Arkady Mahler: développement de la théologie russe aux XIX - XX siècles
V.Golovanow

Dans l'histoire du développement de la philosophie orthodoxe russe aux XIX - XX siècles on peut mettre en évidence trois étapes qui correspondent en fait à trois courants de pensée.

Les slavophiles


La première étape correspond au mouvement relativement étroit des "slavophiles" du milieu du XIX siècle, qui se fixaient comme objectif de faire renaitre la pensée orthodoxe dans le cadre de la culture sécularisée et occidentalisée qui prévalait à l'époque, mais aussi de reformuler les bases de l'Orthodoxie dans le langage qui leur était contemporain, celui de la philosophie européenne et, plus exactement pour ce qui les concerne, le langage de la philosophie idéaliste allemande.

Le texte programmatique de ce courant était l'étude d'Ivan Kireevsky “Sur la nécessité et la possibilité de nouveaux principes philosophiques” (1856), appelant à créer une nouvelle philosophie russe sur «les bases vraies» de la tradition orthodoxe et simultanément à utiliser la langue philosophique de Schelling. Note de VG: Kireevsky oppose l'harmonie orthodoxe entre la foi et la raison au rationalisme occidental qu'il relie au catholicisme-protestantisme en considérant que toute philosophie dépend de la "religion dominante". Ses idées sont proches de celles de son contemporain A.Khomiakov, généralement considéré comme le chef de file des "Slavophiles".

Arkady Mahler: développement de la théologie russe aux XIX - XX siècles
La “Renaissance religieuse et philosophique russe”

La deuxième étape c'est le grand mouvement de la “Renaissance religieuse et philosophique russe” de la fin XIX –premier quart du XX siècles qui a été lancé par les travaux de Vladimir Soloviev et parmi eux “la Justification du bien” (1897) est une œuvre clé qui présente une nouvelle synthèse entre une pensée fondée sur orthodoxie avec le "platono-schellingisme" et des éléments de l'empirisme scientifique.

On peut dire que Vladimir Soloviev a réalisé ce que les slavophiles voulaient et a lancé un nouveau type du traité philosophique dans la pensée russe, un type de synthèse globale de la théologie orthodoxe, de la philosophie européenne et de la science moderne; les exemples les plus connus en sont "la Colonne et le fondement de la vérité” de Paul Florensky (1914) et La lumière sans déclin ((Svet nevetchernyi, 1917) de Serge Boulgakov qui servent de base aux développements de la "Sophiologie"

Arkady Mahler: développement de la théologie russe aux XIX - XX siècles
"L'Ecole de Paris"

La troisième étape est celle de la pensée orthodoxe des “émigrés russes” à partir des années 1920 et pratiquement jusqu'à la fin du XX siècle. À cette étape apparaît un nouveau courant qui se développe au départ parallèlement à la fin de la génération de “la Renaissance religieuse russe” mais qui s'en distingue fondamentalement. De même que les désignations comme "le slavophilisme" et “la Renaissance religieuse russe ” pour les étapes précédentes doivent être prises avec une bonne part de convention, de même ce nouveau mouvement n'a pas de nom réellement adéquat. Mais en tous cas ses dénominations les plus usitées sont “l'école de Paris”, “le Cercle Eulogien”, "La synthèse néo-patristique"

Note de VG:
les deux dernières dénominations ne sont pas usitées en France; le "Cercle Eulogien” crée une confusion avec une cellule de réflexion créée vers les années 2000 et disparue après le décès Mgr Serge d’Eukharpie

Il s'agit du groupe des théologiens orthodoxes réunis à Paris autour du métropolite Euloge (Guéorguievski), nommé en 1921 par le Patriarche Tikhon (Белавиным) pour le représenter en Europe Occidentale. Le centre institutionnel du nouveau courant à Paris fut d'abord l'Institut de Théologie Orthodoxe St Serge, fondé en 1925 par Serge Boulgakov et ensuite et l'Institut Français Orthodoxe Saint-Denis organisé en 1944 (dans le cadre du Comité Saint-Irénée).

Note de VG: approximations et amalgames gênants. Si le père Serge Boulgakov fut le premier doyen et professeur de théologie dogmatique de l'ITO St Serge, on ne peut pas dire qu'il en est LE fondateur, bien que cette thèse ait cours en Russie. Quand à l'institut St Denis, qui existe toujours, c'est une émanation de l'ECOF, comme le Comité Saint-Irénée. Crée dans le cadre du patriarcat de Moscou, il fut dirigé par Vladimir Lossky jusqu'en 1953, ce qui explique l'importance que lui donne l'auteur, et deux jeunes professeurs de l'ITO, le père Alexandre Schmemann et le professeur Constantin Andronikoff, acceptèrent d'y professer au début (1945-1946), mais se retirèrent rapidement. Le travail théologique des deux institutions n'est pas comparable.

Arkady Mahler: développement de la théologie russe aux XIX - XX siècles
Georges Florovsky (1893-1979), qui fut le premier inspirateur du groupe de Paris, mit en avant l'idée de "synthèse néo-patristique" qui devint l'axe de recherche du courant. L'objectif de la "synthèse néo-patristique" (qu'on appelle aussi parfois "synthèse néo-cappadocienne" ou "palamite") semble à première vue analogue à celui de I.Kireevsky et V.Soloviev: exposer «les fondements absolus» de l'orthodoxie en utilisant la langue philosophique moderne. Cependant la grande différence de "la synthèse" de Florovsky c'est que l'accent n'a pas été mis sur l'utilisation de la langue philosophique contemporaine (comme, de son point de vue, le firent les slavophiles de Soloviev et ses continuateurs), mais sur la renaissance d'une véritable philosophie orthodoxe, une philosophie «de l'hellénisme ecclésialisé» incarnée dans la patristique byzantine. Il est certain que le recours inconditionnel aux normes dogmatiques de la tradition orthodoxe-patristique et la liaison avec l'approche rationnelle-systématique dans l'exposé de ces normes, ainsi que le dialogue avec les contradicteurs, distinguent fondamentalement ce mouvement de la philosophie de “la Renaissance religieuse russe”, son volontarisme dans les questions dogmatiques et son apologie de l'irrationnel. Comme exemples de cette nouvelle "synthèse" de la patrologie il y les études de Florovsky lui-même «les Pères Orientaux de IV siècle» (1931) et «les Pères Byzantins des V-VIII siècles» (1933), et pour l'histoire de la philosophie «La Voie de la théologie russe» (1937). Parmi d'autres noms de ce mouvement il est nécessaire de remarquer – les pères Nikola Afanasiev (1893-1966) et Cyprien Kern (1899-1960), Mgr Basile Krivochein (1900-1985) ainsi que dans la génération suivante les pères Alexandre Schmemann (1921-1983) et Jean Meyendorff (1926-1992). Toutefois la place essentielle dans ce courant, en tout cas pour ce qui concerne l'histoire de la philosophie, revient à Vladimir Nikolaévitch Lossky (1903-1958).

Source: début de l'Introduction au diplôme de maitrise d'Arkady Mahler soutenu en 2004 sur le thème "Théologie orthodoxe et élitisme philosophique dans les travaux de V. Lossky".
Traduction, titres et notes de VG.

Arkady Mahler: développement de la théologie russe aux XIX - XX siècles
Commentaire du rédacteur

Malgré ses simplifications et imprécisions (n'oublions pas qu'il s'agit d'un mémoire de maitrise), je trouve cette présentation très synthétique intéressante pour les non-spécialistes, que nous sommes en majorité, justement par son souci de simplification et sa façon de montrer les points forts de chaque période ainsi que les liaisons entre elles.

La théologie russe est actuellement en train de se réapproprier ces recherches des précurseurs; des ouvrages inaccessibles durant pré d'un siècle sont publiés et la recherche repart vers de nouvelles avancées, forte de ses dizaines de chercheurs, moines et laïcs. Et cela parait d'autant plus important que, en dehors de l'Eglise russe, la théologie orthodoxe n'a pas eu de grandes avancées durant cette période. Il y eut évidement des théologiens ailleurs, principalement au XXe siècle, car il fallut d'abord "digérer les indépendances" des Eglises captives, (le premier Congrès de théologie orthodoxe eut lieu à Athènes en 1936), mais il n'y eut nulle part de "courants constitués" comme ceux de la théologie russe que retrace Arkady Mahler

Leurs apports ont donc enrichi la pensée orthodoxe dans son ensemble et il est intéressant de pouvoir en saisir les grandes idées directrices que montre cette synthèse.

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Arcady Mahler :"Orthodoxie et idée nationale"


Arkady Mahler: développement de la théologie russe aux XIX - XX siècles
Tableau de Olga Zouzkova "L’expulsion en 1922 d’un grand groupe de représentants d’élite intellectuelle russe"
Ольга Цуцкова, «Русская идея. Философский пароход»

Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 23 Septembre 2013 à 11:01 | 1 commentaire | Permalien


Commentaires

1.Posté par Vladimir.G le 22/12/2013 15:02
LA GÉNÉRATION DES PENSEURS RELIGIEUX DE L'ÉMIGRATION RUSSE

Dans son analyse ci-dessus Arkady Mahler souligne l'importance "de la pensée orthodoxe des “émigrés russes” à partir des années 1920 et pratiquement jusqu'à la fin du XX siècle" La thèse du professeur Antoine Arjakovsky (1) est consacrée à ces théologiens qui ont prolongé le développement de la pensée théologique russe au XXe siècle et constitué de fait l'essentiel de la théologie orthodoxe à cette période, mais aussi plus largement à l'ensemble des penseurs russes, héritiers de "l'Age d'Argent" (2), qui gravitent autour de la revue "Путь" ("La Voie", 1925-1940). Cette thèse vient d'être publiée en anglais (3) après l'avoir été en français en 2004 (4). Je vous en propose une recension (5) publiée à l'époque par le webmagazine catholique Sombreval.com.
(J'ai ajouté les sous-titres)

"ПУТЬ"- "UN TRÉSOR DE LA PENSÉE "

Les éditions L'Esprit et la Lettre ont édité dans son intégralité la thèse d'Antoine Arjakovsky, soutenue en mars 2000 à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales à Paris. Cette somme incontournable constitue le premier volet d'un triptyque consacré à l'histoire de la pensée orthodoxe contemporaine. L'étude se concentre sur la revue "Put" ("Путь"), revue prestigieuse mais méconnue qui a cherché à perpétuer la tradition de la pensée religieuse russe, de concilier la tradition avec l'impulsion créatrice, de conserver ce qui est éternel dans le passé et de se tourner en avant vers l'avenir. Cette revue, nourrissante intellectuellement et spirituellement, fut en butte au sein de l'émigration russe à l'hostilité des cercles monarchistes affirmant la nécessité d'une lutte armée contre les bolchéviques, aux courants d'extrêmes droites, hostiles à toute pensée, et aux traditionalistes attachés aux formes sclérosés de la vie religieuse. Ce jugement du père Men permet de mesurer la portée de cette revue exceptionnelle: « Ce n'est pas une revue, c'est un trésor de la pensée! Ses soixante numéros en font véritablement une richesse, un héritage, que nous recevons aujourd'hui. Que Dieu fasse qu'ils parviennent à nos descendants » ( cité p. 589). De nombreux textes de Put', traduits en Anglais, sont maintenant disponibles sur le net (voir par exemple le lien Berdiaev, voir aussi le site Krotov.org).

Commençons par une présentation générale de la somme d'Antoine Arjakovsky.
« Le 31 août 1922, Lénine et Trotski décident d'expulser hors d'Union soviétique plus de 160 intellectuels représentant l'élite culturelle et scientifique de la période pré-révolutionnaire de l'âge d'argent. Sur le « bateau des philosophes » prennent place Nicolas Berdiaev, Simon Frank, Serge Bulgakov, Nicolas Losski, connus pour leur engagement marxiste, puis par leur tournant philosophique vers l'idéalisme kantien, enfin par leur conversion au christianisme orthodoxe. Ils décident alors de vivre entre Paris, Berlin, Prague et New-York, dans une opposition créatrice au régime soviétique mais aussi au désordre capitaliste. Avec d'autres intellectuels comme l'écrivain Alexis Remizov, le linguiste Nicolas Troubeskoi, l'historien Georges Fedotov ou le père Alexandre Eltchaninoff, ils créent une revue "La Voie", Put' en langue russe, qui deviendra le lieu de mémoire de toute une génération intellectuelle orthodoxe. On y trouvera côte à côte Antoine Karatchev, l'organisateur du concile de l'Eglise russe en 1917, Léon Chestov, un philosophe d'origine juive que publie la NRF, mère Marie Skobtsov, une religieuse devenue martyre pendant la seconde guerre mondiale, Georges Florovski, l'un des fondateurs du conseil oecuménique des Eglises, mais aussi des jeunes poètes inconnus vivant à Paris...Moderniste dans les années vingt, puis non-conformiste au début des année trente, enfin spirituelle avant la guerre, cette pensée philosophique et religieuse originale prit conscience au fil du temps de son identité profondément théanthropique (cf : d'où le primat accordé à l'idée principale par la pensée religieuse russe : la divino-humanité) et « mythologique ». Très vite de grands penseurs européens comme Jacques Maritain, Emmanuel Mounier, Maurice de Gandillac, Roger Martin du Gard, Yves Bonnefoy, mais aussi John Mott, Edmund Husserl, Karl Gustav Jung, Martin Buber, Karl Barth, Hans Urs Von Balthasar, etc. saluèrent cette pensée comme l'une des plus profondes du siècle. Aujourd'hui le rapatriement de cet héritage spirituel dans les républiques d'ex-Union soviétique affecte le paysage politique et intellectuel des pays de tradition orthodoxe comme la Russie, l'Ukraine ou la Roumanie et engendre ailleurs, dans les pays marqués par la modernité et la sécularisation, un nouvel approfondissement de la nouvelle conscience philosophique et théologique. »

LE DIALOGUE QUI ENTRE LES DEUX COURANTS MODERNISTES ET TRADITIONALISTES

Précisons tout d'abord que le modernisme des intellectuels russes n'a aucun rapport avec le modernisme infesté de rationalisme qu'a dénoncé saint Pie X. Berdiaev caractérise ce modernisme comme un « pneumocentrisme ». « La défense du modernisme écrit-il est la défense de la vie, du mouvement, de la création, de la pensée » (p. 430).

L'unité générationnelle entre les penseurs de la revue, s'accordant sur la primauté du spirituel, se maintint jusqu'au milieu des années trente, en dépit des divergences théologique et philosophiques opposant le courant néo-patristique, traditionaliste, représenté par V.Lossky et G.Florovsky, et le courant moderniste et pneumocentrique, regroupé autour de Berdiaev, Fedotov, le père Boulgakov et de mère Marie Skobtsov, fondatrice de l'Action Orthodoxe. Plusieurs facteurs, comme l'orientation personnaliste de la revue sous l'impulsion de Berdiaev, et la montée des tensions internationales ont eu raison de cette homogénéité. «Avec le recul note A.Arjakovsky, on peut observer combien l'esprit radical et désintégrateur de l'époque contribua à instaurer une spirale de violence et empêcher le dialogue qui existait lors des années non-conformistes, entre les deux courants modernistes et traditionalistes» (p.431)

L'histoire spirituelle de l'émigration russe est étudiée de façon très détaillée. J'ai savouré les pages consacrées au grand philosophe Léon Chestov et son combat acharné contre le joug de la raison. A.Arjakovsky présente la conférence qu'il fit sur Tolstoï en 1935 : « Au cours de cette conférence, Chestov, qui avait rencontré l'écrivain un an avant sa mort, raconta comment Tolstoï, lutta sans succès contre la raison qui affirme « absurde » le principe de non-résistance au mal. Mais Chestov montra que, au soir de sa vie, Tolstoï, tel Abraham, préféra la foi absurde « en la vérité non prouvée » du commandement évangélique, à l'ennemi répugnant de la vérité prouvée. Il partit sans savoir où il allait, pour aller finalement mourir dans la petite gare d'Astapovo. Selon Chestov, l'épisode du départ absurde et salutaire du grand écrivain montre que le sens de la vie n'est pas entre les mains de l'homme, mais entre celles de Dieu. L'homme qui comprend cela ne peut qu'abandonner ses richesses et se mettre en chemin. Cette opposition entre la foi et la raison déchue, entre le Dieu Personnel inconnaissable et le Dieu des philosophes, induit une eschatologie qui ne dépend pas de l'horloge du temps humain. Chestov souligne que le Christ a promis de revenir « comme un voleur dans la nuit » et non dans le cadre d'un quelconque scénario terrestre » (p.497)

De nombreux thèmes ont été abordés par les auteurs de la revue (de la théosophie à la mythologie japonaise...). On y traite de philosophie, de théologie, de psychologie, de science, d'histoire, de politique, de littérature. Il me semble intéressant de s'attarder sur les études esthétiques de Vladimir Vejdle (Weidlé), intégré à la "Voie" dans les années trente. Elles ont trait à la désintégration de l'art contemporain, héritier du doute cartésien et déserté par l'esprit ( « L'artiste dégringole d'enfers en enfers écrit-il, plus terribles les uns que les autres, errant de la réalité moisie au monde des formes désincarnées...Aucune intelligence, aucun talent, aucune connaissance, ne permettront seules de le sauver, de lui permettre de retrouver le verbe vivant qu'il a perdu. La Transfiguration n'est pas une opération du doute méthodique, elle est un miracle, et l'Incarnation est un miracle encore plus merveilleux. Leur sens véritable ne se dévoile ni dans la philosophie, ni dans la science, ni même dans l'art, mais seulement dans les mythes et les mystères de la religion. p.226) ou à la renaissance du merveilleux dans la littérature occidentale (Jules Verne, Fournier..) : « Le chemin le plus droit, le chemin le plus fidèle à la renaissance du merveilleux conclut-il dans cette étude, même s'il n'est pas le seul, se trouve dans la réunion de la création artistique avec le mythe chrétien et avec l'Eglise chrétienne » (p.227)

DÉFENDRE LA CULTURE EUROPÉENNE

Au cours de la période que retrace A.Arjakovsky, les rencontres oecuméniques, organisés par Maritain et Berdiaev, se multiplièrent. On sait que Berdiaev fut le principal inspirateur du mouvement Esprit fondé par Emmanuel Mounier. Les auteurs de "La Voie" nouèrent aussi des contacts privilégiés avec des personnalités anglicanes. Ils furent également des témoins attentifs de la vie intellectuelle française. Ils purent ainsi discerner les causes de la tentation communiste, confondante de naïveté, et de la vague de sovietophilie à laquelle succomba une partie de l'intelligentsia française au milieu des années 30, à savoir « la crise de la culture européenne et sa décadence venue de la séparation entre les couches cultivées et le corps social » (373).

Notons également la polémique engagée entre Berdiaev et Massis, l'apologète de l'Action française. Le philosophe russe fit une recension accablante pour Massis de Défense de l'Occident. Pour Berdiaev, cet essai représente surtout une « accusation » de l'Occident : «Dostoïevski écrit-il aurait trouvé en Massis et Maurras la confirmation de sa Légende du grand inquisiteur. J'ai même envie de défendre le catholicisme contre Massis. Le catholicisme est plus large et plus complexe que la civilisation latine avec son rationalisme, son juridisme, son formalisme et son esprit classique (...) On a envie aussi de défendre la culture européenne contre Massis. La culture européenne n'est pas seulement la culture latine, elle est romano-germanique, et en France même il n'y a pas que des éléments latins (...) Les erreurs de jugement sur l'Orthodoxie de Massis sont particulièrement graves et dommageables. Il n'a pas la moindre de ce qu'elle est comme d'ailleurs la majeure partie des étrangers »
Cette exaltation de l'esprit latin, de la romanité de la foi trahit selon lui une peur de l'infini, «cet apport décisif du christianisme », une « peur panique du chaotique et de l'irrationnel qui viendraient de l'Orient, de Dostoïevski, des russes » (p.184)

La condamnation de l'Action française ne passa pas inaperçue au sein de la revue. L'action de Pie XI fut d'ailleurs saluée à maintes reprises par Berdiaev. Il le présente selon l'historien « comme un défenseur de « la liberté de l'esprit », comme le dénonciateur des « hérésies de la vie et non des hérésies doctrinales ». Berdiaev rappelle par là que Pie XI condamna à la fois le capitalisme, le fascisme, l'Action Française , le racisme, l'antisémitisme et le communisme, engageant par là toute son Eglise sur la voie de la guérison face à la modernité (...) Berdiaev voulut signifier publiquement sa reconnaissance de la valeur du principe d'autorité dans l'Eglise lorsqu'il est associé au principe éthique et non uniquement hiérarchique » (p.536)

L'historien a établi la liste par auteurs des articles parus dans "La Voie". Elle figure à la fin de l'ouvrage.

Antoine Arjakovky, La génération des penseurs religieux russes, L'Esprit et la Lettre, Kiev-Paris, 2002, 750 pages

Pour finir, je vous recommande la lecture de La légende du grand inquisiteur commentée par K.Léontiev, V.Soloviev, V.Rozanov, S.Boulgakov, N.Berdiaev, S.Frank. Ce recueil de textes paru aux éditions l'Age d'Homme montre, comme l'étude d'Antoine Arjakovsky, toute la profondeur de la philosophie russe et de la théologie orthodoxe : Cliquez ici

06/06/2004
Sombreval

Notes de VG
(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_Arjakovsky
(2) http://global.britannica.com/EBchecked/topic/513793/Russian-literature/29161/The-Silver-Age
(3) http://undpress.nd.edu/book/P01526
(4) http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_2001_num_73_2_6729
(5) http://www.sombreval.com/La-generation-des-penseurs-religieux-de-l-emigration-russe_a163.html

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