Déclaration des représentants orthodoxes à la conférence d'Oberlin, 1957
Faisant suite aux nombreux échanges sur la Question de la vision de l'Eglise Une avec les autres confessions chrétiennes, nous présentons ci-dessous le texte de la déclaration faite à l’occasion de la conférence de Foi et Constitution qui s’est tenue dans l’Ohio en septembre 1957.
Il est intéressant de voir où en étaient ces réflexions sur l’Église Une et la position des Orthodoxes moins de dix ans après la création du Conseil œcuménique des Eglises. Toutes les affirmations qui s’y trouvent existaient déjà de manière sous-jacente dans les débats qui se sont déroulés avant 1948.

DECLARATION DES REPRESENTANTS DE L'ÉGLISE ORTHODOXE
A LA CONFERENCE D'ETUDE NORD-AMERICAINE FOI ET CONSTITUTION
OBERLIN, OHIO, 3-10 SEPTEMBRE 1957

En tant que délégués à la conférence d'étude nord-américaine "Foi et Constitution", nous voulons exprimer les points suivants.Nous sommes heureux de prendre part à une conférence concernant un besoin aussi fondamental que l'unité pour le monde Chrétien. Tous les Chrétiens devraient rechercher l'unité.

Déclaration des représentants orthodoxes à la conférence d'Oberlin, 1957
D'un autre côté, nous sentons que tout le programme des discussions à venir a été cadré d'un point de vue qu'en toute conscience, nous ne pouvons admettre. "L'unité que nous recherchons" est pour nous une unité donnée qui n'a jamais été perdue et, en tant que don de Dieu et une marque essentielle de l'existence Chrétienne, n'aurait pas pu avoir été perdue. Cette unité dans l'Église du Christ est pour nous une unité au sein de l'Église historique, dans la plénitude de la Foi, dans la plénitude de la vie sacramentelle ininterrompue. Pour nous, cette unité est incarnée dans l'Église orthodoxe, qui a conservé, katholikos et anelleipos, à la fois l'intégrité de la foi apostolique et l'intégrité de la succession apostolique.

Notre participation dans l'étude de l'unité chrétienne est résolue par notre ferme conviction que cette unité ne peut être trouvée que dans la communion de l'Église historique, préservant la plénitude de la tradition catholique, tant dans la doctrine que dans la succession apostolique. Nous ne pouvons nous engager dans la moindre discussion au sujet de ces points de base, comme si elles n'étaient qu'hypothèses ou problématiques. Nous commençons ici avec une conception claire de l'unité de l'Église, que nous croyons avoir été incarnée et réalisée dans l'histoire multiséculaire de l'Église orthodoxe, sans le moindre changement ou la moindre interruption depuis les temps où l'unité visible de la Chrétienté était un fait évident et était attestée et démontrée par une unanimité œcuménique, à l'époque des Conciles œcuméniques.

Nous admettons, bien entendu, que l'unité de la Chrétienté a été bouleversée, que l'unité de Foi et l'intégrité des ordres apostoliques ont été fortement brisés. Mais nous n'admettons pas que l'unité de l'Église, et plus précisément de l'Église "visible" et historique, ait jamais été brisée ou perdue, de sorte que ce serait à présent un problème de recherche et de découverte. Dès lors, le problème de l'unité est pour nous le problème du retour à la plénitude de la Foi et de l'Ordre apostolique, dans la totale fidélité au message des saintes Écritures et de la tradition et en obéissance à la volonté de Dieu : "Que tous soient Un."

Bien longtemps avant la rupture de l'unité de la Chrétienté occidentale, l'Église orthodoxe avait un sens aigu de l'importance essentielle de l'unité des croyants Chrétiens, et dès ses débuts elle a déploré les divisions au sein du monde Chrétien. Que ce soit actuellement ou dans le passé, elle se lamente sur la désunion parmi ceux qui affirment être disciples de Jésus-Christ, dont le but dans le monde était d'unir tous les croyants en un seul Corps. L'Église orthodoxe estime que, du fait qu'elle n'a pas été mêlée à la rupture de l'unité religieuse en Occident, elle porte la responsabilité particulière de contribuer à la restauration de l'unité Chrétienne qui seule peut rendre effectif le message de l'Évangile dans un monde perturbé par les menaces de conflits mondiaux et une incertitude généralisée à propos de son avenir.

C'est avec humilité que nous exprimons clairement la conviction que l'Église orthodoxe peut apporter une contribution spéciale à la cause de l'unité Chrétienne, parce que depuis la Pentecôte, elle a possédé la véritable unité voulue par le Christ. C'est avec cette conviction que l'Église orthodoxe est toujours prête à rencontrer des Chrétiens d'autres communions dans des réflexions interconfessionnelles. Elle se réjouit du fait qu'elle est à même de se joindre à celles parmi les autres confessions dans des conversations œcuméniques qui tendent à faire tomber les barrières vers l'unité Chrétienne. Cependant, en toute honnêteté, en tant que représentants de l'Église orthodoxe, nous nous sentons obligés de confesser que nous devons préciser notre participation, comme c'est rendu nécessaire par la Foi historique et la pratique de notre Église, et aussi d'exprimer la position générale qui doit être adoptée dans cette conférence interconfessionnelle.

En considérant de prime abord "la nature de l'unité que nous recherchons", nous souhaitons commencer par établir clairement que notre approche diverge de ce qui est habituellement recommandé et généralement attendu de la part de représentants participants. L'Église orthodoxe enseigne que l'unité de l'Église n'a jamais été perdue, parce qu'elle est le Corps du Christ, et que dès lors, elle ne saurait être divisée. C'est le Christ qui est à sa tête, et la présence vivifiante du Saint Esprit qui garantit l'unité de l'Église à travers les siècles.

La présence d'imperfections humaines parmi ses membres est impuissante à effacer l'unité, car le Christ lui-même a promis que "les portes de l'enfer ne prévaudraient pas contre l'Église." Satan a toujours semé de l'ivraie dans les champs du Seigneur, et les forces de désunion ont souvent été menaçantes, mais en réalité, elles n'ont jamais réussi à diviser l'Église. Aucune puissance ne pourrait être plus forte que la volonté omnipotente du Christ, qui a fondé une Église uniquement pour amener les hommes à l'unité avec Dieu. L'unité est une marque essentielle de l'Église.
S'il est vrai que le Christ a fondé l'Église comme un moyen d'unifier les hommes divisés par le péché, alors il doit naturellement s'ensuivre que l'unité de l'Église a été préservée par sa divine omnipotence. L'unité n'est dès lors pas seulement une promesse, ou une potentialité, mais elle appartient à la nature même de l'Église. Ce n'est pas quelque chose qui a été perdu et qui devrait être retrouvé, mais plutôt c'est la caractéristique permanente de la structure de l'Église.

L'amour chrétien nous pousse à parler avec franchise de notre conviction que l'Église orthodoxe n'a pas perdu l'unité de l'Église voulue par le Christ, car elle représente l'unité qui, dans la chrétienté occidentale, n'a été qu'une potentialité. L'Église orthodoxe enseigne qu'elle n'a nul besoin de chercher une quelconque "unité perdue", puisque sa conscience historique dicte que c'est elle qui est l'Unam Sanctam et que tous les groupes chrétiens hors de l'Église orthodoxe ne peuvent retrouver leur unité qu'en entrant dans le sein de cette Église qui a préservé son identité avec le Christianisme antique.
Ce ne sont pas des affirmations qui proviendraient d'une audace, mais d'une conscience historique interne de l'Église orthodoxe. En effet, tel est le message spécifique de l'Orthodoxie orientale à la chrétienté occidentale divisée.

Fidèle à sa conscience historique, l'Église orthodoxe déclare qu'elle a maintenu une continuité ininterrompue avec l'Église de la Pentecôte, en préservant la foi et l'ordre apostolique inaltérés. Elle a gardé "la foi transmise une fois pour toutes aux saints" libre de toute déformation due à des innovations humaines. Les doctrines inventées par des hommes n'ont jamais réussi à s'imposer dans l'Église orthodoxe, puisqu'elle n'a aucune association nécessaire dans l'histoire avec le nom d'un seul Père ou théologien. Elle possède la plénitude et la garantie de l'unité et de l'infaillibilité par l'opération du Saint Esprit et non par le ministère d'une seule personne. C'est pour cette raison qu'elle n'a jamais senti le besoin envers ce qui est connu comme "un retour à la pureté de la foi apostolique." Elle maintient la nécessaire balance entre la liberté et l'autorité, et évite dès lors les extrêmes de l'absolutisme et de l'individualisme, qui tous deux ont fait violence à l'unité Chrétienne.

Nous réaffirmons ce qui a été déclaré à Evanston et ce qui a été déclaré dans le passé au cours de toutes les conférences interconfessionnelles auxquelles des délégués de l'Église orthodoxe ont participé. Ce n'est en rien dû à notre mérite personnel, mais c'est à la divine condescendance que nous devons de représenter l'Église orthodoxe et sommes à même d'exprimer ces affirmations. En conscience, nous sommes tenus de déclarer explicitement ce qui est logiquement suggéré ; à savoir que tous les autres corps [chrétiens] ont été directement ou indirectement séparés de l'Église orthodoxe. D'un point de vue Orthodoxe, l'unité signifie le retour des entités séparées à l'Église orthodoxe historique, l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique.

L'unité que l'Orthodoxie représente repose sur l'identité de Foi, d'ordre hiérarchique et de culte. Tous trois, ces aspects de la vie de l'Église sont extérieurement préservés par la réalité de la succession ininterrompue d'évêques qui est l'assurance de la continuité ininterrompue de l'Église avec les origines apostoliques. Cela signifie que la plénitude non compromise de l'Église requiert la préservation tant de sa structure épiscopale que de sa vie sacramentelle. Respectant avec ténacité son héritage apostolique, l'Église orthodoxe maintient qu'aucune unité réelle n'est possible là où l'épiscopat et les sacrements sont absents et s'afflige du fait que ces deux institutions ont été soit abandonnées soit dénaturées dans certaines parties de la chrétienté. Tout accord sur la Foi doit reposer sur l'autorité des déclarations des sept Conciles œcuméniques qui représentent l'esprit de l'Église indivise de l'Antiquité et la tradition subséquente telle que préservée dans la vie de l'Église orthodoxe.

Nous regrettons que le problème si capital du ministère ordonné et celui de la succession apostolique, sans lesquels, selon notre point de vue, il n'y a ni unité ni Église, n'ont pas été prévus au programme de la Conférence. Tous les problèmes de ministère ordonné semblent manquer au programme. Ceux-là sont, selon notre opinion, des points basiques pour toute étude de l'unité.
L'unité visible exprimée dans l'union organisationnelle ne détruit pas la centralité de l'esprit entre les fidèles, mais au contraire atteste de la réalité de l'unité de l'Esprit. Là où il y a plénitude de l'Esprit, là aussi il y aura la concorde externe. Depuis les temps apostoliques, l'unité des fidèles Chrétiens a été manifestée par une structure visible, organisée. C'est l'unité dans le Saint Esprit qui est exprimée dans une organisation unifiée visible.

La Sainte Eucharistie, en tant qu'acte suprême du culte, est l'affirmation extériorisée de la relation interne jaillissant de l'unité dans le Saint Esprit. Mais cette unité implique un consensus de Foi parmi ceux qui participent. L'intercommunion est dès lors possible uniquement lorsqu’ existe l'accord sur la Foi. Dans tous les cas, le culte commun [concélébration] doit présupposer une Foi commune. L'Église orthodoxe maintient que le culte de quelque nature que ce soit ne saurait être sincère à moins qu'il n'y ait unité de Foi parmi ceux qui y participent. C'est suite à cette conviction que les Orthodoxes hésitent à se joindre à des offices de prière commune et s'abstiennent strictement d'assister à des offices de Communion interconfessionnels.

Une Foi commune et un culte commun sont inséparables dans la continuité historique de l'Église orthodoxe. Cependant, dans l'isolation, aucun des deux ne saurait être préservé intégral et intact. Tous deux doivent être gardés dans une relation organique et interne l'un avec l'autre. C'est pour cette raison que l'unité Chrétienne ne saurait être réalisée simplement en déterminant quels articles de foi ou quel Credo devrait être considéré comme constituant la base d'unité. En plus de souscrire à certaines doctrines de Foi, il est nécessaire de réaliser l'expérience d'une tradition commune ou du communis sensus fidelium préservés par le culte commun dans le cadre historique de l'Église orthodoxe. Il ne saurait y avoir de vraie unanimité de Foi à moins que la Foi ne demeure au sein de la vie et de la tradition sacrée de l'Église, qui est identique à travers les siècles. C'est dans l'expérience liturgique que nous affirmons la véritable Foi, et inversement, c'est dans la reconnaissance d'une Foi commune que nous assurons la réalité du culte en esprit et en vérité.

Dès lors l'Église orthodoxe en chaque localité insiste sur l'accord de Foi et de culte avant qu'elle n'envisage de partager la moindre activité interconfessionnelle. Les différences doctrinales constituent un obstacle sur le chemin d'une participation sans restriction à de telles activités. Afin de protéger la pureté de la Foi et l'intégrité de la vie liturgique et spirituelle de l'Église orthodoxe, l'abstention de participation aux activités interconfessionnelles est encouragée au niveau local. Il n'existe pas un seul aspect de la vie de l'Église qui ne soit lié à sa Foi. L'intercommunion avec une autre Église doit être ancré dans un consensus de Foi et une compréhension commune de la vie sacramentelle. En particulier, la sainte Eucharistie doit être la démonstration liturgique de l'unité de Foi.
Nous sommes pleinement conscients des profondes divergences qui séparent les confessions chrétiennes les unes des autres, dans tous les domaines de la vie et de l'existence chrétienne, dans la compréhension de la foi, dans la manière de vie, dans les habitudes cultuelles. En conséquence, nous cherchons une unanimité de Foi, une identité d'ordres ministériels, une fraternité dans la prière. Mais pour nous, ces trois points sont organiquement liés les uns aux autres. La communion dans le culte liturgique n'est possible que dans l'unité de la Foi. La Communion présuppose l'unité. Dès lors, le terme "intercommunion" nous semble être l'épitomé de cette conception que nous sommes forcés de rejeter. Une "intercommunion" présuppose l'existence de plusieurs confessions séparées et divisées, qui se regroupent occasionnellement pour mener certains actes ou actions en commun. Dans la véritable unité de l'Église du Christ, il n'y a pas de place pour plusieurs "confessions." Il n'y a dès lors pas de place pour une "intercommunion." Quand tous seront unis en vérité dans la Foi et l'ordre apostolique, il y aura une Communion et une fraternité totale en toutes choses.
Déjà en 1937, à Edimbourg, les délégués Orthodoxes avaient déclaré que nombre de problèmes étaient exposés dans le cadre des Conférences "Foi et Constitution" d'une manière et d'une position qui étaient extrêmement peu sympathiques pour les Orthodoxes. Nous sommes obligés de répéter cela ici aussi. Mais à nouveau, comme il y a quelques années à Edimbourg, nous voulons témoigner de notre préparation et de notre volonté à participer à cette étude, afin que la vérité de l'Évangile et la plénitude de la tradition apostolique puissent être portés à la connaissance de tous ceux qui, vraiment, de manière désintéressée et pieusement cherchent l'unité dans notre Seigneur béni et son Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique.

bÉvêque Athenagoras Kokkinakis,
Protopresbytre Georges Florovsky
Protopresbytre Eusebius A. Stephanou
Prêtre George Tsoumas
Prêtre John A. Poulos
Prêtre John Hondras
Prêtre George P. Gallos

Deux des signatairee du texte : [le protopresbytre Eusebius A. Stephanou et l’évêque Athenagoras Kokkinakis
A la conférence d’Oberlin

Photo № 2: l'archevêque Athénagoras et le père Georges Florovsky prise à Evanston en 1954

Rédigé par IRENEE le 18 Mai 2010 à 15:09 | 9 commentaires | Permalien



Recherche



Derniers commentaires


RSS ATOM RSS comment PODCAST Mobile