Françoise Compoint

Comme les péripéties forment l'expérience personnelle et, par là, la façon de penser, les épreuves historiques forment les nations, leur idéologie. Il est par ailleurs des nations plus portées à la spiritualité que d’autres, des nations, si on veut, particulièrement sensibles au sacré. Pourquoi ?

Cette question sort des frontières empiriques de l’histoire et de l’ethnologie et le domaine étant en soi flou nous ne prétendons guère nous y incruster. En revanche, à en juger par l’état des choses dans certains grands pays, nul ne nous interdit d’expliquer la nature des données fournies par le centre d’études et de connaissance sur l’opinion publique de Chicago.
Selon ses rapports, partant d’un échantillon représentatif de trente pays et d’un intervalle relativement vaste de 10-20 ans, la Russie connaît un renouveau spirituel incomparable si on s’applique à en comparer les effets avec n’importe quel pays aléatoire de l’Occident. Voici les chiffres relevés : 6,8% d’athées en 2008 contre 18,5% en 1998, soit, deux fois moins d’athées en dix ans seulement !

Tiens-tiens, voilà qui laisse songeur et, en ce qui me concerne, grandement optimiste, car un peuple qui croit en quelque chose ou quelqu’un donne de l’espoir.
La proportion athées-croyants (pratiquants ou non mêlés) dans les pays occidentaux décline à tire d’ailes et là, je m’abstiendrai de tout commentaire de peur de sombrer dans un moralisme exhalant une vague traînée de moisi. Autre argument en faveur de mon abstention : toujours d’après les sources précitées, le nombre, cette fois-ci, de pratiquants catholiques dans les états de la vieille Europe et aux USA est nettement supérieur à celui des orthodoxes pratiquants en Russie, celle-ci ayant trouvé une place assez modeste en plein centre du classement. Sommes-nous confrontés à un paradoxe de taille ? Point du tout.

De un, comparer la situation de la Russie avec celle qui règne en France a trait à une maladresse lourde de conséquences

Notre bonne vieille Gaule, par rapport à une Fédération immense et originellement multiconfessionnelle, obéit plus à un scénario lancé il y a des siècles, entretenu et cajolé bien après cette perturbation sanguinaire que fût la Révolution. Merci aux classes bourgeoises qui, qu’elles aient été et qu’elles soient sincèrement pieuses ou bigotes par dessus-le marché, ont tout de même réussi à forger cette image très française du paroissien attaché corps et âme à la messe du dimanche. Sont-ils pratiquants par inertie, par automatisme servile ou par foi véritable ? On n’ira bien sûr pas leur mettre le couteau à la gorge pour en avoir le cœur net. La Russie, quant à elle, a l’esprit aussi insondable que son histoire et ses étendues. Christianisme, islam, bouddhisme, cultes chamaniques locaux … autant de cultures parallèles et cependant coexistantes qui à la base ont fait de la Russie ce qu’elle est à l’heure actuelle. Si l’on ajoute à cette espèce d’Arche de Noé confessionnelle les bouleversements de la révolution d’Octobre et l’interdit du culte religieux qui s’en suivit soixante-dix ans durant, on en conclura vite fait bien fait à la question, non seulement, de l’hétérogénéité des pratiques religieuses mais, au surplus, de leur spécificité inimitable notamment pour ce qui en va de l’état des consciences, de la façon de comprendre le terme « pratiquant ».

De deux, me référant immuablement à l’exemple de nos deux pays respectifs, je constaterais que la répartition de la population en Russie n’égale pas en régularité celle de la France. Se faire une idée, ne serait-ce qu’approximative, du nombre de croyant-pratiquants moyen à l’échelle de la Fédération donnerait un résultat plus ou moins tiré par les oreilles. Ergo, il convient de l’estimer indirectement, en faisant attention au crescendo ou decrescendo de sa dynamique.

De trois, on ne saurait passer outre à un argument d’ordre psychologique. Les russes ont toujours nourri une propension tout à fait charmante (au sens propre du terme) à un maximalisme de tout genre. Lev Goumilev, fils du très célèbre poète de l’Age d’argent, avait qualifié cette tendance de passionnelle, tendance qui rejoint parfois, dirais-je, le registre élevé du passionnaire. Donc, si un russe vous dit qu’il n’est pas pratiquant, il est tout à fait possible qu’il ne prenne pas en compte son pater noster récité dans l’intimité de sa chambre ou le fait qu’il fréquente l’Eglise plusieurs fois par mois.

Ces trois points portent atteinte aux généralisations introduites par le centre d’étude concerné.

Par ailleurs, et cette réplique, je l’ai gardée pour le dessert, il y a un fait de première importance essentiellement caractéristique de la Russie, de la Biélorussie et de l’Ukraine : le communisme soviétique, on ne le conteste plus que très rarement, était déjà en soi, par son essence, une religion, l’antichambre d’une spiritualité religieuse encore un peu tâtonnante, encore un peu emportée, la nôtre, celle d’aujourd’hui. Si même, on est d’accord là-dessus, le cap à franchir était indiciblement douloureux, le principe n’a pas bougé d’un pouce et le voilà qui de temps à autres amène à la bipolarité classique laxisme-durcissement canonique. A côté des effets fâcheux, voire ouvertement scandaleux qu’elle génère, car il est depuis belle lurette inutile de réduire les gens à un troupeau illuminé de ruminants, il y a malgré tout un constat positif à faire : si ça boue, c’est qu’il y a de la vie.

Somme toute, le communisme bolchevique, avec toutes ses horreurs de même qu’avec tous ses remarquables idéaux auxquels l’on croyait, a paradoxalement fait office de pierre de touche du monument orthodoxe, de noyau dur que les déroutes contagieuses de 1991 n’ont pas su extraire et qui s’est implanté à un système de coordonnées à la fois vieux de onze siècles et, parallèlement, juvénile jusqu’à la fougue la plus attendrissante.
Lien La Voix de la Russie
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De chair et de sang

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 14 Juin 2012 à 11:01 | 1 commentaire | Permalien



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