"Et pourtant, il y a encore beaucoup dont je dois me repentir, il y a encore beaucoup que j'ai à apprendre de mon prochain, et ce n'est qu'ensemble, comme un seul corps, que nous serons Ton Église, et Ton Église dans son entièreté, non pas en séparation mais dans l'Esprit Saint, devenant le lieu où le Dieu Un dans la Trinité est un avec l'humanité qui a accepté de renoncer à la sagesse de ce monde, pour ne plus connaître que la sagesse de Dieu".

Une période charnière

Le texte de Mgr Antoine publié précédemment (cf. III) a été écrit à la même époque que le sermon proposé (2001). Il s'en rapproche beaucoup par le fond des arguments: «Voici ce que le Christ m'a révélé. Je veux le partager avec vous. Je n'ai jamais été capable de vivre selon cette révélation, vous, vous le pourrez. Prenez cela et devenez véritablement corps du Christ», avec d'ailleurs la même citation de Mgr Jean (Wendland). Mais alors que le discours prononcé par Mgr Antoine à l'Assemblée de son diocèse est un appel à la mobilisation pour aller de l'avant vers un nouvel œcuménisme orthodoxe, une nouvelle ouverture aux autres, celui-ci, probablement prononcé devant des hétérodoxes, est un cri d'angoisse devant ce qui semble être un échec, une incompréhension de la démarche orthodoxe.

2001 semble pourtant se situer dans une période d'avancées importantes pour la réception de l'œcuménisme orthodoxe cf. "Quelques étapes de l'œcuménisme orthodoxe - Partie-3"
- Les Orthodoxes ont été entendus au sein du COE sur le refus de « l’hospitalité eucharistique » et il a été décidé de ne pas inclure de célébration de l’Eucharistie dans le programme officiel des Assemblées Générale à partir de la VIII (Harare, 1998).
- Une "Commission spéciale sur la participation des Orthodoxes au Conseil œcuménique des Eglises" s'est réunie en 1999 et 2000 et a formulé un "rapport intérimaire" qui sera approuvé par le Comité central du COE en août 2002. Il prévoit la nécessité du consensus pour la prise de décision

Ainsi deux demandes concrètes des Orthodoxes ont été satisfaites par le COE, sur l'intercommunion et sur la règle du consensus pour les décisions; par contre tous les sujets de doctrine et de morale sont restés en suspens.

Par ailleurs, le concile épiscopal jubilaire de l'Eglise russe a adopté en 2000 [ "Principes de base des relations de l’Église orthodoxe russe à l’égard de l’hétérodoxie". Analysant les aspects théologiques et doctrinaux de la participation orthodoxe à des activités interchrétiennes, ce document «représente le point de vue orthodoxe, que partagent certainement les autres Églises orthodoxes » comme l'a dit Mgr Hilarion de Volokolamsk in "L’église orthodoxe et le mouvement œcuménique : les difficultés"

Bien que ces évènements ne soient pas explicitement cités par Mgr Antoine, ils trouvent bien évidement un écho dans la tonalité de cette homélie et, comme "l'estrangement, l'incompréhension, et parfois la haine " sont allés en s'aggravant jusqu'à nos jours, ce sermon reste aussi totalement d'actualité.

VG.

***
MGR ANTOINE DE SOUROGE: SERMON SUR LA SEMAINE DE PRIERE POUR L'UNITE
(vers 2001)
Source et Traduction. /Publié par Jean-Michel à 1/21/2014 12:30:00 AM /Intertitres: VG

Nous avons divisé le christianisme!

Je n'ai pas le courage de commencer ce que j'ai à vous dire maintenant par les paroles habituelles "au Nom du père, du Fils et du Saint Esprit," parce que c'est plus un cri d'agonie de ma propre âme que je voudrais vous partager, espérant que Dieu Qui partage avec nous toutes les souffrances du monde, toutes ses tragédies, le partage aussi.

Nous avons divisé le christianisme et nous n'avons pas toujours réalisé à quel point c'est tragique parce que nous vivons à différents niveaux. Il y a peu de moments où les doctrines problématiques, parfois complexes, jouent un rôle. Combien de fois la primauté du pape de Rome détermine les actions d'un croyant catholique-romain au cours de sa journée? Combien de fois l'enseignement de l'Église Orthodoxe sur la sainte Trinité fait la différence dans son comportement vis à vis d'autrui? Combien de fois tel ou tel passage des Écritures cité par Calvin et d'autres théologiens de la Réforme détermine nos actions? Nos vivons et agissons et sommes en relation les uns avec les autres à un niveau vraiment différent, et ce niveau est soit la reconnaissance mutuelle, l'acceptation, et au mieux l'amour mutuel, ou au contraire – l'estrangement, l'incompréhension, et parfois la haine.

Nous n'exprimons plus des sentiments de haine de nos jours comme c'était le cas il y a un siècle, mais je me souviens que lorsque j'étais garçonnet dans une école primaire à Vienne en Autriche, comment la première semaine, l'institutrice qui ne savait pas ce qu'était l'Orthodoxie, m'avait envoyé d'abord vers le rabbin parce que "orthodoxe" lui semblait être une expression de l'Ancien Testament. Il m'avait regardé, m'avait demandé pourquoi j'avais la tête découverte, et quand je lui ai répondu "Parce que ma maman m'a dit de ne jamais porter de chapeau dans une pièce parce qu'il y a un crucifix ou une icône", il me regarda et dit "un Chrétien dans ma classe? Hors d'ici!" J'ai été retrouvé par la maîtresse dans le corridor, qui me reconnaissant dès lors comme un Chrétien m'envoya au prêtre catholique-romain. Il me demanda ce que j'étais, et entendant que j'étais un Chrétien Orthodoxe, il dit "un hérétique dans ma classe? Dehors!" Et ce fut là que s'arrêta mon éducation religieuse.

Cela ne se produit plus à présent, mais l'estrangement demeure à un important niveau, et il subsiste dans nos rencontres en termes d'intellect, lorsque nous comparons les formules, lorsque nous comparons les affirmations théologiques. Je me souviens d'une extraordinaire discussion rapportée par un évêque Grec du 16ème siècle avec un théologien catholique-romain. Le théologien romain voulait une réponse à ses questions en utilisant les termes de la philosophie et théologie thomistes, et l'évêque Grec ne savait pas lui répondre en ces termes car ils lui étaient étrangers, et en apparence il avait été battu, et pourtant il avait raison car ce n'était pas une compétition entre 2 systèmes philosophiques, mais la proclamation d'une Foi vivante.

Partager notre unité dans le seul Dieu que nous adorons.

Nous sommes à présent dans la même position. La division a existé depuis les origines parmi les Chrétiens. Vous vous souviendrez de la dispute des disciples du Christ pour savoir lequel d'entre eux était le plus grand, et le Christ avait répondu "cet enfant!" Et que voyait-Il en cet enfant? La pureté de cœur, la pureté d'esprit, et la capacité à être totalement ouvert à l'amour et à la tendresse, une acceptation de l'autre. Les disciples l'apprirent exactement lorsque l'Esprit Saint descendit sur eux, et ils partirent prêcher l'Évangile mais sans attaquer qui ou quoi que ce soit, ne proclamant uniquement que Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné Son Fils unique jusqu'à mourir afin que le monde puisse être sauvé. Telle est la vérité sur laquelle nous pouvons construire notre unité. Nous devons devenir comme l'enfant - pur de cœur, ouvert à Dieu, ouvert à notre prochain dans la simplicité et l'amour. Nous ne pouvons pas, nous n'avons en effet pas le droit de rejeter ou de nous détourner de l'enseignement de nos communautés respectives, mais nous devons nous demander qu'est-ce qui dans cet enseignement est de Dieu, de l'Esprit, et qu'est ce qui est une tentative d'exprimer les choses en termes de ce monde, des philosophies du temps qui se cachent parfois derrière ces expressions. Et nous devons aussi apprendre à nous aborder les uns les autres avec un regard neuf. Pendant des siècles, nous avons été en compétition, nous avons argumenté, nous avons essayé de nous convertir les uns les autres, pour prouver à l'autre qu'il avait tort et que nous seul avions raison.

Je me souviens du professeur Zander, un des grands théologiens œcuméniques de notre siècle, qui avait écrit un livre appelé "Action et vision" (1952), dans lequel il explique comment il voyait le rapprochement des croyants. Il disait "Pour commencer, deux personnes sont une. Ensuite, ils pensent, ils tentent de comprendre, ils tentent de formuler leur croyance, ils se présentent mutuellement leur formulations, et l'autre ne peut l'accepter, parce qu'il a fait la même chose, ayant parcouru le même cheminement, et étant parvenu à une autre manière d'exprimer la vérité. Et vient le moment où ils ne sont plus un, où ils s'éloignent l'un de l'autre, comme le professeur Zander l'exprime d'une manière très visuelle, ils ressentent encore la présence de l'autre mais ils sont infiniment éloignés l'un de l'autre parce qu'ils envisagent un autre absolu, et alors ils se quittent. Ils sont de plus en plus ancrés dans ce qui commençait à être la seule forme d'expression de la vérité qu'ils acceptent. Cela ne devient plus seulement l'expression selon leur capacité de pensée, cela devient LA VERITE, et l'autre devient l'étranger, l'hérétique, un ennemi de Dieu ou simplement un étranger qui est tombé du bateau. Et un jour lorsqu'ils sont loin l'un de l'autre, lorsque l'amertume s'est dissipée, lorsque l'état de séparation devient pénible parce qu'il y a toujours dans leur cœur un germe d'amour pour l'autre, ils se demandent "qu'est-ce qui lui est arrivé depuis que nous nous sommes séparés?" Et ils se retournent, et regardent, et au loin ils voient une silhouette, c'est comme un arbre, comme une statue, comme un objet inerte, mais ils savent, c'est leur ami, et ils commencent à se rapprocher, et plus ils se rapprochent, plus ils se reconnaissent, et ils se retrouvent face à face. Et à ce moment, ils se disent l'un à l'autre "pendant les siècles de séparation, qu'as-tu appris de Dieu, de toi-même, de moi?" Et ils commencent à partager, à partager leur état de séparation et au delà, partager ce qui est encore et toujours leur unité dans le seul Dieu Qu'ils adorent.

Ce n'est qu'ensemble, comme un seul corps, que nous serons Ton Église!

Voilà où nous en sommes à présent. Il y a eu un moment où, nous tous, dans les premiers siècles, nous étions un, puis la sagesse terrestre est venue et nous a divisés. Nous avons voulu exprimer notre foi dans les catégories de pensée des philosophies du temps, et ensuite nous nous sommes éloignés les uns des autres, toujours plus. Plus tard, nous avons commencé à nous rencontrer. Par moment, uniquement partiellement. Je me souviens d'il y a 40 ans, la première conférence du conseil mondial des églises (WCC), à laquelle l'Église Orthodoxe de Russie a participé. Nous avons demandé à l'évêque Jean (Wendland) d'exprimer pour nous quelques paroles de salutation, et je n'ai jamais oublié le fond de ce qu'il a exprimé. Il a remercié le conseil mondial des églises pour nous avoir accepté malgré le fait que nous étions si différents d'eux, et il a ajouté "Nous ne vous apportons pas un nouvel Évangile, dans la simplicité que les grands esprits ont oublié, nous vous apportons la simple vérité du Christ. Nous avons été incapables d'en vivre dignement, prenez de nous ce que nous apportons et portez ces fruits que nous avons démontré être incapables de porter."

N'est pas cela quelque chose que chaque dénomination peut dire à d'autre, avec une clause restrictive - de se tourner vers Dieu Lui-même et de Lui dire, "Et pourtant, il y a encore beaucoup dont je dois me repentir, il y a encore beaucoup que j'ai à apprendre de mon prochain, et ce n'est qu'ensemble, comme un seul corps, que nous serons Ton Église, et Ton Église dans son entièreté, non pas en séparation mais dans l'Esprit Saint, devenant le lieu où le Dieu Un dans la Trinité est un avec l'humanité qui a accepté de renoncer à la sagesse de ce monde, pour ne plus connaître que la sagesse de Dieu.

Voilà ce que je crois être le point où nous en sommes, voici ce que je dis de tout mon cœur bien que je n'ose pas le dire au Nom de Dieu mais comme résultat d'une longue vie avec beaucoup d'erreurs et la joie, l'incroyable joie d'être aimé de Dieu avec tout, tout le peuple, toute la Création.
Amen.


Rédigé par Vladimir Golovanow le 28 Mars 2014 à 12:11 | 29 commentaires | Permalien



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