C’est le mérite d’un certain nombre de théologiens du XXème siècle, et notamment ceux de l’Institut Saint-Serge, de nous avoir rappelé que l’Eglise se fonde essentiellement sur la liturgie eucharistique. Quand une assemblée (sens étymologique du mot « église ») se réunit pour célébrer l’eucharistie, ce n’est pas une partie de l’Eglise qui célèbre cette liturgie mais c’est toute l’Eglise qui est récapitulée dans cette eucharistie, toute l’Eglise des vivants et des morts et même de ses membres à venir. C’est le sens de l’épithète « catholique » qui qualifie l’Eglise. « Catholique » veut dire « selon le tout », non pas « universel », comme on veut souvent nous le faire entendre. L’Eglise est catholique, parce qu’en quelque endroit que se rassemblent les chrétiens (peu ou beaucoup), c’est toute l’Eglise qui est présente parmi eux.

Cette réalité nous montre que chaque liturgie célébrée par une assemblée de chrétiens est identique à toutes les autres célébrées partout dans le monde, dans le présent, le passé et l’avenir. Car si c’est toute l’Eglise qui célèbre en un lieu donné alors c’est la même Eglise, l’Eglise du Christ, s’étendant sur toute la terre, qui célèbre en tout lieu.

Cela nous ouvre la perspective orthodoxe de l’eucharistie comme sacrement de l’unité et nous explique pourquoi les orthodoxes ne peuvent envisager « l’intercommunion », c’est-à-dire le partage eucharistique avec des hétérodoxes (on aurait dit des « hérétiques » dans l’Eglise ancienne).

Mais cela explique aussi l’organisation de la vie de l’Eglise et sa structure, adoptée depuis les temps les plus anciens. L’Eglise est, en effet, très attentive à ce que les chrétiens ne soient pas induits en erreur et aillent à leur perte par l’incapacité à distinguer d’une part ce qui est la célébration eucharistique de la véritable Eglise « catholique et apostolique » et d’autre part ce qui est une assemblée d’imposteurs ou de gens égarés accomplissant leur culte douteux. En chaque lieu, l’Eglise a conféré à l’un de ses membres la charge de présider l’assemblée ecclésiale et de célébrer l’eucharistie. Très vite, cet homme a reçu le titre d’évêque. N’est pas évêque qui veut, n’est pas non plus évêque celui qu’un groupe de personnes, même important, voudraient désigner comme évêque.

Un évêque est consacré pour son ministère par deux ou trois autres évêques au moins, venant des villes voisines. Ces derniers ont eux-mêmes été consacrés de la même manière et cette succession remonte aux apôtres, qui ont été choisis par notre Seigneur. L’Eglise témoigne ainsi, au travers des évêques consécrateurs, que le nouveau hiérarque est digne et que la liturgie eucharistique qu’il préside est bien celle de l’Eglise catholique et apostolique.
Mais ce témoignage des évêques les uns envers les autres ne s’arrête pas à la consécration. Chaque évêque est en relation étroite avec les évêques voisins rassemblés dans une « Eglise territoriale » (pomiestnaïa). Et tous ces hiérarques restent responsables les uns des autres et de leur Eglise. Ils élisent un primat, qui préside le synode, c’est-à-dire la réunion des évêques de cette Eglise territoriale. Le synode peut rassembler tout ou partie de l’épiscopat de cette Eglise selon des modalités propres à chacune d’entre elles. Enfin, il y a encore le concile qui réunit tous les évêques avec ou sans la participation de laïcs. On le voit, cette structure découle naturellement de l’unité de l’épiscopat afin que l’eucharistie célébrée partout soit celle de l’Eglise « catholique ».

A leur tour, les primats se rendent visite, se réunissent en synaxes (assemblées), et veillent, avec le premier d’entre eux, le Patriarche de Constantinople, à la vie paisible de l’Eglise.Ainsi la structure adoptée permet-elle de s’assurer que « l’Eglise qui est à Corinthe », par exemple, selon l’expression de saint Paul, est la même Eglise « catholique » qui est en tout lieu.

C’est en ce sens que Cyrille de Jérusalem a pu écrire dans ses Catéchèses : « Quand vous arrivez dans une ville, ne demandez pas simplement où est la cathédrale, parce que toutes les diverses hérésies, dans une pitoyable prétention, appellent leurs repères « cathédrales » et ne demandez pas simplement où se trouve l’église, mais demandez où se trouve l’Eglise catholique, parce que tel est le nom de notre sainte mère l’Eglise. » (1)

Que cela veut-il dire pour nous aujourd’hui ?

Cela veut dire que l’Eglise est une. Qu’elle soit à Constantinople à Moscou, à Athènes, à New York ou ailleurs, c’est la même Eglise « catholique et apostolique » qui se manifeste. Les différences dues aux diversités de cultures et de lieux sont transcendées dans l’Eglise et ne touchent pas à l’essence de celle-ci, qui est une.

L’Eglise universelle n’a donc pas d’autre expression que les Eglises territoriales que nous connaissons. On ne peut pas appartenir à l’Eglise universelle si l’on n’appartient pas à l’une des Eglises territoriales (appelées aujourd’hui volontiers « Eglises autocéphales »).
Cela veut dire, d’autre part, que chacun d’entre nous doit se poser la question : « ma paroisse appartient-elle à un diocèse dont l’évêque entre parfaitement dans la structure d’une église qui témoigne de son caractère catholique et apostolique ? » S’il y a des doutes ou des problèmes, il faut agir pour faire rentrer les choses dans la norme ecclésiale. Sinon, on peut être involontairement entraîné dans les eaux troubles du schisme et de l’hétérodoxie.

Et pour terminer, cela signifie aussi que la structure de l’Eglise dans les pays qui n’étaient pas de tradition orthodoxe et où les orthodoxes sont arrivés par immigration dans les dernières décennies ne correspond pas encore à la structure normale de l’Eglise. Les différentes Eglises territoriales y ont suivi leurs ouailles et cela est normal. Mais, de ce fait, plusieurs évêques orthodoxes sont apparus sur le même territoire. Ils sont tous incontestablement orthodoxes car tous membres de l’une ou l’autre Eglise territoriale. Cependant, ils appartiennent à la communauté des évêques de leur territoire d’origine et non pas à celle du territoire où ils se trouvent, car celle-ci n’existe pas encore.

Ceci ne remet pas en cause l’essence unitaire de l’Eglise, mais nécessite un effort pour aboutir à une situation plus conforme à la norme de l’Eglise. Selon la norme, il ne doit y avoir qu’un seul évêque orthodoxe en un lieu. Pour la France, par exemple, il faudrait donc un evêque orthodoxe à Lyon, peu importe son origine, ayant autorité sur toutes les paroisses, quelles que soient leurs origines, du diocèse de la région Lyonnaise . La même chose pour les autres grandes régions. Un synode d’évêques existerait en la capitale avec un primat, élu. Avec le temps, nous ne savons pas encore quand ni comment, l’Eglise en France se rapprochera de cette norme.

(1) Cité par Monseigneur Basile Krivocheine (Tserkov vladyky Vassilia Krivochéina p.248) et traduit du russe par mes soins)

S.R. juillet 2012
..........................................
"PO" Séraphin Rehbinder: La situation canonique de l’Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe occidentale
L'ambiguïté de l'organisation actuelle des orthodoxes en France, par S. Rehbinder
LE PHYLETISME - une réflexion de Séraphin Rehbinder

Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 28 Juillet 2012 à 14:28 | 13 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Thierry le 28/07/2012 20:23
Très pertinent. Très juste. La première partie fait écho (de façon condensée) aux travaux très profond de Jean Zizioulas sur l'évêque et l'unité de l'Eglise.

2.Posté par Marie Genko le 30/07/2012 08:17

Merci pour cette réflexion qui nous concerne tous.

Elle devrait trouver un consensus parmi les orthodoxes de souche occidentale qui souhaitent prier, en accord avec les Canons de notre Eglise, sous l'omophore du patriarche ce Constantinople, locum tenens de l'évêque de Rome qui n'est pas orthodoxe.

Cependant il est important de prendre en compte que l'organisation actuelle de la diaspora orthodoxe, présente en Occident, ne peut que continuer à rester sous l'omophore des Eglises mères respectives dont elle est issue. Ce qui nous démontre le bien fondé de l'AEOF.

Avec toute mon amitié Marie

3.Posté par Vladimir le 31/07/2012 09:50
Oui, vraiment merci Séraphin! C'est limpide.

L'objectif proposé par le dernier paragraphe est bien une évidence canonique qui s'impose... et il me semble d'ailleurs bénéficier d'un consensus général. Mais le diable est dans les détails: comment y parvenir? Par en bas, comme le suggère "la Fraternité orthodoxe"? Ou par en haut, ce qui parait plus canonique? Mais là est-ce sous la DIRECTION de Constantinople passant par dessus les Eglises-mères (1), ou en partant de l'une des Eglises locales "qui réunissant tous les fidèles de tradition orthodoxe russe des pays d’Europe Occidentale, servira au moment choisi par Dieu, de creuset à l’organisation de la future Eglise orthodoxe Locale multiethnique en Europe Occidentale, construite dans un esprit de conciliarité par tous les fidèles orthodoxes se trouvant dans ces pays." comme l'écrivait prophétiquement le patriarche Alexis II en 2003 (2)? Encore bien des débats en perspective!

NB: chère Marie, le patriarche ce Constantinople ne peut aucunement être "locum tenens" de l'évêque de Rome puisque celui-ci assure "le maintien de la succession apostolique des ordinations" (3). Toutefois, "il apparaît indispensable de prendre en considération le caractère du développement des bases doctrinales et de l'ethos de l'Église catholique romaine qui va assez souvent à l'encontre de la Tradition et de l'expérience spirituelle de l'Église Ancienne" (ibid 3), et cela implique de reconsidérer l'organisation e la diaspora orthodoxe sur le territoire canonique de Rome. Séraphin suggère une voie possible...

(1) Cf. http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Primaute-dans-l-orthodoxie-la-bataille-d-Amerique-aura-t-elle-lieu_a152.html
(2) Cf. http://oltr.france-orthodoxe.net/html/appelfr.html
(3) http://orthodoxeurope.org/page/7/5/2.aspx

4.Posté par Marie Genko le 31/07/2012 14:12
Cher Vladimir,

Merci de remarquer que le patriarche de Constantinople peut difficilement jouer le rôle de Locum Tenens du l'évêque de Rome.

Lorsque j'ai écrit "l'évêque de Rome", j'entendais évidemment un évêque orthodoxe responsable du territoire patriarcal traditionnel de Rome jusqu'en 1054 et certainment pas un Pape qui se veut un pouvoir universel!

Je comprends très bien que dans l'approche orthodoxe, Sa Sainteté le Patriarche de Constantiople ne pas peut prétendre à une autorité universelle.
Il est le premier dans l'ordre des dyptiques et, en l'absence de patriarche orthodoxe de Rome, il pourait être concevable qu'il remplace ce patriarche, hélas absent, et prenne provisiorement sous son omophore les chrétiens occidentaux...?

Mais il ne peut s'agir en aucun cas d'une élimination de l'AEOF qui sert la diaspora orthodoxe en transit ou en installation récente sur les territoires d'Europe occidentale!
Il me semblerait tout simplement impossible, et même révoltant pour tout orthodoxe de passer par dessus les Eglises mères!!!

je pense que vous avez certainement raison, cette organisation ne peut se faire que par le HAUT et certainement pas par le bas comme le souhaite la Fraternité orthodoxe.

Un des contresens, est que la majorité des convertis le sont dans la tradition russe!
Et il n'a hélas pas été possible d'unifier les trois juridictions russes!

L'union de l'Archevêché Russe d'Europe Occidentale et de l'Eglise russe Hors Frontières était pourtant dans la logique de l'Histoire...

Avec toute mon amitié Marie

5.Posté par Vladimir le 02/08/2012 22:00
Que Constantinople "prenne /provisoirement?/ sous son omophore les chrétiens occidentaux" est une approche que certains n'hésitent pas à qualifier de "papisme oriental", mais qui est défendue par les théologiens constantinopolitains (cf. en particulier le texte du père Elpidophoros Lambrianidis cité dans "Primauté dans l'orthodoxie: la bataille d'Amérique aura-t-elle lieu?". Renvois 1 précédant). Elle est par contre vigoureusement contestée par d'autres, dont les représentants de l'Eglise russe (cf. en particulier "lettre de Sa Sainteté le Patriarche de Moscou et de toute la Russie Alexis II à Sa Sainteté le Patriarche Oecuménique Bartholomée" du 18 mars 2003 (http://oltr.france-orthodoxe.net/html/docs.html).

Par ailleurs, la possibilité de l'union entre Daru et l'EORHF reste, à mon sens, envisageable pour tous ceux qui ne souhaiteraient pas se diluer dans les "métropoles grecques" de Constantinople lorsque celui-ci décidera de supprimer le "doublon" Daru. Cette démarche avait eu lieu en 1965, quand Daru avait les moyens de rester sans omophore, et il me parait probable de la voir bientôt resurgir...

6.Posté par Marie Genko le 03/08/2012 10:36
Cher Vladimir,

Merci beaucoup pour votre message N°5

Vous me confirmez ce dont j'ai toujours été convaincue, à savoir que les Eglises mères souhaitent garder sous leur omophore les fidèles de leur dispora.

Il est clair aussi que les discussions préconciliares de Chambésy ont aussi été dans ce sens!

Je partage votre espoir de voir un jour la réunion de l'archevêché des églises russes d'Europe occidentale avec l'Eglise Orthodoxe Russe Hors Frontières§
Ce serait là un premier pas décisif vers un exemple de fraternité entre les orthodoxes présents sur le sol d'Europe occidentale!

Il nous reste à prier pour que ce merveilleux évènement viennent rétablir la paix et nous porte par son ampleur vers davantage d'amour en Christ les uns pour les autres.

7.Posté par Vladimir le 08/08/2012 09:30
Bien chère Marie,

Je pense que votre phrase "les Eglises mères souhaitent garder sous leur omophore les fidèles de leur diaspora" ne prend pas en compte tous les aspects de la situation. Il ne s'agit pas là de la VOLONTE des Eglises-mères, mais bien d'une recherche de la VERITE canonique. Ce point est fondamental puisque, pour nous, l'organisation ecclésiale est une part de la Tradition qui fonde notre foi. Nous croyons qu'elle est inspirée par l'Esprit saint.

Et c'est bien pour cela qu'il est indispensable de trouver le consensus conciliaire qui peut seul exprimer cette Vérité inspirée. Or la situation de la diaspora n'a été prévue ni par les Pères, ni par les conciles ultérieurs: le dernier (1872, Constantinople), qui ne réunit que des Eglises situées à l'intérieur de l'empire ottoman et dont les primats étaient tous des Grecs (Patriarcats d'Antioche, de Jérusalem, d'Alexandrie, Eglise de Chypre,…) traita du cas très particulier du phylétisme, qui ne concerne que les territoires canoniques historiques des Eglises orthodoxes (1). La question du territoire traditionnel de Rome (Europe occidentale) et des nouvelles missions (Amériques, Asie) reste donc en suspens et donne lieu à ces deux interprétations opposées.

Personnellement, il me semble que le "modèle OCA" (2), avec ses éparchies non géographiques gardant des liens particuliers avec les Eglises-mères, pourrait être considéré comme un objectif à atteindre pour appliquer les principes canoniques que rappelle Séraphin. Les "Assemblées épiscopales" peuvent être une première étape dans cette direction, à condition de dépasser leur simple rôle de coordination pour constituer de véritables synodes dont les évêques pourraient être répartis géographiquement sur le territoire comme l'explique Séraphim… Mais cela demande d'abord un consensus conciliaire qui est loin d'être mur.

Notons toutefois que deux cas particuliers ont été résolus: les Eglises orthodoxes de Pologne et de Tchécoslovaquie, territoires traditionnels de Rome, ont acquis leur autocéphalie. Cela a été possible car leurs fidèles ne dépendaient que d'une Eglise-mère; mais cela n'a pas été simple et illustra l'opposition Moscou – Constantinople. Toutefois la solution finale montre que le consensus peut être trouvé avec l'aide de Dieu! Prions pour que ces cas heureux se multiplient…

(1) Cf. http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/LE-PHYLETISME-une-reflexion-de-Seraphin-Rehbinder_a1556.html
(2) http://oca.org/
(3) L'Eglise de Pologne (http://www.orthodox.pl/) dépendait de l'Eglise russe et l'autocéphalie lui fut accordée par Constantinople après l'indépendance du pays en 1924, sans l'accord de l'Eglise-mère; l'Eglise russe ne la reconnut qu'en 1948, quand la Pologne tomba dans l'orbite soviétique... L'Église de Tchécoslovaquie reçut son autonomie de Belgrade en 1921 et fut proclamée autocéphale en 1948 par l'Eglise russe (!). Constantinople le reconnut 50 ans plus tard, en 1998… (http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_orthodoxe_de_Tch%C3%A9quie_et_de_Slovaquie)

8.Posté par Marie Genko le 08/08/2012 11:45
Cher Vladimir,

Vous avez raison, j'aurais du écrire:

"les fidèles souhaitent rester sous l'omophore de leurs Eglises mère respectives"

et non:

"les Eglises mères souhaitent garder sous leur omophore les fidèles de leur diaspora"

Il est clair pour moi, comme pour vous, que les prélats se soucient en premier lieu des sentiments des fidèles!

A titre d'exemple, je peux vous citer vous-même, vous avez souhaité que votre paroisse rejoigne l'omophore du patriarche de Moscou!
Et moi aussi, comme vous, je me réjouis de savoir que l'Eglise russe Hors Frontières a franchi ce pas de retour vers son Eglise mère.
Moi aussi, comme vous, je souhaite l'union de l'Exarchat des églises russes d'Europe occidentale avec sa soeur l'Eglise russe Hors Frontières.

Et pourtant vous, comme moi, sommes les descendants d'une émigration qui a eu lieu, il y a près d'un siècle!

Par ailleurs il est aussi important de remarquer que les fidèles de l'Exarchat, qui souhaitent rester sous l'omophore de Constantinople, veulent à tout prix continuer à prier selon la tradition russe dans leurs églises!

Tout cela est un imbroglio, qui n'est certainement pas facile à résoudre!
Et c'est une excellente chose que Séraphim nous ait rappelé ci-dessus quels sont les Canons auxquels nous devrions nous efforcer de nous conformer!

Le retour de Rome à l'Orthodoxie serait la fin de nos problèmes puisque nous serions de plein droit sous l'omophore du Patriarche de Rome, tout en restant fidèles à l'intérieur de nos paroisses à nos traditions respectives!

Et ceci à l'exemple des église russes établies en Turquie, qui commémorent Sa Sainteté Bartholomé !

Pour ce qui est de l'OCA, cette Eglise a eu tant de difficultés depuis qu'elle s'est efforcée de faire reconnaître son autocéphalie, qu'il me semble hazardeux de la prendre pour modèle???

Avec toute mon amitié Marie

9.Posté par Vladimir le 09/08/2012 15:24
Bien chère Marie

Ce qu'écrit Alexandre Latsa est archi-connu (Misha en particulier en avait parlé) et le procès Pussy-riot est traité sur un autre fil (pour contrebalancer certaines affirmations personnelles de Latsa je vous suggère de lire l'interview du père André que j'y ai indiquée: http://www.novayagazeta.ru/politics/53780.html)

De fait je ne voulais donc pas parler du procès mais de "ces soi-disant Orthodoxes qui n'a sont pas partie mais hurlent "Punissez-les" en dénonçant sacrilège et blasphème"; je trouve en effet que cela démontre bien et illustre ce syndrome de méchanceté, agression, méfiance dont parle le père Alexis: même ces soi-disant Chrétiens oublient totalement le deuxième commandement du Christ, "aussi important que le premier"…

Mais là ou l'article de Latsa est intéressant, c'est qu'il souligne le blocage et l'extrême fragilité de cette société russe: si ces blagues de carabins suffisent à la déstabiliser c'est qu'elle n'est ni très stable ni sure d'elle-même! Et la comparaison avec la société islamique, quand il parle de mosquée, me semble bien aller dans le même sens.


8/08
Il suffit de lire les livres de Evguénia Guinzbourg (1) pour voir que l'âme russe est restée ce qu'elle était. L'ignoble système de "rééducation" par les camps et la terreur n'a rien modifié en profondeur et l'horrible "homo soviéticus" (2) n'aura en fait été qu'un masque superficiel. Et il suffit de lire les classiques, Dostievsky; Saltykov Schedrin (3)… pour constater que les traits soulignés par le père Alexis sont une constante russe; le fait que les deux "Russes de Russie" que nous voyons s'exprimer ici, le père Alexis et Misha, soient d'accord souligne d'ailleurs bien la justesse de l'analyse. De mon côté je ne peux que marquer aussi mon accord: les Russes ont des valeurs et des comportements qui diffèrent sur bien des points des Occidentaux; ils sont les "Orientaux de l'Europe", "des Arabes blonds" écrivait Custine (4), "des Scythes-Asiates" proclamait Alexandre Blok (5)

Je ne crois pas qu'il y ait deux populations: en sociologie tout est une question de statistiques. Les Russes sont tout aussi dissemblables que les Occidentaux, mais il y a en effet des traits spécifiques qui se rencontrent plus souvent chez eux qu'en Occident et le père Alexis met bien le doigt dessus. Et s'il "appuy là où cela fait mal" c'est en espérant provoquer un reflexe salvateur. L'affaire "Poussy Riot" illustre bien son "Aujourd’hui, même dans l’Eglise, nous cherchons toujours un prétexte non pas pour aimer, mais pour haïr": ces soi-disant Orthodoxes qui hurlent "Punissez-les" en dénonçant sacrilège et blasphème me rappellent trop les cris de la foule de Jérusalem. Souvenons-nous que Jésus a été condamné pour blasphème!

Mais le père Alexis indique aussi la voie du changement dans sa conclusion: il faut "vraiment aimer, nous débarrasser de l’état d’inimitié, … cesser de nous justifier, … regarder autrement le monde (malgré notre douleur et notre sentiment de bon droit)". Tout cela semble actuellement impossible? Cela l'est pour les hommes, mais rien n'est impossible à Dieu et c'est là dessus que nous devons compter… et prier.


(1) Le Vertige, édition du Seuil, 1967 ISBN 2020316366. Le Ciel de la Kolyma, édition du Seuil (1990, posthume)
(2) Terme inventé par l'écrivain dissident yougoslave Mihajlo Mihajlov (in « Yugoslav Assays 'Homo Sovieticus' », The New York Times, 6 juin 1965, p. 9.) et popularisé par Alexandre Zinoviev (in "Les Hauteurs béantes", L'Âge d'Homme, 1976). L'Homo sovieticus peut se caractériser par l'obéissance et l'acceptation passive de ce qu'impose le gouvernement et la fuite de toute responsabilité individuelle, l'indifférence envers les résultats de son travail et l'absence d'esprit d'initiative, l'indifférence envers le bien commun… etc. (cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Homo_sovieticus)
(3) http://en.wikipedia.org/wiki/Mikhail_Saltykov-Shchedrin
(4) http://www.gutenberg.org/cache/epub/25755/pg25755.html
(5) http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Scythes



http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Seraphin-Rehbinder-Eglise-locale-Eglise-universelle_a2567.html?com#com_3175408
9/08
Bien chère Marie,

Vous penserez peut-être que je coupe les cheveux en quatre, mais cela me semble suffisamment important pour y insister: ce n'est ni l'avis des fidèles ni celui des prélats qui est important pour l'Eglise! L'organisation ecclésiale est inspirée, comme je l'ai écrit, car elle fait partie du dessin eschatologique divin et ce que nous devons donc rechercher c'est bien la VERITE canonique dictée par le Saint Esprit. Ce sont bien sur des points canoniques que porte le débat, comme je le montrais dans mon commentaire 3 (les textes que je citai en (2) et (3) ne parlent que de cela!).

Par contre, pour nous Orthodoxes, c'est le Peuple de Dieu ("laos") qui possède la Vérité que les évêques ont pour fonction de proclamer (1). Et nous voyons clairement que, malgré qu'en ait certains théoriciens, le Peuple de Dieu est très attaché à son Eglise-mère même quand il se trouve en dehors de ses limites canoniques…

Mais là encore il nous faut regarder la réalité de la diaspora de très prés: nous constaterons alors qu'une minorité active, représentée en France dans la "Fraternité Orthodoxe", conteste ce point de vue et souhaite une Eglise locale indépendante. Comme le souligne Séraphin, l'objectif est louable en soi mais, en voulant bruler les étapes, cette position se heurte à la majorité des fidèles qui restent, comme vous l'écrivez, attachés à leur Eglise-mère (cette majorité devenant actuellement plus importante dans la plupart des juridictions du fait de l'arrivée massive des migrants de tradition orthodoxe). Il ne nous revient pas de JUGER les uns et les autres, mais nous devons bien trouver le consensus qui seul peut porter la marque du Saint Esprit. C'est, j'en suis le grand défis que doit relever la diaspora orthodoxe et, malgré les vicissitudes humaines que rencontre l'OCA, je crois que son "modèle d'organisation" peut constituer une solution qui rassemble les deux positions opposées.

Très amicalement en Christ

(1) Cf. Mgr Kallistos Ware "L'Orthodoxie : L'Eglise des sept Conciles", Editions du Cerf, Paris, 2002 (p.324

10.Posté par Vladimir le 09/08/2012 21:32
Je suis désolé de ce bug informatique: seul le dernier message, daté du 9/08, est à prendre en compte. Ce qui précède n'est que répétition de mes messages précédents...

11.Posté par Marie Genko le 10/08/2012 10:11
Cher Vladimir,

Merci pour votre message N°9 et votre réflexion concernant l'organisation de la diaspora.
Je pense que le prochain grand concile Pan Orthodoxe devrait nous apporter des éclaircissements sur toutes ces questions.
Pour ce qui est de l'OCA, il faudra évidemment que tous les patriarcats de prononcent sur la légitimité de son autocéphalie.

Je connais trop mal la situation aux USA pour en parler, mais je suppose qu'il s'agit là d'une organisation voulue justement comme vous l'écrivez, par le Peuple de Dieu.
Elle devrait donc en toute logique obtenir le consensus de l'Eglise orthodoxe.

Dans ce cas, il me semble, en toute logique aussi, qu'un nouveau patriarcat devrait être créé pour les USA???

En ce qui concerne l'Europe occidentale notre situation est un peu différente dans la mesure où nous nous trouvons sur ce qui a été durant un millénaire le territoire canonique de l'évêque de Rome.

Allons nous nous organiser comme si nous avions perdu l'espoir de voir Rome revenir à son orthodoxie première?
C'est à dire allons-nous nommer UN NOUVEAU PATRIARCHE ORTHODOXE A ROME, qui aura sous son omophore les orthodoxes d'Europe Occidentale?
Ou bien allons nous continuer à fonctionner sous l'autorité des assemblées des évêques orthodoxes dans nos pays respectifs?

Voilà bien des questions pour lesquelles il est vraiment totalement inutile que la diaspora orthodoxe s'entre déchire!
L'Esprit Saint se chargera de nous mettre sur le bon chemin.

12.Posté par Vladimir le 11/08/2012 19:44
Bien chère Marie,
Je vous remercie pour ces échanges qui nous permettent de mieux cerner les voies possibles vers une organisation de la diaspora conforme aux canons que rappelle Séraphin. Nos débats tournent autour de deux sujets: la situation en Europe occidentale et "le modèle OCA". Je vous propose de les traiter séparément.

1. EN EUROPE je ne pense pas que le remplacement du Pape par un patriarche orthodoxe soit à l'ordre du jour tant que les Orthodoxes reconnaissent aux catholiques "le maintien de la succession apostolique des ordinations…/malgré/ le caractère du développement des bases doctrinales et de l'ethos de l'Église catholique romaine qui va assez souvent à l'encontre de la Tradition et de l'expérience spirituelle de l'Église Ancienne."(1) Cette position a été officialisée par la seule Eglise Russe mais les autres Eglises semblent d'accord et seule l'Eglise de Bulgarie s'est retirée du dialogue théologique sans aue j'ai pu en trouver les motivations… Il faut donc rechercher le moyen d'organiser la présence orthodoxe parallèlement et en bonne entente avec les diocèses catholiques; les exemples des Eglises orthodoxes de Pologne et de Tchécoslovaquie semblent montrer que c'est possible.

En suivant la proposition adoptée unanimement par la Conférence préconciliaire de Chambésy IV sur les Assemblées épiscopales (2), nous semblons plutôt nous diriger vers de petites autocéphalies (11 en Europe occidentale en comptant Pologne et Tchécoslovaquie). Mais le chemin à parcourir reste toujours incertain: s'unir par le haut ou par le bas? Sous l'autorité de Constantinople ou par accord entre les Eglises concernées? Etc. On voit toutefois que les assemblées épiscopales n'avancent pas vraiment vers une organisation unifiée: l'AEOF, qui est la plus ancienne, n'assure de fait aucune coordination réelle concernant la pastorale, les textes liturgiques, les fondations de paroisses… après 40 ans d'existence (3). Il faut toutefois garder à l'esprit que l'Eglise n'a aucun besoin de se dépêcher!

2. EN AMÉRIQUES: je ne pense pas que le Peuple de Dieu se soit prononcé car le XXe siècle a été marqué par des évènements à connotation surtout politiques. Il n'y avait au début qu'une seule juridiction, dépendant du patriarche de Moscou, mais "le pluralisme juridictionnel en Amérique du Nord a commencé en 1921, lorsque a été créé l'"Archevêché grec d'Amérique du Nord et du Sud" "(4). Ceci correspondait à un besoin politique vital de Constantinople qui, privé des ses territoires traditionnels par la dislocation de l'empire Ottoman, aurait été réduit à quelques milliers de fidèles sans l'appuy de la diaspora. La métropole américaine est actuellement la plus importante du patriarcat et lui assure l'essentiel des ressources financières et humaines. Il est évident que c'est là le principal obstacle à toute union ou émancipation de l'Orthodoxie américaine.

Mais l'OCA est aussi le résultat d'un calcul politique: restée "de jure" sous l'omophore de Moscou, la Métropole était "de facto" indépendante et auto-administrée depuis la révolution. Cette solution contraire aux canons ne pouvait perdurer et, comme la majorité des paroisses et du clergé ne voulaient pas revenir sous l'autorité de Moscou (seules quelques paroisses firent ce choix), l'autocéphalie était la seule solution. Il y eut alors la rencontre de quelques théologiens inspirés (les pères Alexandre Schmemann et Jean Meyendorf, Mgr Nicodème de Leningrad en particulier) qui mirent au point ce nouveau modèle d'organisation unique conjuguant l'autocéphalie territoriale avec des éparchies horizontales permettant de garder des liens particuliers avec les différentes Eglises-mères (5). Bien entendu, il aurait fallu recueillir l'assentiment de toutes les éparchies américaines avant de proclamer l'autocéphalie; mais nous étions en pleine guerre froide et le temps pressait, Constantinople et Antioche, en particulier, ne peuvent se séparer de leurs éparchies américaines sous peine d'être réduits à des mini-Eglises... et nous avons ce modèles OCA incomplet: même inachevé dans sa réalisation il est "prophétique" dans sa conception dans la mesure où "des évêques de différentes nationalités pouvaient agir à l’intérieur d’une unique Eglise locale et sur le même territoire canonique, avec des diocèses qui avaient été créés non pas sur des bases territoriales mais sur des bases ethniques." (ibid, 5) Cela me semble correspondre le mieux aux besoins de la diaspora et c'est à ce titre que je vois là un "modèle".

J'ai été bien long. Mais je pense que l'intérêt des deux sujets traités le méritait et je vous remercie encore de participer à cette réflexion.

Bonne fête de dimanche!
(1) Cf. "Principes de base des relations de l’Église orthodoxe russe à l’égard de l’hétérodoxie"
(2) http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Les-decisions-de-Chambesy-IV_a423.html
(3) Le "Comité inter-épiscopal orthodoxe en France", dont elle est issue, a été fondé au printemps 1967 (http://www.aeof.fr/site/225/reperes-chronologiques.htm)
(4) http://oltr.france-orthodoxe.net/html/patriarches2002fr.html
(5) cf. http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Le-fait-de-donner-l-autocephalie-a-l-O-C-A-etait-un-acte-prophetique-de-la-part-de-l-Eglise-russe-orthodoxe_a1677.html

13.Posté par Marie Genko le 11/08/2012 22:54
Cher Vladimir,

Non, vous n'avez pas été long, car il me semble que ce sujet est important pour nous tous et il est essentiel de comprendre le chemin historique qui a été la cause de la création de l'OCA.

Supposons un instant qu'il n'y ait pas eu de guerre froide!

Je pense que dans ce cas, les Père Alexandre Schmemann et Jean Meyendorf n'auraient probablement pas ressenti cette impérieuse nécessité de se séparer de Moscou, ni peut-être l'impérieuse nécessité de se démarquer en quelque sorte de la russité héritée des fondateurs de l'Orthodoxie aux USA!

Dans ce cas, je pense aussi que nous aurions aujourd'hui aux USA une organisation semblable à celle que nous connaissons en Europe:
Des assemblées d'évêques sous la présidence d'un évêque du patriarcat oecuménique.

Pour vous l'OCA est un acte prophétique, franchement je ne dirai pas le contraire car je n'ai aucun argument pour le faire.
Il me semble simplement que cette autocéphalie, accordée dans des conditions très particulières, constitue un problème de plus à régler par le consensus des patriarches orthodoxes...?
Il est certainement souhaitable que cette situation soit résolue par le futur grand concile pan orthodoxe de façon à satisfaire les différents patriarcats présents aux USA et les attentes de leurs fiddèles.

A présent, en ce qui concerne les relations avec les Catholiques.
Il me semble me souvenir que si les Bulgares se sont retirés des discussions inter-religieuses avec les catholiques, c'est parce qu'il sont opposés à ces discussions et surtout à toute forme d'oecuménisme.
Par ailleurs je n'ai pas écrit qu'il fallait remplacer le Pape...Le Pape catholique reste à sa place pour les catholiques, c'est normal!
Mais après avoir espéré durant mille ans une réunion de nos Eglises dans une foi commune, nous orthodoxes, pourrions considérer qu'il est vain d'attendre davantage pour nous organiser selon les Canons de notre Eglise!
Par conséquent, sans le moins du monde contester aux catholiques, le maintien de la succession apostolique des ordinations, nous pourrions organiser l'Orthodoxie en Occident selon les règles qui ont été en usages durant le premier millénaire de l'Eglise du Christ ; c'est à dire élire un patriarche d'Occident et le domicilier à Rome ???

Je conçois que ce paraléllisme puisse irriter quelques uns, mais au fond peut-être que cela serait le coup de pouce nécessaire pour faire prendre conscience aux catholiques, qu'il serait tout de même temps pour tous les chrétiens de travailler un peu plus sérieusement au témoignage crédible d'une seule Eglise et d'une seule Vérité à dispanser aux Nations?

Avec toute mon amitié Marie






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