LE TROIS VOIES DE L’ORTHODOXIE RUSSE
Le père Vladimir Zielinsky nous a aimablement autorisé à publié son article "Les trois voies de l'orthodoxie russe" paru dans "La Croix" du 27 août 2011. Nous l'en remercions

La bataille judiciaire autour de la cathédrale orthodoxe de Nice a attiré une fois de plus l’attention sur la situation compliquée de l’orthodoxie russe et ses fractures internes. Il ne s'agit pas seulement de la propriété revendiquée par la Fédération Russe et par la communauté niçoise russe qui a servi et a pris soin de l'église pendant près de 90 ans la plus belle cathédrale orthodoxe en Europe occidentale. Il convient aussi d'évoquer les différents choix historiques qui les séparent. La foudre tombée sur la pierre de l’Eglise en 1917 l’a scindée en plusieurs morceaux qui avec le temps sont devenus politiquement et humainement hétérogènes.

En 1927 sous la pression meurtrière du pouvoir l’Eglise en URSS a été forcée d'accepter publiquement sa soumission totale à un Etat qui n’a jamais caché son intention de l’éliminer. Cet acte extorqué ne l’a pas sauvée du martyre. Les autres, ceux qui ne se sont pas prosternés devant la Bête ( Ap. 13), sont allés dans les catacombes où la Bête les a dévorés. Dès lors l’Eglise qui est restée sur la scène, surnommée en Occident l’Eglise du silence, s’adressait au monde par des discours qui traduisaient en langue ecclésiale la rhétorique du régime. Car « l’Eglise va toujours avec son peuple » - telle était sa justification – sous-entendant par là que le peuple, l’Etat et le parti qui le dirige sont la même chose.

Or, une partie non négligeable des orthodoxes, celle qui avait réussi à émigrer, continuait à répéter pendant près de 70 ans que la vraie Eglise Russe ne s’était conservée qu'auprès d'eux, car les ecclésiastiques de l’empire du dragon rouge, n'étaient que des « agents en soutane ». Leur credo ne se séparait jamais du souvenir pénible de la Russie qu’ils avaient perdu et du songe qu’un jour elle reviendrait telle qu’elle était jadis, quand les chaînes de sa captivité seraient enfin tombées.

Et voilà un jour elles sont tombées. Mais la perte de l’ennemi sectionne les racines de la résistance. Alors non sans la pression amicale du nouvel État Russe et de son président en personne l’Eglise hors frontières qui a vécu tout ce temps en Occident comme dans un désert spirituel, en attente du retour à la terre promise, est entrée en 2007 au Patriarcat de Moscou en tant que sa branche autonome. Or, un quart à peu près de ses paroisses ont rejeté cette union et se sont entêtées dans le rôle des « fragments » durs de l’Orthodoxie « vraie », comme l'ont fait également leurs confrères schismatiques encore plus durs et encore plus « vrais » en Russie. La foi orthodoxe, selon leur vision, a été trahie par Moscou qui ne s'est pas, en fait, repentie pour sa servilité au régime et n’a pas renoncé à sa participation à l’hérésie de œcuménisme, ce conseil des impies (Ps 1).

Une autre branche de l’Eglise Russe en exil a choisi de lier son destin avec le Patriarcat de Constantinople lorsque rester sous la juridiction de l’Eglise de Moscou, prisonnière du militantisme athée, est devenu impossible. A l’époque cette mesure a été considérée comme temporaire, jusqu’au moment où l’Eglise en Russie serait redevenue libre. Or, quand ce moment est venu, l’Archevêché des Eglises Orthodoxes Russes en Europe Occidentale (tel est son nom complet) ne s’est plus perçu comme une simple branche de l’Eglise de Moscou. L’exil est devenu sa patrie.
Il n’a pas eu de crise d’identité, comme celle vécue par l'Eglise hors frontières pour qui sa foi, sa piété et sa russité n’étaient jamais séparables. L'Archevêché s’est enraciné en Europe non seulement par sa composition ethnique, mais d’abord par la synthèse organique de l’immense patrimoine de la tradition liturgique et théologique russe avec les valeurs, les coutumes, les modes de pensée qui se sont développés au sein de la culture européenne. Il s’agit d’abord du fonds humaniste avec son esprit de liberté, le sens de la personnalité, les droits de l’homme, l’indépendance de l’Eglise par rapport à l’Etat, le pluralisme religieux, etc.

Dans cet esprit l’Archevêché s’est trouvé unique héritier du grand Concile de Moscou de 1917-1918 qui avait introduit l’élection des évêques et élargi les droits des conseils paroissiaux. Pour l’Eglise qui « va toujours avec son Peuple-Etat », comme aussi pour l’Eglise hors frontières avec son idéal inébranlablement monarchique, tout cela sent l’abominable libéralisme. Cet Exarchat du Patriarcat Œcuménique qui reste en communion avec toutes les églises orthodoxes canoniques, continue à porter le message prophétique de la réconciliation future de tout ce que la « Sainte Russie » a donné au monde avec ce que est né en la « Sainte Europe ».Une réconciliation invisible, peut-être, mais bien réelle, qui, sans le savoir parfois, se cherche encore et se découvre en Christ.

Rédigé par p.Vladimir Zielinsky le 27 Août 2011 à 13:15 | 3 commentaires | Permalien


Commentaires

1.Posté par Marie Genko le 28/08/2011 17:20
Voici dans le dernier paragraphe de l'article du Père Vladimir Zielinsky deux idées qui méritent réflexion:

"Dans cet esprit l’Archevêché s’est trouvé unique héritier du grand Concile de Moscou de 1917-1918 qui avait introduit l’élection des évêques et élargi les droits des conseils paroissiaux.
Pour l’Eglise qui « va toujours avec son Peuple-Etat », comme aussi pour l’Eglise hors frontières avec son idéal inébranlablement monarchique, tout cela sent l’abominable libéralisme.
Cet Exarchat du Patriarcat Œcuménique qui reste en communion avec toutes les églises orthodoxes canoniques, continue à porter le message prophétique de la réconciliation future de tout ce que la « Sainte Russie » a donné au monde avec ce qui est né en la « Sainte Europe ».

Il faut rappeler que le concile de 1917/18 s'est tenu en pleine révolution russe et qu'il ne pouvait pas faire totalement abstraction des formidables courants d'idées de l'époque!
Que les conclusions de ce concile sentent, comme le dit le Père Vladimir, l'abominable libéralisme n'a rien d'étonnant en soi!

Reste à savoir si le rôle de l'Eglise est d'être, ou pas, libérale?

Modestement, en ce qui me concerne, il me semble que l'EGLISE DOIT SE CONTENTER D'ETRE SAINTE.
Le rôle de l'Eglise est de pardonner au pécheur et de le remettre dans les voies du Seigneur!
Mais certainement pas de l'induire à continuer à vivre dans le péché....

En ce qui concerne "le message prophétique de l'Exarchat des Eglise russes d'Europe occidentale sur le sol de l'Europe de l'Ouest", il me semble nécessaire de rappeler que l'Europe était Sainte bien avant la Russie!
Le baptême de la Russie par le prince Vladimir de Kiev date de la fin du Xème siècle!

Quelle est cette réconciliation future de tout ce que "la Sainte Russie" a donné au monde avec ce qui est né en la Sainte Europe?????

Le patriarcat romain a cédé à l'hérésie du "filioque", et à partir de cette hérésie, qui est peut-être la source de la volonté d'une puissance centralisatrice et d'une infaillibilité romaine, ont suivi le déclin de la chrétienté occidentale, là révolte protestante, la renaissance humaniste en Italie, le siècle des lumières et enfin la révolution française!
Tous ces évènements, que nous connaissons bien, ont contribué à la chute de la foi en Occident.

Pour qu'un christianisme authentique renaisse en Occident, seule pa prière des hommes et l'action de l'Esprit Saint peuvent accomplir ce miracle.

Ce n'est certainement pas notre malheureuse présence orthodoxe russe, avec ses divisions juridiques et ses procès pour la possession de murs d'églises construites par les Russes pour le Russes, qui peut ramener les Catholiques et les Protestant à la Vérité orthodoxe qui est pourtant la notre!

Seul l'EXEMPLE DE LA SAINTETE DES DIFFERENTS PATRIARCATS ORTHODOXES peut modestement contribuer à un véritable réveil de la foi en Occident.

Tout le reste est orgueil et littérature!

2.Posté par Marie Genko le 29/08/2011 09:35

Voici ce que dit dans son remerciement à l'invitation du métropolite Hilarion le responsable du pélerinage à Boutovo, dans le fil "les nouveaux martyrs de Boutovo" paru aujourd'hui sur ce blog:

"Par notre pèlerinage à Moscou, nous voudrions exprimer humblement notre vénération pour la longue fidélité des chrétiens de Russie.
Nous les frères de Taizé, nous avons découvert, à la suite de notre fondateur, frère Roger, que l’un des secrets de l’âme russe est dans une prière d’adoration où la bonté de Dieu devient perceptible. Et nous souhaitons ces jours nous associer à cette prière.
C’est à travers la prière, célébration de la liturgie ou prière du cœur, que les chrétiens orthodoxes trouvent accès aux grands mystères de la foi, l’incarnation du Christ, sa résurrection, la présence continuelle de l’Esprit Saint dans l’Eglise. Et c’est dans ces mystères que les orthodoxes puisent le sens de la grandeur de l’être humain : Dieu s’est fait homme afin que l’être humain participe à sa divinité, l’être humain est appelé à être transfiguré avec le Christ déjà sur la terre. Les chrétiens orthodoxes ont toujours mis l’accent sur la résurrection du Christ qui déjà transfigure le monde."

Voilà un témoignage qui confirme la conclusion de mon message précédent ci-dessus:

Seul l'EXEMPLE DE LA SAINTETE DES DIFFERENTS PATRIARCATS ORTHODOXES peut modestement contribuer à un véritable réveil de la foi en Occident.




3.Posté par Fabre Daniel le 29/08/2011 18:00
" Seul l'EXEMPLE DE LA SAINTETE DES DIFFERENTS PATRIARCATS ORTHODOXES peut modestement contribuer à un véritable réveil de la foi en Occident. "
ce n'est pas demain la veille ! d'aucun devrait sans doute.....retrouver au moins la foi ! on verra plus tard pour la modestie, et nous ne parlons pas de l'humilité voire de la Charité !

Nouveau commentaire :



Recherche



Derniers commentaires


RSS ATOM RSS comment PODCAST Mobile