Sous les remparts de Chersonèse
Mgr Jean Milet

Serge Boulgakov "Sous les remparts de Chersonèse"

Il faut absolument, d'entrée de jeu, situer historiquement ce texte, ainsi que son auteur. Il s'agit donc d'un volume composé en 1922, par un écrivain, théologien, russe, Serge BOULGAKOV Mais l'auteur choisit de ne pas le publier, et il restera en son état premier dans les archives de l'Institut Saint-Serge de Paris, jusqu'en 1991. Il fut alors publié en russe ; puis en 1999, il est publié en français.
Il faut bien remarquer d'abord la date de sa rédaction : 1922. Nous sommes donc cinq ans à peine après la prise de pouvoir, en Russie, de LÉNINE et du parti communiste. La Russie traditionnelle s'est effondrée et l'on ne sait quel sera l'avenir de la patrie russe. D'autre part, Serge BOULGAKOV est connu comme un penseur profond, et comme écrivain apprécié en ces années 1920-1922. Lui-même s'est trouvé alors tenté, comme tout un chacun en Russie, par les propositions du communisme de LÉNINE. Mais il rejettera rapidement son matérialisme, à la suite d'une relecture des écrits de SOLOVIEV.

Ordonné prêtre, BOULGAKOV a fui Moscou pour se réfugier à Yalta. Mais il en sera chassé, en 1923. Après s'être arrêté à Constantinople, puis à Prague, il vient se fixer à Paris, en 1925. Il y travaillera à la fondation de l'Institut de théologie orthodoxe, tout en publiant, en russe, des écrits à portée philosophique et théologique.
Il nous faut dire aussi un mot concernant le titre donné à ce volume : Sous les remparts de Chersonèse. Cette cité est situé en Crimée, près de Sébastopol. C'est un haut-lieu de la foi orthodoxe ; c'est là que saint Vladimir, monarque local, va recevoir le baptême, en 988. C'est donc dans ce cadre que BOULGAKOV va situer sa méditation sur l'avenir de la foi orthodoxe (par modestie il se situe « sous les remparts » de la ville sainte).

En quoi va consister cette méditation ? Il s'agira, dans la présentation, d'un échange de propos - réparti sur deux cent quatre-vingt-dix pages - entre un auteur principal, intitulé « le réfugié », qui est le porte-parole de la pensée de BOULGAKOV, et des interlocuteurs qui contestent ses prises de position touchant au rapprochement avec l'Église romaine, au nom de la tradition (le porte-parole est appelé le « théologien laïc ») et divers autres antagonistes, tous favorables au maintien de l'indépendance de la chrétienté russe-orthodoxe face à l'Église romaine.

La méditation d'ensemble peut se placer sous le signe de la formule mise en sous-titre de l'introduction ; « la tentation catholique d'un théologien orthodoxe » (p 5). La méditation, nous ne le cacherons pas, est d'une extrême profondeur ; on ne peut lire ce livre à la légère. Chaque page sollicite la réflexion. La raison en est que la situation où vivent les dialoguistes est dramatique pour la chrétienté russe (nous sommes en 1922). La traditionnelle foi orthodoxe de tout un peuple vient d'être bousculé par la révolution marxiste et son matérialisme radical. La « sainte Russie » va-t-elle disparaître ? Ou bien peut-elle profiter des circonstances pour renaître ? Cette méditation religieuse a été reçue en 1922, il y a près de quatre-vingts ans. Les éditions suisses Ad Solem ont cru bon d'éditer enfin ce volume, en 1991. C'est l'édition, en français, de ce volume, en 1999, que nous commenterons. Son actualité reste stupéfiante.
La chute de la dictature communiste, à partir des années 1989, redonne toute son actualité et sa vigueur à ce texte. La « sainte Russie » va-t-elle pouvoir renaître ? C'est la question dont on retrouve l'actualité, avec la question qui reste sous-jacente ; le rapprochement avec Rome reste-t-il possible ?

Il faut tout de même que le lecteur catholique actuel sache que les approches romaines que manifeste l'auteur (en 1922) n'auront pas chez lui d'autres suites. L'auteur fera, malheureusement, des rencontres malencontreuses - au cours des année 30 - avec des représentants de l'Église catholique qui le déconcerteront ; il s'agira, en fait, de représentants catholiques de tendance intégriste (quelques jésuites) ; et le comportement de l'Église catholique autrichienne, face au nazisme, le déconcertera. Malgré ces déboires, le texte de BOULGAKOV, de 1922, reste porteur de bien des espoirs. Relisons donc ce texte avec un intérêt, qui prendra forme passionnelle.
SUITE: "Esprit et Vie"
Traduit du vieux russe, présenté et annoté par Bernard MARCHADIER, Genève, Éd. Ad Solem, 1999. -(14x21), 291 p., sans prix indiqué.

Esprit & Vie n°60 / juin 2002 - 2e quinzaine, p. 20-22.
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Mgr Jean Milet : Monseigneur Jean Milet a enseigné à la Faculté de Philosophie de l’Université de Montréal et à la Faculté de Philosophie de l’Institut Catholique de Paris. Il a également été chargé de cours à la Faculté de Droit Canonique de l’Institut Catholique de Paris et présidé les travaux de la Commission « Science et éthique » de l’UNESCO. Élevé à la prélature en 1993, il a été aumônier des Écrivains Catholiques et a publié de nombreux articles et recensions sur la philosophie et la théologie.

Rédigé par l'équipe de rédaction le 11 Novembre 2010 à 19:38 | 1 commentaire | Permalien


Commentaires

1.Posté par Marie Genko le 12/11/2010 11:42

Pour une personne aussi peu cultivée, que je le suis, et qui n'ai jamais ouvert un livre de Boulgakov, lire ce qui figure dans le lien "Esprit et Vie" ci-dessus, a été à la foi un étonnement et aussi je peux le dire un moment de choc!
Ensuite je me suis rappelée que Boulgakov avant de devenir prêtre a eu l'esprit corrompu par le marxisme et j'ai mieux accepté son aveuglement et ses préjugés concernant une Russie pré révolutionnaire "césaro-papiste".

Aucune construction humaine ne s'est jamais révélée parfaite.

-Aujourd'hui l'Église de Russie est toujours accusée de collusion avec le pouvoir!
Pourtant nous devons réfléchir à l'utilité d'une concertation de l'Église et de l'État qui travaillent toutes deux à l'épanouissement spirituel et physique d'un seul et même tissus social!
Saint Paul n'écrit-il pas:
" Que chacun se soumette aux autorités en charge, car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu...Veux-tu n'avoir pas à craindre l'autorité? Fais le bien et tu en recevras des éloges; car elle est un instrument de Dieu pour te conduire au bien." (Rom. XIII I-4)
Dans le désert spirituel, voulu et entretenu par nos États européens laïques, ne devons-nous pas au contraire voir l'exemple de l'État Russe soutenant l'action de l'Église, comme une action positive permise par le Seigneur après trois générations de persécutions impitoyables?
-Pour ce qui est de la ferveur pro catholique de Boulgakov, et c'est le sujet qui nous importe ici, elle m'a autant surprise que son rejet de la structure impériale de la Russie pré révolutionnaire.
Car selon Mgr Jean Milet, Boulgakov fait porter aux orthodoxes seuls la responsabilité du schisme...?
Voilà qui me semble une position extrême, car nous savons tous que dans n'importe quel différend humain les deux parties sont toujours toujours porteuses, l'une comme l'autre, d'une part de responsabilité!
Il n'est pas question de porter un jugement de valeur sur la personne d'un prêtre d'une spiritualité éminente et qui a indubitablement marqué sa génération, mais ne sommes-nous pas tous susceptibles d'erreurs?
Le rêve de Boulgakov d'une renaissance de la chrétienté universelle, ce rêve est aussi notre rêve!
Cependant pour que ce rêve se réalise, nous devons nous efforcer de le construire sur La Vérité et sur elle seule. Et cette Vérité c'est celle des sept premiers conciles.

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