L’élection d’Herman Van Rompuy comme premier président de l’UE peut être vue très positivement. Selon l’accord de Lisbonne, l’UE possède maintenant un visage, qui va la représenter. Je ne dirais pas qu’on ait choisi un président « technique, fonctionnaire », ni que cette désignation soit un compromis pour une période transitoire et qu’après il y aura des leaders brillants, mais cependant on voit là une preuve que l’Europe quitte la politique du globalisme et se concentre sur elle-même, en jouissant de la « paix éternelle » de Kant avec un goût de postmodernisme flétrissant.

D’abord, la candidature de Van Rompuy vient d’une position commune de la France et de l’Allemagne. C’est remarquable que ce tandem des deux pays-locomotives de l’intégration, qui en plus se dirige vers un partenariat stratégique avec la Russie, ait joué le rôle décisif. Cela signifie que le vecteur de fait ne s’est pas déplacé vers les nouveaux membres de l’UE, qui se dirigent plutôt vers l’ordre du jour transatlantique que vers le renfoncement de l’intégration de l’Europe. Quand à la Russie, la désignation de Van Rompuy est un événement plutôt positif que neutre.

Le fait que la voix de l’UE sera celle d’un intellectuel fédéraliste européen plutôt qu’une voix proaméricaine charismatique comme celle de Tony Blair est probablement une bonne chose. D’autant plus que la politique de l’UE est tout d’abord une balance technocratique complexe de classement des pouvoirs entre les institutions. Par définition, elle est dépersonnalisée et n’a pas la disposition d’esprit pour les rencontres « sans cravates » avec quelques personnes. La Russie doit apprendre sérieusement à construire les relations avec l’UE poste-Lisbonne. Il est douteux qu’inviter Van Romuy à la pêche et au sauna russe puisse être efficace – il faudra inviter encore la baronne Ashton et de plus Barroso avec Buzek.

Que Van Rompuy soit peu connu du public en dehors de la Belgique n’est aussi ni un avantage ni un désavantage. La célébrité est une question de temps. Le président est élu par le consensus et lui-même est un politicien orienté, selon ses paroles, vers un processus de pourparlers dans lequel il n’y aura ni gagnants ni perdants, mais où tout le monde gagne. C’est-à-dire qu’il est un adversaire des jeux à somme nulle, ce qu’il a montré quand il a surmonté la crise ministérielle en Belgique il y a un an. En outre, le gouvernement d’un pays avec un système complexe de distribution du pouvoir entre les niveaux fédéral et régional est un entraînement parfait avant de gouverner l’UE.

L’élection d’un représentant d’un des pays les plus petits, mais un des fondateurs de l’UE, en plus avec la politique conservatrice, – est encore un signe. On peut être certain que le premier président de l’UE soit un fédéraliste cohérent européen, un successeur digne de leaders de la Belgique comme Paul-Henri Spaak, Leo Tindemans et Wilfred Martens. A cause de l’allergie britannique, la notion d’« un but fédéral » est exclue de tous les documents européens, mais on peut être sûr que l’ordre du jour européen national avancera avec succès, quoiqu’avec le principe du dénominateur minimal.
On peut citer Bashô que Van Rompuy, admirateur de la poésie japonaise, connait sans aucun doute bien : « O escargot, gravis les pentes du Fuji-Yama. Mais lentement. Très lentement ».

Donc il semble que l’escargot rampe lentement, mais rampe systématiquement vers le haut, vers les sommets glacés des États-Unis d’Europe.

Pour l’instant, le président de l’UE n’a rien dit de significatif à son nouveau poste. Mais il y a des phrases, dites quelques années auparavant. Comme exemple : Chaque homme doit faire un choix et décider pour lui, ce qu’est la vie – un mystère ou une absurdité. « Je choisis le mystère », a déclaré Van Rompuy.

En quoi consiste le mystère d’Herman Van Rompuy lui-même ? Essayons de répondre par ses propres paroles, prononcées il y a cinq ans, à propos de la rentrée de la Turquie dans l’EU: « Les valeurs universelles de l’Europe ne sont rien d’autre que les valeurs fondamentales du christianisme ». Aura-t-il le courage, ce premier président de l’Europe Unie, catholique pratiquant, père de famille, de redire ces paroles dans son nouvel état ? Si oui, alors voici le chaînon perdu du préambule pour l’euro-constitution manquée, dont la version légère est l’accord de Lisbonne. Dans ce préambule on mentionnait le droit romain, la culture grecque et les idéaux des Lumières, mais on passait sous silence les racines chrétiennes de l’Europe.

Pourtant, l’accord de Lisbonne reconnaît l’importance du dialogue avec des Églises et des communautés religieuses. Si Van Rompuy, comme président de l’Europe Unie, ressentant personnellement que l’identité européenne est consubstantielle de ses racines chrétiennes, aurait l’ambition de mettre cela en pratique, alors on pourrait dire que son élection sera comme une chance pour l’UE. La chance de se déclarer non pas seulement comme une puissance politique et économique, mais aussi comme un pôle réel de la civilisation chrétienne de l’Europe occidentale. L’Europe a besoin d’une âme, a dit en son temps Jacques Delors, un des créateurs de l’architecture européenne actuelle.

Il n’y a pas de doute que dans une telle situation, l’UE et la Russie pourraient parler non seulement de quotas, de tarifs et de visas, mais aussi des valeurs. Au surplus non pas des valeurs abstraites et libérales, dont on nous montre comme des disciples éternels, mais des valeurs de civilisation chrétienne, dont le pôle oriental est la Russie et les pays du monde russe, comme l’a souligné dans son discours, il n’y a pas longtemps, le patriarche Cyrille de Moscou.

Notamment, à l’initiative de du Patriarche et du président du Parti Populaire Européen Wilfried Martens (n’oublions pas qu’il s’agit d’un partie dirigeante effective de l’UE, à qui appartiennent tout les premières figures de l’UE – et Barosso, et Buzek, et Van Rompuy lui-même) a été lancé un projet unique de dialogue non-gouvernemental entre l’UE et la Russie dans un format trilatéral avec la participation du Parti Populaire Européen, de l’Eglise orthodoxe russe et du parti « Russie unie ».
Dans les autres pays du monde russe faisant aussi partie du partenariat de l’est de l’UE - Ukraine, Biélorussie, Moldavie – le troisième partenaire en perspective pourrait devenir les forces politiques capables de mettre en œuvre les fondements du droit, de la dignité et de la responsabilité de la personne humaine. Du côté des hommes politiques européens, il y a une compréhension du fait que le représentant légitime de la société civile dans un tel dialogue multilatéral doit être l’Eglise. Nous aimerions espérer qu’une telle initiative ne restera pas sans l’attention du premier président de l’UE.
En dernier, le rêve d’une Europe Unie de l’Atlantique jusqu’au Pacifique peut-il devenir un projet ? Si à la base, à l’ouest comme à l’est, on reconnaissait la « complexité fleurissante » - comme le disait Constantin Leontiev - de la civilisation chrétienne de l’Europe, alors on aurait cette chance.

Citons encore le président nouvellement élu : « Si notre unité reste notre force, nos différences restent notre richesse ». Dans l’absolu, Van Rompuy parlait de l’UE. Mais ces paroles devraient pouvoir se référer à l’Europe toute entière. Même si en Belgique il n’y a pas des montagnes, on devrait pouvoir apercevoir, depuis les pentes du Fuji-Yama sur lesquelles gravis l’escargot, que du côté est du Grand Mur de Schengen ne se trouve pas l’Asie, mais simplement une autre Europe.

Père Anton ILIN,
représentant par intérim du Patriarcat de Moscou auprès de l’UE.

Rédigé par le père Anton Ilin le 27 Novembre 2009 à 13:38 | 0 commentaire | Permalien



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