Vladimir GOLOVANOW

Un échange récent a montré que bon nombre de lecteurs de ce forum, et plus généralement d'Orthodoxes et de croyants s'intéressants à l'Orthodoxie, ne perçoivent pas de différence fondamentale entre la Sainte messe catholique et la Divine Liturgie orthodoxe. Mes connaissances théologiques étant trop limitées pour faire le tour de la question, je voudrais lancer quelques pistes de réflexions en comptant sur des compléments d'apports de ceux qui sont plus compétents que moi.

La “Sainte Messe” des Latins et la «Divine Liturgie» des Orthodoxes trouvent leur origine dans la "Sainte Cène", le «Repas du Seigneur» (1 Co 11, 20.33), la «Fraction du pain» (Ac 2, 42.46 ; 20, 7), «l'Eucharistie». Mais les deux concepts divergent par leur définition:

LITURGIE (1) : De l'adjectif grec lèitos : « public », et du nom commun ergon : « service », « oeuvre », « travail ». La liturgie est donc, étymologiquement, un « service public », une œuvre faite au bénéfice du peuple.

Dans les démocraties grecques, leitourgia désigne tout service rendu au bien commun par les citoyens, mais particulièrement la fonction publique qui consistait à organiser les chœurs, les jeux, à équiper les galères, etc. Quand saint Paul emploie le mot « liturge » (Rm 13, 6 ; 15, 16 ; Ph 2, 25) ou le mot « liturgie » (2 Co 9, 12 ; cf. Rm 15, 27), il l’utilise le plus souvent au sens d’office accompli au bénéfice d’une communauté.
Au IIIe siècle avant Jésus Christ, la traduction grecque des Septante rend le terme hébreu ’abodah (« service cultuel ») par leitourgia : il ne s’agit donc plus d’une œuvre dont le peuple est le bénéficiaire, mais dont il est le sujet ; la liturgie devient le « service » religieux et rituel, rendu à Dieu par la communauté rassemblée en son nom.

LA DIVINE LITURGIE: alors que chez les Latins le mot liturgie renvoi à plusieurs types de services divins dont la messe fait partie, pour les orthodoxes le mot Liturgie ne désigne que la Divine Liturgie eucharistique. Traditionnellement célébrée en rite byzantin, la Divine Liturgie orthodoxe a vu apparaitre au XXe siècle les Liturgies de rite occidental, qui reprennent néanmoins la structure du rite byzantin même si, au départ, elles partent de la messe tridentine ou du missel anglican.

LA MESSE est une forme de liturgie qui appartient exclusivement au rite latin. Le nom vient de la formule latine finale "Ite, missa est" qui signifie "Allez, le congé vous est donné, la "missa" (de mittere : « envoyer », « renvoyer ») étant l’acte de congédier les fidèles au terme de la liturgie eucharistique. Le mot a pris très tôt une signification liturgique: les catéchumènes sont renvoyés par une missa après l'homélie et, à partir du IVe siècle, le mot missa vint à désigner, non le simple renvoi, mais tout l’office qui le précède: c’est ainsi que la liturgie de la Parole est devenue la « messe » des catéchumènes et que l’ensemble de la liturgie eucharistique est devenue la « messe ». Ce dernier sens s’est imposé en Occident à partir du VIe siècle.

CONCLUSION: alors qu'une Messe catholique peut être qualifiée de liturgie (la réforme de la Messe par Vatican II s'appelle "CONSTITUTION SUR LA SAINTE LITURGIE"), une Liturgie orthodoxe ne doit pas s'appeler Messe car elle ne comporte pas de "missa": au lieu de "Allez, le congé /missa/ vous est donné" notre Liturgie se termine par "Sortons en paix".

Pour être complet, précisons qu'il peut y avoir plusieurs messes dans la journée chez les Catholiques, qui appellent aussi "vêpres" une messe célébrée l'après-midi, alors qu'il n'y a qu'une Divine Liturgie par jour chez les orthodoxes qui doit être terminée à midi...

Source (1): d'après Dom Robert Le Gall – Dictionnaire de Liturgie © Editions CLD

Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 15 Janvier 2012 à 10:37 | 4 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Hiéromoine Nicolas le 15/01/2012 13:51
Je serais bien volontiers intervenu sur le sujet, mais je pars en voyage dans une heure pour une quinzaine de jours. Je lis votre article. Je note seulement quelques éléments appelant des précisions :

+Le mot "Liturgie" sans adjectif peut être utilisé chez les catholiques comme chez les orthodoxes pour désigner l'ensemble des offices et des célébrations sacramentaires.

+ Dans l'acribie, la discipline catholique exige, comme la discipline orthodoxe, qu'un officiant catholique ne célèbre qu'une messe par jour. Par économie, pour des raisons pastorales, un prêtre peut en célébrer deux, motu proprio. Pour en célébrer trois ou plus, il lui faut l'accord de l'autorité diocésaine. Il est bien entendu qu'il ne peut percevoir en cas de célébration de plusieurs messes qu'un seul honoraire de messe par jour.

+ Je ne sais pas où vous êtes allé chercher que la Messe du soir (généralement le samedi) est appelée Vêpres chez les catholiques. Les Vêpres sont un office spécifique dans le bréviaire romain qui ne se confond pas avec la messe. Il est vrai que je ne fréquente plus les églises catholiques depuis trente ans. Un doute me vient : le manque criant de célébrants ordonnés chez les catholiques les a amené en bien des endroits à substituer à la célébration de la messe dominicale une prière faite entre laïcs avec distribution d'hosties "consacrées". Si cela se pratique le samedi soir, peut-être est-ce cette cérémonie que l'on appelle Vêpres. En tout cas, il ne s'agit pas là de célébration eucharistique proprement dite puisque celle-ci implique non seulement liturgie de la parole mais aussi, sans omission et dans l'ordre, liturgie d'anamnèse, d'offrande, de consécration et de communion.

+ Vous écrivez : "une Liturgie orthodoxe ne doit pas s'appeler Messe car elle ne comporte pas de "missa". Cela me paraît un peu léger. Ce n'est pas en raison d'un élément matériel que les célébrations eucharistiques diffèrent. C'est en raison de l'esprit dans lequel elles sont accomplies. Cet esprit se lit dans les adjectifs qui affectent les mots "liturgie" et "messe". La sainte messe est une action sainte du peuple catholique rendant hommage à son Dieu.

La divine Liturgie est une action de Dieu qui sanctifie et déifie son peuple. Par la divine Liturgie, l'assemblée des croyants professant la vraie foi est constituée et intégrée dans le corps même de notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus-Christ. Cependant, s'il est vrai que, par l'Eucharistie, Dieu constitue son peuple en communauté du Royaume partageant par grâce la divinité que le Fils possède par nature(1), il est vrai aussi que c'est le rassemblement des chrétiens qui est le lieu de l'Eucharistie. Pas d'Eucharistie sans don de Dieu, certes, mais pas d'Eucharistie non plus sans rassemblement des fidèles offrant du pain et du vin. Les catholiques insistent et ont insisté dans leur pastorale sur ce dernier point jusqu'à l'absurde faisant de leur messe une action humaine qu'ils disent sainte par le fait qu'elle serait consensuelle. Se sont-ils pour autant éloignés de la vérité dogmatique ? Je ne le crois pas si j'en juge par la déclaration pontificale récente qui tend à corriger cet abus :
“Dans la relation circulaire suggestive entre l’Eucharistie qui édifie l’Église et l’Église elle-même qui fait l’Eucharistie, la causalité première est celle exprimée par la première formule ... L’influence causale de l’Eucharistie à l’origine de l’Eglise révèle en définitive l’antériorité non seulement chronologique mais également ontologique du fait qu’il nous a aimés le premier (1Jn 4, 19)”. Benoît XVI, Sacramentum caritatis, Documentation Catholique 2377, Bayard, 2007, p. 309 , § 14.

+ Tout ceci ne préjuge pas de l'appréciation que les orthodoxes font des messes catholiques. On sait que les points de vue diffèrent à ce sujet, certains milieux orthodoxes étant influencés plus que d'autres par les exigences de la politique ecclésiastique œcuméniste. Je ne dirai ici que ce que je pense : Il n'y a pas de sacrements sans profession de la vraie foi de l'Eglise, une, sainte, catholique et apostolique qui est l'Eglise orthodoxe. Cependant, je crois aussi que si La communion romaine est dépourvue de la grâce sacramentelle lorsqu'elle se rassemble pour célébrer la messe, cela ne signifie nullement qu'elle soit privée de toute grâce à cette occasion.

Au contraire, je crois qu'elle reçoit en abondance la grâce générale de progresser vers la Vérité tout entière. A ce titre, les orthodoxes ne doivent considérer le culte des frères chrétiens hétérodoxes ni comme de même nature que celui qu'ils rendent eux-mêmes, ni comme une pure et simple vanité. L'esprit de confusion autant que celui de séparation entrave l'action de l'Esprit Saint dans les cœurs. La vérité seule rend libre. Ceux qui reconnaissent la grâce sacramentelle des célébrations eucharistiques catholiques doivent expliquer pourquoi le Christ aurait deux corps ecclésiaux séparés (puisque le sacrement constitue l'Eglise). Ils devraient aussi expliquer (si sur l'autel catholique le Christ est réellement présent) de quel fondement une directive ecclésiastique tirerait son autorité pour interdire, comme c'est le cas aujourd'hui, d'aller communier au corps et au sang du Fils éternel qui convoque à la communion. De leur côté, ceux qui considèrent que la messe est une cérémonie vide de tout contenu et de tout effet doivent expliquer pourquoi et comment serait suspendue, voire annulée la parole du Christ : " Là ou deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux." (Mt. 18, 20).

(1) . On parle bien et proprement de "Déification. “Pour que nous tendions vers l’unité avec Dieu et entre nous, et que nous soyons mêlés ensemble, bien que nous formions tous des individus distincts quant aux âmes et quant aux corps, le Fils unique a disposé un moyen qu’il découvrit par sa propre sagesse et par le conseil du Père. En effet, en bénissant (i.e. en sanctifiant) les croyants en soi dans un seul Corps, à savoir le sien, par la communion mystique, il les a rendus concorporels avec lui et entre eux ... ” Cyrille d’Alexandrie, Sur Jn 11,11, PG 74, 560A-B.

2.Posté par Daniel le 15/01/2012 17:43
@ Hiéromoine Nicolas

Merci pour cette longue explication. Vous dites :

"De leur côté, ceux qui considèrent que la messe est une cérémonie vide de tout contenu et de tout effet doivent expliquer pourquoi et comment serait suspendue, voire annulée la parole du Christ : " Là ou deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux." (Mt. 18, 20)."

Il existe 2 formes de grâce: "Selon l'enseignement des Saints Pères, le Grâce de l'Esprit saint se manifeste sous 2 forme: primo, comme une grâce providentielle externe qui agit et dans à travers de la vie de chacun et qui le rend capable d'accepter la vraie foi, and secundo, de façon interne: c'est le grâce salvifique qui revivifie, apporte la rédemption et est à l'oeuvre uniquement dans l'église orthodoxe" 'Archevêque Séraphin de Sophia cité dans le commentaire 14 de la confession de foi contre l'oecuménisme ( http://www.impantokratoros.gr/FA9AF77F.en.aspx )

Il n'y a pas de réunion au nom du Christ sans la confession de la foi que la Christ a laissé à ses apôtres, ou bien c'est aller à la recherche du plus petit dénominateur commun. Si au nom du principe " Là ou deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux." (Mt. 18, 20)." appliqué à tous ceux se réclamant du Christ, leur cérémonie avait un effet du fait même de cette cérémonie, les canons n'interdiraient pas aux orthodoxes:

- de prier avec les hérétiques
- de prier dans les temples des hérétiques
- d'accepter les bénédictions des hérétiques, considérées comme des malédictions etc

3.Posté par vladimir le 17/01/2012 23:34
Cher Père Nicolas bénissez-moi,

J'espère que vous voudrez bien en dire plus à votre retour car vos explications, comme celles de Daniel, me laissent sur ma faim.

Il est clair qu'une messe catholique n'est pas une divine Liturgie orthodoxe pour des raisons dogmatiques, mais quelles sont les raisons objectives qui empêchent d'appeler "Messe orthodoxe" notre Divine Liturgie? Y a-t-il des différences fondamentales dans le rite, alors même que l'origine, le principe et même la structure générale sont semblables? (Je pense qu'il faut évidement parler de la messe tridentine, qui sert de base à certains "rites occidentaux" orthodoxes, et non des messes actuelles qui ont subi bien des vicissitudes, allant jusqu'à donner l'impression que chaque paroisse catholique peut arranger ses offices à sa façon …). J'ai remarqué l'absence de "missa", et je vous accorde que c'est léger, mais je connais trop mal le rite de la messe pour pouvoir aller plus loin et j'attends vos éclaircissements

Enfin sur les détails pratiques, vous écrivez "qu'un officiant catholique ne célèbre qu'une messe par jour." Mais alors quid des "trois messes basses du curé de Cucugnan"? Et des messes de mariage et/ou d'enterrement qui se suivent le samedi? Enfin est-il vrai qu'un prêtre catholique peut dire sa messe tout seul alors que pour l'Orthodoxe au moins un autre participant est obligatoire?

4.Posté par vassili le 18/01/2012 12:47
Bonjour à tous,
1/ la messe tridentine et même le rite encore plus ancien de la messe romaine comprennent les mêmes étapes de célébration que la liturgie orthodoxe: rite de préparation, liturgie des catéchumènes et liturgie des fidèles et même don du pain béni après la communion eucharistique (j'ai un missel romain très ancien datant du début du XIXe siècle). Seules les paroles diffèrent plus ou moins. Le rite actuel a été considérablement appauvri même si c'est vrai qu'on y retrouve globalement les mêmes étapes. Il a été malheureusement dépourvu de sacré!

Par ailleurs en ce qui concerne la communion à deux vitesses (deux espèces pour les célébrants et au Corps seulement pour les fidèles), j'avais lu, il y a quelques temps, qu'en fait, il s'était agi d'une déviation d'un canon romain. Comme si il était permis exceptionnellement pour des raisons pratiques de ne communier qu'au Corps, et que l'exception était bizarrement devenue la Règle.

2/ Un prêtre catholique romain ne peut normalement pas célébrer la messe tout seul, il faut au moins un assistant. Evidemment, je vous donne un canon valable chez les catholiques mais DANS LES FAITS, je ne sais pas ce qui se pratique... Je suis orthodoxe.

3/ Les trois messes de Noël ( celles du curé de Cucugnan) sont une exception liturgique (si je puis dire): il s'agit de la messe de minuit, la messe de l'aurore et la messe solennelle du jour de la nativité.

4/ Pour ce qui est des messes de mariage, peut-être ont-elles lieu à l'occasion d'une messe ordinaire, les "voeux" étant échangés avant? Quant aux messes d'enterrement, je ne crois pas que cela se fasse encore. Il s'agit de célébrations sans eucharistie sauf lorsque le défunt est confié avec d'autres intentions aux messes ordinaires. (?)

5/ Par contre, je confirme qu' il n'y a pas de messe à l'occasion des Vêpres, les catholiques romains ayant aussi les offices des heures. C'est donc différent aussi chez eux.

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