Une récente discussion sur la légitimité canonique de l’Archevêché est partie un peu dans tous les sens, c’est pourquoi je voudrais revenir sur cette question.

C’est, à mes yeux, un cas typique où chercher à appliquer des canons anciens, sortis de leur contexte, aboutit à une impasse. L’Archevêché est une entité ecclésiale qui se trouve au sein de l’Eglise de Constantinopleet,dece point de vue, sa légitimité canonique ne peut être contestée. Mais en même temps, l’Archevêché est un diocèse dont l’évêque a quitté l’Eglise russe sans l’accord de celle-ci, acte condamné formellement,(par exemple) par le 16ième canon du premier concile œcuménique. (1) Et l’Eglise de Constantinople ne pouvait en aucun le recevoir. De ce point de vue, l’Archevêché ne peut être considéré comme canoniquement légitime.

Il est regrettable que certains orthodoxes se complaisent dans ces luttes stériles, à coup de canons, (sans jeu de mot !) appliqués à des situations pour lesquelles ces derniers n’ont pas été formulés. Les règles adoptées par l’Eglise, appelés « canons » ne font que traduire les décisions prises dans tel ou tel cas précis en fonction de la réalité même de l’Eglise, cet organisme divino-humain conduit par l’Esprit Saint.

Ce ne sont en aucun cas des règles juridiques formelles qu’il y a lieu d’appliquer jusqu’à l’absurde.

Pour en revenir à l’Archevêché, il faut se souvenir que Monseigneur Euloge n’a pas quitté l’Eglise russe de propos délibéré, il a estimé qu’il ne pouvait faire autrement, vu le degré de persécution qui s’abattait sur son Eglise et qui empêchait ses représentant s d’agir librement.
Monseigneur Euloge s’est efforcé de trouver des justifications canoniques à son action. Mais il a surtout écrit qu’il soumettrait ses choix au jugement de l’Eglise russe lorsqu’elle aurait retrouvé sa liberté. Il était en effet difficile de trouver dans l’histoire de l’Eglise une situation semblable, à laquelle il eût été possible de se référer. Et, si ce choix avait été canoniquement incontestable, il aurait sans doute été inutile de le soumettre au jugement de l’Eglise russe.

Je cite ici la traduction d’un passage de la lettre pastorale envoyée par Monseigneur Euloge à ses ouailles après son passage à Constantinople. Cette lettre est datée du 12/25 février 1931 : « …Bien entendu, en empruntant ce chemin, nous ne nous détachons pas de notre mère, l’Eglise russe ni ne la repoussons. Nous continuons à La vénérer pieusement et L’aimer ardemment, notre Eglise grandement souffrante, Eglise des confesseurs et des martyrs et nous ne mettons pas fin à notre union avec Elle. Nous nous engageons à soumettre à son jugement, le moment venu, lorsqu’elle sera libre, toutes nos actions accomplies durant la période de notre séparation formelle involontaire. … » (Traduit par mes soins) Pour toute objectivité je joins en annexe / P.J. PDF / le texte complet de la lettre pastorale en russe. Elle a été publiée dans « Le messager de l’Eglise russe en Europe » n°59 fév. mars 1956, date qui correspond au 25ième anniversaire de la création de l’Exarchat

Personnellement je pense que Monseigneur Euloge a eu raison de faire ce qu’il a fait. Je pense même que l’Eglise russe, maintenant devenue libre, n’aurait aucune raison de ne pas le reconnaître. Encore faudrait-il que la promesse de Monseigneur Euloge soit tenue par son successeur actuel. Mais certains membres, influents actuellement, de l’Archevêché pensent que le temps a délié cette entité ecclésiale de l’engagement pris en son nom par Monseigneur Euloge. C’est une profonde erreur.Aucun déchirement né dans l’Eglise ne disparaît par « prescription. Il n’est pas possible de faire l’impasse sur ses promesses. C’est parce que cette promesse n’a toujours pas été tenue que l’Archevêché souffre et ne connait ni la paix à l’intérieur de lui-même, ni la paix avec l’Eglise dont il est issu. C’est pour cela que sa situation canonique fait toujours question. C’est pour cela qu’il est une source permanente de discorde dans l’orthodoxie en France.

Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Soumettre les actions de l’Archevêché au jugement de l’Eglise russe n’est pas nécessairement accepter par avance de rejoindre en bloc le Patriarcat de Moscou. L’Archevêché a en son sein plusieurs composantes qui devraient s’efforcer de trouver,toutes ensembles, une voies commune, approuvée par l’Eglise Orthodoxe et donc en particulier l’Eglise russe et l’Eglise de Constantinople. Le processus sera peut-être long. Il faudrait en premier lieu une clarification des opinions au sein de l’Archevêché lui-même, car depuis dix ans toute discussion à ce sujet a été bannie et l’opinion de certains présentée comme vérité intangible, ce qu’elle n’est pas. Pour cela il est indispensable, suivant les paroles récentes de Sa Sainteté le Patriarche de Constantinople, d’abandonner tout esprit polémique. Puisse les membres de l’Archevêché s’engager sur cette voie !

* * *

(1) [ceux qui ne restent pas dans les Églises pour lesquelles ils ont été promus]

« Ceux qui, presbytres ou diacres ou tous ceux qui prennent rang dans le clergé, ont eu l’audace de s’éloigner de leur Église, sans avoir les yeux fixés ni sur la crainte de Dieu ni sur les saints canons, ne doivent en aucun cas être reçus dans une autre Église. On doit les inviter très fermement à retourner dans leur diocèse, et, s’ils restaient, on devrait les priver de communion.
Si quelqu’un avait l’audace de voler pour ainsi dire un candidat qui appartient à un autre évêque pour l’ordonner, sans l’autorisation de l’évêque qui le comptait dans son clergé dans sa propre Église, cette ordination n’a pas de valeur. »

Séraphin Rehbinder
Octobre 2011



Rédigé par Séraphin Rehbinder le 20 Novembre 2011 à 20:00 | 5 commentaires | Permalien



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