Où va l'Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe Occidentale?
Vladimir GOLOVANOW pour "Pravmir"

L’assemblée diocésaine de l’Archevêché s’est réunie le samedi 30 mars 2013, à Paris et nombre de commentateurs prévoyaient une grande bataille pour son indépendance. Mais tout s'est passé dans le calme et la proposition de Constantinople a été acceptée.

Vers la crise

L'Archevêché est profondément divisé depuis dix ans entre adversaires et partisans d'un rapprochement avec l'Eglise russe. Après soixante ans de relations assez conflictuelles qui suivirent la séparation de 1931, le rapprochement s'amorçât dès la libération de l'Eglise russe, au début des années 1990: les rencontres à différents niveaux et les concélébrations se multiplièrent à différents niveaux et culminèrent avec la concélébration historique de Mgr Serge avec le patriarche Alexis dans la cathédrale de la Dormition au Kremlin (1995). Des discussions en vue de la réunion avec l'Eglise-mère ont été entreprises et aboutirent fin 2002 à un projet de statuts d’une métropole locale autonome unissant les différentes juridictions de l'Eglise russe

Où va l'Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe Occidentale?
Après le décès inattendu de Mgr Serge en janvier 2003 et l'élection de Mgr Gabriel de Comane les relations se sont "tendues", comme le reconnait Mgr Gabriel dans une interview, d'autant qu'il a été perçu "comme une atteinte à l’unité de notre Archevêché, qui pouvait introduire un schisme dans notre corps ecclésial" (ibidem) la lettre du Patriarche de Moscou Alexis II du 1er avril 2003 (reçue juste avant les élections), qui proposait la création de la métropole prévue par le projet de statuts mis au point par Mgr Serge.

La proposition a été refusée, Mgr Gabriel a écrit une lettre personnelle au patriarche Alexis dont le ton a été jugé "trop dur" (резкое письмо) pour justifier une réponse, le large débat promis au sein de l'Archevêché n'a jamais eu lieu et le dialogue avec le Patriarcat s'est interrompu. L'Archevêché s'est alors divisé en deux camps.

La majorité au pouvoir a immédiatement fait campagne contre tout rapprochement avec l'Eglise russe (cf. en particulier les déclarations de MM. Daniel et Nikita Struve). Cette politique a conduit aux retentissants procès de Biarritz et de Nice et au refus de recevoir le patriarche Alexis et Mgr Hilarion de Volokolamsk dans la cathédrale de la rue Daru. Ce courant, notamment représenté par la "Fraternité Orthodoxe", voit l'avenir de l'Archevêché dans sa transformation en Eglise locale autocéphale, sans prendre en considération le refus de cette voie de la part de l'ensemble des autres juridictions…

Une minorité agissante, en particulier représentée par l'OLTR, milite au contraire pour un rapprochement avec le patriarcat de Moscou et l'EORHF en se fondant sur la proposition du patriarche Alexis mentionnée ci-dessus. L'influence de ce groupe a clairement baissé au sein de l'Archevêché car nombre de laïcs, clercs et paroisses qui en faisaient partie ont déjà rejoint le patriarcat, surtout après la réunification de 2007. De plus, ses représentants ont été systématiquement évincés de tous les organes décisionnels de l'Archevêché, certains parmi les plus actifs et estimables étant même soumis à des excommunications.

Où va l'Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe Occidentale?
Crise ou péripétie?

Je ne vais pas revenir sur la façon dont a été interrompu le processus d'élection du successeur de Mgr Gabriel après son retrait pour raison de santé en janvier 2013: les éléments essentiels se trouvent dans les communiqués du Conseil épiscopal relatifs aux réunions des 6 mars 2013 et 19 mars 2013, qui sont largement connus des lecteurs francophones. Mais les réactions qui suivirent méritent une analyse: les fidèles ont en effet été profondément surpris et choqués; cela a provoqué des débats passionnés sur plusieurs forums Internet et même la création d'un blog anonyme dédié et la mise en circulation de plusieurs lettres ouvertes et déclarations qui peuvent être rangées dans deux orientations principales:

- Les adversaires de la proposition de Constantinople: y voyaient une atteinte à l'indépendance de l'Archevêché et exigeaient l'application à la lettre de ses statuts: organisation des élections et fin du mandat du Locum Tenens dans les quatre mois de la vacance de la chaire de l'archevêque. Ce point de vue était en particulier avancé dans une lettre ouverte signée d'un groupe de clercs et fidèles influents qui sont généralement partisans de la création d'une Eglise locale.

- Les partisans d'une réponse réfléchie, en particulier prônée dans un communiqué de l'OLTR, qui proposaient d'accepter la proposition pour "que cette période de consultation réunisse, cette fois, toutes les tendances existant au sein de l’Archevêché et que l’objet de cette concertation soit élargi à la recherche d’une formule satisfaisante pour tout le monde. … Rappelons que le patriarche de Moscou, en son temps, avait proposé que l’Archevêque élu soit simplement confirmé par le Saint Synode du Patriarcat." (ibid.)

- L’assemblée diocésaine du 30 mars 2013
a accepté la proposition de Constantinople, ce qui revient de fait a suspendre l'action des statuts au moins jusqu'en novembre, la désignation d’un évêque auxiliaire et une éventuelle modification des statuts devant faire l’objet d’une décision ultérieure du Conseil qui est également chargé de rédiger une réponse au Patriarche. Notons que l'assemblée diocésaine n'ayant pas de pouvoirs statutaires, ces "décisions" n'auraient pas fait l'objet de vote mais d'un consensus non formalisé (à confirmer dans un compte-rendu détaillé encore attendu quand ces lignes sont écrites.)

Quelle suite peut-on prévoir?

Le dialogue sera difficile à rétablir: l'avenir de l'Archevêché ne peut que faire l'objet d'hypothèses. Mais il semble bien peu probable que le dialogue entre les deux courants opposés de l'Archevêché puisse se rétablir rapidement après dix ans de refus et d'ostracisme de la part de la majorité dirigeante envers la minorité. Je ne pense donc pas que, d'ici novembre, "les conditions de sérénité soient réunies pour pouvoir procéder à l’élection d’un nouvel Archevêque" comme l'écrit le patriarche (ibidem). Par contre, les deux courants tiennent avant tout à préserver l'unité de l'Archevêché et, de ce fait, il est tout à fait possible qu'on s'accorde pour prolonger la "situation provisoire" actuelle, en conservant à Mgr Emmanuel ses fonctions d'exarque - Locum Tenens. On pourrait aussi envisager un accord sur la personnalité d'un candidat à la fonction d'évêque auxiliaire. Cette situation pourrait perdurer plusieurs mois… voire années.

Les "optimistes" espèrent en sortir en trouvant un archevêque consensuel qui, à l'exemple de feu Mgr Serge, parviendrait à faire travailler tout le monde ensemble à un projet commun. Et Constantinople l'acceptera. Toutefois, si tous ont comme objectif final la fondation d'une Eglise locale réunissant toutes les juridictions orthodoxes en Europe occidentale, ils sont divisés sur les moyens d'y parvenir:

-Les uns voient ce consensus dans le rapprochement avec l'Eglise russe ou l'EORHF, comme l'écrit l'OLTR, dans le cadre de la grande métropole qui "servira au moment choisi par Dieu, de creuset à l’organisation de la future Eglise orthodoxe Locale multiethnique en Europe Occidentale" comme l'écrivais le patriarche Alexis dans sa proposition prophétique de 2003 (ibid.). Toutefois cela demanderait une volte-face complète de l'opinion majoritaire, actuellement bien peu vraisemblable

-Les autres continuent à imaginer l'Eglise locale se bâtissant à partir de l'Archevêché et le faire à partir de la métropole grecque ne serait pas illogique, d'autant que les avancées théologiques de "l'école de Paris" trouvent plus d'écho parmi les théologiens grecs que russes. Mais pour moi ce schéma reste utopique car il ne correspond pas du tout à la volonté affirmée de Constantinople de garder toute la diaspora sous sa dépendance et rencontre l'opposition des autres Eglises comme indiqué plus haut. De plus ce ne sera pas accepté par la minorité qui veut rester fidèle à l'héritage transmis par les fondateurs de l'Archevêché.

-Pour les pessimistes, Constantinople a mis fin à l'indépendance de l'Archevêché et entame un processus d'absorption progressive en le transformant en une sorte de vicariat soumis à la métropole de France, pour l'essentiel, alors que les autres doyennés se verront rattachés aux différentes métropoles de leurs territoires respectifs, comme cela avait déjà été proposé pour le doyenné de Grande Bretagne; cette hypothèse est renforcée par les refus opposés par Constantinople depuis plusieurs années de nommer aucun évêque vicaire à l'Archevêché. Comme une telle trahison des objectifs des fondateurs est inacceptable pour ceux qui tiennent à les respecter, un certain nombre de clercs et paroisses quitteront l'Archevêché pour l'Eglise russe ou l'EORHF et l'Archevêché se disloquera...

Alors quel avenir pour l'Archevêché?


Le patriarche Alexis avait dit en 1995 en substance que l'Archevêché avait longtemps gardé la tradition orthodoxe russe aux plans de la Liturgie, de la théologie et de la culture pour la rapporter à l'Eglise russe libérée. Elle a aussi fait découvrir cette tradition à l'Occident, en témoignant de sa richesse, et elle a donné au monde chrétien les développements reconnus de l'école théologique de Paris.

Nous pouvons affirmer que l'Archevêché a un glorieux passé… Mais son avenir est incertain!

Version française de l'essentiel de l'article paru en russe sur "Сдалась ли без боя Архиепископия?"

NB: l'analyse qui précède reflète un point de vue extérieur à l’Archevêché. Je n'ai utilisé que des sources largement disponibles et j'ai fait mon possible pour que cette analyse soit le plus objective possible. Je n'ai toutefois pas cherché à cacher mon opinion personnelle sur les événements et elle parait donc en toute clarté …




Où va l'Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe Occidentale?
Archevêché des églises russes en Europe occidentale : Rupture définitive avec l'Eglise russe ou perte totale de son indépendance?

L'archevêché des églises russes en Europe occidentale continuera de relever de Son Eminence Emmanuel, métropolite de Gaule. Il est actuellement le locum tenens du siège épiscopal laissé vacant à la suite de la démission, pour raisons de santé, de l'évêque Gabriel de Comane.

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Père Nicolas Rehbinder « Vision de Mgr Serge (Konovaloff) pour l’avenir de l’Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe occidentale : projet d’une métropole locale à statut d’autonomie »

Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 11 Avril 2013 à 11:11 | 60 commentaires | Permalien



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