LES FETES EN RUSSIE
Le carême de Noël nous prépare à la Fête et il me semble intéressant de faire un point sur la tradition festive russe. Fêtes profanes, fêtes religieuses, fêtes impériales, fêtes russes, fêtes soviétiques … Les Russes excellent dans l'art de la fête.

La fête (prazdnik), c'est "le moment où l'on ne travaille pas, où l'on ne fait rien, où l’on s’amuse…". Les origines des rites s'imbriquent, se complètent, se superposent au fil des ans du dernier siècle, reflétant la situation politique et idéologique du pays (et nous laisserons de côté les fêtes personnelles et familiales, qui méritent un article spécial…).

Il y a cent ans, seules les fêtes religieuses étaient célébrées en Russie, et il est difficile d'en établir un calendrier exhaustif : au début de XXe siècle, les fêtes religieuses représentaient quatre-vingt-dix-huit jours fériés pour deux cent soixante-sept jours de travail. Nous nous contenterons donc des fêtes principales comme Noël, Pâques et la Chandeleur (Maslennica), ainsi qu’à la fête de Notre Dame de Kazan, pour voir comment s'effectue la transition entre l'époque impériale et la période actuelle … après les sept décennies de pouvoir soviétique.

Le 1er janvier, Noël, et les caprices des calendriers

Jusqu'au XVe siècle, le 1er mars était le premier jour de l'année puis, à partir de la fin du XVe siècle, c'est le 1er septembre, début de l'Indiction, qui marque la nouvelle année religieuse et civile. L'année civile commence le 1er janvier par un arrêté de Pierre le Grand de 1699, mais la Russie vit au rythme du calendrier julien jusqu'au décret de 1918 : le 1er février 1918 (selon le calendrier julien) devint le 14 février (selon le calendrier grégorien). Cette modification allait permettre de supprimer certaines fêtes, d'en inventer de nouvelles, ou de multiplier les jours de fête en se référant aux deux calendriers. L'église orthodoxe est revenue au calendrier julien après la tentative avortée du passage au "julien réformé" qui suivit le "synode grec" de 1923.

Le 1er janvier à l'époque impériale (qui correspond donc au 13 janvier du calendrier grégorien), selon une coutume inaugurée par l’impératrice Elisabeth au XVIIIe siècle, l’empereur ouvre son palais au peuple et reçoit les diplomates. Joseph de Maistre, diplomate français, rend compte de cette cérémonie, à laquelle il assiste en 1816. Malgré son absence évidente d'enthousiasme devant l'obligation de participer à ce qu'il nomme "les saturnales monarchiques", le diplomate laisse percevoir dans son récit le caractère grandiose de la cérémonie. L'illumination de la salle de l'Ermitage est qualifiée de "chose nouvelle inventée par un Italien", dont on ne comprend pas le comment. Le Français admet que la décoration est "magnifique". Le 1er janvier est alors une fête mondaine et populaire, tous peuvent entrer dans le palais d'Hiver qui s'ouvre à des milliers de personnes de toutes les catégories sociales. Le peuple pénètre dans le palais de son souverain, alors que l’empereur effectue "la cérémonie de la sortie du Nouvel an" : "sortie" à 11 heures, office religieux, réception des diplomates et des dignitaires, banquet et "baisemain". Cette fête ne revêt donc pas vraiment de caractère religieux même si elle tombe pendant la période des festivités qui suivent Noël ("sviatki") et qu’un office spécial lui est consacré, mais cette tradition prérévolutionnaire explique la rémanence de "l’ancien Nouvel an" dont nous reparlerons...

Malgré cela, la fête du Nouvel an est interdite après 1917avec toutes les fêtes religieuses, montrant bien cette volonté de détruire toute tradition qui caractérise la révolution… Nous y reviendrons !

Le 25 décembre (correspondant donc au 7 janvier grégorien) Noël (roždestvo : "nativité") était fêté à l'occidentale, avec sapin (tradition introduite par Pierre le Grand), messe de minuit le 24 décembre, cadeaux. Nicolas II écrit dans son journal : "24 décembre. Samedi. Nous avons fait nos adieux à notre cher Tsarskoe pour cette année et sommes partis pour Pétersbourg à 10 heures. A 11 heures 30 nous sommes allés aux vêpres à Anickov, après quoi nous avons déjeuné avec Mama et Alix. A 2 heures, j'ai accueilli la députation d'Oural qui apportait du caviar. Après avoir arrangé les affaires et les cadeaux pour le Sapin, je suis allé dans le jardin avec Alix. Nous avons pris le thé en haut et à 6h nous sommes allés à l'office du soir. Après quoi, à l'instar de nombre d'années passées, il y a eu le Sapin dans le salon bleu ! C'est à la fois triste et joyeux - que de changements depuis l'année dernière ! Mon cher Papa n'est plus, Ksenia est mariée, et je suis marié ! Ma chère Mama nous a couverts de cadeaux comme à l'habitude ! A 8 h. nous avons déjeuné. Quand nous sommes redescendus, Alix et moi avons fait ensemble notre Sapin !
25 décembre. Dimanche. Après le café, nous avons encore regardé nos cadeaux sous le sapin. A 11 h il y a eu l'office […] A 2 h. 30 Alix et moi sommes allés au Manège, où se tenait le Sapin pour l'Escorte, le bataillon, les sergents de ville, exactement comme à Gachina. Alix a très bien rempli ses obligations. Nous nous sommes promenés dans le jardin avec Mama. Nous avons bu le thé tous les deux. Avons déjeuné à 8 h. dans le bureau de Papa et ne sommes pas restés longtemps en haut."

C'est donc une fête familiale et religieuse qui est supprimée par les bolcheviks. Le sapin est lui aussi interdit dans les années 20. Selon le calendrier julien, Noël reste fixé au 7 janvier (25 décembre de l'ancien style). Mais aller à l'église et fêter Noël est répréhensible et peut attirer des désagréments à ceux qui défient l'interdit. La religion est tolérée dans la Constitution, mais le parti communiste met tous ses efforts dans l'éducation de Soviétiques athées. La propagande antireligieuses commence dès le jardin d'enfant, et se poursuit parmi les rangs des "Enfants d’Octobres" ("Oktiabriata" : organisation des plus jeunes du partis communiste), puis des pionniers et des komsomols. Communiste ne peut rimer qu'avec athéiste, entrer au Parti n'est possible que si l'on n'a jamais fréquenté les églises. Commence alors une certaine confusion entre rites et fêtes profanes, entre croyances et cérémonies religieuses, entre attributs païens, soviétiques, et orthodoxes.

Le sapin en est un exemple. Il est interdit jusqu'au milieu des années 30. Puis réhabilité : en 1937, apparaît le premier " grand sapin du Pays des Soviets ". Cependant, le sapin ne s'appelle plus "sapin de Noël" (roždestvennaja elka), mais "sapin du Nouvel an" (novgodnjaja elka). Les rites de Noël sont repris pour la fête de la Nouvelle année : Ded Moroz (le Père Gel, père Noël russe) apporte des cadeaux ; l'horloge du Kremlin sonne à minuit, alors qu'aucune cloche ne sonne plus ; le 1er janvier est un jour chômé. Grâce au changement de calendrier, une fête religieuse est totalement supprimée : le 25 décembre ne correspond plus à rien, le 1er janvier est le Jour de l'An.

Pourtant, aujourd'hui encore, on fête " le Vieux Nouvel an " le 13 janvier, qui ne correspond pourtant pas à grand-chose dans le calendrier religieux, mais surtout Noël (le 7 janvier) est redevenu une grande fête entièrement et uniquement religieuse ainsi qu'un jour chômé depuis 1991 (décret du président Eltsine). Les traces des décennies soviétiques s’effacent en partie, car le Nouvel an ne va pas sans faire problème pour l’Eglise : il tombe maintenant en plein carême de Noël et reste une grande fête populaire…

LES FETES EN RUSSIE

Pâques et la Chandeleur

Pâques a survécu aux bouleversements de l'Histoire pour être à nouveau la plus célébrée des fêtes religieuses. Pâques est appelée "la Fête entre toutes les fêtes, la Célébration entre toutes les célébrations". C'est la plus importante des fêtes orthodoxes. Les fêtes de Pâques, dont la date est fixée par l'église orthodoxe entre le 22 mars et le 23 avril du calendrier julien, sont précédées du Grand carême (velikij post), lui-même entamé après la semaine de "Maslennica".

Avant d'être une fête religieuse marquant le début du carême, cette Chandeleur russe, ou " semaine des laitages " (syrnaja nedelja), est une fête païenne, comme le rappellent de nombreuses sources. C'est l'adieu à l'hiver. A l'époque impériale, Maslennica est représentée sous la forme d'un bonhomme de paille que l'on brûle à la fin du Carnaval. Chaque jour de cette semaine a ses attributions et son nom propres. Toute la semaine on mange des blinis (crêpes) et on en régale ses proches, on fait des glissades sur des toboggans de glace, des jeux, jusqu'au dimanche qui est le jour où l'on demande pardon pour les offenses commises à ses proches. Le lundi suivant est appelé " lundi pur " (cistyj ponedel'nik). L'écrivain russe Ivan Šmelev décrit très précisément les fêtes de ses souvenirs d'enfance : ce lundi pur, les rideaux et les tapis sont enlevés, les pièces vidées et nettoyées, puis purifiées avec une bassine d'eau bénite. L'enfant va ensuite au "marché de Carême", pour acheter de la bonne nourriture sans viande. Après sept semaines de carême arrivent les fêtes de Pâques,

Le samedi Saint, la veille de Pâques, les fidèles font bénir les kulich (sorte de brioche cylindrique aux fruits confits), pasha (gâteau de Pâques au fromage blanc) et œufs décorés qu'ils apportent à l'église. La fête de Pâques ne saurait se passer d'œufs : l'œuf est symbole de résurrection, et l'on fait bénir des œufs peints, ornés des lettres " XB " (abréviation de Xristos Voskres'e " Christ est ressuscité "). On offre des œufs durs peints et des œufs d'or, de cristal ou de porcelaine pour les riches, à commencer par l’empereur qui offraient chaque année à ses proches les célèbres œufs produits par Fabergé.

L'abbé Jean Chappe d'Auteroche raconte avec un certain humour son expérience de Pâques en Russie en 1761 : "Le jour de Pâques en Russie est un jour consacré aux visites, ainsi qu'en France le premier jour de l'an. Ignorant les usages du pays, je me fis innocemment quelques tracasseries.
Occupé dans la matinée à des calculs d'astronomie, je ne m'aperçus pas qu'un Russe était dans ma chambre. Ne voulant pas apparemment me déranger, il s'était placé à mes côtés, mal à propos pour lui et pour moi ; car m'étant levé avec vivacité, pour me promener dans l'appartement, nos physionomies se choquèrent si rudement, qu'il fit la culbute sur le plancher, et moi sur une malle. Quoique je fusse aussi étourdi de cet événement, que de voir dans mon appartement ce Russe que je n'avais pas l'honneur de connaître, je fus à lui pour lui demander excuse de cet accident. Je lui présentai ma main pour l'engager à s'asseoir : il me tendit la sienne ; je trouvai un œuf dans la mienne. Cet œuf m'étonna, parce que je n'étais pas encore remis du coup de tête que j'avais reçu. J'étais d'ailleurs fort embarrassé pour répondre à tout ce qu'il me disait ; car il me parlait toujours, comme si j'eusse entendu sa langue. Je ne cessais de mon côté de lui faire des révérences, et de lui témoigner par des signes de la tête, des pieds et des mains, combien j'étais sensible à toutes ses honnêtetés. Il s'en fut enfin, et me parut fort mécontent. Je me disposais à me remettre à mon travail, lorsqu'un autre Russe entra dans ma chambre. On décidait aisément à sa marche, qu'il n'était pas à jeun : il vint à moi pour m'embrasser; comme il répandait une odeur d'eau-de-vie très désagréable, je fis un mouvement pour n'être pas embrassé sur la bouche : mais il ne fut pas possible de m'en défendre. Ce Russe me donna aussi un œuf : mais j'étais déjà assez au fait pour lui faire présent à mon tour, de celui que j'avais déjà reçu. Il me quitta cependant encore mécontent.
Quant à moi, j'étais si peu satisfait de ces deux visites, que, dans la crainte d'une troisième, je fermai au plus vite la porte de ma chambre: j'y mis deux clous, l'un en haut, et l'autre en bas, n'ayant point de verrou.
J'appris quelques heures après, que ce jour était consacré à faire des visites, ainsi que je l'ai déjà dit. Les hommes vont dans la matinée les uns chez les autres ; ils s'annoncent dans une maison en disant : "Jésus-Christ est ressuscité", et on leur répond : "Oui, il est ressuscité." On s'embrasse alors ; on se donne mutuellement des œufs, et l'on boit beaucoup d'eau-de-vie."

La fête de Maslennica (Maslennitsa) avait disparu des calendriers soviétiques de même que la fête de Pâques. La ferveur religieuse, elle, n'a jamais faibli. Les traditions n'ont pas disparu et les deux fêtes sont à nouveau à l’honneur, même si elles ne bénéficient pas de jours fériés spécifiques. Maslennica, en particulier, a été récupérée pour des festivités folkloriques assez populaires organisées par par les municipalités.

Les Soviétiques et la religion

En sept décennies de pouvoir, le Parti communiste a consacré beaucoup d'efforts à la lutte idéologique contre la religion. En éduquant les enfants dans "l'athéisme communiste" dès leur plus jeune âge, en fermant les monastères, en détruisant les églises (comme celle du Saint-Sauveur à Moscou), en supprimant les fêtes carillonnées et, bien entendu, en fermant les lieux de culte pour les transformer en toute sorte de lieux profanes. L'exemple de la cathédrale de Kazan (à Leningrad) est éloquent : elle est devenue le Musée de l'athéisme - paradoxe et preuve que l'athéisme soviétique était bien une sorte de religion ! Mais la plupart des autres églises furent décapités de leurs coupoles pour être transformées en archives, entrepôts, cinémas ou… crématorium (monastère du Don à Moscou).

En effet, le régime soviétique faisait tout pour détourner la ferveur religieuse à son profit. La Constitution garantissait bien la liberté de religion, mais les pratiquants étaient enregistrés par les autorités, les baptêmes devaient leur être signalés. Les mariages religieux étaient rares : se marier à l'église était un défi aux autorités. D'ailleurs, le ZAGS (bureau des mariages) proposait une cérémonie qui se voulait semblable à la cérémonie religieuse à ceux qui souhaitaient plus qu'un simple enregistrement de leur union ! Il existait un magasin réservé aux futurs époux dans lequel ceux-ci pouvaient acheter divers cadeaux de mariage, une robe de mariée blanche, des alliances…

Les rites religieux étaient dévoyés et utilisés à d'autres fins, comme en témoignent les exemples du 1er janvier ou du mariage. Ainsi aussi de la fête de l'Epiphanie le 6 janvier, une fête très importante dans la Russie impériale, qui avait été supprimée. Il s’agit de la "Bénédiction des eaux " - Vodosvjatie ou Iordani -, commémoration du baptême de Jésus-Christ dans les eaux du Jourdain, à laquelle assistaient le tsar et la Cour. Un trou était pratiqué dans la glace de la Neva, l'eau en était bénie. Ensuite, des mères plongeaient leurs enfants dans la Neva… Et cette pratique du bain dans les rivières glacées le 6 janvier était restée durant l’époque soviétique, mais la signification religieuse du rite avait provisoirement disparu… pour revenir actuellement,

Malgré le poids des interdits, nombreux sont les Soviétiques qui faisaient baptiser leurs enfants. Nombreux aussi ceux qui se risquaient à faire bénir les gâteaux et les œufs de Pâques à l'église. Encore plus nombreuses les familles soviétiques qui fêtent Pâques à la maison ou au cimetière, bien que le calendrier ne mentionne pas le jour de Pâques, et cette dernière pratique reste toujours très répandue : il y a toujours plus de Russes dans les cimetières la nuit de Pâques que dans les églises !.

Tout cela a totalement changé et les traditions religieuses et culturelles ont été réhabilitées après l’effondrement de l’URSS. Cela est particulièrement visible avec le retour des coupoles dorées, par exemples à Moscou, et l’Orthodoxie devient omniprésente dans la Russie actuelle au point qu’il est question de l’inscrire dans la Constitution. Très symboliquement, c’est la fête de ND de Kazan, le 4 novembre (22 octobre julien), qui remplace la commémoration de la révolution d’octobre en tant que jour de "l’Unité nationale". Toutefois les autres fêtes soviétiques restent à l’honneur : Jour de l’an, Journée de la femme (8 mars), 1 et 9 mai… font l’objet de manifestations officielles et populaires.

D’après Annie TCHERNYCHEV
Docteur en études slaves
Source ICI
LES FETES EN RUSSIE

Rédigé par Vladimir Golovanow le 13 Décembre 2013 à 10:34 | -2 commentaire | Permalien



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