NOSTALGIE: PÂQUES À PARIS 30 ANS APRÈS
L'Archimandrite Georges Leroy fut parisien au siècle dernier. Il a quitté momentanément son ermitage au fin fond du Québec pour revenir dans cette grande ville qui lui rappelle bien des souvenirs, et m’a fait part de ses impressions en m’autorisant à les publier. Je vous les propose donc.
VG

REVENIR À "LA CRYPTE"

Les années s'écoulent ; il y a plus de trente ans que je n'ai plus participé à la célébration de la Semaine Sainte et de la fête de Pâques à la paroisse de la Sainte Trinité, située dans la crypte de la cathédrale Saint Alexandre Nevsky, à Paris, où les Offices sont célébrés en français depuis plus de cinquante ans.

En notre contrée nordique, nous célébrons généralement en tout petit comité…

NOSTALGIE: PÂQUES À PARIS 30 ANS APRÈS
À un moment donné, l'on ressent la nécessité de s'immerger dans une célébration authentiquement ecclésiale, ce qui nous change de notre isolement habituel. D'une certaine façon, « cela fait du bien », car nous avons besoin de l'Église.

Une certaine forme de solitude est bénéfique, car elle favorise à la fois le recueillement et la prière. Mais d'un autre côté, on ne peut s'isoler de l'ensemble des fidèles, même si cela entraîne le fait de s'immerger dans un bon nombre de conversations, ainsi que dans les bruits et la circulation effrénée d'une grande ville.

C'est ainsi que, ayant obtenu la bénédiction, à la fois de mon évêque, Mgr Irénée et de Mgr Jean de Charioupolis, je me suis retrouvé à Paris où me rattachent tant de souvenirs !

Au fur des Offices liturgiques célébrés en la paroisse de la Sainte Trinité, j'ai admiré la prestation de la chorale : ils chantent vraiment très bien. L'accueil du Père Élisée, Recteur de la paroisse, fut très cordial. Il est assisté par le Père Christos, qui fut également extrêmement amical et fraternel. En général, les personnes que j'ai connues jadis ne sont plus de ce monde, mais il y a une notable exception : le Père René Doranlot est toujours là, à l'âge respectable de 95 ans.

Les Offices célébrés à la Crypte le sont d'une façon très complète. Néanmoins, les Liturgies des Présanctifiés des trois premiers jours de la Semaine Sainte, ne furent pas célébrées - ce qui est bien normal, dans une paroisse. Cela nous a donné l'occasion d'aller en la Cathédrale située au quai Branly, tout près de la tour Eiffel, Cathédrale dépendant du Patriarcat de Moscou.

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LITURGIES DES PRÉSANCTIFIÉS À LA CATHÉDRALE DE LA SAINTE TRINITÉ

Je ne m'attendais pas à concélébrer, pour une Liturgie des Présanctifiés. Mais finalement, les trois Liturgies ont été concélébrées avec cinq ou six prêtres. De plus, les Liturgies du Lundi et du Mercredi-Saint, furent des célébrations pontificales, célébrées par Mgr Nestor, avec à chaque fois l'ordination d'un Diacre.

L'endroit est imposant et majestueux ; le chœur chante d'une façon absolument parfaite, et l'accueil fut extraordinairement fraternel. Lors de l'encensement solennel, trois chantres se rassemblent devant les portes royales, afin de chanter : « Que ma prière s’élève… ». Leurs voix sont vraiment sublimes, et c'est un moment de « ciel sur la terre ».

À l'issue de la troisième Liturgie des Présanctifiés, Mgr Nestor m'a dit un très cordial mot de remerciement, en soulignant le fait que ma présence était réellement appréciée en ce lieu. Plusieurs prêtres, dans le Sanctuaire, ont eu un mot amical à mon égard, lors des célébrations. Comme je n'avais pas sous la main le texte de la Liturgie des Présanctifiés en Slavon, mes ekphonèses furent dites en français, ce qui ne posa aucun problème.

Dans les locaux de la Cathédrale, était présentée une intéressante exposition d'icônes anciennes. Nous n'avons pas manqué de la visiter, aux côtés de nombreux visiteurs français, qui étaient très intéressés par ce qu'ils découvraient. Il y avait vraiment d'admirables icônes, ainsi que de superbes exemples d'okhlads et de riza. Il faut noter qu'à tout moment, des visiteurs se présentent pour visiter la Cathédrale.

Cet édifice permet à un grand nombre de gens, d'avoir un premier contact avec l'Orthodoxie. Même pendant les Offices, la porte est poussée par la main des visiteurs, qui respectent l'Office divin en cours. Il faut dire qu'on ne peut manquer d'être fortement impressionné par l'admirable chant du chœur et la majesté de la célébration. Même la boutique de la cathédrale ne désemplit pas. Cela reflète une véritable fascination du public français pour la culture russe.

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Photo; Pâques, années 90, des fidèles dans la cour de la cathédrale de la rue Daru

PÂQUES FUT TOUTE UNE EXPÉRIENCE !

À la Crypte, le service est précédé par la lecture des Actes des Apôtres. Ensuite, le clergé de la Crypte monte dans la cathédrale même, empruntant des passages et escaliers pratiqués dans les épaisseurs des murailles. On se retrouve brusquement dans le Sanctuaire de la cathédrale, empli de l'activité bourdonnante du clergé qui y est présent. Sous nos yeux, s'étalent les trésors les plus précieux de l'émigration russe : monumental évangéliaire, ciselé et garni de pierres précieuses, croix d'orfèvrerie, souvenirs du glorieux passé impérial de la Russie. En levant les yeux, l'on aperçoit les courbes de l'abside et des arcs qui mènent jusqu'à la coupole supérieure.

Puis vient l'heure « H » : le clergé sort par les portes royales, se fraie un chemin parmi la foule fervente qui remplit complètement la cathédrale, et commence la procession, au son des cloches. Finalement, la procession monte les marches qui mènent au narthex, qui fut jadis construit pour la visite du tsar Nicolas II. Là, les versets de Pâques sont proclamés, et le clergé commence le chant du tropaire pascal, repris par la foule.

Le clergé francophone de la crypte reflue vers l'extérieur, et l'on contourne l'édifice afin de se retrouver à l'entrée du sanctuaire souterrain. Devant l'entrée, le célébrant lit l'Évangile de la résurrection, et lance l'annonce victorieuse : « le Christ est ressuscité ! » Tous entrent dans la crypte, et l'Office se poursuit par les Matines de Pâques, suivies de la Divine Liturgie. C'est vraiment une expérience que je suis heureux d'avoir vécue.

Le jour même de Pâques, nous avons assisté aux Vêpres pascales, « en haut », à la rue Daru. Ce fut un Office superbe ; le chœur chantait d'une façon vraiment parfaite. J'étais venu « incognito », en civil, mais avec la « chemise cléricale » noire, de coupe absolument russe. - Mgr Jean s'avance dans la cathédrale, se retourne, et mon « incognito » vole en éclats ! En plein milieu de la cathédrale, il s'exclame : « Père Georges, venez célébrer ? » Je fais un signe de dénégation. Il continue : « on se voit demain ! », et il poursuit son chemin vers l'iconostase.

Ce qui est assez extraordinaire chez lui, c'est sa spontanéité – ce qui contraste avec le caractère très solennel de ce lieu. Avant l’Office, nous l'avions aperçu, en soutane, faisant les cent pas devant les grilles de la cathédrale, et bavardant avec plusieurs personnes. On voit qu'il est aimé et apprécié par les gens.

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Photo: Procession des icônes la nuit de la Pâque russe à la cathédrale Alexandre-Newski, vers 1930

RUSSOPHOBIE

Et pourtant, dans le monde qui nous entoure, cela s'est déroulé au milieu d'une intense et surprenante « crise de russophobie », menée tambour battant par l'Occident. Je ne parviendrai pas à m'abstenir de considérations de politique internationale pour laquelle, cependant, je reconnais n’avoir aucune compétence !

Mais je m'étonne de voir la France accourir au secours de Trump, qui considère l'Europe comme son ennemie économique, et à côté de la première ministre britannique, qui travaille avec ardeur à la déstabilisation de l'Europe – et ceci dans un même but : déconsidérer la Russie. Et pourtant l'Europe a beaucoup à perdre, en faisant mine de mépriser ce grand voisin qu'est la Russie, juste au moment où celle-ci a renoué avec son âme en replaçant l'Orthodoxie au centre de sa conscience nationale et de sa vie culturelle ; juste au moment où celle-ci a renoué avec sa culture et son Histoire, après une longue et ténébreuse période de négation de sa propre identité.

Eh bien, je crois qu'il est temps maintenant d'arrêter ici mes réflexions, avant qu'elles ne deviennent complètement hors-sujet…

Le Christ est ressuscité !
Archimandrite Georges Leroy

NOSTALGIE: PÂQUES À PARIS 30 ANS APRÈS

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 15 Mai 2018 à 09:34 | -3 commentaire | Permalien



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