Vladimir Golovanow

Revenant sur le dernier sondage du centre Levada (1) le père Georges (2) nous livre sa vision de la situation de l'Eglise en Russie dans une interview à Prevmir,ru (3). En voici l'essentiel

L'essentiel c'est de communier

Depuis le temps que ces sondages existent, les sondeurs ignorent toujours le marqueur essentiel qui permet des distinguer les pratiquants. C'est une autre question qu'il faut poser pour cela: est-ce que vous communiez ne fut-ce qu'une fois par an? Par ce que si un Orthodoxe ne communie pas, il ne fait pas partie de l'Eglise: s'il est baptisé –c'est un corps étranger dans l'Eglise; et s'il n'est pas baptisé – c'est un bavard irresponsable se prétendant orthodoxe. Dans le détail des réponses nous voyons que 1% des sondés va à l'église plusieurs fois par semaine, 4% - une fois par semaine, 3% - trois-quatre fois par mois, 6% - environ une fois par mois, 23%, c'est la catégorie la plus nombreuse – plusieurs fois par an, 16% - une fois l'an, 17% - plus rarement et 20% - jamais (4). Ces chiffres sont surprenants et, de mon coté, j'ai plusieurs fois questionné des amis de Novgorod la Grande (5).

C'est une ville provinciale plutôt active et, bien qu'il y ait peu de paroisses, certaines communautés sont assez dynamiques, avec un clergé majoritairement jeune et actif qui accorde beaucoup d'importance à la participation des paroissiens dans la vie eucharistique des communautés

D'après eux il n'y a pas plus de 2,5% des habitants de Novgorod qui communient au moins une fois par an. Ce chiffe est caractéristique pour la province et, en considérant qu'il y a plus de pratiquants à Moscou et St Petersbourg, cela fait en moyenne dans le pays quatre à cinq pour cent.

Mais à côté de cela 79% se disent orthodoxes, et cela signifie qu'en vingt ans nous n'avons pas su expliquer, même à ceux qui sont bien intentionnés envers l'Eglise, qu'on ne peut appartenir à l'Eglise que si l'on est en communion eucharistique avec elle.

Le mythe de la collusion avec le pouvoir: confusion entre contact et coopération

51% des sondés considèrent que l'Eglise russe participe effectivement à l'action des pouvoirs publics. Soit ces gens ont un rapport hostile à l'Eglise soit, ce qui est le plus probable, ils ne se rendent pas compte de ce qu'ils disent. (…) 45% considèrent que l'Eglise participe à la vie de l'Etat et en reçoit le soutien nécessaire et 14% pensent que l'Eglise a trop d'influence et reçoit trop de soutien de l'Etat. Là aussi il y a exagération évidente car cela n'a rien à voir avec la réalité.

Comme historien qui étudie l'histoire de l'Eglise russe du XX siècle, j'ai été choqué par la formulation des questions sur la coopération avec les services spéciaux. Elles étaient biaisées au départ, car être en contact et coopérer sont des choses différentes. La coopération impose une activité réciproque acceptée des deux côté alors que le contact avec les services spéciaux, surtout dans une société totalitaire, est souvent imposé, voire inévitable. Que 46% répondent positivement montre que les autres n'ont absolument rien compris à la tragédie qu'ont vécu la Russie et l'Eglise au XX siècle. Il est pourtant évident que, en laissant subsister ce qui restait de l'Eglise qu'ils tentaient d'anéantir et cherchant à l'utiliser dans leur propre intérêt, les communistes voulaient la soumettre à leur contrôle le plus stricte . C'est là l'un des signes les plus effroyables de la période soviétique.

Suit une question sur la coopération de la direction actuelle de l'Eglise avec le FSB et 49% répondent "oui". Pourtant c'est totalement faux. Il y a évidement des contacts actuellement aussi, mais on ne peut pas honnêtement les comparer aux contacts, et encore plus à la coopération, qu'entretenaient quelques clercs isolés à l'époque soviétique. La différence parait évidente… mais pas pour tous à ce qu'il apparait! Et voilà pourquoi cette confusion entre contact et coopération, qu'elle soit le fait de l'incompétence ou de l'intention de nuire, me fait considérer comme critiquable l'ensemble du sondage.

Les grenouilles veulent un roi (6)

58% considèrent que l'Eglise a sauvé le pays dans les moments difficiles de son histoire et doit le faire maintenant; ils connaissent vraiment mal l'histoire! En fait, sans l'Eglise il n'y aurait pas de Russie, ni bonne ni mauvaise… C'est grâce à l'Eglise que la Russie existe! Mais cela ne signifie pas que, dans les moments critiques, l'Eglise représentée pas sa hiérarchie doive prendre sur elle la mission d'accomplir les fonctions que doivent remplir les citoyens eux-mêmes ou l'Etat.

On voit ici transparaitre cette approche parasitaire de l'Eglise chez nos contemporains qui ne sont pas, en réalité, membres de l'Eglise: ils n'espèrent pas en l'Eglise, mais en un nouveau chef qui, peut être, va résoudre leurs problèmes à leur place.

Conclusions peu réjouissantes

Je base mes conclusions sur mon expérience de prés d'un quart de siècle comme prêtre et comme professeur dans une académie de théologie . D'ailleurs j'enseigne aussi dans des institutions laïques et l'église que je desserts se situe dans une université laïque, l'Académie de perfectionnement des enseignants de St Petersbourg où, en particulier, on commence à former les professeurs des "Bases de la culture orthodoxe" (7). Et je peux dire en toute responsabilité que la majeure partie de notre élite cultivée, ces professeurs par exemple, est totalement indifférente envers l'Eglise. Oui, quand cela va mal, ils peuvent entrer dans une église, mais quand tout va bien ils peuvent carrément l'oublier… S'ils ont un enfant, ils vont le baptiser sans même se poser la question de son ecclesialisation. Quand un proche décède, ils vont demander des obsèques religieuses sans même se dire que leur défunt est réellement devant Dieu. Quand on leur demande leur appartenance religieuse, qui pour nombre d'entre eux est inséparable de leur origine ethnique, ils répondront pour la plupart qu'ils sont évidement Orthodoxes au lieu de reconnaitre qu'ils ne sont que des baptisés ou des impies soi-disant orthodoxes.

Et donc on ne peut conclure de tout cela qu'il y a je ne sais quelle hausse de la reconnaissance du rôle de l'Eglise. Au contraire, il est évident que cette reconnaissance a beaucoup baissé, comme le montre par exemple la baisse des candidatures dans nos instituts d'enseignement religieux et la baisse du niveau des étudiants. Dans les années 90 l'Eglise suscitait d'énormes espoirs même chez les non-croyants, mais maintenant ces espoirs sont remplacés par une approche paternaliste que nous connaissons bien: les gens ne croient plus du tout à l'Etat et espèrent que, peut-être, l'Eglise pourra faire quelque chose sans qu'ils aient à participer. Ils n'essayent pas du tout de la comprendre comme Eglise du Christ – la plupart espèrent que Dieu leur remplacera le système de santé qui marche mal, la sécurité sociale, les organes de sécurité civile … grâce à des "prêtres-magiciens" capables de fournir l'aide demandée.

* * *
Notes du traducteur

1.Lien ICI
2.Lien ICI
3.Prav Mir
4.Levada

5.L'une des plus anciennes villes russes située à 200 Km au sud de Saint Petersbourg. Un peu plus de 200 000 habitants
6.Ce titre est de VG
7.L’étude des "fondements de la culture religieuse" est devenue obligatoire dans toute la Russie cette année. Cf.





Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 28 Octobre 2012 à 11:20 | 0 commentaire | Permalien



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