MOLDAVIE – V : LES RELATIONS ENTRE L’EGLISE ET L’ETAT A L’EPOQUE DE STALINE
L’hiéromoine Joseph ( Pavlinciuc), archevêché de Chesonèse

Durant toute cette période les relations entre l'Église et l'État ne furent pas simples.

L'Église ne pouvait pas prendre de décisions concernant sa politique intérieure et extérieure indépendamment de l'empereur. « A haut niveau (niveau du Saint Synode, direction centrale de l'Église) comme à un niveau plus moyen (niveau du diocèse), l’Eglise fut absorbée par l'État. Mais à l'échelle la plus basse, l'organisation structurelle de l'Eglise était laissée aux mains du peuple, lui-même asservi à l'Etat » . La seule chose qui la sauvait était l'attitude bienveillante de l'autocratie qui permettait à l'Église de « se blottir dans la machine étatique » .
Quelques changements sur le plan territorial et administratif du diocèse de Chisinau et de Hotine ainsi que dans les relations entre l'État et l'Église survinrent pendant la période 1918 - 1944, quand le diocèse de Chisinau fut incorporé dans l'Église Orthodoxe Roumain

MOLDAVIE – V : LES RELATIONS ENTRE L’EGLISE ET L’ETAT A L’EPOQUE DE STALINE
Le 27 mars 1918 sur décision du Conseil du Pays, la Bessarabie, devenue République Moldave indépendante, s’unit à la Roumanie. Le 14 juin de la même année, le Saint Synode de l’Eglise Orthodoxe Roumaine délégua l’évêque Nicodim Munteanu de Husi pour la direction de l’archevêché de Chisinau et de Hotin, resté sans hiérarque, en attendant l’élection d’un titulaire. Le 16 juin 1918 fut publié le Livre Pastoral du Saint Synode de l’Église Orthodoxe Roumaine par lequel l’autonomie fut accordée à l’Eglise de Bessarabie. Ceci fut réalisé sans l’accord de l’Eglise Orthodoxe Russe, dont le diocèse de Chisinau et Hotin dépendait depuis 1812 .
Une autre décision importante, du même Synode et en date du 30 décembre 1919 précisa que « le Saint Synode de l’Eglise Orthodoxe Roumaine, qui comprend à présent tous les hiérarques des provinces roumaines (réunies avec le pays), a pris en session extraordinaire, la décision solennelle que, sur le modèle de l’accomplissement de l’union de tous les territoires roumains (Bessarabie, Bucovine, Transylvanie et Banat) avec la mère-patrie, l’union ecclésiastique en une seule Église Orthodoxe autocéphale devait s’accomplir entre tous les territoires de la grande Roumanie » . Cette décision fut également prise sans l’accord de l’Eglise Orthodoxe Russe. Le 21 février 1920, le Congrès Général de l’Eglise de Bessarabie réuni à Chisinau élut l’évêque Gurie Grosu Botosaneanu comme hiérarque de l’archevêché, vicaire de la Métropolie de Moldavie et de Suceava .

Par décret royal en date du 4 mai 1925, le diocèse de Chisinau et de Hotin fut transformé en diocèse de Bessarabie. C’est la première fois qui le diocèse de Chisinau fut nommé diocèse de Bessarabie. Le 23 mai 1927, l’assemblée des prêtres et des moines de Chisinau adressa au Saint-Synode une demande d’élévation de l’archevêché de Chisinau au rang de métropolie. Le 21 avril 1928, l’archevêque Gurie Grosu fut alors élevé au rang de métropolite de Bessarabie .
Le 10 mars 1923, L'Eglise Orthodoxe Roumaine instaura sur le territoire de la Bessarabie deux diocèses : celui de Cetatea Albă - Ismail (résidence à Izmail) et celui de Hotin (chaire à la ville de Bălţi) . Le premier diocèse fut le diocèse vicarial de la Métropolie de Bessarabie, le deuxième fut inclus dans la Métropolie de Bucovina (Cernăuti).

Les relations entre l'Église et l'État à cette période méritent une attention toute particulière.

On comparant avec le passé, on constatera qu'elles s’améliorèrent, sans beaucoup changer cependant. Sous l'influence du clergé transylvain, l'Église commença à solliciter son indépendance du pouvoir étatique. Deux événements agirent favorablement en ce sens : la validation du Statut de l'Église Orthodoxe Roumaine le 6 mai 1925 , et la décision d'instaurer un Patriarcat ; en effet, 1er novembre 1925, Miron Cristea (1925-1939) fut élu et confirmé premier Patriarche Roumain.
Afin de mieux comprendre les relations entre l’Etat et l’Eglise dans l’Entre-deux-guerres, il est souhaitable de présenter rapidement les bases juridiques de ce rapport. Il s’agit tout d’abord de la Constitution de 1923 (copiée, en grande partie, sur le modèle de 1866 du prince Ioan Cuza), puis de la « Loi relative au régime général des cultes » de 1928, élaborée par l’Etat roumain. Enfin, la « Loi sur le statut pour l’organisation de l’Eglise Orthodoxe Roumaine » de 1925 élaborée par l’Eglise elle-même. A l’article 4 de cette dernière loi et à l’article 12 de la loi sur le régime général des cultes, il est fait mention de la dépendance de l’Eglise vis-à-vis de l’Etat : « l’Eglise Orthodoxe Roumaine réglemente, dirige et administre, par ses propres organes et sous le contrôle de l’Etat, ses affaires religieuses, culturelles, matérielles et administratives » . Déjà lors de la préparation du texte, les théologiens transylvains avaient émis des protestations à son sujet. Ainsi le professeur G. Ciuhandu exprima-t-il son mécontentement en raison du fait que l’Etat pouvait empiéter sur l’autonomie de l’Eglise et la soumettre à son service. Il s’adressa ainsi aux sénateurs roumains en 1919 : « Messieurs, vous disposez d’un grand pouvoir politique, mais ne jouez pas avec le feu et ne supprimez pas la liberté là où existe déjà une liberté ecclésiastique basée sur la conscience populaire (en Transylvanie) , au contraire libérez l’Eglise (de la Valachie, Moldavie et Bessarabie) de l’esclavage politique humiliant qui l’a mortifiée » . Le professeur N. Gr. Popescu-Prahova affirmait : « Ne peut être considérée comme autonome une Eglise dont la vie est réglementée dans les moindres détails par l’Etat et dont les gestes sont entièrement contrôlés par ce dernier » . Ceci sera l’objet de la suite de l’étude.

Aussi et le métropolite Miron (Cristea), primat de l’Eglise Orthodoxe Roumaine, cherchait par tous les moyens à obtenir l'autonomie et l'indépendance de l'Église vis-à-vis du pouvoir étatique. Dans un de ces message il écrivit : « Dans nos aspirations à l'autonomie, des susceptibilités peuvent survenir de la part de l'État, qui a jusqu'à maintenant pratiqué l’ingérence dans les affaires de l'Église. Mais je prie tous les membres du Parlement, les membres du clergé en tant que fils de l'Église dominante de l'État Roumain, et comme ceux attendant de l'État son aide la plus désintéressée, de chercher du fond du coeur à préciser, pour les deux parties, le rapport entre l'Église et l'État Roumain de façon à ce que non seulement la souveraineté roumaine soit respectée, mais aussi pour assurer à l'Église nationale et officielle un avenir (moral et matériel) plus effectif et considérable, de même qu’un avenir stable à la collaboration harmonieuse entre l'État et l'Église » .
A travers toute la Roumanie, y compris à Chisinau, se tinrent également pendant cette période des assemblées diocésaines où l’on élisait les évêques dirigeants. Il faut noter que cela se passait sans la participation directe de personnalités politiques ou d’hommes d'État. L'élection en 1920 à des chaires épiscopales des métropolites Nicolae Balan (pour la métropole de Transylvanie) et Guriee Grosu à Chisinau en sont des exemples.
Cependant, l'intervention de l'État dans la vie intérieure de l'Église se poursuivit même durant cette période. L'État monarchique ne pouvait concevoir l'Église autrement que comme son enfant obéissant. « L’Église orthodoxe a toujours été sous le contrôle de l’État, et son fonctionnement était organisé uniquement par des lois d’État » , voilà ce qui fut dit par un homme politique au métropolite Nikolai (Balan). Ce qui inquiétait le plus c’est que, à tous les niveaux du pouvoir, tous les hommes politiques et agents administratifs de l’époque pensaient ainsi. Avec révolte, le diacre Féodor Gérégué écrivit en 1934 : « Cela fait 15 ans que notre nation est perturbée et la vie sociale n'est pas encore rentrée dans l'ordre des choses. La loi civile (Constitution) donne le droit aux maires (les dirigeants des conseils de village) de dénigrer et de diffamer l'Église et l'Orthodoxie. Qu'est-ce que ne subit le clergé de la part des maires, des gendarmes et des autres agents ! Pour se faire remarquer devant leurs supérieurs, ils ne laissaient pas en paix l'Église et le clergé» .
L'affaire de Gurie (Grosu), Métropolite de Chisinau, illustre l'intervention de l’Etat dans la vie de l'Église. Certains affirment que le Métropolite Gurie (Grosu) fut éliminé de la chaire de Chisinau pour cause d’abus financiers. En effet, le métropolite fut accusé d'escroquerie et de dépense des biens publics, mais cela ne servit que de prétexte pour l’éliminer. On peut alors se demander quelle fut la véritable cause de son départ. Si l’on étudie la vie et l'activité du métropolite Gurie à la chaire de Chisinau, on peut conclure que l'une des raisons pour lesquelles il fut limogé a été sa popularité. La très grande autorité du métropolite Gurie faisait peur au pouvoir, tant étatique qu’ecclésiastique. Cette popularité, Monseigneur l'avait gagnée par son amour et son zèle dans l’accomplissement du service de Dieu et de son peuple. L'exemple de l'élimination du Métropolite Gurie démontre ainsi l'intervention de l'État dans la vie de l'Église.

C’est au début des années 1920 que naquit, dans le diocèse de Chisinau, le conflit au sujet de la «réforme agraire». Ce conflit divisa les organes du pouvoir central et le clergé du diocèse, rassemblé dans l’Union des prêtres de Bessarabie. L’affaire se déroula de la manière suivante : une partie des terrains et bâtiments ecclésiaux (le siège du diocèse, l’orphelinat pour les enfants de prêtres, l’asile, l’hôtel, la banque du clergé, le magasin de livres et de vases sacrés, l’atelier) se trouvaient sous la responsabilité du clergé du diocèse. L’archevêque dirigeant ne pouvait pas les administrer. La conséquence de la réforme agraire devait être que les bâtiments ecclésiaux passent aux mais de l’État. Le clergé du diocèse protesta contre une telle expropriation injustifiée de leurs biens. Ils boycottèrent cette décision au plus haut niveau de l’État.
Ce problème devint un des thèmes centraux abordés dans les mass-médias de l’époque. Les partisans ainsi que les détracteurs de la conservation de l’immobilier ecclésiastique s’exprimèrent à ce sujet. «L’Union des prêtres roumains » devint partisane des mêmes idées que «l’Union des prêtres de Bessarabie». Les prêtres de Bessarabie l’emportèrent finalement dans cette affaire, portée en justice. Mais ce ne fut pas la fin des problèmes : de nouveaux troubles apparurent au sein même du clergé. Avec l’entrée du diocèse de Chisinau dans la juridiction de l’Église Orthodoxe de Roumanie, de grands changements territoriaux furent effectués, du fait de l’apparition de deux nouveaux diocèses. En effet, le clergé de ces deux nouveaux diocèses (Hotinskaia et Ismailskaia) exigea sa part d’immobilier ecclésiastique. Le problème dut alors être résolu par le Saint Synode de L’Église roumaine lors de sa session d’été en 1924.
L’archevêque Guriee présenta clairement aux membres du Synode la situation qui s’était formée autour de l’immobilier ecclésial. Pour résoudre ce conflit, il fut proposé de former, sous la direction de l’évêque de Chisinau, un patronage-curatelle " Eforia locala " qui comprendrait six personnes : deux représentants de chaque diocèse, dont un membre du clergé et un laïc. A partir de ce moment, l’archevêque put administrer les biens et gérer leurs revenus.
Ce conflit fut donc une source de mécontentement, dirigé contre l’archevêque, pour les deux camps : tant pour le clergé que pour le pouvoir d’État qui avait perdu le procès .
La question du calendrier fut également source d’insatisfaction. Certains membres du clergé, partisans du style ancien, manifestèrent leur hostilité envers l’archevêque, leur supérieur hiérarchique, car ce dernier était défenseur du nouveau style. Les croyants de vieux style (ancien calendrier ?), tramaient divers complots, attendaient la destitution de l’archevêque de la chaire de Chisinau. Ils espéraient que la désignation d’un nouvel évêque leur permettrait de gagner leur lutte en imposant le calendrier d’ancien style .
Le métropolite Gurie soutenait le mouvement des « cousistes » (du nom d’A.C. Cuza) ainsi que leurs leaders, car il voyait en eux les défenseurs de la pureté de l’Orthodoxie. L’ennemi évident de ce mouvement fut le roi de Roumanie Carol II. Il n’aimait guère le métropolite car ce dernier lui rappelait constamment à sa digne épouse Elena dont il avait divorcé, raison pour laquelle le métropolite ne lui avait pas permis de passer les portes royales de la cathédrale de Chisinau.

ECOLE PRATIQUE DES HAUTES ETUDES
SCIENCES HISTORIQUES, PHILOLOGIQUES ET RELIGIEUSES
MENTION « SCIENCES DES RELIGIONS ET SOCIETE »




Rédigé par l'équipe rédaction le 6 Juillet 2010 à 12:00 | 0 commentaire | Permalien



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