Le 12 septembre 2015, Edouard Radzinsky écrivain et dramaturge, était l’hôte de l’émission dirigée par le métropolite de Volokolamsk Hilarion sur la chaîne « Rossia 24 ».

Métropolite Hilarion : Bonjour, chers frères et sœurs ! Vous regardez l’émission « L’Église et le monde ». Le 12 septembre, l’Église fête la mémoire du saint prince orthodoxe Alexandre de la Neva. Cette fête a été établie par Pierre le Grand en 1721 pour marquer la fin de la guerre du Nord avec les Suédois. C’est alors que le premier empereur russe a ordonné de transférer les reliques du grand chef d’armée russe, depuis Vladimir jusque dans sa nouvelle capitale. Depuis lors, Alexandre de la Neva est devenu le protecteur et le défenseur de la capitale du nouvel empire et l’inspirateur de ses grandes victoires. En 2008, la chaîne télévisée « Rossia » a diffusé le programme « Nom de la Russie », dans lequel Alexandre de la Neva, suite à un vote populaire, a été élu le principal héros historique de notre pays.

Le nom du saint prince orthodoxe, lors du programme, a été présenté par le métropolite Cyrille – actuellement S.S. le patriarche de Moscou et de toute la Russie. Dans sa brillante intervention, celui-ci actualisa la personnalité et l’exploit du grand prince. Nous parlerons aujourd’hui du destin historique de la Russie, de ses victoires et de ses tragédies. Mon invité est l’écrivain, dramaturge et responsable d’émissions télévisées, Edouard Radzinsky. Bonjour, Édouard Stanislavovitch !

E. Radzinsky : Bonjour, Monseigneur ! Si l’on parle du programme « Nom de la Russie », il s’avère que contre toute attente, le nom de Staline s’était hissé considérablement dans le classement. Cela a provoqué une réaction absolument inattendue. Mais, il me semble que la cause de cela n’était pas tant l’affection populaire à l’égard de Joseph Staline que la désaffection envers la vie ambiante, c’est-à-dire que le capitalisme russe ne pouvait enthousiasmer les masses populaires et la pensée : « Staline n’est pas là pour s’occuper de vous ! » trouvait sa justification. Heureusement, en fin de compte, la majorité des voix a été donnée au saint prince orthodoxe Alexandre de la Neva qui, réellement, est l’un des plus grands symboles de la Russie.

Le métropolite Hilarion : Nombreux sont parmi nous ceux qui ont regardé ce programme télévisé, et qui ont donné leur préférence à différentes figures historiques. Or, il était difficile de choisir, par exemple, entre Dostoïevski et saint Alexandre de la Neva. Mais étant donné qu’il ne fallait choisir qu’un nom qui pourrait servir de symbole au pays, à son histoire, son identité, sa spiritualité, c’est donc Alexandre de la Neva qui a triomphé, me semble-t-il comme véritable homme-symbole, qui était un gouvernant, un vaillant chef d’armée, et en même temps, un homme miséricordieux et vertueux ; il a remporté des victoire exceptionnelles, tout en étant un exemple de véritable chrétien. Pour beaucoup de gens d’Église, la victoire d’Alexandre de la Neva dans le cadre du programme « Nom de la Russie » a été un point de repère, un test décisif, car il a montré qu’il y a chez nous beaucoup de gens qui sont sympathisants de différentes personnalités historiques, mais s’il faut choisir une seule personnalité parmi toutes, celle d’Alexandre de la Neva, le vaillant défenseur de la terre russe et de la foi orthodoxe, est alors absolument sans concurrence.

E. Radinsky : Je souhaitait que soit gagnant Alexandre Pouchkine, dont la poésie, selon moi, est le symbole de la grandeur de la Russie et de sa spiritualité. Mais s’il faut choisir entre la personnalité d’Alexandre de la Neva et la personnalité de Staline, la victoire du grand-prince est évidente. Pour parler honnêtement, j’ai été très intéressé par l’attitude des téléspectateurs envers Nicolas II, qui n’est pas entré dans la liste des douze « finalistes » du programme. Néanmoins, la personnalité du dernier empereur russe a ému de nombreuses personnes et je considère l’intérêt populaire envers Nicolas II assez légitime. La question de la révolution reste toujours pour moi la principale. Mon livre sur les révolutions russe et française sortira bientôt. Maximilien Robespierre a dit de façon remarquable : « La grande révolution nécessite beaucoup de sang ». C’était comme une réponse à notre grand écrivain Karamzine qui, en son temps, alors que commençait l’ère des Lumières dans le pays, qui paraissaient être un mouvement de liberté, a dit : « Le siècle des lumières ! Dans le feu et le sang je ne te reconnais pas ». Bien que Robespierre ait reconnu ce siècle. Vous savez, cela est étonnant que, outre le fait que la révolution est le sang, elle est toujours une folie.

Métropolite Hilarion
: Dans vos films, que je regarde avec un immense intérêt, comme de nombreux téléspectateurs de notre pays, vous rappelez que la révolution est semblable à Saturne qui dévore ses enfants. Effectivement, les victimes de la révolution ne sont pas seulement ceux contre lesquels elle est dirigée (c’est seulement la première phase), mais aussi les révolutionnaires, qui commencent à se battre entre eux, à se détruire entre eux. La terrible machine révolutionnaire fonctionne toujours de la même façon. Sur ce plan, il y a beaucoup de similitudes entre la révolution française et la révolution russe de 1917. Et vous le montrez toujours justement dans vos programmes. Si notre pays s’était toujours développé de façon évolutive, où en serait-il aujourd’hui ? Je pense que, nombreux sont parmi nous qui posent cette question les uns aux autres. Qu’auriez-vous répondu ?

E. Radinsky : Vous avez raison, la révolution, c’est une méthode de progrès, mais une méthode barbare et la plus sanguinaire. C’est pourquoi les gens perdent la raison. Léon Tolstoï a reçu une fois une lettre d’un homme qui était tombé amoureux de la femme de son ami. À ce moment, l’ami en question fut envoyé aux travaux forcés, apparemment, pour avoir appartenu à un mouvement révolutionnaire. Et dans cette lettre est décrit un dilemme, qui a surgi entre l’amitié et le sentiment romantique éprouvé pour la femme de son ami. N’y a-t-il pas là quelque chose de non permis pour l’âme ? se demandait cet homme. Si à ce moment, on lui avait chuchoté que peu de temps passerait et que lui-même, qui est maintenant tourmenté par les remords de conscience, avec douze autres personnes fusillerait ensuite, froidement, onze personnes sans armes, parmi lesquels se trouveraient des femmes et des enfants… Je parle de Iourovski qui a participé à l’assassinat de la Famille impériale. C’était lui qui avait écrit la lettre à Tolstoï. La révolution, c’est réellement une folie. Vous avez dit à juste titre que les révolutions ne sont pas simplement semblables, elles se regardent dans le miroir, se reflétant les unes les autres. Dans ce « miroir », Robespierre tend la main à Vladimir Ilitch (Lénine), à qui, s’il on avait dit dans sa jeunesse combien de sentences de mort pèseraient ensuite sur sa conscience, aurait été étonné et, probablement, aurait répondu qu’il n’en serait jamais ainsi. Pour ce qui concerne votre question principale – que serait devenue la Russie – l’économiste français Edmond Théry a déjà répondu. Il est venu en Russie en 1912 et a dit que la Russie, vers le milieu du XXème siècle sera le géant industriel de toute l’Europe, parce que la quantité des minéraux promettait beaucoup, qui plus est en tenant compte du capitalisme qui avançait. Lorsque l’on essaye de me prouver que Joseph Staline était un « manager » efficace, je ne peux pas écouter cela. Selon moi, il est le « manager » le plus inefficace que l’on puisse imaginer. Dans le pays dont parlait Théry, présentant l’avenir de la Russie, où se trouve toute la table de Mendeleïev de classification des éléments, où les paysans recevaient des terres – commencer à détruire tout cela, enlever leurs terres aux paysans, tuer l’intelligentsia, qui massivement acceptait déjà de collaborer avec les bolcheviques… Où est là le « manager » efficace ?!

Métropolite Hilarion :
commencer à tuer les soi-disant « koulaks », c’est-à-dire les paysans aisés…

E. Radzinsky : Commencer à tuer les koulaks et ne pas comprendre ce que la religion représentait pour le pays. L’académicien E.V. Tarlé a écrit un livre sur Napoléon. Il disait que si même Dieu n’existait pas, Napoléon l’aurait inventé, parce que l’empire ne peut pas, l’État ne peut pas, vivre sans Lui.
Métropolite Hilarion : Lorsque le pays se développe de façon évolutive naturelle, il existe en lui une structure étatique définie, et au cours du développement normal des événements, la tâche des gens qui dirigent le pays est justement l’utilisation du potentiel dont dispose ce pays. Avant tout, c’est le capital humain, ces ressources cachées dans l’âme du peuple. Que se passe-t-il lorsque se produit la révolution ? Celle-ci fait ressortir depuis le fond des âmes humaines tout ce qui est le plus vil, et non seulement elle le fait ressortir, mais c’est tout juste si elle ne le proclame pas comme vertu, c’est-à-dire que soi-disant au nom de buts futurs, elle justifie les meurtres massifs et les crimes monstrueux. Elle choisit au commencement un but, puis un autre, ensuite un troisième. On anéanti les gens, des couches et des classes entières de la population. Et tout cela est accompli par les mains de ceux qui, dans des conditions habituelles, non seulement ne se seraient pas permis de le faire, mais n’auraient même pas pensé à quelque chose de semblable. Ces mécanismes de retenue, qui existent tant dans la tradition religieuse que même dans n’importe quelle structure étatique, disparaissent quand commence la révolution, qui révèle les côtés les plus vils de la nature humaine.

E. Radzinsky : Oui, on peut se rappeler les événements de la nuit de la Saint Barthélémy et les jours de la révolution française lorsque l’on a anéanti dans les prisons les aristocrates et les prêtres. On tuait impitoyablement. Lorsque les Girondins s’adressèrent à Robespierre en disant que cela n’est pas possible, qu’il y a des lois, il leur dit à juste titre : Et la prise de la Bastille a-t-elle été légale ? Et le verdict concernant le roi est-il légal ? Pour la révolution, disait-il, il y a une seule loi : celle de la liberté, celle selon laquelle le tyran César a été assassiné à coups de poignard. Ces gens ne comprenaient malheureusement pas que la révolution n’a pas de pères, mais seulement des enfants impuissants, qui se trouvent dans les mains de cette terrible machine. Ils avaient affaire à trois classes, et plus tard apparaîtra une nouvelle classe, la principale classe de la révolution. C’est le lumpenprolétariat, les démunis, ceux qui aspirent à faire revenir la roue en arrière. Ce sont les enfants légitimes de la révolution. Aussi, sont condamnés dès le début ceux qui ont commencé la révolution, c’est-à-dire les Girondins, en Russie, les Cadets, ceux qui l’ont continué, puis – c’est le plus invraisemblable – ses héros, ses dirigeants. Pourquoi sont-ils condamnés ? Le révolutionnaire français a dit : « La révolution, tout comme le dieu Saturne, dévore ses enfants, faites attention, les dieux ont soif ». Mais, c’est ce qui est dit dans la Bible : « Tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée » (Matth. 26, 52)

Métropolite Hilarion :
La vague de violence engendre la violence.

E. Radzinsky : Absolument.

Métropolite Hilarion :
Pour cette raison, l’Église a toujours été l’ennemie de la révolution et c’est précisément pour cela que toute révolution déclare que l’Église est son ennemi. Le but de la révolution est diamétralement opposé au but de l’Église qui s’occupe des âmes des hommes, s’efforçant de faire ressortir de celle-ci ce qui est le plus élevé, positif, tout ce qui emplit de sens la vie de l’homme. Les idéaux de la révolution sont faux, elle pose des buts pour lesquelles les vies humaines sont sacrifiées, des classes entières de gens sont anéanties. Et en définitive, elle ne rend pas les gens meilleurs, plus heureux, elle ne crée pas pour eux une vie magnifique. La révolution, en fin de compte, constitue toujours une duperie, même si elle est motivée par les buts les plus nobles. C’est pourquoi l’Église a toujours été l’une des victimes des révolutions. Malheureusement, nous avons épuisé notre temps, mais ce thème est si vaste qu’il nous faudra y revenir très prochainement.

Traduction Orthodoxie.com

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 27 Septembre 2015 à 11:20 | 0 commentaire | Permalien



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