L'Eglise russe et la diaspora!
V.GOLOVANOW

J'avais écrit à propos de la paroisse moldave(1) "Encore une fois, voici la démonstration du "multinationalisme" dont fait preuve l'Eglise russe contrairement aux accusations dont on l'accable... " et je vous livre une opinion largement répandue parmi les Orthodoxes de France sur ce sujet; ma réponse suit:

Citation :
"Là, Vladimir, tu y va fort avec ta "démonstration du multinationalisme dont fait preuve l'Eglise russe". Allons, allons, le problème n'est pas là, mais bien inverse! En multipliant les églises sous son omophore l'Église russe renforce sa position prédominante sur un territoire qui n'est pas le sien pour bloquer à la fois les revendications de Constantinople (qui si elles sont plus légitimes ne sont pas plus souhaitables) et la possibilité simple de faire une église orthodoxe d'Europe de l'Ouest qui aurait à sa tête les évêques actuels s’ils le souhaitent, mais déconnectés de leur église nationale respective pour faire ne structure autonome, puis autocéphale. Il faudra que certains d'entre eux bien sûr renoncent à leur égo et ne soit plus évêque à Paris, mais en province puis qu’alors chaque évêque aura son diocèse sans empiéter sur celui des autres: toutes les paroisses de Lyon n'auront plus qu'un seul évêque et tout le clergé de Lyon le commémorera, et plus aucune paroissien ne restera un dimanche sans liturgie ;-)

Que la vie est belle et simple si on applique les canons, pas de scandale juridique pour des questions de propriété (sans relancer la question qui a raison, cette question ne se posera tout simple plus: une église sur un territoire dépend du diocèse gérant se territoire)." Fin de citation

Réponse: la question de l'organisation de la diaspora a été largement traitée sur "PO" (2) et nous pourrons probablement y revenir après le prochain colloque de Saint Serge (3), puisque ce point est à l'ordre du jour. Mais je voudrais faire deux remarques:

1.Le "multinationalisme" de l'Eglise russe: j'avais posté il y a deux semaines une information sur la construction d'une église spécifique à Moscou pour la diaspora bulgare (4). Dans ma conclusion je disais presque mot pour mot la même chose que dans ce commentaire 1… mais mon ami n'a pas réagi. Pourquoi? La réponse me semble être dans son texte: "sur un territoire qui n'est pas le sien" ("renforce sa position prédominante" à propos de la place de l'Eglise en France ou à Paris ne me parait d'ailleurs pas vraiment justifié…). On en revient bien évidement à ces notions de "territoire canonique" et "Eglise territoriale" que nous avons tant de mal à appliquer à la diaspora.

Il me semble pourtant que la position de l'Eglise russe sur ce sujet est particulièrement claire: respectant totalement le principe du "territoire canonique", elle considère de son devoir d'assurer la pastoral de ses ouailles en "terre de mission", où se trouve de fait la diaspora. Elle le fait en respectant scrupuleusement les particularités culturelles des croyants: Bulgares à Moscou ou Moldaves à Paris, l'Eglise russe respecte leurs particularismes… et les Français ont été les premiers à en bénéficier puisque c'est dans une paroisse de l'Eglise russe, alors située rue de la Montagne Sainte Geneviève à Paris(5), qu'ont été célébrés les premiers offices en français dès les années 1930. C'est donc bien cette attention toute spéciale à d'assurer la pastorale en respectant les particularités culturelles des fidèles qui assure le rayonnement et la présence de l'Eglise russe sur tous les continents (plus de 30 nations étaient représentées à son dernier concile local, les citoyens russes étant en minorité!)

2."Les revendications" de Constantinople sur la diaspora: ce point là aussi a été largement traité sur PO et le meilleur exposé sur les positions opposées des patriarcats de Moscou et Constantinople sur ce sujet me semble se trouver dans la lettre du Patriarche de Moscou Alexis II au Patriarche Œcuménique Bartholomée datée du 18 mars 2003 (6). Les arguments canoniques échangés sont très sérieux et j'imagine que le colloque de Saint Serge va, là aussi, permettre d'aller plus loin. Je voudrais juste rajouter que, tout au long du XXe siècle, Constantinople a plutôt montré un esprit de division de la diaspora que de rassemblement: c'est la création d'une métropole grecque sous son omophore en 1921 qui a brisé l'unité de l'Orthodoxie en Amérique, jusqu'alors représentée par la seule métropole de l'Eglise russe qui regroupait tous les orthodoxes de nationalités différentes (Russes, Ukrainiens, Serbes, Albanais, Arabes, Aléoutes, Indiens, Africains, Anglais), y compris également les grecs orthodoxes, qui tous recevaient l'antimansion pour leurs paroisses de la part des évêques russes. C'est de la même façon que les métropoles grecques se sont implantées en Europe occidentales où il n'y avait auparavant que des diocèses de l'Eglise russe … il est vrai déjà divisés en 3 juridictions.

Le foisonnement actuel des paroisses de différentes juridictions chez nous prouve d'abord le dynamisme de l'Orthodoxie, essentiellement portée par les vagues successives d'émigrés (7) qui restent attachés à leurs Eglises-mères respectives, et le prochain concile ne pourra pas l'ignorer car c'est là l'expression du Peuple de Dieu qui porte la Vérité de l'Orthodoxie(8). Par contre, et là j'irai dans le même sens que mes interlocuteirs, une plus grande coordination entre nos évêques, en particulier concernant les ouvertures de paroisses, la catéchèse… et plus généralement notre témoignage orthodoxe, permettrait certainement des avancées communes encore plus grande. L'AEOF peut en être un embryon… encore faudrait-il qu'elle se saisisse des problèmes concrets qui se posent…
.............................
(1)
(2) J'avais personnellement traité du projet d'Eglise locale dont rêve, que je considère comme utopique, mon ami dans une petite analyse il y a deux ans et demie: ICI et aussi ICI
(3)
(4)
(5)
(6)
(7)
(8) "Ni patriarche ni concile ne pourraient parmi nous introduire un enseignement nouveau, car le gardien de la religion est le corps même de l'Eglise, c'est à dire le peuple (laos) même" écrivent les patriarches orthodoxes au Pape Pie IX en 1848. (Cf. 'L'Orthodoxie, l'Église des sept conciles', Mgr Kalistos Ware, Cerf 2002, p. 324).



Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 21 Octobre 2012 à 10:11 | 5 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Vladimir: Pas de commentaires sur PO mais le débat se poursuit en direct le 24/10/2012 19:43
Pas de commentaires sur PO mais le débat se poursuit en direct. Je vais résumer ma position.

Je laisse l'analyse canonique aux experts, et l'échange entre les patriarches Bartholomée et Alexis 2 en 2002-2003 montre le niveau d'expertise, mais je vais regarder la réalité historique: Constantinople était absent de ces territoires quand l'EOR (Eglise orthodoxe russe)) y est arrivée pour implanter ses diocèses, un peu comme Antioche établissait les siens au Caucase sud aux 1ers siècles pour aboutir aux Eglises autocéphales d'Arménie et de Géorgie. En 1920 tous l'Occident avait donc ces diocèses de l'Eglise russe: était-ce contraire aux canons?

Constantinople en a pris les paroisses grecques pour créer ses métropoles, et les autres Eglises ont suivi l'exemple créant ainsi cette situation où "En dépit des Saints Canons, les Orthodoxes, en particulier ceux qui vivent dans les pays occidentaux, sont divisés en groupes ethnico-raciaux. Les Eglises ont à leur tête des évêques choisis pour des considérations ethnico-raciales. Souvent ces derniers ne sont pas seuls dans chaque ville et parfois n'entretiennent pas de bonnes relations et se combattent " (patriarche Bartholomé, 11 avril 2002.) Est-ce cela la démarche canonique?

En tous les cas, cette démarche correspond en fait à la demande des fidèles et il faut alors poser la question de l'interprétation des canons: "les canons ne sont pas des documents juridiques, ni de simples règles administratives, à appliquer d’une manière purement formelle. Les canons renferment des indications sur la manière de réaliser et de manifester dans des circonstances déterminées l’essence éternelle et immuable de l’Église, et cette vérité éternelle exprimée dans les canons, peu importe que ce soit dans une situation historique tout autre, radicalement différente de la nôtre, constitue le contenu éternel et immuable des canons et fait d’eux une partie intégrante de la tradition de l’Église. « Les formes que prend l’être historique de l’Église sont très variées, écrit un canoniste orthodoxe, c’est une évidence qui se passe de démonstration pour toute personne un tant soit peu familière avec l’histoire de l’Église. Une forme historique de l’existence de l’Église en remplace une autre. Néanmoins malgré la diversité des formes historiques, on y trouve comme un noyau immuable. C’est l’enseignement dogmatique au sujet de l’Église, en d’autres l’Église elle-même. La vie ecclésiale ne peut adopter n’importe quelle forme, mais seulement celles qui correspondent à son essence, qui sont capables de refléter cette essence dans des circonstances historiques données »(1)"

Je ne vais évidement pas proposer une réponse à ce débat. J'attends que la commission préconciliaire avance sur le sujet et, heureusement, elle avance: les commissions épiscopales sont un premier pas et il faut maintenant aller plus loin. Mais là je suis déçu par l'AEOF: aucune avancée concrète en 55 ans! Tout le monde est d'accord que ce n'est pas ainsi qu'on doit organiser l'Orthodoxie en France (cf. par exemple l'article de Séraphin Réhbinder(3) ou les débats du colloque de St Serge)... mais les premiers concernée, les évêques, ne bougent pas.

(1) 1 George Florovski, « Sobornost’ » (Catholicité) dans The Church of God, Londres, 1934, p. 63.
(2) Père Alexandre Schmemann 2Église et organisation ecclésial"e, p2-3, http://www.exarchat.org/spip.php?article771
(3) http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Seraphin-Rehbinder-Eglise-locale-Eglise-universelle_a2567.html

2.Posté par Fabre Daniel le 25/10/2012 07:54
cher Vladimir, comme dit ailleurs j'adhère pour beaucoup à ce que vous dites, d'une part et d'autre part pour ma propre sensibilité ( je ne sais pas pourquoi ) tant dans l'expression de la foi orthodoxe que dans le ton, la façon de " chanter " je n'arrive pas à adhérer aux tons grecs ou et semblables roumains, je ne sais une façon, pour mon oreille, arabisante de cantiller qui me gêne.
mais deux choses m'interpellent :
d'abord vous dites l'Eglise orthodoxe en France ne pas vouloir ou devoir faire de prosélytisme !
dont acte, dans ce cas il ne me semble pas juste ou requis de " critiquer " en bien ou mal le catholicisme ou le pape et ses pompes, tant on aurait à faire à " s"exercer soi-même " à actualiser chaque jour son ascèse ( je tombe, me relève, je tombe, me relève...!)et comme par vraie humilité nul orthodoxe ne peut se prétendre en spiritualité actée exemplaire.....
aussi pour la diaspora, vous dites c'est le peuple qui s'exprime.....et bien non pas tout à fait, dans ce peuple il est des français de souche même si beaucoup rescapés de l'ancienne ECOF mais je crois de plus en plus, ou plutôt de moins en moins des personnes de souche " étrangère " rattachées à leur ancienne culture, la génération de mes deux enfants par exemple âgés respectivement de 23 et 25 ans n'ont strictement rien à faire de leur ancienne culture roumaine ! alors je pose la question, de quel peuple parlez-vous encore, de quelle sensibilité alors ? et quid de leurs enfants ? en en parlant à mon épouse elle me dit : " ben il y aura toujours de nouveaux arrivants....! mais ajoute après réflexion : et bien nos enfants ou les enfants de nos enfants ne seront pas tout à fait de culture française, plus du tout de culture roumaine ben... un peu de seconde ou troisième zone...
bon et bien en fin de compte je ne sais pourquoi je parle de tout cela..... amitié et communion en Christ

3.Posté par Vladimir: SUR LE PROSÉLYTISME et SUR L'EXPRESSION DU PEUPLE DE DIEU le 25/10/2012 15:42
Bien cher Daniel Fabre,

J'ai aussi plaisir à échanger avec vous, car vous avez des arguments sérieux, qui permettent d'aller plus loin, et dans ce commentaire 2 vos questions sont sérieuses et méritent développement.

- SUR LE PROSÉLYTISME: je ne dis pas que "l'Eglise orthodoxe en France" est contre, parce que je n'ai jamais vu " l'Eglise orthodoxe en France" prendre position sur ce sujet… L'Eglise russe, par contre, s'est exprimée clairement et à plusieurs reprises, et je pense (mais je n'ai pas de confirmation là dessus) que les autres Eglises ont des positions voisines. De même il n'y pas actuellement, au niveau des Eglises orthodoxes de "critique systématique" du catholicisme. Il y eu les "encycliques des patriarches orientaux" il y a 150 ans, très dures, et il y a eu un changement d'attitudes à la fin du XXe siècle, répondant au changement catholique après Vatican 2, qui a permis de lever les anathèmes, amorcer le dialogue théologique et coopérer sur bien des points (nombre de nos paroisses sont maintenant logées dans des locaux mis à disposition par les Catholiques). Le dialogue a fait l'objet d'un accord de toutes les Eglises orthodoxes, comme le rappelle souvent le patriarche Bartholomé, mais la position officielle la plus clairement affirmée est celle de l'Eglise russe dans ses "Principes fondamentaux régissant les relations de l'Eglise orthodoxe russe avec l'hétérodoxie" que je cite souvent…

- SUR L'EXPRESSION DU PEUPLE DE DIEU: Je parle d'abord de la fondation des paroisses et diocèses dans le cadre des différentes Eglises depuis les années 1930. La volonté de rester dans son Eglise-mère ne fit alors aucun doute… Et actuellement je crois aussi que c'est là la volonté de la majorité des Orthodoxes de la diaspora: je ne citerais que pour mémoire le cas de notre petite paroisse lyonnaise, où la question du retour au patriarcat de Moscou a fait l'objet d'un vote majoritaire, mais voyez aussi l'insuccès de la Fraternité Orthodoxe, qui en est toujours au même point depuis 40 ans (1er congrès en 1971), les nouvelles paroisses qui se créent dans les différentes juridictions … Les discours sur la nécessité d'une unification s'arrêtent dès qu'il s'agit de faire un pas concret!

Mes enfants (27 et 34 ans) sont peu religieux, mais quand ils vont à l'Eglise (Pâques, mariage), ils veulent que ce soit traditionnel (slavon) et autour de moi les "Franco-russes" de 3ème ou 4ème génération restent majoritairement dans la même optique (tout en s'étripant sur l'appartenance juridictionnelle…). Cela reste en fait anecdotique car il me semble que le renouveau actuel de l'Orthodoxie en Occident est plutôt le fait des nouveaux immigrés, très attachés à leur Eglise-mère; ils représentent actuellement une bonne moitié de nos paroissiens lyonnais et je ne crois pas que nous soyons un cas particulier. D'ailleurs "La leçon belge" du p. Serge Model (*) semble bien conforter cette impression. Je suis d'ailleurs déçu que le colloque de Saint Serge soit resté aussi abstrait sur ce sujet: c'est bien au niveau du terrain et des attentes des fidèles qu'il faut, je pense, se situer maintenant!

Très amicalement en Christ

(*)http://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/Orthodoxie-occidentale-la-lecon-belge_a1208.html

4.Posté par Fabre Daniel le 25/10/2012 17:16
cher Vladimir, malgré mes questions ou plutôt quoique pourraient laisser supposer mes questions .....:
d'abord un constat : nous n'avons pas d'expression française ou occidentale orthodoxe en France...! à part comme des parfums, relents d'éducation catholique voir au pire avec des effluves de " secte " tendances charismatiques catholique...(ce qui pour moi me semble à l'opposé d'une vraie démarche spirituelle réelle) comme une plante aux racines si fines et éloignées qu'elle n'ont pu, n'ont su et ne savent nourrir et à fortiori développer et exprimer sa floraison, je le regrette mais c'est ainsi; c'est pourquoi et c'est très très personnel, quoiqu'encore il puisse sembler, j'adhère totalement pour le peu que j'en connais à la culture russe, à l'expression orthodoxe russe de préférence à celle grecque ou et roumaine. mais bon je crois aussi que dans toutes les liturgies au long de l'année il est de quoi connaitre une catéchèse, une approche Théologique pour peu que l'on comprenne tout ce qui s'y dit .....merci Vladimir,

5.Posté par Daniel le 25/10/2012 17:40
Vous dites : "il n'y pas actuellement, au niveau des Eglises orthodoxes de "critique systématique" du catholicisme", peut-être parce que les anciennes critiques demeurent en vigueur et que de toute façon, la vie orthodoxe ne tourne pas autour du catholicisme et du positionnement par rapport au catholicisme. Les Eglises orthodoxes ont aussi autres choses à faire qu'à s'occuper du catholicisme et à répéter ce qui a déjà été dit. Le but de la vie chrétienne est la déification, pas la critique du catholicisme...

Par ailleurs, il y a dialogue théologique car il y a désaccord justement. Le dialogue jusqu'à présent n'a abouti à... aucun accord... alors qu'on en est à peine à la primauté du siège de Rome... Je ne vois donc aucun changement majeure depuis Vatican II : avant Vatican II, on n'était pas d'accord mais on ne discutait pas, après, on discute mais on est toujours en désaccord... Mais à l'époque de Saint Photius aussi, on discutait déjà comme quoi...

Pour le renouveau quantitatif orthodoxe en Europe occidental (le qualitatif est une autre question), il tient en grande partie à l'immigration, chose logique vu que les missions orthodoxes ont été peu nombreuses et fort peu encouragées voire découragées. Ainsi, à l'époque du Patriarche Athénagoras, les italogrecs, catholiques de rite byzantin bien italiens vivant dans le sud de l'Italie ont demandé à revenir dans l'orthodoxie. Constantinople a refusé, de même que durant cette période, il était impossible pour un italien de souche de devenir orthodoxe car cela était refusé, à moins d'aller à l'Eglise russe hors frontière ou chez des vieux calendéristes... Comme quoi le baiser entre Jean XXIII et le Patriarche Athénagoras a parfois eu le goût d'un baiser de Judas.

Excusez-moi mais qu'est-ce que le prosélytisme? Le mot est mis à toutes les sauces... et je ne vois pas ce qu'il recouvre...

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