C’est le mérite d’un certain nombre de théologiens du XXème siècle, et notamment ceux de l’Institut Saint-Serge, de nous avoir rappelé que l’Eglise se fonde essentiellement sur la liturgie eucharistique. Quand une assemblée (sens étymologique du mot « église ») se réunit pour célébrer l’eucharistie, ce n’est pas une partie de l’Eglise qui célèbre cette liturgie mais c’est toute l’Eglise qui est récapitulée dans cette eucharistie, toute l’Eglise des vivants et des morts et même de ses membres à venir. C’est le sens de l’épithète « catholique » qui qualifie l’Eglise. « Catholique » veut dire « selon le tout », non pas « universel », comme on veut souvent nous le faire entendre. L’Eglise est catholique, parce qu’en quelque endroit que se rassemblent les chrétiens (peu ou beaucoup), c’est toute l’Eglise qui est présente parmi eux.

Cette réalité nous montre que chaque liturgie célébrée par une assemblée de chrétiens est identique à toutes les autres célébrées partout dans le monde, dans le présent, le passé et l’avenir. Car si c’est toute l’Eglise qui célèbre en un lieu donné alors c’est la même Eglise, l’Eglise du Christ, s’étendant sur toute la terre, qui célèbre en tout lieu.

Cela nous ouvre la perspective orthodoxe de l’eucharistie comme sacrement de l’unité et nous explique pourquoi les orthodoxes ne peuvent envisager « l’intercommunion », c’est-à-dire le partage eucharistique avec des hétérodoxes (on aurait dit des « hérétiques » dans l’Eglise ancienne).

Mais cela explique aussi l’organisation de la vie de l’Eglise et sa structure, adoptée depuis les temps les plus anciens. L’Eglise est, en effet, très attentive à ce que les chrétiens ne soient pas induits en erreur et aillent à leur perte par l’incapacité à distinguer d’une part ce qui est la célébration eucharistique de la véritable Eglise « catholique et apostolique » et d’autre part ce qui est une assemblée d’imposteurs ou de gens égarés accomplissant leur culte douteux. En chaque lieu, l’Eglise a conféré à l’un de ses membres la charge de présider l’assemblée ecclésiale et de célébrer l’eucharistie. Très vite, cet homme a reçu le titre d’évêque. N’est pas évêque qui veut, n’est pas non plus évêque celui qu’un groupe de personnes, même important, voudraient désigner comme évêque.

Un évêque est consacré pour son ministère par deux ou trois autres évêques au moins, venant des villes voisines. Ces derniers ont eux-mêmes été consacrés de la même manière et cette succession remonte aux apôtres, qui ont été choisis par notre Seigneur. L’Eglise témoigne ainsi, au travers des évêques consécrateurs, que le nouveau hiérarque est digne et que la liturgie eucharistique qu’il préside est bien celle de l’Eglise catholique et apostolique.
Mais ce témoignage des évêques les uns envers les autres ne s’arrête pas à la consécration. Chaque évêque est en relation étroite avec les évêques voisins rassemblés dans une « Eglise territoriale » (pomiestnaïa). Et tous ces hiérarques restent responsables les uns des autres et de leur Eglise. Ils élisent un primat, qui préside le synode, c’est-à-dire la réunion des évêques de cette Eglise territoriale. Le synode peut rassembler tout ou partie de l’épiscopat de cette Eglise selon des modalités propres à chacune d’entre elles. Enfin, il y a encore le concile qui réunit tous les évêques avec ou sans la participation de laïcs. On le voit, cette structure découle naturellement de l’unité de l’épiscopat afin que l’eucharistie célébrée partout soit celle de l’Eglise « catholique ».

A leur tour, les primats se rendent visite, se réunissent en synaxes (assemblées), et veillent, avec le premier d’entre eux, le Patriarche de Constantinople, à la vie paisible de l’Eglise.Ainsi la structure adoptée permet-elle de s’assurer que « l’Eglise qui est à Corinthe », par exemple, selon l’expression de saint Paul, est la même Eglise « catholique » qui est en tout lieu.

C’est en ce sens que Cyrille de Jérusalem a pu écrire dans ses Catéchèses : « Quand vous arrivez dans une ville, ne demandez pas simplement où est la cathédrale, parce que toutes les diverses hérésies, dans une pitoyable prétention, appellent leurs repères « cathédrales » et ne demandez pas simplement où se trouve l’église, mais demandez où se trouve l’Eglise catholique, parce que tel est le nom de notre sainte mère l’Eglise. » (1)

Que cela veut-il dire pour nous aujourd’hui ?

Cela veut dire que l’Eglise est une. Qu’elle soit à Constantinople à Moscou, à Athènes, à New York ou ailleurs, c’est la même Eglise « catholique et apostolique » qui se manifeste. Les différences dues aux diversités de cultures et de lieux sont transcendées dans l’Eglise et ne touchent pas à l’essence de celle-ci, qui est une.

L’Eglise universelle n’a donc pas d’autre expression que les Eglises territoriales que nous connaissons. On ne peut pas appartenir à l’Eglise universelle si l’on n’appartient pas à l’une des Eglises territoriales (appelées aujourd’hui volontiers « Eglises autocéphales »).
Cela veut dire, d’autre part, que chacun d’entre nous doit se poser la question : « ma paroisse appartient-elle à un diocèse dont l’évêque entre parfaitement dans la structure d’une église qui témoigne de son caractère catholique et apostolique ? » S’il y a des doutes ou des problèmes, il faut agir pour faire rentrer les choses dans la norme ecclésiale. Sinon, on peut être involontairement entraîné dans les eaux troubles du schisme et de l’hétérodoxie.

Et pour terminer, cela signifie aussi que la structure de l’Eglise dans les pays qui n’étaient pas de tradition orthodoxe et où les orthodoxes sont arrivés par immigration dans les dernières décennies ne correspond pas encore à la structure normale de l’Eglise. Les différentes Eglises territoriales y ont suivi leurs ouailles et cela est normal. Mais, de ce fait, plusieurs évêques orthodoxes sont apparus sur le même territoire. Ils sont tous incontestablement orthodoxes car tous membres de l’une ou l’autre Eglise territoriale. Cependant, ils appartiennent à la communauté des évêques de leur territoire d’origine et non pas à celle du territoire où ils se trouvent, car celle-ci n’existe pas encore.

Ceci ne remet pas en cause l’essence unitaire de l’Eglise, mais nécessite un effort pour aboutir à une situation plus conforme à la norme de l’Eglise. Selon la norme, il ne doit y avoir qu’un seul évêque orthodoxe en un lieu. Pour la France, par exemple, il faudrait donc un evêque orthodoxe à Lyon, peu importe son origine, ayant autorité sur toutes les paroisses, quelles que soient leurs origines, du diocèse de la région Lyonnaise . La même chose pour les autres grandes régions. Un synode d’évêques existerait en la capitale avec un primat, élu. Avec le temps, nous ne savons pas encore quand ni comment, l’Eglise en France se rapprochera de cette norme.

(1) Cité par Monseigneur Basile Krivocheine (Tserkov vladyky Vassilia Krivochéina p.248) et traduit du russe par mes soins)

S.R. juillet 2012
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"PO" Séraphin Rehbinder: La situation canonique de l’Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe occidentale
L'ambiguïté de l'organisation actuelle des orthodoxes en France, par S. Rehbinder
LE PHYLETISME - une réflexion de Séraphin Rehbinder

Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 28 Juillet 2012 à 14:28 | 13 commentaires | Permalien



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