saint, à Moscou: j'étais vraiment à la fois au XX° siècle, à Moscou, et au pied de la Croix, il y a 2000 ans, à Jérusalem, et avec moi toutes les générations de croyants qui avaient prié ensemble à chaque semaine sainte, depuis l'évènement lui-même.

A la différence de beaucoup d’autres visions du monde, notre foi orthodoxe s’enracine profondément dans des évènements réels. L’Eglise confesse qu’en notre Seigneur Jésus Christ dieu s’est fait homme, en toutes choses conforme à nous, sauf le péché, et que cela s’est produit à un moment déterminé de l’histoire, dans un endroit déterminé.

C’est pourquoi la Terre Sainte, où notre Seigneur Jésus Christ s’est incarné, a enseigné, a été mis en croix et est ressuscité pour nous, est infiniment chère à chaque chrétien. C’est pourquoi le flot de pieux pèlerins de notre pays qui veulent voir de leurs yeux les endroits où s’accomplit l’œuvre salvatrice du Seigneur, parcourir les chemins qu’il a suivis, respirer le même air, contempler les mêmes horizons, ne tarit pas et ne fait même qu’augmenter.

La Terre Sainte à Iassienievo ou une église pas ordinaire
A notre époque, voyager est devenu plus facile, mais tout de même, tout le monde ne peut pas se le permettre. Mais des siècles auparavant, très peu de gens partaient pour Jérusalem. Cependant la Terre Sainte demeura toujours dans les cœurs des chrétiens orthodoxes ; c’est pourquoi, en Russie, est apparu l’usage de recréer les lieux saints dans les églises et les monastères. La Nouvelle Jérusalem, près d’Istra, est la plus colossale tentative de cette sorte, il s’agit du monastère stauropégiaque de la Résurrection et de la Nouvelle Jérusalem, fondé par le patriarche Nikon en 1656. Au moment de la construction, les lieux disposés sur les berges de la rivière Istra reçurent des noms bibliques : Bethléem, la Galilée, l’Eléona, le jardin de Gethsémani et le mont du Thabor. Même la rivière fut ici nommée le Jourdain. Dans l’église du monastère, on avait reconstitué la Kouvouklia, « la chambre royale » où le Seigneur fut enseveli et ressuscita.

La Kouvouklia (le tombeau du Seigneur) fut reconstituée aussi à Valaam, dans le célèbre ermitage de la Résurrection. C’est précisément là bas, à Valaam, que séjournèrent les enfants spirituels de l’higoumène Melchisédech (Artioukhine), le recteur de l’église en construction consacrée à la Protection de la Mère de Dieu. Ce sont eux qui ont donné l’idée au père Melchisédech de faire la même chose dans son église. Mais n’était-ce pas déplacée, quand juste au même moment on restaurait celle de la Nouvelle Jérusalem ? Le père Melchisédech adressa cette question à monseigneur Arsène, archevêque d’Istra. Monseigneur Arsène ne bénit pas seulement le projet, il ajouta de façon inattendue : « et aussi l’emplacement de la Nativité du Christ ! »

La Terre Sainte à Iassienievo ou une église pas ordinaire
Voici ce que raconte l’higoumène Melchisédech lui-même : « Tout a commencé à prendre forme bien avant que nous ayons décidé de réaliser cette idée, Le Seigneur s’en était occupé d’avance. Je vais vous donner un exemple concret. Quand je revins dans l’église et regardai où l’on pourrait aménager l’endroit de la Nativité du Christ, je me souvins que déjà quelques mois auparavant, le contremaître de nos travaux, le serviteur de Dieu Grigori, s’était approché de moi et m’avait proposé de faire sur le mur deux arches de briques, ce qui dans son esprit aurait souligné les voûtes de l’église. J’avais tout d’abord pensé que si l’on faisait des arches, il serait plus difficile de peindre des fresques. Mais j’avais quand même accepté. Et c’est seulement ensuite que je me suis souvenu qu’à Jérusalem, l’emplacement de la naissance du Christ se trouvait aussi sous une arche, ainsi d’ailleurs que celle du Golgotha. Quand nous envoyâmes notre architecte faire des relevés de la Kouvouklia, de l’emplacement de la Nativité du Christ, du Golgotha, nous découvrîmes une chose étonnante : l’arche au dessus de l’emplacement de la Nativité du Christ n’était que de dix centimètres plus large que dans notre église, et notre arche au dessus du Golgotha seulement de sept centimètres plus étroite que celle qui se trouve, à Jérusalem, au dessus de l’emplacement de la Crucifixion de notre Seigneur. Si nous avions commencé à le faire plus tôt, nous ne serions pas tombés sur la mesure avec une telle exactitude. Même quand nous faisons tout sur des plans prévus d’avance, nous arrivons toujours à une différence de 10, ou 15 centimètres… Nous avons tous senti qu’il s’agissait de quelque dessein providentiel particulier, les arches construites d’avance, monseigneur Arsène qui bénit l’emplacement de la Nativité…

Le projet fut bientôt béni par le très saint Patriarche Cyrille.

C’est ainsi que dans l’église de la Protection furent reconstitués les lieux saints les plus vénérés de Jérusalem et de Bethléem, l’étoile d’argent à quatorze rayons qui indique la place de la Nativité du Sauveur, le Golgotha, l’endroit ou le Seigneur Jésus subit la crucifixion pour nous, la Pierre de l’Onction, sur laquelle son corps fut oint d’huiles odorantes après la descente de Croix, le Tombeau du Seigneur, la Kouvouklia et le tombeau de la très sainte Mère de Dieu.


La Terre Sainte à Iassienievo ou une église pas ordinaire
Pourquoi est-il si important, étonnant et joyeux que ces lieux saints soient reconstitués ici, à Moscou ? Si fidèles que soient les copies, dira-t-on peut-être, et même si elles nous rappellent les emplacements réels de ces évènements, ce ne sont que des copies… Ce n’est pas tout à fait le cas. Au musée Pouchkine se trouvent beaucoup de copies d’oeuvres renommées, on ne peut pas dire que cela soit dépourvu de sens, une copie, si elle est fidèle à l’original, permet de s’en faire une juste représentation, mais l’Eglise n’est pas un musée.

Au sein de l’Eglise, nous ne nous contentons pas de rappeler tel ou tel évènement de l’histoire de notre salut, nous y assistons vraiment, ils deviennent des évènements de notre propre vie, qui nous changent en profondeur. Il est très important que dans les livres de prières se répète si souvent le mot « aujourd’hui ». L’Eglise surmonte le temps et l’espace, et nous qui nous rassemblons pour la prière, nous accueillons Celui qui est né à Bethléem, qui a enseigné, qui est venu à Jérusalem subir volontairement ses souffrances, nous nous trouvons dans la chambre avec le Christ et ses Apôtres, nous le voyons crucifié pour nos péchés, nous l’ensevelissons en même temps que Joseph d’Arimathie, et nous allons à sa rencontre, quand il se lève du tombeau, avec un allègre : « Christ est ressuscité » !

En nous prosternant ici, dans la Kouvouklia, nous nous trouvons spirituellement à Jérusalem ; la foi, la prière, et la pieuse adoration des choses saintes ne sont jamais des « copies », elles sont toujours des originaux. Et nous nous prosternons véritablement devant les lieux saints, ici, à Moscou, à Iassiénievo, dans l’église de la Protection de la très sainte Mère de Dieu.

Revue « Foma »
Святая Земля в Ясенево, или Очень необычный храм

La Terre Sainte à Iassienievo ou une église pas ordinaire

Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 2 Janvier 2013 à 15:06 | 1 commentaire | Permalien



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