Texte de la chronique bimensuelle de Carol SABA responsable de la communication de l’AEOF : Émission "Lumière de l'Orthodoxie" du dimanche 15 mars 2015 sur Radio Notre Dame --- A l'occasion de la remise à Moscou en février dernier, des insignes du prix de "l'unité des peuples orthodoxes" à Sa Béatitude le Patriarche Jean X d'Antioche Lien

Moscou. 20 février 2015. Eglise du Saint Sauveur. L'église cathédrale du Patriarcat de Moscou s'apprête en grande pompe, à accueillir une cérémonie solennelle d'importance. Le Patriarche orthodoxe d’Antioche et de tout l’Orient, JEAN X (YAZIGI), va recevoir des mains du Patriarche CYRILLE de Moscou, les insignes du prix de la « Fondation Internationale de l’unité des peuples orthodoxes ».

Lire aussi De Moscou, Carol Saba: Visite irénique du Patriarche Jean X d'Antioche au Patriarcat de Moscou et de toute la Russie

La Cathédrale du Saint Sauveur est un édifice imposant pour toute échelle humaine. Un lieu chargé d'histoire et d'épreuves. C'est le 25 décembre 1812, jour de la défaite de l'armée napoléonienne en Russie, que le Tsar Alexandre 1er ordonna sa construction "en signe de gratitude à la Providence Divine, qui permit à la Russie d'être sauvée de la destruction qui la menaçait".

Carol Saba: "Interrogations sur l’unité des peuples orthodoxes ? De quoi parlons-nous ? Unité « essentielle » ou unité « de façade » ?
Puis, ce fut un siècle de vie, de la pose de la 1ere pierre en 1839, sous le tsar Nicolas 1er, à la destruction de la cathédrale en 1931 par Staline, le « tsar rouge ». J'ai communié de près à la grandeur de cet édifice, ressuscité à l'identique entre 1995 et 2000, mais aussi à sa charge émotionnelle et historique, quand j'ai accompagné en janvier 2014 Sa Béatitude JEAN X d'Antioche à Moscou pour sa première visite officielle irénique à l'Eglise orthodoxe russe, après son élection au Trône d'Antioche en décembre 2012.

La liturgie patriarcale solennelle à laquelle nous participâmes, fut d'une beauté inouïe.


Un peu du ciel descendu sur terre. Le tout suivi d'agapes festives « à la russe » regroupant plus de 2000 personnes. JEAN X qui revient en ces jours-ci de février 2015, une 2ème fois à Saint Sauveur de Moscou, a été porteur, encore une fois, d'un message de paix et d'unité. Il a été surtout chargé encore davantage, de toutes les épreuves et douleurs que traverse l'Eglise apostolique d'Antioche ces jours-ci, des jours terribles où la terreur se répand en Orient.

En recevant les insignes du prix de « l’unité des peuples orthodoxes », Jean X a déclaré vouloir « dédier cette reconnaissance à la souffrance de l’Eglise d’Antioche, à la terre d’Orient où ont été plantées les semences de notre antique histoire, qui ne peuvent pas être bafouées par les ouragans de la période actuelle ». Puis, Jean X a remis, à son tour, symboliquement, ces insignes à ses frères, les évêques d'Alep, Paul YAZIGI et Jean IBRAHIM, toujours en captivité quelque part en Orient depuis avril 2013. Le choix de l'Eglise russe est certes très opportun, marquant sa solidarité avec l'Eglise sœur d'Antioche, martyrisée, blessée mais toujours debout.

Le choix de JEAN X pour ce prix, ne peut qu'être salué, lui, et je le sais de près, qui ne cesse d'agir avec irénie et « sainte patience », pour préserver l'unité orthodoxe en dépit des atteintes qui lui sont portées, notamment dans la crise provoquée par la décision de l'Eglise de Jérusalem d'ordonner depuis 2013 un évêque à elle sur le territoire de l'Emirat du Qatar, qui fait partie de la juridiction canonique historique du Patriarcat d’Antioche.

Lire aussi Chronique de Carol Saba "Lumières de l'Orthodoxie" sur Radio Notre Dame: "Le monde tel qu'il devrait être ! l'Eglise telle qu'elle devrait être"

Le monde orthodoxe n’a pas pris encore la mesure de l'atteinte à l'unité orthodoxe que constitue un tel agissement. Il ne s'agit pas là d'une simple question "territoriale", mais du respect de la « taxis » et de la « praxis » de l'Eglise orthodoxe sur lesquelles se fondent, aussi, l'unité de l'Orthodoxie. D'évidence, il y a lieu aujourd'hui, au-delà de cette crise grave qui perdure sans solution, de s'interroger plus globalement sur « l'état des lieux » de l'unité orthodoxe, ses enjeux et ses défis, dans le monde en transformation d'aujourd'hui.

Deux écueils majeurs, -il y en a d'autres-, me semble urgent à corriger, sauf si on approche l'unité orthodoxe comme une unité de façade, d'apparence et d'appareil, et non pas comme un réel besoin ecclésiologique et ontologique d'une unité réelle, essentielle et existentielle, celle du Corps du Christ, qui ne supporte pas les divisions entre les membres qui constituent le Corps, tous les membres sans exclusion aucune. Oui, une tendance de fond traverse l'Orthodoxie depuis un certain temps qui fait de l'Eglise une hiérarchie de pouvoirs qui s’exerce verticalement et met à mal, voir en panne, la « conciliarité », ce « principe de communion » horizontale, qui doit exister et associer dans la réflexion et la décision, toutes les sphères de l’Eglise sans pour autant remettre en cause le « principe hiérarchique de décision » en elle. C’est l'ecclésiologie de « communion » qui permet de concilier les deux dimensions, horizontale et verticale, de l’autorité dans l’Eglise.
Or cette ecclésiologie est de plus en plus, peu ou pas appliquée comme il le faut, et le Corps de l'Eglise souffre ici et là des divisions qui en résultent.

Carol Saba: "Interrogations sur l’unité des peuples orthodoxes ? De quoi parlons-nous ? Unité « essentielle » ou unité « de façade » ?
Le deuxième écueil concerne la relation entre les Eglises Mères et la soi-disant « Diaspora », question essentielle là aussi, qui touche de même à l'unité de l'orthodoxie.

Le monde d’aujourd’hui est marqués, de plus en plus, par la globalisation et par les transformations multiples qui résultent de la révolution numérique mondiale, qui accélèrent les communications, chamboulent les repères géopolitiques du couple « centre/périphérie » et refondent ainsi toutes les gouvernances. Dans ce monde, les Eglises Mères orthodoxes continuent, avec des différences de degrés et non pas de nature, à fonctionner selon la logique traditionnelle de l'ancien monde, le monde du « centre » qui, tous les jours, est supplanté, voir balayé, par la logique du nouveau monde, celui du « réseau ».

La préparation du Saint et Grand Concile, décidée en mars 2014, il y a exactement un an, lors de la SYNAXE regroupant à Istanbul au siège du Patriarcat Œcuménique de Constantinople les primats des Eglises orthodoxes autocéphales, l’illustre parfaitement. En mettant à l'écart dans la préparation de ce Grand Moment que sera le Grand Concile Pan Orthodoxe, toute une grande frange de l'Orthodoxie mondiale, qu'on continue à appeler, abusivement, « Diaspora », on continue à raisonner selon cette ancienne logique, aujourd’hui en passe de passer, du « Centre » (les Eglises Mères) et d’une « Périphérie » (La Diaspora). Le seul, me semble-t-il qui, récemment, a eu, le mérite de commencer à attirer l'attention sur cet écueil, est le patriarche JEAN X d'Antioche dans sa lettre aux participants de la 2ème réunion préparatoire du Concile, tenue à Genève en février dernier, et ce, en appelant à un élargissement de la préparation du Grand Concile. Et les Eglises Mères se doivent, dans l’intérêt de l’Orthodoxie et de son témoignage, de chercher à associer et à bénéficier de l‘expérience et du savoir-faire accumulé par la « Diaspora » Orthodoxe, présente dans tous les espaces où se dessine la modernité d'aujourd'hui, avec ses bienfaits et ses méfaits. Antioche qui a toujours été exemplaire dans l’histoire de l’Eglise pour rappeler à l’Orthodoxie « l’essentiel », se doit de commencer à donner elle-même l’exemple, en repensant sur de nouvelles bases, plus interactives et participatives, sa relation avec sa Diaspora.

Carol Saba: "L’Orthodoxie, ici et Maintenant"

Il est évident qu'à défaut de repenser sur une base véritablement « partenariale » la relation, traditionnellement à sens unique, entre les Eglises Mères et les soi-disant "Diaspora", l'Orthodoxie trahit l’ecclésiologie qui la fonde, celle d’IGNACE d’Antioche, celle de l'Eglise locale. Le Saint et Grand Concile Pan Orthodoxe qui se prépare pour la Pentecôte 2016, ne peut être vraiment « concluant » que si toutes les forces vives de l'Orthodoxie, Eglises Mères et Diaspora, agissent « main dans la main » et réfléchissent « ensemble » pour opérer cet « aggiornamento » stratégique dont a tellement besoin l'Eglise orthodoxe aujourd’hui

. Le Concile n'a de sens que si cet aggiornamento est véritablement engagé par une « association » de toutes ces forces vives ! L'unité de l'Eglise orthodoxe et l'acuité de son message dans le monde d'aujourd'hui en dépendent pour que « le monde croie » (Jean 17,21).

Carol Saba: "Interrogations sur l’unité des peuples orthodoxes ? De quoi parlons-nous ? Unité « essentielle » ou unité « de façade » ?

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 17 Mars 2015 à 14:30 | 1 commentaire | Permalien



Recherche



Derniers commentaires


RSS ATOM RSS comment PODCAST Mobile