Moscou – Constantinople: un nouveau format des relations
C'est sous ce titre que le service analytique de Bogoslov.ru vient de faire paraître un article analysant le tournant des relations entre les patriarcats. Bogoslov.ru est généralement considéré comme très proche du patriarcat de Moscou et, venant après les déclarations de Mgr Hilarion (Alfeev), responsable du département des relations extérieures du patriarcat de Moscou, que nous avons commentées(1), nous pouvons considérer qu'il s'agit là de la position du patriarcat.

Comme nous l'avions aussi souligné sur ce blog, les relations compliquées de la dernière décennie ont tourné à la confrontation entre Moscou et Constantinople sur plusieurs sujets, mais les événements de cet été permettent de parler d'un véritable nouveau départ.

CHAMBEZY

Cette conférence panorthodoxe des 6-12 juin, largement commentée sur notre forum, était centrée sur la question de l'organisation de la diaspora orthodoxe, l'un des principaux points de désaccord entre les deux Patriarcats(2). L'article explique qu'il s'agit là d'une différence d'interprétation ecclésiologique: d'après le P. André Novikov, membre de la commission théologique du Synode, on considère traditionnellement que les paroisses et évêchés restent en union canonique avec l'Église autocéphale qui les a institués quel que soit leur situation géographique(3); mais Constantinople développe une ecclésiologie différente, d'après laquelle toutes les paroisses de la diaspora doivent dépendre de ce patriarcat quelle que soit l'Église autocéphale qui les a institués(4).

LA SITUATION EN FRANCE (majuscules de VG) apparaît comme particulièrement caractéristique: plusieurs juridictions orthodoxes y coexistent et l'auteur cite le message de l'archevêché de Chersonèse: constatant "ces dernières années, des tendances grandissantes de la part d’une juridiction /Constantinople/ à la domination au détriment du principe de conciliarité inhérent à l’Église orthodoxe".

Tous les espoirs reposaient sur la Conférence de Chambezy et une solution provisoire a été trouvée: la présidence des assemblées épiscopales sera assurée dans l'ordre des dytiques (donc par le représentant de Constantinople), mais les décisions y seront prises sur la base du consensus des Églises représentées et auront une portée consultative, sans aucune ingérence dans la juridiction diocésaine de chaque évêque ni aucune limitation pour l'activité de chaque Église(5). Il s'agit d'un bon compromis(6), dont l'auteur souligne l'importance, et le fait même qu'il ait été signé indique ce nouveau départ dans les relations entre les deux patriarcats.

LA VISITE EN TURQUIE

Ce nouveau départ donné à Chambézy a été développé début juillet lors du voyage du Patriarche Cyrile I en Turquie et de sa rencontre avec le Primat de l'Église de Constantinople, le Patriarche Bartholomé I. Nombre de désaccords s'étaient accumulés entre les deux Patriarches, mais il est vite apparu, et cela a été confirmé officiellement, qu'une nouvelle page était ouverte dans leurs relations: "le résultat de la visite dépasse nos meilleures espérances" a déclaré Mgr Hilarion(7). Les questions de la création par Constantinople d'une hiérarchie parallèle sur le territoire canonique de l'Église russe(8), en Estonie, les tentatives de soutenir les dissidents ukrainiens l'été dernier(9) et d'autres questions aussi difficiles ont été abordées au cours des rencontres bilatérales. Le dialogue semble avoir donné satisfaction aux deux cotés: "cette visite marque le passage d'une époque de confrontation à une période de coopération" conclut Mgr Hilarion.

Et concrètement, le patriarche Cyrille I a proposé de détacher temporairement des prêtres russes dans la juridiction du patriarcat œcuménique pour desservir les paroisses russophones en Turquie. Cette proposition indique bien que Moscou ne cherche pas à s'implanter sur le territoire canonique du Patriarcat de Constantinople, et ce précédent sous entend évidement un geste réciproque de la part de Constantinople, a commencer par la fin des prétentions sur le territoire canonique de l'Eglise russe hors de la Fédération (Estonie, Ukraine etc.). Il est claire que Constantinople à tout intérêt à voir se développer des paroisses russes en Turquie: rien que du point de vue financier cela conforte sa position à l'heure ou son troupeau autochtone se réduit comme une peau de chagrin (la diaspora russo-ukrainienne est déjà plus nombreuses que les Orthodoxes turcs!). L'Eglise russe, de son coté, conforte ainsi ses positions sur son territoire canonique.

Et l'article se termine sur la même note optimiste que nos analyses précédentes, en espérant que ce "nouveau format" des relations permettra de résoudre les problèmes qui restent en suspens entre le deux Patriarcats. Et l'unité de l'Orthodoxie, que le Patriarche Cyrille I avait définie comme l'une de ses priorités, semble en bonne voie grâce à ses efforts.

Notes du rédacteur:
1. Cf. note dédié
2. Cf. en particulier la lettre du patriarche Alexis II, de bienheureuse mémoire, au patriarche Bartholomé I datée du 18 mars 2002
3. Cette position est très clairement exposée dans «L'Orthodoxie» de Mgr Hilarion (Alfeyev) (cf. recension de NICOLAS SENÈZE

4. Cf. en particulier la déclaration de P. Elpidophoros Lambrianidis le 16 mars 2009
5. Cf, note dédiée commentaire 2
6. J'avais présenté une analyse des concessions réciproques dans une note précédente.
7. Cf. note dédiée commentaire 3
8. La notion de "territoire canonique" est au centre de l'ecclésiologie de l'Eglise russe telle que la développe Mgr Hilarion (cf. (3) ci-dessus)
9. Cf. interview du patriarche autoproclamé Philarète.

Rédigé par Vladimir Golovanow le 28 Août 2009 à 13:48 | 1 commentaire | Permalien


Commentaires

1.Posté par l'équipe de rédaction le 20/12/2009 19:41
ATHENES, 20 déc 2009 (AFP)
Propos du patriarche orthodoxe: la Grèce critique la réaction turque

La Grèce a critiqué dimanche la réaction du chef de la diplomatie turque qui a dénoncé les propos du patriarche oecuménique de Constantinople, Bartholomée Ier, affirmant que les membres de la minorité grecque de Turquie étaient traités comme "des citoyens de seconde zone".

Parmi les obligations de la Turquie pour adhérer à l'Union européenne, "le respect des libertés religieuses et des droits des minorités figure en première place", a souligné dans un communiqué le porte-parole du ministère grec des Affaires étrangères Grigoris Délavékouras.

Le patriarche oecuménique Bartholomée "est connu pour sa sagesse et sa modération, et pour son soutien inébranlable à l'adhésion turque à l'UE", a affirmé M. Délavékouras.

"Il est du devoir de tous et principalement de ceux qui portent la responsabilité de la situation subie par le patriarcat oecuménique et la minorité grecque, de l'écouter avec attention", a souligné le porte-parole.

"Nous sommes traités (...) comme des citoyens de seconde zone. Nous n'avons pas l'impression de jouir de la totalité de nos droits en tant que citoyens turcs", a déclaré Bartholomée Ier en parlant de la minorité grecque orthodoxe, dans une interview à la chaîne de télévision américaine CBS qui devait être diffusée dimanche.

"Nous préférons rester ici (en Turquie), même si (nous sommes) parfois crucifiés", a-t-il déclaré, selon des extraits de l'entretien.

Le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a rejeté samedi les accusations de discriminations religieuses de la part du gouvernement turc.

"Nous considérons l'utilisation de la comparaison avec la crucifixion comme étant extrêmement malheureuse (...) J'aimerais y voir un lapsus", a estimé M. Davutoglu. "Nous ne pouvons accepter des comparaisons que nous en méritons pas."

Le patriarcat oecuménique, qui date de l'Empire byzantin grec orthodoxe et qui siège au Phanar à Istanbul, exerce une primature d'honneur sur les orthodoxes du monde entier, dont le nombre est estimé autour de 200 millions.

Environ 2.000 Grecs orthodoxes vivent toujours en Turquie.

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