Des icônes sur des tasses, assiettes, tee shirts...etc. : piété ou blasphème ?
Traduction Elena Lavanant

Archiprêtre Serguei Pravdolubov
Doyen de l’Eglise de la Trinité Vivifiante à Troïtskoye-Golénichtchévo

"La Parole du Christ ne doit pas être prêchée par le biais de tasses et de tee-shirts"

Il ne convient pas de représenter des saints sur des tasses, soucoupes ou autres assiettes. Je dois dire que le père Jean (Krestiankine) s’en étonnait également, en se demandant pourquoi certaines personnes le faisaient. De tels abus existaient déjà à l’époque de l’Empire Byzantin. A Ravenne, dans la basilique San Vitale, on peut voir une mosaïque représentant l’empereur Justinien et l’impératrice Théodora avec des icônes sur leurs habits. La tradition les veut sur les manteaux des évêques, mais il est déplacé d’en orner l’habit d’un empereur ; ceci est un excès évident et, au fond, le mépris de l’objet sacré.

Des images saintes sur la vaisselle participent au même excès. Il faut éviter ces choses-là. Ceci a été compris à Divéevo où sur la tasse qu’on m’a apporté en cadeau du monastère St Séraphin sont représentées deux églises, mais pas d’icônes.

Et il est bel et bien impossible de comprendre l’utilisé des tapis avec des motifs d’icônes. Il est difficile d’imaginer quelqu’un faisant ses prières devant un tel objet. Par contre, il est évident qu’il pourrait être abîmé par des mites. Il vaut mieux être modéré et représenter les images saintes selon les règles adoptées dans notre lutte contre les iconoclastes, que de se promener dans la rue avec des vêtements bariolés d’« icônes ».
Les inscriptions sur des tee-shirts me gênent également. A l’époque chrétienne il n’était pas convenable d’afficher les Saintes Ecritures sur les vêtements. La Parole du Christ doit être prêchée par l’amour, l’humilité, une piété non ostentatoire, et non par des tasses et des tee-shirts.

Alexeï Lidov

Directeur du Centre d'études de la culture du christianisme oriental, chef du département de l’Institut de culture mondiale de l’Université d’Etat de Moscou, académicien de l’Académie russe des arts

"La propagation excessive d'icônes en Byzance a conduit à l'iconoclasme"


Effectivement, aujourd'hui les représentations d'icônes sont partout, dans les voitures, sur des tee-shirts, des tasses dans les boutiques de souvenirs…

Parfois cela choque, puisque c’est perçu comme la vulgarisation d’un objet sacré. Surtout lorsque nous voyons la qualité plus que médiocre de ces articles. A de très rares exceptions, ils sont les pires exemples de l’art de l’icône qui existent aujourd’hui, et non seulement de cet art, mais de ses répliques, reproductions. Tout ceci qui peut être désigné globalement comme la production de « Sofrino ».

Ceci est regrettable d’autant plus lorsqu’on connaît les grands exemples de la peinture d’icônes byzantine et russe, lorsqu’on comprend l’importance de ces images, leur contenu spirituel et artistique. Dans ce contexte il est triste d’observer la primitivisation et l’appauvrissement de la tradition, et les images saintes sont souvent abaissées au niveau des superstitions de tous les jours, des porte-bonheurs avec lesquels les gens essaient de protéger leur mini-espace. C’est un aspect du problème.

Il y a un autre aspect, dont je peux parler en tant que byzantiniste. En effet, cette pratique existait déjà à Byzance. Des textes d’auteurs byzantins nous sont parvenus, dans lesquels ils s’indignent de la propagation excessive d’icônes, se plaignent de leur apparition sur toutes sortes d’objet, qu’on retrouve dans la rue et des échoppes, des espaces qui n’ont rien à voir avec le sacré.

De fait, cette propagation excessive d’icônes, leur vénération en tant que petites idoles est devenue l’une des causes de l’iconoclasme qui à son tour a provoqué leur destruction massive.

Dieu soit loué, l’iconophilie a triomphé. Ses défenseurs affirmaient que même à travers les images aussi simplifiées on pouvait arriver à prendre conscience des valeurs suprêmes et accéder aux réalités et prototypes célestes. Parce que le sens de l’icône, à l’encontre de tout tableau religieux, tout signe ésotérique, consiste dans l’aspiration à devenir une image intermédiaire, de réunir les deux mondes – le terrestre et le Céleste.

On peut se poser la question de savoir dans quelle mesure ces mondes se réunissent grâce aux images sur des tee-shirts ou aux « icônes porte-bonheur » dans les voitures. Mais on ne peut pas refuser à l’homme le besoin d’être relié ne serait-ce que par ce moyen avec l’Autre monde, de chercher la protection à travers ces images.

Donc, la situation n’est pas univoque. Personnellement je ne porterais jamais un tee-shirt avec une image sainte, mais je ne blâmerai jamais celui qui la porte, car il a certainement voulu dire quelque chose par ce geste.

Mais il ne faut pas oublier que l’essence de ce type de création spirituelle et artistique est beaucoup plus complexe et profonde, et on ne peut absolument pas la réduire à la fonction de « porte-bonheur ». Je voudrais que nous puissions, à travers l’enseignement et l’éducation, expliquer le plus largement possible le sens de l’icône. Car ce que j’appelle la conscience iconique constitue l’une des bases du mode de vie orthodoxe et de la perception du monde en général.

Si nous voyons le monde différemment que, par exemple, les Américains ou les Allemands, c’est en majeure partie déterminé précisément par notre conscience iconique. Le désir d’arriver, à travers le monde du quotidien qui nous entoure, vers le monde suprême, Divin, comme dira un orthodoxe, constitue la base de principe de notre « pour-soi », malgré le fait que nous n’y pensons jamais.
Des icônes sur des tasses, assiettes, tee shirts...etc. : piété ou blasphème ?

Archiprêtre Alexeï Ouminski

Doyen de l'Eglise de la Trinité Vivifiante à Khokhly

"Si on ne considère pas l'icône comme un objet sacré, nous perdrons toute notion du sublime et du profane"

Je désapprouve totalement le fait de reproduire sur de la vaisselle des images de saints, de faire des porte-bonheurs avec des représentations hagiographiques et les croix fabriquées en Grèce et en Serbie. Qu’est-ce qu’un tapis avec une image sainte, est-ce une icône ou un objet décoratif ? Lorsqu’une image sacrée devient un objet de consommation courante, c’est une catastrophe.

Je pense que de tous les temps il y eut des gens qui profanaient les images saintes ou les considéraient comme de simples amulettes. Cela existait déjà dans l’Empire Byzantin, mais aujourd’hui, grâce au développement de l’industrie légère, la profanation de l’objet sacré est devenue omniprésente. Je considère qu’il doit occuper un espace que personne ne doit bafouer, sinon nous perdrons très rapidement toute notion de sacré et de profane, de vénération.

Cette notion est déjà en train de se perdre dans l’espace laïque, l’église devient parfois un lieu de performances, et l’icône, un objet de l’art contemporain. Nous nous sentons offensés, mais l’utilisation de l’icône en tant que tapis sur le mur ou porte-clé serait-elle meilleure ? La logique est simple : on peut ne pas considérer l’icône comme chose sacrée.

En ce qui concerne les tee-shirts avec inscriptions, les gens les considèrent tout simplement comme une rigolade. A Kiev, par exemple, un slogan qui a du succès et amuse beaucoup est «Дякую Тобі, Боже, що я не москаль» (« Je te remercie, Seigneur, de ne pas être un Russe ». Le texte « Mère de Dieu, chasse Poutine ! » sur d’autres tee-shirts n’est pas très différent de ce slogan.

Et lorsque certains fabriquent un tee-shirt avec des citations des Saintes Ecritures dans des buts de mission religieuse, ils sont probablement mûs par des sentiments pieux, ils espèrent que la personne qui le met voudra peut-être devenir meilleure, d’autres liront l’inscription et certains d’entre eux réfléchiront au sens de ces paroles.

Mais les articles de consommation courante sont à la portée de tous. Imaginez une personne ivre jurant comme un charretier, avec une bouteille de bière à la main, marcher dans la rue vêtue de ce tee-shirt. Personne n’a le droit de l’en empêcher. Et comment apparaîtra alors le texte sacré ? De tels accoutrements donnent une image dégradante.

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Православие и мир "Иконы на чашках, тарелках, майках — благочестие или кощунство?" — ОПРОС
Des icônes sur des tasses, assiettes, tee shirts...etc. : piété ou blasphème ?

Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 26 Mars 2018 à 15:01 | 3 commentaires | Permalien



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