MOLDAVIE - II : L’EGLISE ET L’ETAT A L’EPOQUE DE STALINE ET KHROUCHTCHEV
Voici un deuxième extrait de la thèse de doctorat soutenue par
L’hiéromoine Joseph ( Pavlinciuc), archevêché de Chesonèse
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Les persécutions de la fin de la période Khrouchtchévienne (1959-1964)
et leurs conséquences pour le diocèse de Chisinau.


Par ailleurs, en cette même année 1959, 64 prêtres furent rayés du registre par l’administrateur. L’archevêque eut peur, ici encore, de protester. Oleïnik a écrit avec fierté : «sur notre conseil, 32 hiéromoines ont été rayés du registre par l'archevêque et renvoyés dans les monastères ; 18 prêtres sont mis à la retraite d’office; 5 – ont été suspendus « a divinis »; 6 – ont rejoint d’autres diocèses ; 4 – sont morts ; 1 – a été appelé dans l’armée soviétique . Il n’y a pas eu une seule ordination. Nous n’avons pas été autorisé à renouveler ou à compléter les cadres du clergé» . Mais son activité ne se borne pas à la fermeture des édifices religieux : «Dans le cadre de l’affaiblissement de l’Église, l’affectation des bâtiments des églises inactives à d’autres fins socio-culturelles est très importante, alors qu'autrefois on accordait peu d’importance à cela. Il en résulte qu'en 1959, sur 424 églises inactives, 60 ont été [ré]occupées, et on a décidé d'en détruire 32 pour insalubrité. Cependant, encore peu de choses ont été réalisées dans ce domaine» .

Pourtant, ce bilan officiel ne dit pas tout.
A la même époque en effet, les fidèles du diocèse de Chisinau protestèrent à plusieurs reprises contre la politique brutale de déchristianisation qui leur était imposée. «Détruire avec succès les préjugés religieux» n'était pas si facile. Le Président du Conseil des Ministres de RSSM, Diordits, fut obligé de stigmatiser les pratiques administratives «brutale » et les « atteintes aux sentiments des croyants». «De grossières erreurs administratives vis-à-vis de la communauté religieuse ont


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été commises par les directeurs du conseil agricole et du kolkhoze du village de Slobodzea – dans la partie russe. Alors qu’ils avaient reçu l’aval du conseil des ministres pour la confiscation à la communauté religieuse de leur église, ils en ont détruit le clocher sur leur propre initiative et au moyen d'un tracteur, ce qui a suscité le mécontentement et la protestation des croyants, qui se sont opposés à un tel acte, et organisé des rondes pour veiller sur l’église qui devait faire l'objet de la confiscation. Des actes semblables ont été commis dans les villages de Verejăni, Gorodişte, Visoka et dans la région d’Ataci» . Les croyants des villages de Răciula (région de Kălăraş), de Baroboi (région de Rîşcani) et de Cobouşka Nouă (région de Bulboaca) exprimèrent leur mécontentement et protestèrent de manière particulièrement explicite, mais leurs protestations furent réprimées avec violence. Quatre hommes furent tués, et des dizaines de chrétiens orthodoxes arrêtés et condamnés.

La fermeture brutale des monastères suscita un grand mécontentement parmi la population.

En dépit de toutes les mesures qu’elles avaient prises, les autorités ne parvinrent pas à "détruire avec succès les monastères", car les moines et la population locale s'y opposaient activement. C’est ainsi par exemple que l’on vit se rassembler des gens de tout le canton pour la défense du monastère de la Nativité de la Mère de Dieu au village de Răciula. Voici ce qui est dit à ce sujet dans le compte-rendu informatif envoyé à Moscou au Conseil pour les affaires de l’EOR. «Outre la réalisation satisfaisante de la mission concernant la liquidation des monastères de Hîrova, Vărzăreşti, Ţigăneşti, et Suruceni, de grossières erreurs ont été commises dans le travail de liquidation du monastère féminin de Răciula» . Plus tard on recensa les erreurs concrètes commises lors de cette opération. « Les organes locaux du Parti et nous-mêmes (les membres du Conseil pour les Affaires de l’Église Orthodoxe Russe), n'avons pas pris en compte les particularités de ce monastère et de l'église qui lui est rattachée. De même n’a pas été pris en compte le fait que l'on compte, dans le village de Răciula, 800 personnes âgées et 236 moniales et qu’une partie des croyants des villages environnants de Frumoasa et de Vărzăreşti fréquentent ce monastère. Le fait que l’église elle-même se trouve au centre des maisons dans le village qui en compte 85 n'as pas été considéré» .
Les autorités communistes se trouvent, on le voit, dans une position inconfortable. Elles doivent, certes « étudier leurs erreurs », mais ne peuvent aller et fond des choses et reconnaître la profondeur de l’attachement des fidèles à leur foi et à leurs lieux saints. Parmi les textes épiques et hagiographiques célébrant la victoire russe de Kulikovo (1380), il n’est pas inutile de rappeler les paroles que certaines versions prêtent à Saint Serge de Radonège, l’un des grands inspirateurs de la tradition monastique russe. En donnant sa bénédiction au grand-prince Dimitri Donskoï pour livrer la bataille contre le chef tatar Mamaï, il lui dit: «Si les ennemis veulent de nous de l’honneur et de la gloire, nous leur en donnerons, s’ils veulent de l’or et de l’argent, nous leur en donnerons aussi, mais pour le nom du Christ et pour la foi chrétienne, il convient que nous risquions notre vie et versions notre sang». Au monastère de Răciula aussi le sang fut versé.
Quand, le 23 juin 1959, on ordonna aux moniales du monastère Răciula de quitter rapidement leur couvent, elles refusèrent d’obéir. Les moniales firent sonner les cloches, pour alerter les habitants du village et des villages voisins que les autorités entreprenaient de fermer le monastère. Une foule commença à converger vers l’église dont les cloches ne cessaient de sonner et très vite un grand nombre de personnes fut rassemblé. Le peuple était d’avis qu'il ne fallait pas laisser le monastère et les moniales seuls en ces minutes difficiles. Ceux qui étaient venus protéger le monastère (environ 200-300 personnes) , s’armèrent de bâtons, de fourches et de pierres. Ils ne laissèrent personne, y compris les représentants du pouvoir, s'approcher de l’église, et n’étaient guère disposés à discuter. Autour du monastère furent établis des postes de garde. Si un des communistes locaux essayait de pénétrer sur le territoire du monastère, on lui jetait des pierres. Le supérieur du monastère, la mère Sepfora (Chiriacova), et Vassili Konstantinovitch Poian dirigèrent les opérations. «Ceci mis à part », souligne le plénipotentiaire dans un rapport informatif, « les défenseurs du monastère, s’affairaient à chanter, dans l’église fermée, des chants liturgiques» . L’administrateur, faisant le bilan des événements de Răciula, écrivit dans son compte-rendu : «Ce mouvement de révolte a commencé le 23 juin, et s'est terminé le 2 juillet, aux alentours de 5-6 heures du matin» . A la lecture de ces lignes, beaucoup de questions viennent à l'esprit. Comment la foule s’est-elle dispersée ? Pourquoi à 5-6 heures du matin? Qui organisa cette dispersion, et de quelle façon? Les réponses à ces questions ont pu être trouvée auprès de témoins des faits.
Le matin du 2 juin, dixième jour de la confrontation, alors que les défenseurs du monastère étaient fatigués, une attaque fut lancée contre le couvent. Quelques volontaires firent preuve de vaillance et d’endurance, préservant le monastère de la profanation, mais, de toute évidence, les forces étaient inégales. Un des défenseurs – Siméon David – fut tué, et quelques autres blessés. Activistes communistes entrèrent en force dans l’église. Tous ceux qui se trouvaient à l’intérieur furent arrêtés .

Ceux qui s’étaient particulièrement distingués au cours de la défense du monastère (11 personnes) durent comparaître en procès
Ceux dont le seul tort avait été d’empêcher les agents venus fermer le monastère d’entrer sur son territoire furent condamnés à 10 ou 15 ans de prison à régime spécial.
La supérieure mère Séphora (Kiriakova) fut condamnée à 15 ans, de même qu'Hilarion Mokriak et Siméon Mokan ; dix autres participants à cet incident furent également condamnés à des peines allant de 3 à 10 ans de prison . Le nom du serviteur de Dieu tué, Siméon (David), fut inscrit dans l’obituaire du monastère pour être éternellement commémoré. La tentative de la population locale de s’opposer au plan de fermeture des monastères prit donc tristement fin sur ces évènements. A partir du 2 juillet 1959, le monastère de Răciula fut recensé comme éliminé dans les listes de l’administrateur.

Un autre épisode de protestation massive eut lieu dans le village de Baroboyé de la région de Rîşcani.

Le 4 janvier 1961 un prêtre de ce village, le père Boris Nikolaev qui s'était rendu, avec son lecteur de psaumes Rabeï T. G., à des obsèques dans le village voisin, ne rentra pas chez lui. Le lendemain, leurs cadavres furent retrouvés dans un champ aux abords du village. Aucune enquête n'ayant été engagée, les habitants locaux, fortement attachés à leur père spirituel, s’occupèrent eux-mêmes de mener les investigations. Il s’avéra que l’assassin était un kolkhozien membre du PCUS Alexandre Lisnik. Le 15 octobre de la même année, le peuple se réunit au son des cloches près de l’église, et somma Lisnik de s’expliquer sur ce qui s’était passé avec le père Boris. Comme Lisnik ne donnait aucune réponse, il fut tué par les paysans.
L’affaire fut portée devant le Tribunal suprême de la RSSM qui rendit un verdict prévisible. Cinq activistes de la communauté paroissiale furent condamnés à être fusillés – Nestor Burunciuc, Alexandre Korcimar, Fedor Gandrabur et Guéorgui Gouwouna. Toutefois l’un d’entre eux – Féodor Gandrabur – vit sa peine commuée en prison à vie grâce aux nombreuses pétitions qui furent déposées. En outre, furent condamnés à diverses peines d’emprisonnement 15 autres personnes accusées d’avoir participé à cette vengeance sanglante. Certains des condamnés étaient absolument étrangers à l’affaire, ou ne se trouvaient même pas au village de Baroboyé au moment du crime. De fait, la communauté religieuse du village de Baroboyé fut rayée des registres de diocèse et de l’administrateur .
Ces cas patents d’abus de force étaient connus à Chisinau, et à Moscou, mais aucune mesure ne fut prise pour y remédier. Au contraire, l’offensive contre l’Église se poursuivit. De nombreux efforts furent entrepris pour inciter certains desservants du culte à renoncer à leur ordination. En la matière, les succès furent modestes dans le diocèse de Chisinau. En 1959, aucun prêtre n’abandonna le sacerdoce et on n’en compte que six pour l’année 1960 et cinq en 1961 . Peu nombreux furent donc ceux qui «s’affranchirent de la religion» de cette façon. Le prêtre N. Varzar fût le seul parmi eux à s’engager dans la « diffusion du savoir politique et scientifique » cette-à-dire la propagande athée . C'est en 1962 qu'il y eut le plus de prêtres abandonnant leurs fonctions au sein de l’Église et se mettant à travailler pour les entreprises gouvernementales. Leur nombre atteignit 13 personnes, parmi lesquelles un seul renonça au sacerdoce. Les énormes efforts entrepris par les athées pour dénoncer et poursuivre des prêtres-corrompus portèrent des fruits inattendus : les croyants étaient convaincus de ce que ces pasteurs corrompus servaient l’Église pour l’argent, et qu'ils serviraient désormais l’athéisme pour les mêmes raisons. Ainsi, ils pensaient que plus il y aurait de prêtres qui quitteraient l'Église, mieux ce serait pour cette dernière.

Un nombre bien plus grand de prêtres et de moines furent contraints d'effectuer le service militaire, de partir en retraite ou furent simplement rayés des registres par l’administrateur pour «grossières violation des lois soviétiques concernant les cultes». De la sorte, «En 1959, 18 prêtres prirent leur retraite, 1 fut appelé dans les rangs de l’armée Soviétique, 5 rayés des registres, 5 prêtres «imposteurs» furent condamnés à des peines allant de un à deux ans de travaux forcés» . En 1960, 6 prêtres furent rayés des registres, 5 condamnés à 15 jours de prison et 12 quittèrent leurs fonctions pastorales . En 1961, 10 prêtres furent rayés des registres, 9 quittèrent leurs fonctions, un fut tué (le père Boris Nikolaev, mentionné ci-dessus) . En 1962, 13 prêtres partirent à la retraite et 9 furent rayés des registres . La liste pourrait être allongée, mais il y a là suffisamment de données pour juger justement de la situation de l’Église à cette période-là.

ECOLE PRATIQUE DES HAUTES ETUDES
SCIENCES HISTORIQUES, PHILOLOGIQUES ET RELIGIEUSES
MENTION « SCIENCES DES RELIGIONS ET SOCIETE »

Directeur de recherche : Monsieur le professeur Pierre Gonneau - 2009




Rédigé par l'équipe rédaction le 24 Juin 2010 à 15:10 | 0 commentaire | Permalien



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