Métropolite Euloge (Gueorguievsky) : des opportunités ratées
Traduction pour "Parlons d'orthodoxie" Elena Tastevin

L’histoire de l’émigration russe est marquée par des conflits entre les hiérarques de divers diocèses, ce qui a déterminé la formation en exil de plusieurs branches de l’Orthodoxie russe. La division de 1926 a engendré de nouvelles structures qui existent toujours.

Ce sont l’Eglise Orthodoxe Russe Hors-Frontières avec à sa tête le métropolite Antoine (Khrapovitsky), l’Archevêché des Eglises Orthodoxes Russes en Europe occidentale, exarchat du patriarcat œcuménique, métropolite Euloge (Gueorguievsky) ainsi que la métropole américaine, métropolite Platon(Rozhdestvensky)

Nous ne pouvons pas savoir comment aurait évolué l’histoire de l’émigration russe s’il y avait eu d’autres hiérarques ou s’ils avaient agi autrement. Nous ne pouvons pas affirmer que la situation aurait été meilleure. Il est, cependant, incontestable que l’histoire de l’Eglise russe en exil aurait été différente si ce n’étaient un certain nombre d’opportunités manquées par les hiérarques hors-frontières.

Métropolite Euloge (Gueorguievsky) : des opportunités ratées
Le métropolite Euloge (Gueorguievsky) a eu à faire plusieurs choix.

Le premier date de 1922 lorsque le patriarche Tikhon a supprimé la Direction Suprême Ecclésiale Hors-Frontières. Conformémentau décret N° 348 (349) le métropolite Euloge aurait pu se placer à la tête de l’Eglise russe en émigration d’autant plus que le métropolite Antoine (Khrapovitsky) était prêt à lui céder ses compétences. Le métropolite Euloge n’a pas suivi ce décret et lorsque plusieurs années plus tard il a essayé de s’y référer, il a échoué car le temps avait passé.

1935 est également une année charnière dans l’histoire de l’Eglise russe hors-frontière car elle a eu alors l’opportunité de s’unir. Les représentants des branches principales de l’Orthodoxie Russe Hors-Frontières se sont réunis sous la présidence du patriarche serbe Barnabé pour mettre au point les documents de la future réconciliation. Le métropolite Euloge a été le seul à refuser la réunification avec l’Eglise Orthodoxe Russe Hors-Frontières.

Certains documents font croire que les derniers mois de 1920 ont également été un moment crucial pour le métropolite Euloge, encore archevêque à l’époque.

En effet, il pouvait prétendre à la direction de toute la diaspora russe. Ce n’était pas la faute de l’archevêque Euloge cette fois s’il y avait pas réussi. Les raisons en sont dans un décret de la Direction Suprême Ecclésiale Temporaire de Crimée daté d’octobre 1920 et d’un autree décret daté de novembre 1920 de la même Direction déjà exilée à Constantinople Selon la version officielle le 15 octobre 1920 la Direction Suprême Ecclésiale Temporaire en Crimée a désigné l’archevêque Euloge administrateur des paroisses en Europe Occidentale. S’étant exilée à Constantinople elle a réitéré cette disposition. L’archevêque Euloge n’a cependant pas eu connaissance de ces décisions.
Il n’a appris sa désignation qu’au début de janvier 1921 de la bouche de E.I.Makharoblidze. Au printemps de 1921 l’archevêque Euloge a reçu un nouveau décret de la DSET en date du 15 avril qui stipulait sa désignation en tant qu’archevêque de l’Europe occidentale. « Selon le décret de la Direction Suprême Russe Temporaire vous êtes chargé de la direction de toutes les églises russes en Europe Occidentale en tant qu’archevêque diocésain y compris les église de Sofia et Bucarest. Les autres églises aux Balkans et en Asie relevaient de la Direction Suprême Russe Ecclésiale ; tout ceci jusqu’au rétablissement des relations avec Sa Sainteté le Patriarche de toute la Russie ».

Il faut rappeler que les paroisses de l’Eglise Russe à l’étranger étaient relevaient avant la révolution du métropolite de Pétersbourg (Petrograd).

Aussi l’accord du métropolite Benjamin de Petrograd était nécessaire pour la validation du décret, cet accord a été rapidement reçu. La désignation de l’archevêque Euloge en Europe Occidentale a été confirmée par le décret N° 423 du Saint Synode de l’Eglise Russe daté du 8 avril 1921.
Telle est la version officielle. Cependant, il y a des raisons de croire qu’initialement la DSET de Crimée aurait attribué des fonctions plus larges à l’archevêque Euloge. Une telle supposition se fonde sur le fait que ni le décret de Crimée ni celui de Constantinople ne sont parvenus à l’archevêque Euloge. Nous n’en avons pas les textes. Aussi il est difficile de se faire maintenant une idée précise de leur libellé. Des indications font penser que les responsabilités de l’archevêque Euloge devaient s’étendre initialement à la fois sur l’Europe Occidentale et sur toutes les paroisses orthodoxes russes dans le monde.
La DSET dont les décisions furent approuvées à posteriori par le Patriarche Tikhon a fonctionné en 1920 sur les territoires occupés par l’armée russe du général Wrangel. Ses membres étaient entre autres l’archevêque Dimitry (Abachidze), président de la DSET, le métropolite Antoine (Khrapovitsky), président d’honneur de la DSET, le métropolite Platon (Rozhdestvensky), l’archevêque Théophane (Bistrov), et d’autres. Outre l’administration en interne la DSET a également géré les relations extérieures de l’Eglise Russe. Suite à l’impossibilité pour le patriarche Tikhon de gérer les paroisses hors-frontières et de rester en contact avec les églises locales, la DSET de Crimée s’est chargée de ces fonctions. Administrant à partir de Simféropol, la DSET de Crimée a pris la décision en 1920 de désigner deux hiérarques, l’un pour les relations avec le Patriarcat de Constantinople, l’autre pour la gestion des paroisses en dehors de la Russie.

Le 8 octobre 1920 la DSET de Crimée a discuté la question « de l’attribution à un hiérarque russe…des droits d’un représentant spécial de la Direction Suprême Ecclésiale auprès du Patriarcat Universel » ainsi que « de la subordination hiérarchique des églises orthodoxes russes à l’étranger ». Le 14 octobre l’archevêque Anastase (Gribanovsky) était désigné administrateur des paroisses russes à Constantinople et représentant de la DSET auprès du Patriarche Universel. La question des paroisses russes à l’étranger a été résolue en même temps. La DSET de Crimée estimaient que toutes ses paroisses relevaient de son autorité jusqu’au rétablissement des relations avec le patriarcat de Moscou. Aussi, le 14 octobre 1920 elle a décidé que l’archevêque Euloge (Gueorguievsky) qui vivait à l’époque dans le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes en prendrait la responsabilité.

En même temps la DSET a rendu public cette décision.

Le prétexte à cette déclaration officielle a été un rapport du conseil paroissial de l’église orthodoxe de Nice en date du 1er septembre 1920 . La paroisse demandait : « 1. Les églises orthodoxes hors-frontières, et notamment celles qui se trouvent en France, relèvent-elles de la Direction Suprême Ecclésiale ? La Direction peut-elle confirmer ne serait-ce que temporairement certaines dérogations aux nouveaux statuts paroissiaux de 1918 ? 3. A qui advient-il de s’adresser en cas nécessitant une approbation épiscopale : à la DSET de Crimée, à un hiérarque à l’étranger ou faut-il attendre la reprise des relations avec Petrograd et Moscou ? »


Métropolite Euloge (Gueorguievsky) : des opportunités ratées
Le 14 octobre 1920 la Direction Suprême Ecclésiale a répondu : « 1. Toutes les églises russes hors-frontières y compris en France sont soumises à la Direction Suprême Ecclésiale jusqu’à la reprise des relations avec Sa Sainteté le Patriarche de Moscou et de toute la Russie. 2. La Direction Suprême Ecclésiale a le droit de modifier les statuts paroissiaux ce qui a déjà eu lieu ». Et enfin, « Les églises hors-frontières relèvent de la responsabilité de l’archevêque Euloge qui se trouve actuellement en Serbie ».

Ainsi, l’archevêque Euloge était chargé des toutes les églises russes hors-frontières et non seulement en Europe Occidentale.

Les procès-verbaux de la DSET en témoignent également. En effet, le N° 687 du 15 octobre 1920 mentionne « Le Protocole de la désignation de l’archevêque Euloge de Zhitomir et de Vinnitsa en tant que responsable des églises russes hors-frontières ». Il est donc question de toutes les paroisses hors-frontières sans exception.
Il s’en suit que l’archevêque Euloge était chargé de toutes les paroisses de l’Eglise Russe hors-frontières.
Ce libellé, certes, ne sous entendait pas la transmission de la totalité du pouvoir ecclésial en dehors de la Russie à l’archevêque Euloge. Il impliquait des paroisses hors diocèses et missions qui relevaient auparavant du métropolite de Petrograd. L’autorité de ce dernier ne se limitait pas à l’Europe. C’est ainsi que le métropolite Benjamin de Petrograd a perçu cette désignation car dans sa lettre il ne limitait pas les droits de l’archevêque Euloge à l’Europe Occidentale. Or, on n’a pas fait attention à cette différence en 1920. En dehors de l’Europe des paroisses séparées hors diocèses ou missions étaient peu nombreuses.
Cependant, en novembre 1920 l’armée rouge est entrée en Crimée, les jours de l’Etat russe libre étaient comptés. Bientôt, la DSET s’est installée à Constantinople.
La DSET a continué à fonctionner mais dans un nouveau rôle. Dans les conditions de l’exil elle a décidé d’assumer la gestion à la fois des paroisses dépendant du métropolite de Petrograd ainsi que de toutes les missions et diocèses hors-frontières. Aussi le décret du mois d’octobre de la DSET a été modifié en novembre de la même année. Maintenant, les droits de l’archevêque Euloge se répandaient uniquement sur l’Europe Occidentale.
Ce décret a été approuvé par le patriarche Tikhon le 8 avril 1921.

Le décret suivant rendu public et envoyé à l’archevêque Euloge par la DES de Constantinople en avril de 1921 limitait rigoureusement ses responsabilités à l’Europe Occidentale.
Ultérieurement les représentants de l’Eglise Russe hors-frontières n’évoquaient plus les larges fonctions attribuées initialement au métropolite Euloge. Après la rupture entre le Synode des Archevêques et le métropolite Euloge cette question est devenue encore plus déplacée. Cela explique le fait qu’en décembre 1926 après la rupture du Synode avec le métropolite Euloge, Makharoblidze a considéré dans son discours les deux décrets comme ayant un statut équivalent.

Le métropolite Euloge, connaissait-il la différence entre le décret de Crimée et celui de Constantinople?

Nous ne pouvons présumer une ignorance totale du métropolite Euloge. Ainsi le livre sur « La situation canonique de l’Eglise Russe Orthodoxe hors-frontières » de T.Ametistov, le secrétaire de l’archevêché de l’Europe Occidentale, mentionne le décret du mois d’octobre qui impliquait toutes les paroisses hors-frontières. Or, l’ayant mentionné, Ametistov n’en tire aucune conclusion. Dans sa lettre du 4 mai 1921 adressée au patriarche Tikhon le métropolite Euloge écrivait lui-même qu’il était chargé de « gérer nos églises hors-frontières en tant qu’archevêque diocésain » jusqu’à ce que la poste se remette à fonctionner en Russie ».
Le métropolite Euloge n’évoque ceci nulle part.

Ainsi, selon sa lettre écrite au patriarche Tikhon le 14 mai 1921 l’archevêque Euloge a reçu de la DSET la désignation de « gérer les églises hors-frontières de l’Europe Occidentale ».
Dans sa lettre du 2 août 1926 au métropolite Antoine (Khrapovitsky) le métropolite Euloge dit que sa juridiction s’étend à toute l’Europe Occidentale. Il ne dit rien sur les paroisses en dehors de l’Europe. Il en est de même dans son message aux fidèles du 19 août 1926.
Les raisons de l’indécision du métropolite Euloge quant aux paroisses éparpillées dans le monde entier sont plusieurs.

Le métropolite Euloge ainsi qu’Amétistov ne connaissait pas la teneur e exact du décret d’octobre de 1920(Crimée).

Si l’original de cet ordre était parvenu en Europe Occidentale les collaborateurs du métropolite Euloge l’auraient sûrement publié. En 1921 le Saint Synode de l’Eglise Russe avec le patriarche Tikhon à la tête s’est référé au décret de Constantinople pour accorder à l’archevêque Euloge la responsabilité de l’Europe Occidentale uniquement.
Ayant limité les droits de l’archevêque à l’Europe Occidentale, la DSET n’empêchait pas l’hiérarque d’administrer jusqu’à un certain moment les paroisses en dehors de l’Europe Occidentale. Ainsi, l’archevêque s’occupait de l’Orthodoxie en Inde et en Afrique du Nord. De surcroît, de 1923 à 1926 la diaspora russe d’Argentine relevait également du métropolite Euloge.
Au milieu des années 1920 et surtout après la rupture avec le Synode le métropolite Euloge a essayé de prétendre à des responsabilités hors Europe Occidentale. Ainsi il a essayé d’assumer l’administration des paroisses en Australie mais en vain. L’évêque Nestor (Anissimov) qui se trouvait en Chine s’est soumis temporairement au métropolite Euloge.

Au moment de la rupture avec le métropolite Euloge en 1926 le Synode des Archevêques a retiré l’évêché de Berlin et la paroisse argentine de l’autorité du métropolite. Le métropolite Euloge a essayé d’attirer de son côté le leader de la diaspora russe en Amérique du sud, le recteur de la paroisse à Buenos Aires le Protopresbytre Konstantin Izraztsov. Or, le protopresbytre mécontent dès le début de sa soumission au métropolite Euloge a repoussé ses prétentions pour s’attacher au Synode de Karlovy Vary.

Ayant perdu les paroisses de l’Amérique Latine, le métropolite Euloge ne pouvait plus prétendre à quoi que ce soit en dehors de l’Europe sachant qu’il n’aurait pas pu justifier ses prétentions sans avoir le texte du décret de Crimée. De plus, l’ordre du patriarche ne mentionnait que l’Europe Occidentale.
Si le décret de Crimée du 14 octobre 1920 était parvenu à l’archevêque Euloge il aurait eu le droit de prétendre aux responsabilités très larges allant jusqu’à la direction de l’Eglise hors-frontières en 1921. Cela aurait sensiblement changé la situation de l’émigration russe .
Il est tout de même important de souligner que le texte du décret de Crimée du 14 octobre 1920 n’est toujours pas publié et reste inconnu des chercheurs. Aussi, il est tôt de faire des conclusions et de considérer cette question close.

Andrey Kostrukov
24 novembre 2009


PRAVOSLAVIE RU


Photos: Métropolite Euloge, Anvers, 1926
Métropolite Euloge, église de la Résurrection, 1932, Rabat


Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 14 Décembre 2013 à 05:00 | 5 commentaires | Permalien



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