POURQUOI A-T-ON CANONISE L’EMPEREUR NICOLAS II ?
Traduction Laurence Guillon

A l’occasion de la commémoration, aujourd’hui, du tsar Nicolas II et de sa famille, assassinés par les révolutionnaires, le journal « Foma » publie un article de ses archives où l'on est-allé poser cette question litigieuse à l’archiprêtre Georges Mitrofanov, alors ( en juillet 2009) membre de la Commission Synodale pour la canonisation des saints de l’Eglise Orthodoxe Russe.

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Les faits historiques ne permettent pas de considérer les membres de la famille impériale comme des martyrs chrétiens. La mort du martyr implique la possibilité de sauver sa vie en renonçant au Christ. La famille du souverain fut tuée précisément en tant que famille du souverain : les gens qui les ont tués avaient une vision du monde bien sécularisée et les considéraient avant tout comme le symbole de la Russie impériale qu’ils détestaient.La famille de Nicolas II a été mise au rang de « ceux qui ont subi la passion », qui est justement caractéristique de l’Eglise russe. Ce rang est traditionnellement celui où l’on canonise les princes russes et les souverains qui, à l’imitation du Christ, supportèrent avec patience des souffrances physiques ou morales et même la mort de la part de leurs opposants politiques.

POURQUOI A-T-ON CANONISE L’EMPEREUR NICOLAS II ?
On a produit devant la Commission Synodale cinq rapports consacrés à l’examen de l’œuvre du dernier souverain russe au sein du gouvernement et de l’Eglise. La Commission a établi qu’en soi, l’œuvre de l’empereur Nicolas II ne donnait pas de raisons suffisantes pour le canoniser, non plus que les membres de sa famille. Cependant, ce sont les sixième et septième rapports qui déterminèrent la résolution finale, et positive, de la Commission : « Les derniers jours de la famille impériale » et « les positions de l’Eglise par rapport à la passion supportée ».

« Pour la plupart, les témoins parlent des prisonniers des maisons de Tobolsk puis d’Ekaterinbourg, souligne-t-on dans le rapport « les Derniers jours de la famille impériale » comme de gens qui souffraient mais se soumettaient à la volonté de Dieu. En dépit des persécutions et des injures subies par eux en détention, ils menaient une vie vertueuse et s’efforçaient sincèrement d’y incarner les commandements de l’Evangile. Au travers des nombreuses souffrances des derniers jours de la famille impériale, nous voyons la lumière de la vérité du Christ triompher du mal ».
C’est précisément la dernière période de la vie des membres de la faille impériale en captivité, et les circonstances de leur mort qui allaient contenir les plus sérieuses motivations pour leur canonisation. Ils avaient de plus en plus conscience que leur mort était inévitable, mais ils surent conserver leur paix intérieure au fond de leur âme et, au moment de leur fin tragique, acquirent la capacité de pardonner à leurs bourreaux. Avant son abdication, le souverain avait dit au général D. N. Doubenski : « Si je suis un obstacle au bonheur de la Russie et que toutes les forces sociales qui sont à sa tête me demandent de quitter le trône et de le laisser à mon fils ou à mon frère, je suis prêt à le faire, je suis même prêt à donner non seulement la couronne mais ma vie pour la Patrie ». Quelques mois plus tard, l’impératrice Alexandra écrivait, en détention à Tsarskoïe Selo : « Comme je suis heureuse que nous ne soyons pas à l’étranger mais que nous traversions tout cela avec elle (la Patrie). Il en est de la Patrie comme d’un être aimé malade avec lequel on a envie de tout partager , de tout éprouver et que l’on veut veiller avec amour et inquiétude ».

La canonisation du souverain signifie-t-elle que l’Eglise soutient officiellement l’idée monarchique et la ligne politique du dernier empereur ?

Dans les notes historiques sur Nicolas II aussi bien que dans le récit de sa vie, on donne une estimation prudente et parfois critique de son activité à la tête du gouvernement. En ce qui concerne son abdication, c’était sans aucun doute une erreur. Cependant, la faute du souverain est rachetée, dans une certaine mesure, par les motivations qui l’animaient. Le désir qu’avait l’empereur d’éviter la discorde civile était justifié d’un point de vue moral mais pas d’un point de vue politique. .. Si Nicolas II avait écrasé le mouvement révolutionnaire, il serait entré dans l’histoire comme un excellent homme d’état, mais ne serait certainement pas devenu un saint. En produisant les documents pour sa canonisation, la Commission n’a pas perdu de vue les épisodes litigieux de son règne, au cours desquels il n’a pas montré les meilleurs côtés de sa personnalité. Mais le dernier empereur russe n’a pas été canonisé pour son caractère, il l’a été pour sa fin digne d’un martyr par son humilité.

A ce propos, dans l’histoire de l’Eglise russe, les canonisations de souverains ne furent pas si nombreuses. En ce qui concerne les Romanov, Nicolas II fut le seul cas sur les300 ans de règne de la dynastie. Aucune « tradition de la canonisation des monarques » n’a donc jamais existé.

Mais que dire du Dimanche Sanglant, du spiritisme et de Raspoutine ?

Parmi les documents de la Commission Synodale, nous avons des notes historiques qui traitent de tous ces problèmes à part. Le Dimanche Sanglant du 9 janvier 1905, le problème des relations du souverain et de la souveraine avec Raspoutine , celui de l’abdication sont évalués en fonction de la canonisation, s’ils y font ou non obstacle.

Si l’on examine les évènements du 9 janvier, il faut d’abord prendre en compte que nous avons affaire à des désordres majeurs qui se produisaient en ville. On les a réprimés sans aucun professionnalisme, mais c’était véritablement une manifestation illégale massive. Ensuite, le souverain, ce jour-là, n’avait donné aucun ordre criminel, il se trouvait alors à Tsarskoïe Selo et fut en beaucoup de points désinformé par le ministre des affaires intérieures et le gouverneur de Saint-Pétersbourg. Nicolas II se considérait comme responsable de ce qui était arrivé, ce qui explique la note tragique que, apprenant l’évènement, il laissa le soir même dans son journal : « Jour pénible ! A Pétersbourg se sont produits de graves désordres, par suite du désir des ouvriers de se rendre au Palais d’Hiver. Les troupes ont du tirer en divers points de la ville, il y a eu beaucoup de blessés et de tués. Seigneur, comme c’est douloureux et pénible ! » Tout cela nous autorise à considérer autrement la figure du dernier tsar. Du reste, l’Eglise ne se presse pas de justifier en tout Nicolas II. Un saint canonisé n’est pas sans péché. Le drame de la passion supportée, « de la résignation à la mort » consiste justement en cela que des gens impuissants, qui souvent ont péché suffisamment, trouvent en eux les forces de surmonter la faible nature humaine et de mourir avec le nom du Christ aux lèvres.

Pourquoi n’a-t-on pas canonisé les serviteurs de la famille impériale fusillés avec elle ? Et dans l’ensemble, en quoi l’exploit de la famille de Nicolas II surpasse-t-il, celui de centaines de milliers de gens qui connurent la même mort mais ne furent pas canonisés par l’Eglise?

Les serviteurs de la famille impériale moururent comme des gens qui remplissaient leur devoir professionnel devant le souverain. Ils sont dignes d’être canonisés, mais le problème réside dans le fait que l’Eglise Orthodoxe Russe n’a pas encore mis au point de catégorie correspondant aux séculiers morts en martyrs au service de leur devoir professionnel ou moral. La question de la canonisation des gens innocents morts pendant les années de troubles et de répression politique sera obligatoirement résolue dans l’avenir : le XX° siècle a créé un précédent, des millions de séculiers sont morts en martyrs. Et l’Eglise les commémore.

L’empereur a renoncé au trône, il a cessé d’être l’oint du Seigneur, alors pourquoi l’Eglise dit-elle qu’il est devenu le rédempteur des péchés de tout le peuple ?

Mais ce n’est justement pas là la façon dont l’Eglise considère le problème. L’Eglise n’a jamais dit que l’Empereur Nicolas II était le rédempteur des péchés du peuple, car pour un chrétien n’existe qu’un seul Rédempteur : le Christ lui-même. De telles conceptions, de même que l’idée d’un repentir national pour l’assassinat de la famille impériale, ont été plus d’une fois critiquées par l’Eglise, dans la mesure où elles représentent un exemple très caractéristique d’ajout à la compréhension chrétienne de la sainteté de nouveaux concepts d’origine politico-philosophiques.

Sur ce SITE de nombreuses photos de la famille Impériale et le tsarévitch Alexei


POURQUOI A-T-ON CANONISE L’EMPEREUR NICOLAS II ?

Rédigé par Parlons d'orthodoxie le 18 Juillet 2012 à 12:05 | 4 commentaires | Permalien



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