"JE NE POUVAIS PAS RESTER CELLE QUE J’ETAIS"
Deux Pâques de la moniale Sara, anglaise orthodoxe
Un article de Constantin Matsan traduit par Laurence Guillon
Revue "FOMA"

La moniale Sara vit dans la ville anglaise de Bath, où existe une paroisse orthodoxe de langue anglaise consacrée à saint Jean de Cronstadt. Mais nous nous sommes rencontrés à Minsk, où j’étais venu réaliser le reportage sur le monastère sainte Elizabeth. Mère Sara est depuis longtemps l’amie des sœurs de ce couvent et s’y trouvait justement à ce moment-là. Je n’espérais pas une telle chance pour un reporter : rencontrer dans un monastère biélorusse une moniale anglaise orthodoxe et écrire le récit de son destin inhabituel…


Une autre vie

Quelques personnes dans de larges vêtements noirs, avec des bottes noires d’une taille énorme et des barbes épaisses et non moins noires, voici comment je vis apparaître devant moi des orthodoxes au monastère saint Jean-Baptiste, dans le comté anglais d’Essex. En principe, ce tableau aurait dû effrayer l’écolière anglaise ordinaire que j’étais. Mais on ne sait pourquoi, cela ne m’effraya pas, bien au contraire…
Mes parents étaient méthodistes. Et je fus baptisée dans cette tradition dès l’enfance.
En dépit du fait que ma famille était ecclésiastique, je reçus une éducation laïque, et, à l’adolescence, je ne pouvais me dire croyante au plein sens du terme. Que Dieu existât, je n’en avais jamais douté, mais ma connaissance et ma représentation de Dieu étaient foncièrement abstraites et dans l’ensemble, assez floues. Elles ne jouaient aucun rôle essentiel dans ma vie. Et cela aurait continué ainsi, sans l’institutrice de mon école. Elle était orthodoxe et nous avait pendant six mois donné des cours d’instruction religieuse. Elle nous avait emmenés, nous ses élèves, en excursion au monastère saint Jean-Baptiste, où nous avaient justement accueillis des « gens barbus ». Mais bien entendu, la prise de contact avec l’Orthodoxie ne se fit pas à travers eux.Nous nous rendîmes au monastère encore et encore et j’appris de cette manière comment vivent les orthodoxes. Là je vis pour la première fois de mes propres yeux un starets, l’archimandrite Sophroni (Sakharov). Je n’eus pas l’occasion de discuter personnellement avec lui, mais même sans cela, tout, au monastère, était imprégné de sa présence, de ses sermons. On les commentait, on se les répétait. A travers cela, je reçus ma petite part de relation avec lui. J’appris alors que le père Sophroni avait fondé le monastère, pour suivre dans la vie réelle l’enseignement de son défunt père spirituel, saint Silouane de l’Athos. Et au bout de tant d’années, le livre du père Sophrony « le starets Silouane » reste pour moi l’une de mes lectures spirituelles préférées.
’observais cette vie, et à un certain moment, je compris : « Voilà ce qu’il me faut ! Voilà ce que je cherchais. » C’était au début des années 70. Comme il convient à une adolescente, j’étais en quête de quelque chose de personnel, de quelque chose d’inhabituel. Quelque chose qui se différencie de la vie quotidienne environnante. Et soudain, l’Orthodoxie m’apparut…

On me demande parfois : « Ne t’es-tu pas intéressée à l’Orthodoxie parce que, dans la bonne vieille Angleterre, cela paraissait exotique, non traditionnel, et en cela attirant » ? Je sais bien que non. L’attirance pour l’exotisme, c’est une attirance pour la forme. Et l’Orthodoxie ne ressemblait à rien d’autre alentour, par son contenu. Elle me semblait incomparablement plus profonde que tout ce que pouvait voir autour d’elle une adolescente anglaise. C’était littéralement une autre vie. Dieu y était à la première place, tout reposait sur la prière. Et ce qui était le plus sidérant, c’est qu’on sentait parmi les gens du monastère un authentique sentiment de communauté. C’étaient des gens qu’unissaient entre eux quelque chose de très important. Ils étaient imprégnés d’attention les uns envers les autres et envers tous ceux qui venaient. Je ne pouvais pas ne pas le remarquer.

A ce propos, s’il faut parler de la forme, l’Orthodoxie là aussi me paraissait plus profonde que le reste. Parce qu’en toutes choses l’accent était mis sur la beauté : dans les services, les vêtements du prêtre, les icônes de l’église. On disait du père Sophroni qu’il était artiste jusqu’à la moelle des os. Il disait de lui-même qu’il mourrait un pinceau à la main. Je crois que Dieu nous révèle sa beauté à travers l’œuvre des gens qui nous entourent.

C’était ma première rencontre avec l’Orthodoxie, mais je n’étais alors encore pas prête à changer de foi. On peut le dire ainsi : je ne le savais pas auparavant, mais je venais de comprendre que la foi en Dieu n’était pas un engouement philosophique, c'était une pratique vivante. Mais comme je n’avais, à ce moment-là, aucune pratique, il me fallait mûrir jusqu’à l’entrée dans l’Eglise.

Première Pâques

Ma première Pâques orthodoxe me bouleversa. Je la fêtai dans la cathédrale de l’Assomption, à Londres, où officiait alors le métropolite Antoine de Souroj. Cet endroit me fut révélé par cette même enseignante de l’école. L’office se déroula en slavon d’église, et je ne compris pas un seul mot. Et monseigneur Antoine ne prononça en anglais que quelques phrases isolées. Chacune d’elles se grava profondément dans mon cœur. Les gens alentour criaient joyeusement : « Christ est ressuscité ! » Et soudain, je ressentis quelque chose que je n’avais jamais éprouvé. Pour une personne élevée de façon laïque, ce fut un choc : je ressentis que la Résurrection du Christ, c’était une réalité. Pas une parabole, ni un fait historique mais une réalité vivante qui se passait ici et maintenant. Avec moi et sous mes yeux.

D’un côté, le sentiment qui me saisissait à cet instant était facile à déterminer : c’était une joie sans limites. Mais de l’autre, quoique je fisse ensuite pour le décrire à mes proches et à mes amis, je ne pus y arriver. Toutes les formulations se révélaient terriblement plates. Et sans doute, le meilleur reflet de ce qui se passait en moi étaient les changements qui se produisaient dans ma vie même : je me mis à m’habiller autrement, à lire d’autres livres, à m’intéresser à ce qui, autrefois, ne m’intéressait pas. Cela me semblait parfaitement naturel. Après ma première nuit pascale, je ne pouvais déjà plus rester la même. La vie se partageait entre « avant » et « après ».

Ce qui m’étonnait le plus, c’était l’enthousiasme avec lequel le perçurent mes parents. Ils n’étaient visiblement pas ravis de la façon dont, auparavant, je considérais la religion et ils étaient heureux qu’apparût dans ma vie une place pour une foi en Dieu pleine de sens. Mais il faut dire que lorsqu’au bout de quelques années, je leur annonçai ma décision de prendre l’habit, l' accepter leur parut beaucoup plus difficile…

Deuxième Pâques

Ma prise de contact avec l’Orthodoxie influença le choix de ma profession : à l’université, je choisis l’étude comparative des religions. Je lus beaucoup, je pensais, je fréquentais des gens divers et comprit en fin de compte que regarder l’Orthodoxie de l’extérieur, cela ne me suffisait déjà plus. Mon institutrice me présenta le père Yves Dubois. C’est lui qui me reçut dans l’Orthodoxie, à travers le Mystère de l’onction. Le père Yves est un Belge qui fut ordonné aux USA. Quand j’eus terminé l’université et déménagé à Londres, il était déjà le directeur de conscience d’une petite communauté orthodoxe dans cette ville. C’étaient six moniales arabes, l’higoumène était russe, elles étaient venues à Londres d’Israël. Je me mis à aller à leurs offices et restai avec elles quatre ans.

Et tout de même, le père Yves autant que moi-même, voulions que l’Orthodoxie s’ouvrît aux gens de l’Occident, à des gens comme nous. « Le sentiment de salut que m’a donné la foi, je ne peux pas ne pas le partager », considérai-je. Mais inviter des gens dans la communauté n’était pas possible, les offices avaient lieu en slavon d’église. Alors nous décidâmes qu’il nous fallait fonder notre communauté et officier en anglais. Le père Yves et son épouse Elizabeth eurent l’opportunité d’acheter une maison dans la ville de Bath. Et nous déménageâmes tous ensemble. Dans la maison, on réserva une place pour une chapelle. Ainsi commença notre nouvelle vie. J’achetai une maison non loin de chez eux. Nous y installâmes aussi une chapelle. Peu de temps après, je pris l’habit. Jusqu’à présent, les gens appellent ma maison « le monastère ».
A Bath, il fallut tout recommencer de zéro. Chercher des traductions des offices en anglais n’était pas si facile. Cela concernait aussi les chants : il nous fallait parfois chanter des extraits ensemble en anglais, en imitant le rythme des chants slavons. Ce qui était le plus étonnant : autour de nous, il n’y avait presque personne qui pût nous aider ou nous dire que faire. Représentez-vous, dans toute l’Angleterre, il n’y avait alors que trois paroisses de langue anglaise : l’église du prophète Elie, dans le village de Comb-Martin, dans le North-Devon, la fraternité saint Séraphim de Sarov à Walsingham et la paroisse de la Nativité de la Mère de Dieu à bristol.

Nous devînmes les quatrièmes. Et pour notre première Pâques « indépendante », il nous fallût coudre notre Platchanitsa nous-mêmes. Maintenant, cela peut sembler étrange, mais alors nous ne pouvions la commander dans un magasin ou un atelier. Il n’en existait simplement aucun.
Mais vous savez, ce fut une Pâques qui devint une étape importante dans ma vie. C’était le début d’encore une nouvelle paroisse orthodoxe en Angleterre: Le monastère sainte Elizabeth -The Archdiocese of Thyateira and Great Britain and Orthodoxy in the British Isles

Convent of Saint John of Kronstadt
Tel: +44 (0) 1225 330651


photo Vladimir Echtokine

Rédigé par Laurence Guillon le 9 Juin 2011 à 08:05 | 0 commentaire | Permalien



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