Orthodoxes - Catholiques: essai d'analyse des différentes positions. Partie 2
Vladimir GOLOVANOW

Les orthodoxes favorables aux dialogue

Le rêve du père Serge Boulgakoff d'une chrétienté universelle, qui reviendrait en fait, à rejoindre l'Église de Rome avec armes et bagages (où plutôt en chemise et la corde au cou pour expier le schisme) a très peu d'adeptes dans l'Orthodoxie (aucun ayant une position officielle à ma connaissance). Les Orthodoxe n'acceptent pas non plus la "flexibilité dogmatique" que prônent maintenant les Catholiques (cf. mon post précédent) mais ce qui complique la situation, c'est qu'ils n'ont pas sur cette question une position doctrinale officielle à laquelle on puisse se référer comme chez les Catholiques. Le problème est d'ailleurs expressément à l'ordre du jour du prochain Saint Concile panorthodoxe mais, en attendant que le Concile prenne position, nous ne pouvons que constater des divergences à tous les niveaux.
Je vous propose ci-après une analyse des postions favorables au dialogue

Un document à portée canonique

Les "Principes fondamentaux régissant les relations de l'Église orthodoxe russe avec l'hétérodoxie", adoptés par le concile épiscopal de l'Église russe à Moscou en 2000, constituent, pour autant que je sache, le seul document orthodoxe à caractère canonique qui traite expressément de ce sujet. Il dit: "Le dialogue avec l'Église catholique romaine est fondé et doit rester fondé à l'avenir sur le maintien de la succession apostolique des ordinations. En même temps il apparaît indispensable de prendre en considération le caractère du développement des bases doctrinales et de l'ethos de l'Église catholique romaine qui va assez souvent à l'encontre de la Tradition et de l'expérience spirituelle de l'Église Ancienne." (Point 3 de l'annexe).
Cela fixe exactement les conditions et les limites du dialogue.

En ce qui concerne la recherche de l'unité et la communion, le texte est aussi très précis: "La division du monde chrétien n'est pas seulement une division dans les formules doctrinales, mais aussi dans l'expérience de la foi. Il faut atteindre à un accord plein et sincère non seulement dans expression formelle de la foi, mais surtout dans son expérience même. L'unité formellement confessée dans le Credo n'épuise pas l'unité de l'Église, encore qu'elle en constitue l'une des conditions nécessaires. L'unité de l'Église est avant tout unité et communion dans les sacrements. Mais l'authentique communion dans les sacrements n'a rien de commun avec la pratique appelée "intercommunion". L'unité ne peut se réaliser que dans l'identité de l'expérience et de la vie dans la grâce, dans la foi de l'Église, dans la plénitude de la vie sacramentelle dans l'Esprit Saint." (ibid. par. 2.11-2.13)

Comme on voit, cette exigence de "l'identité de l'expérience et de la vie dans la grâce, dans la foi de l'Église" ne permet aucune "flexibilité dogmatique" et ce point là fait, à mon sen, l'unanimité dans l'Orthodoxie. Toutefois, si ce texte guide clairement les prises de position des représentants du patriarcat de Moscou, que j'analyserai plus tard, il "n'est pas opposable" aux autres Églises et rencontre aussi des oppositions internes. Tout cela fait que nous constatons des positons complètement opposées sur le terrain.

Les grands partisans du dialogue

La position majoritairement répandue en Occident est qu'il faut maintenir et élargir dialogue et coopération avec l'Église catholique et que c'est là la position officielle de l'Orthodoxie. Ainsi Mgr Georges de Paphos a déclaré le 19 octobre 2009 que l'objectif du dialogue est de retrouver les bases de la foi que partageaient Orthodoxes et Catholiques avant le schisme "Il y a des divergences, des divergences très sérieuses qui ont été accentuées par mille ans de discorde. Mais la période actuelle appelle la concorde, quels que soient les outrages que les Églises ont supportés à cause de la haine et de l'hostilité réciproques. Nous comprenons maintenant que nous devons coopérer" a-t-il ajouté. De son coté Sa Sainteté Bartholomé 1 écrivait le 2 octobre 2009: "les contacts avec les hétérodoxes, comprenant des dialogues théologiques avec eux, ne constituent pas des actes de certaines Églises ou personnalités, mais, des décisions de toutes les Églises orthodoxes sans exception, (…) comme l’est la décision de la IIIe consultation panorthodoxe préparatoire au concile (1986) ainsi que les accords portant sur le contenu de notre dialogue théologique avec l’Église catholique-romaine".

On peut observer que le patriarche Bartholomée semble donner une autorité conciliaire aux commissions inter-ecclésiales ou panorthodoxes, et c'est en général la position que soutiennent les partisans de cette option; pourtant ce ne sont que des groupes d'experts et leurs prises de positions, y compris celles exprimées dans les communiqués finaux, n'ont qu'une valeur consultative et doivent toujours être ratifiées par les Saint-synodes des Églises orthodoxes. Or, dans la plupart des cas cités par le patriarche Bartholomé, seul le patriarcat de Constantinople a entériné de telles conclusions!

Pour résumer, les partisans du dialogue ne transigent absolument pas sur le fond, mais ils multiplient conférences et prières communes et s'efforcent de trouver le maximum de points d'accords; c'est à eux que l'on doit les avancées du dialogue théologique, et en particulier les accords sur les documents de Ravenne, en 2007, et de Crête en 2008. C'est la position que tiennent tout particulièrement les représentants du patriarcat de Constantinople et de l'Église de Chypre; mais l'Église de Bulgarie s'est retirée de la Commission mixte, le patriarcat de Moscou est plus réservé (j'en parlerai dans un autre billet), et les autres Églises restent silencieuses.

Surtout il y a une forte opposition parmi les Orthodoxes… qui sera le thème de mon prochain billet.



Rédigé par Vladimir Golovanow le 13 Novembre 2010 à 15:00 | 7 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Daniel le 14/11/2010 09:16
Question de terminologie : c'est quoi un document canonique? Quelque chose de canonique est quelque chose qui respecte les canons... Ne vouliez-vous pas plutôt dire un document "synodal" (émanant d'un synode).

2.Posté par vladimir le 16/11/2010 14:29
Pour autant que je sache (je n'ai pas trouvé de définition explicite et serait heureux si vous pouviez m'en indique une!), les canons sont promulgués par des conciles et s'imposent aux fidèles qui les reçoivent; en écrivant "document canonique" j'entends qu'il a la valeur d'un canon, ce qui est le cas puisque les "principes fondamentaux" ont été promulgués par le concile épiscopal de 2000 et confirmés par le concile local de janvier 2009. Ils devraient donc avoir la portée d'un canon pour les fidèles du patriarcat de Moscou mais, j'en parlerai dans un prochain billet, leur "réception" par les fidèles n'est pas vraiment acquise...

3.Posté par Irénée le 16/11/2010 16:04
Vous avez bien raison d'avoir mis en avant la question de "l'expérience de la Foi".
Je pense que nos échanges, ici et ailleurs, portent trop souvent sur des points de doctrine ou de formulation spécifique, et pas assez de l'expérience vécue de la foi.
Or, c'est là que se trouvent sans doute les plus épineux problèmes sur le chemin de l'unitée...

4.Posté par vladimir le 16/11/2010 17:29
@Irénée: je me permets de souligner que c'est là une citation du texte du concile de Moscou... Mais je trouve que chaque terme de ce document est bien pesé!

5.Posté par Daniel le 16/11/2010 18:18
@ Vladimir


Je ne pense pas que le document en question soit à proprement parler un recueil de canon. Je l'ai survolé et ce n'est pas déjà rédigé comme les canons habituels. Les canons habituels sont rédigés d'une façon qui rappelle les textes de lois : chapitre 1, titre 1, livre 1, j'exagère à peine. Mais il y a une numérotation avec un canon qui traite d'un thème donné de façon plutôt courte (quoique parfois longue) en expliquant comment procéder. Le document auquel vous faites référence ressemble plus à un livre de réflexion, je dirais une longue encyclique qu'à des canons dans sa forme.

Sur le contenu, le canon est plutôt d'ordre réglementaire; quand j'ai parcouru le livre, la portée m'a semblé plus vaste avec bien sûr des conséquences pratiques... appliquées ou pas.

Je pense qu'il aurait été appelé du nom de recueil canonique si on avait voulu lui donner cette portée. A noter que des canons peuvent être émis par un individu. Quelques exemples : les canons de Saint Basile, les canons de Saint Jean le Jeûneur sur les épitimies (Saint Jean le Jeûneur a réduit la durée de l'excommunication -privation de communion pour le pécheur- mais ajouter en "échange" des métanies en grand nombre; il précise que le pénitent avait le choix entre l'ancienne formule des anciens Pères, de nombreuses années sans communion ou la sienne moins d'année sans communion mais force métanies).

Les canons sont en général stockés dans des recueils appropriés : exemple le Pédalion (en haute estime dans le monde grec et assimilé, j'entends Serbie, Balkans, les différents Nomocanons etc)

A ce lien, vous trouverez une définition des canons selon l'évêque Grégoire Grabbe (en anglais) :
http://holytrinitymission.org/books/english/canons_apostles_grabbe.htm#_Toc68522491








6.Posté par Fabre le 17/11/2010 08:11
mais non ! ILS NE S'IMPOSENT PAS aux fidèles ! si les fidèles en leur ensemble ne les acceptent pas, ils seront nuls et non - avenus !...............euh il me semble non ??!!!!

7.Posté par vladimir le 17/11/2010 10:21
@Fabre
Je suis entièrement d'accord et c'est exactement ce que je veux dire en écrivant "QUI LES REÇOIVENT": ils ne s'imposent pas à ceux qui ne les reçoivent pas ... et qui peuvent finir par l'emporter! Exemple: les décisions de Florence...

@Daniel
Merci pour ce lien. Très intéressant et utile... mais toujours pas de définition simple pour les canons de l'Église: on voit qu'ils peuvent être différents et avoir différentes sources, la plus générale étant néanmoins le concile, y compris un concile local.
Je ne sais pas si les "Principes fondamentaux" ont été édités, c'est pourquoi je ne les appelle pas "livre". Par contre je vous suis pour dire qu'il ne s'agit pas là de canons à proprement parler, mais c'est déjà un document conciliaire élaboré, édictant des règles précises que devraient "recevoir" les fidèles, d'où mon expression "document à caractère canonique". Il suffirait probablement de lui donner la forme voulue pour en faire le canon orthodoxe des relations avec l'hétérodoxie... ce qui sera peut-être fait au Saint Concile... Mais on n'en est pas là et je reviendrai sur la réception de ces "Principes" à l'intérieur même du patriarcat.

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