La destinée du père André Sergueenko ( 1903 – 1973) – Un combat pour l'âme et la transformation de la Russie
Lioudmila Ulitskaya, écrivain
Traduction pour "PO" Hai Lin (Los Angeles)

Je vais vous raconter le bonheur qu’a vécu un petit cercle de personnes dont le nombre continue à se réduire d’année en année. Lorsque le Père André avait été passé “hors cadres”, il avait commencé à officier la sainte liturgie à domicile. Chez lui, il y avait un antimension, et nous assistions à la liturgie en secret. On avait presque le sentiment d’être revenus au christianisme des catacombes, comme lors des temps des premiers chrétiens. Nous nous rendions chez lui en petits groupes, toujours en secret.

Nous arrivions dans la ville d'Alexandrov (où vivait le Père André) dans le courant de la soirée. Chaque groupe empruntait des itinéraires différents pour se rendre chez lui. Nous faisions très attention afin de ne pas nous faire remarquer et aussi pour que le Père André ne soit pas appréhendé et inculpé d'officier à des liturgies à domicile.

La destinée du père André Sergueenko ( 1903 – 1973) – Un combat pour l'âme et la transformation de la Russie
Il n'avait pas violé les règles de l'église, parce qu'il disposait d’un antimension, mais néanmoins, les offices religieux à domicile étaient fortement déconseillés.

Nous assistions souvent aux offices ces années-là. Nous en avons tiré de grands bénéfices et nous gardons de ces offices des souvenirs qui nous sont précieux. Nous avons à maintes reprises communié au calice du Père André dans sa petite chapelle à domicile. Plusieurs années plus tard, j'ai compris que nous revivions alors la Dernière Cène. Il y avait toujours le sentiment d'une Présence incroyable et de tout ce qui touche au cœur du christianisme lors de ses liturgies.

Le chœur, quant à lui, était un choeur d'amateurs. Parmi les paroissiens figurait Tassia Tsaregorodsteva, une jeune fille un peu plus âgée que nous qui avait été élevée aux Pays-Bas. Elle était à moitié néerlandaise. Elle vivait momentanément dans un couvent. Dans ce monastère vivait aussi le fils spirituel du père André, l'évêque Denis d'Hollande. Tasia avait passé toute son enfance au couvent et connaissait bien les offices. Ainsi, elle dirigeait la chorale. Nous avons chanté tout l'office avec grand soin mais mais nous étions très loin de la perfection. Et ces temps-là nous ont laisse nos souvenirs les plus précieux, ils ont été marqué par les relations humaines les plus chaleureuses qui puissant être.

La destinée du père André Sergueenko ( 1903 – 1973) – Un combat pour l'âme et la transformation de la Russie
Je me souviens de ce que le Père André m'avait raconté ce par quoi il avait commence lorsqu’il avait été successivement affecté dans la ville d'Ivanovo, puis à Gorki. D'après lui, il lui fallait faire deux choses au départ : il lui était nécessaire d'installer des toilettes à proximité de l’église , ce qui allait de soi. Puis il faisait poser des plaques de verre sur les icône . J'avoue qu'à présent tout cela me semble bien bizarre. Cependant à l’époque les fidèles étaient très peu éduqués . Ces paroissiens écaillaient la peinture de l'icône, et avalaient les miettes de peinture qu'ils considéraient comme sacrées.

Lire Un nouveau livre : « Le prêtre Andreï Sergueenko (1903-1973). Russie-France-URSS »


Quand il a servi dans la région d'Ivanovo, il s'était acheté une vieille voiture “Moskvitch”. La zone qu'il désservait était assez grande, et il se rendait et chez les mourants, et chez les malades, et chez ceux qui demandaient le baptême. Il fréquentait tous ces gens de manière assidue. Il a baptisé mes deux fils chez nous à domicile. Et il se rendait chez tous ces gens-là dans sa vieille “Moskvitch” jusqu'à ce que le journal local eût fait paraȋtre un article intitulé “le Pope et Sa Limousine”. Ensuite les gens du pays se permettaient des commérages genre “le pope est bien riche, il se deplace dans une grande voiture”. Evidemment, tout cela laissait le pauvre père André bien perplexe et il disait que “c'est diffamatoire” mais personne de ces gens-làne comprenait ce mot. En definitive sa guimbarde ne lui fut pas confisquée..

Je dois dire que le christianisme que j'avais reçu au départ du Père André a été pour moi un don inestimable. C'était. au commencement, l'une de ses paroissiennes, Hélène Vedernikova, qui m'avait conduit chez lui. Elle a été la seule parmi tous ses paroissiens de France à le suivre en Russie. Quand il est parti en Russie, ses paroissiens russes de Paris lui écrivaient et lui demandaient s’il leur fallait faire le voyage en Russie ou pas. Bien des émigrés russes rêvaient de rentrer en Russie mais ils ont fini par comprendre qu'en 1948, ce n'était pas encore le moment propice pour regagner l'URSS. Le Père André leur a écrit en leur avisant que “le couvent ici a une règle très stricte. Puisse Hélène Vedernikova faire le voyage à elle seule”. C'est ainsi que Mme Vedernikova a fait le voyage toute seule, sans personne d'autre de leur petite paroisse de Paris. Le reste a bien compris qu'il valait mieux ne pas y aller. Moi-même j'avais bien compris que ce que voulait dire “règle stricte” .

Après la mort du Père André, je fréquentais une église “ordinaire” et il m'y a fallu un effort considerable d’adaptation. Avec le père André, je me suis habituée à penser que le christianisme ne peut pas être une religion de fastes. Le père André, lui, avait un train de vie assez sobre. Et voilà que toute la richesse dorée de l'église “ordinaire” provoquait chez moi un certain malaise surtout parce que lui, il était un homme très modeste, une personne d’un goût impeccable.

Le Père André avait laissé à ses enfants spirituels un petit héritage que nous avons reçu après sa mort. Chacun d'entre nous a bénéficié d’ une petite somme. J'ai donné ma part pour payer le billet pour la France de Natasha Gorbanevskaya, lorsqu’elle s’est vue contrainte de quitter l’URSS. Dans ma maison, il y a un petit canapé rouge qui provient de la maison du Père André, j’y suis très attachée.

L'expérience acquise dans cette maison de la ville d’ Alexandrov est en fait une expérience inestimable. Cependant, il m'est très difficile d'entrer dans le christianisme moderne, dans lequel nous nous retrouvons aujourd'hui. Oui, j'avoue que le noyau de la foi chrétienne est toujours présent mais qu'il faut beaucoup élaguer pour parvenir à une limpidité de foi comme chez le père André. C'est possible, oui, mais à grande peine. Et lors du décès du Père André, il se révèla chez moi un grand problème : le plafond a été placé si haut, qu'il était plus que difficile de l'atteindre.

Lien en russe PravMir Судьба священника Андрея Сергеенко — борьба за души и преображение России
La destinée du père André Sergueenko ( 1903 – 1973) – Un combat pour l'âme et la transformation de la Russie

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 4 Mai 2015 à 12:11 | 1 commentaire | Permalien


Commentaires

1.Posté par Clovis le 05/05/2015 16:30
Dommage que l'article ne reprenne que quelques bribes de souvenirs inutiles (canapé rouge ?! lettres etc) et ne creuse pas la question des liturgies clandestines, du charisme du père André etc... à peine évoqué.

2.Posté par Hai Lin (Los Angeles) le 06/05/2015 02:51
@ Clovis

Bien dommage que vous ne lisiez pas le russe, cher Monsieur, car moi, qui avais traduit cet article de la langue de Poushkine à la langue de Molière, moi, disais-je, j'avais vivement ressenti le charisme du Père Andrei aussi bien que les dangers que l'époque dans laquelle il a vécu lui présentaient.

Mme Ulitskaya a fait de son mieux pour dégager, en âme humble et fort chrétienne, l'esprit "vrai" du "batuschka"- Батюшка. Toujours est-il que son style vous déplaise, mais moi, j'y ai ressenti une forte presence chrétienne d'autrefois.

En anglais, on dit "troll"; en russe, on dit "тролль", en chinois "拖钓". Et bien cher Monsieur, in French, comment?

Hai LIn (de son vrai nom au passeport))

3.Posté par Vladimir. G: un texte particulièrement significatif le 06/05/2015 10:46
Merci bien cher Hai LIn pour la traduction de ce texte particulièrement significatif.

C'est, bien évidement, un extrait trop court pour rendre compte du très riche dossier en russe consacré par PravMir au père André à l'occasion de la sortie du livre déjà mentionné sur un autre fil. Mais il est particulièrement intéressant car son auteur - la romancière très connue en Russie Lioudmila Oulitskaïa, rend l'atmosphère générale des témoignages des "enfants" du père André par petites touches précises, comme un tableau impressionniste.

Il ne s'agissait pas, en effet, d'un personnage flamboyant, d'un prédicateur ou d'un théologien charismatique comme le père Alexandre Men, mais d'un véritable "témoin" qui rependait autour de lui la Lumière du Christ avec une extrême bonté. Les deux "détails" dont notre bien cher Clovis ne voit pas l'intérêt sont pourtant bien caractéristiques: la lettre qui parle de “règle très stricte" rappelle évidement ces messages codés que les "rapatriés" de 1947-48 envoyaient à leurs amis pour les dissuader de les suivre (le plus connu appelle une famille à venir en URSS "dès que Macha sera mariée"... Macha avait 2 ou 3 ans!), la canapé rouge, bien ordinaire, que le grand écrivain garde chez lui témoigne de l'importance de ce souvenir pour elle; et ces détails, de l'antimension consacré qui permet de garder la succession apostolique à la vieille "Mosckvich", si caractéristique pour tous ceux qui ont connu l'URSS, et à la question de " la richesse dorée de l'église “ordinaire”"... composent un tableau mais, tout comme pour la peinture, il faut peut-être en connaitre les clés...

Il faut aussi souligner le lien implicite avec la dissidence souligné par l'amitié avec la poétesse dissidente Natalia Gorbanevskaya à qui Lioudmila Oulitskaïa consacra un livre de souvenirs. Oulitskaïa n'est d'ailleurs pas un écrivain bien en cours actuellement: attaquée sous les prétextes les plus divers (cf. http://www.lefigaro.fr/livres/2014/02/17/03005-20140217ARTFIG00003-ludmila-oulitskaia-aux-prises-avec-le-pouvoir-russe.php) elle se permet de critiquer la politique culturelle du gouvernement, qu'elle qualifie de suicidaire, dans des journaux étrangers (https://magazin.spiegel.de/digital/index_SP.html#SP/2014/34/128743771, http://www.svoboda.org/content/article/26541088.html).

Lioudmila Oulitskaïa n'est pas un écrivain "religieux" mais ce texte démontre son engagement spirituel et explique bien des cotés de son œuvre qui sont rarement mis en évidence.

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