Le monastère de Solan : un greffon athonite sur le cep français (partie II)
Laurence Guillon

Naissance d’une orthodoxie à la française

Lorsque dans mon jeune âge, j’entendais parler de paroisse en langue française ou de retour des Français à leur christianisme originel, je prenais un air de commisération suspicieuse : toutes ces tentatives me semblaient pitoyables, artificielles, une caricature de l’orthodoxie russe à laquelle j’appartenais. La place des Français normaux était en Russie, leur pays d’origine ayant cessé d’être normal depuis trop longtemps, c’est pourquoi j’avais choisi de partir à Moscou. Cependant, l’orthodoxie française d’inspiration athonite fonctionne très bien. Je n’y entends aucune fausse note. Tout y est rigoureusement orthodoxe et complètement organique. Le monastère rayonne, au point que les gens y affluent et que même le paysage alentour semble différent, apaisé, sanctifié. Quoi de plus triste que ces paysages français magnifiques complètement désertés par l’Esprit de Dieu ? Autour de Solan, l’Esprit souffle avec le vent qui passe. Comme dans la campagne russe, autour de cinq coupoles brillant à l’horizon.
A cela je vois deux ou trois raisons : d’abord le choix de la langue française, qui rend le contenu des textes immédiatement accessible au Français de souche venu acheter du vin et entré dans l’église par curiosité.

Le monastère de Solan : un greffon athonite sur le cep français (partie II)
Ensuite la tradition orthodoxe irréprochable dans laquelle a été pratiquée cette acclimatation. Le recours au français n’a été accompagné d’aucune innovation douteuse, d’aucune restauration fantaisiste de traditions locales perdues depuis mille ans, de sorte qu’il prend, au cours des offices, un caractère intemporel et ne choque absolument pas. Ce n’est rien de plus qu’un code, le contenu des textes, les rites et le chant byzantin suffisant à l’enraciner dans les millénaires judéo-chrétiens antérieurs.

Enfin découlant de cette attitude, le respect de l’architecture et du style local, le recours, comme à Saint-Antoine-le-Grand, au style byzantin des églises grecques ou serbes qui se marie bien avec le paysage français et ses églises romanes.

A la lueur de Solan, j’en suis venue à me demander si la question des offices en russe moderne ou en slavon n’était pas un faux problème, si l’important n’était pas surtout la stricte conservation, quelle que soit la langue, du contenu des textes, de la Tradition, de la cohérence liturgique. Quand après Vatican II, on a voulu, dans le catholicisme romain, jeter le latin au profit du français, on l’a d’une part, imposé de façon autoritaire, sans aucune transition, alors qu’on aurait pu tolérer la permanence des usages précédents, et l’on a d’autre part autorisé parallèlement toutes sortes de dérives, chaque paroisse catholique se bricolant des offices de sa façon, inspirés par les sectes protestantes américaines. Je peux témoigner que lorsque des moines, ayant reçu l’esprit du monachisme athonite, s’occupent de naturaliser, d’acculturer Byzance, ils le font de telle manière que l’orthodoxie n’en souffre pas le moins du monde, et que les Français s’y retrouvent spontanément chez eux.

Les fidèles Français prennent l’orthodoxie très au sérieux et lisent beaucoup sur la question.
Leur comportement à l’église est, par certains côtés plus retenu et par d’autres plus libre. A Solan, on prévoit beaucoup de chaises, les gens s’assoient assez souvent, les jeunes et les enfants s’assoient par terre pour écouter les homélies du père Placide. Les gens sont correctement et discrètement habillés, mais sans impératifs vestimentaires particuliers, et personne ne fait jamais aucune remarque.

D’une façon générale, si les Français ne me semblent pas encore aussi à l’aise dans l’orthodoxie que ceux dont elle a toujours été la tradition, je dirais qu’ils ont l’avantage de ne recevoir de Russie, de Grèce ou d’ailleurs, que la fleur essentielle de la spiritualité orientale, le nec plus ultra des saintes figures et des penseurs religieux. Les icônes sont généralement iconographiques, dans la mouvance du père Grégoire et d’Ouspenski, les chants monastiques, sans trilles de rossignols énamourés. Les iconostases débarrassées des boursouflures baroques et des surcharges dorées introduites par Catherine II, en bois sculpté et ciré. L’esthétique française, éprise de simplicité, rejoint la sobriété des premiers siècles du christianisme sans aucun problème. C’est « la majesté du simple » chère au père Gérasime (Gascuel), que j’ai rencontré précédemment.

L’agro-écologie et les amis de Solan

Dès les origines de leur monastère, les sœurs se sont tournées vers l’agroécologie, et ont fondé avec Pierre Rahbi, spécialiste de cette question, l’association des « Amis de Solan » ouvertes aux bonnes volontés de tous horizons. Dans cette perspective, elles collaborent également avec le patriarcat de Roumanie, et reçoivent des stagiaires roumains. Leur domaine recouvre 60 hectares qui retrouvent lentement l’équilibre écologique ancestral sous la protection de cette bienfaisante communauté, imprégnée par la vision cosmique du christianisme originel : l’homme roi de la création, et non dictateur stalinien ni exploiteur capitaliste sans conscience.

L’éditorial de Pierre Rahbi, dans le dernier bulletin de l’Association, donne une juste idée de l’importance de la mission du monastère et de son rayonnement :

Tant que nous n’aurons pas une vision claire de ce que nous voulons de la vie, nous ne pourrons être guidés en conscience et dans nos âmes pour construire un monde satisfaisant pour tous, un monde qui soit digne de l’intelligence divine, représentatif de ce que véritablement nous avons à faire ici bas. Notre civilisation matérialiste, qui a prôné la raison comme seul moyen de comprendre la réalité, arrive aux limites de son expression. Tout ce que nous avons mis en place sans lui donner une âme se retourne contre nous. Nous avons des aptitudes mais pas l’intelligence pour leur donner ordre et harmonie. Or, plus je vais, plus j’ose affirmer que l’on n’arrivera à rien, si l’on s’acharne comme on le fait à évacuer le sacré. L’écologie politique s’enlise dans le matérialisme : elle ne parle que d’éléments pondérables et matériels mais non pas de ce qui devrait nous exalter : la beauté qui devrait nous aider à construire un autre monde. Le résultat en est que nous vivons dans une abondance triste et angoissée.

Il nous faut chercher l’utopie (et non la chimère) qui est d’oser faire autrement. C’est ce que Solan a fait avec une rigueur légère et déterminée ; et je suis heureux que le monastère puisse en témoigner à travers le livre publié par Actes sud. Son témoignage me touche énormément car il démontre qu’un tel changement est possible. Grâce à Solan et à mon ami Pierre Peylhard, je me suis engagé en Roumanie, accueilli par le métropolite Daniel de Moldavie qui est devenu par la suite le Patriarche de Roumanie. Cinq cents monastères peuvent évoluer comme Solan, entraînant avec eux les petits paysans.

La petite paysannerie en effet doit être sauvée. C’est une folie de mettre tant d’hommes dans les villes et quelques uns seulement pour les nourrir. Dans cette folie, trois milliards d’hommes sont aujourd’hui sous-alimentés. Quand à la nourriture « abondante » de notre société, c’est une nourriture de mort. Et avec tout cela, nous sommes devenus des êtres insatiables, car la surproduction va de pair avec l’insatisfaction.

Posséder ne donne pas la joie. Or l’humanité aspire à vivre dans la paix et ne la trouvera pas dans la quête illimitée de la matière. L’attitude sacrée et profondément religieuse est celle qui prend soin de la vie.


Ayant moi-même vécu dans le « mas » de mon beau-père paysan et assisté à la ruine matérielle, morale et spirituelle qu’ont apportée les méthodes industrielles des divers technocrates français ou plus tard européens, je ne pouvais qu’adhérer à cette vision des choses.

...................................
Notes
Le monastère de Solan a été fondé il y a une vingtaine d’années par le père Placide Deseille, moine catholique entré dans l’orthodoxie au terme d’un long chemin spirituel qu’il raconte lui-même dans un texte sous le titre : « Etapes d’un pèlerinage » publié par le site orthodoxe de langue française

"PO" "Un pèlerinage orthodoxe à l'abbaye Saint Antoine le Grand"



Rédigé par Laurence Guillon le 16 Janvier 2012 à 16:01 | 12 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Daniel le 16/01/2012 16:50
Merci pour ce témoignage. Une question, pourquoi ne mas utiliser le terme "moniale" (féminin de moine) plutôt que soeurs?

2.Posté par Marie Genko le 16/01/2012 20:24
Merci, chère Laurence,

Je suis certaine que nous serons nombreux à essayer de profiter de la première occasion posible pour visiter ce monastère merveilleux!
Merci encore!
Avec toute mon amitié Marie

3.Posté par Laurence Guillon le 17/01/2012 15:21
J'ai utilisé le terme moniale et aussi celui de soeurs, car nous les appelons soeurs (Agnès, Lazaria, etc.), ce qui est paraît-il dans la tradition grecque, alors qu'en Russie, on les appelle matouchka. Cela leur va bien, car elles sont très fraternelles.

4.Posté par vladimir le 18/01/2012 18:08
Extraordinaire témoignage, très réconfortant et plein d'espérance!

Mais j'ai aussi une question: vous dites très justement que l’important c'est "la stricte conservation, quelle que soit la langue, du contenu des textes", et j'ai souscrit totalement. Mais quid de la traduction en français? Quels textes utilise Solan? La plupart des traductions que je connais sont défectueuses et, à ma connaissance, il n'y a pas de traduction complète de la Bible orthodoxe…

5.Posté par Laurence Guillon le 18/01/2012 20:52
D'après ce que j'ai compris, la traduction de ces textes a été menée par le père Placide et ses collaborateurs, mais je poserai plus précisément la question quand j'irai là bas. C'est vrai que la traduction est généralement un problème. Parfois, d'un point de vue littéraire, je ferais d'autres choix. Mais peut-être m'éloignerais-je alors du sens. J'ai vu dans un livre de prière à ma disposition: "mon âme multipécheresse" et j'ai trouvé cela très laid. Mais je suis plus une littéraire qu'une théologienne. Le français tend à la sobriété, ce qui n'est sans doute pas le cas des textes orientaux. Enfin là dedans, je suis très mauvais juge. Mais rien ne me choque particulièrement dans ce que j'entends à Solan.

6.Posté par vladimir le 18/01/2012 22:41
Je vous serais très reconnaissant de cette information, surtout si ces livres sont disponibles. Du père Placide je ne connais que la traduction du psautier (YMCA Press, 1971 ou 79), qui est une référence, et des textes non liturgiques (http://www.priceminister.com/nav/Livres/kw/placide%20deseille).

7.Posté par Daniel Fabre le 19/01/2012 08:22
Bible Orthodoxe ????!!!! voila autre chose maintenant !!! :
Tout ceci existe en français :
la TOB et Jérusalem Osty la traduction Chouraqui Bible Bayard Bible de Pierre de Beaumont (a) (Fayard Mame) Nouvelle Bible Segond, La "Bible des peuples" la Bible "Parole de Vie" les septantes La Bible du roi Jacques (King James Version en anglais, souvent abrégé KJV)

La Bible orthodoxe semble un hybride : son Ancien Testament est la traduction non pas des textes originaux hébreux, mais de la Septante (traduction en grec, datée du IIème sicèle av. J.C. ; d'où quelques différences de mots avec les autres traductions). Elle contient de ce fait les livres "deutérocanoniques",
comme la Bible catholique. Le Nouveau Testament semble le même que celui des autres Bibles chrétiennes.

Ce genre d'interrogation me conforte de plus en plus à la rédaction d'un article " quand le Christ reviens (dra) y-a-t'il encore des chrétiens dans l'orthodoxie....ou seulement des orthodoxes...je sais cependant parmi des intervenants ici de vrais chrétiens dont je suis le dernier, mais quand même, parfois on se pose réellement la question........................;!,

8.Posté par vladimir le 19/01/2012 10:02
Bien cher Daniel Fabre,

Je vous renvois d'abord au très sérieux blog http://stmaterne.blogspot.com/ : "Hélas pas de Bible complètement traduite en milieu Orthodoxe, on doit se contenter de textes où l'idéologie du traducteur est d'office présente. Une douleur au quotidien." En fait la situation s'est améliorée dernièrement car on peut enfin trouver la traduction de la Septante, seul texte de l'Ancien Testament reconnu comme canonique par les Orthodoxes: en suivant le lien donné par le blog ci-dessus on arrive sur http://cigales-eloquentes.over-blog.com/article-la-bible-des-septante-en-traduction-fran-aise-73214976.html où nous trouvons

"Tout le monde sait que "la Septante" est cette traduction grecque de l'Ancien Testament que les apôtres citent dans leurs écrits, que les pères de l'Eglise lisent et commentent et qui est encore aujourd'hui le texte de référence de l'Ancien Testament pour l'Eglise orthodoxe.

Mais voilà. Pas facile à trouver une traduction française de la LXX (enfin, je veux dire "la Septante") sur internet.
Pas facile, donc, mais plus impossible puis qu’après des mois (et même, des années) de recherches, j'ai fini par dénicher le tout et le mettre en ligne.

Il s'agit donc des 4 tomes de la traduction de Pierre GIGUET ainsi que trois autres livres que ce dernier n'avait pas traduit." Fin de citation.
Et les liens permettant de télécharger chaque volume en .pdf.
Merci Albocicade (http://www.archive.org/search.php?query=publisher%3A%22Albocicade%22)

9.Posté par Daniel le 19/01/2012 11:32
@ Daniel Fabre (message 7)

Vous commettez une erreur très fréquente en considérant que la Bible orthodoxe, la Septante est quelque peu inférieure à une traduction qui serait venue directement de l'hébreu. En fait, pour l'ancien testament, nous avons 2 candidats en lice : à ma droite la Septante et à la ma gauche, la Bible massorétique (utilisée par les protestants et les juifs).

La septante a donc été traduite vers le 2e siècle avant Jésus-Christ et c'est une traduction "officielle" accpetée par le sanhédrin et les grands prêtres de l'époque. Or à cette époque, le Christ n'étant point encore venu, Israêl est bien le peuple de Dieu et un ancêtre de l'Eglise ou une anticipation de l'Eglise voire l'Eglise. La Septante est donc légitime car c'est une traduction validée par les seules autorités "orthodoxes" de l'époque.

La bible massorétique est bien postérieure à la Septante, elle est compilée plus tard après Jésus-Christ. C'est bien tardif et cela est fait dans un contexte où Israël n'est plus le peuple de Dieu par des rabbins qui ne sont plus soumis à une autorité légitime car il n'y a plus de grand prêtre, plus de temple... On ne peut accepter un texte qui ne vient pas du peuple de Dieu.

Chronologiquement, la Septante est donc plus proche d'un original hébreu que la très tardive massorétique qui intervient par ailleurs alors que les controverses entre Juifs et Chrétiens sur le fait que le Christ soit le Messie aient fait quelques dégâts. De là quelques étrangetés dans la massorétique où ce n'est plus dans Isaïe 7:14, la Vierge qui donne naissance mais la "jeune fille". Ce ne sont pas des étrangetés mais le désir des compilateurs de la Bible massorétique de produire un texte qui soit "antichrétien".

Ceci est un très bref résumé de ces 3 articles intéressants en anglais sur la question à ces liens:

Partie 1: http://www.johnsanidopoulos.com/2010/05/why-orthodox-christians-prefer.html
Partie 2: http://www.johnsanidopoulos.com/2010/05/why-orthodox-christians-prefer_27.html
Autre article: http://www.johnsanidopoulos.com/2010/02/septuagint-vs-masoretic-which-is-more.html

10.Posté par Daniel Fabre le 19/01/2012 16:55
cher Daniel, je n'ai en rien préjugé de la valeur d'aucune traduction et je préfère de loin la bible des septantes surtout pour les psaumes; le commentaire sur " la bible orthodoxe " est juste un " copier collé " de : "http://www.atoi2voir.com/atoi/visu_article.php?id_art=186&n1=1&n2=8&n3=23 " .
en ce qui me concerne quand je veux consulter la septante, je vais systématiquement sur le blog d' Albo-Cicade dont fait référence Vladimir.
aussi, pour les traductions des psaumes par exemple, nous avons une édition du Père Placide Deseille....cependant pour lequel je mes une réserve quant à un verset du psaume 51 quand il traduit : " ainsi Tu seras trouvé juste en tes paroles et Tu seras Vainqueur quand on Te jugera "
de ce que je crois plus juste de : ainsi Tu seras trouvé juste en tes paroles et sans reproche en Ton jugement...... mais ouala à part cela, chez moi j'utilise trois Bibles, Celle de Jérusalem, du roi Jacques, et Osty. : amicalement Daniel.f

11.Posté par Vladimir.G:Le monastère de Solan, un bijou de biodiversité dans la tradition orthodoxe le 27/06/2013 09:59
27/6
Le monastère de Solan, un bijou de biodiversité dans la tradition orthodoxe

Pierre Rabhi, agriculteur, philosophe et essayiste, a inspiré des initiatives d’agroécologie, que « La Croix » a visitées. Comme le monastère de Solan dans le Gard.
Suite: lien

12.Posté par Claire LEPRINCE le 09/01/2018 17:21 (depuis mobile)
Bonjour, Suite au décès de Père Placide Deseille, j'ai besoin de contacter Laurence Guillon. Merci de me mettre en contact avec elle. C'est urgent.

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