Père Paul Hondzinsky: La théologie russe donne de bonnes bases au dialogue entre l'Est et l'Ouest
Vladimir Golovanow

Dans une interview au "Tzerkovniy-vestnik" (Церковный Вестник! le père Paul Hondzinski, professeur de théologie à l'Université orthodoxe Saint-Tikhon de Moscou (PSTGU) explique que la théologie russe des XVIII et XIXe siècles doit revenir sur le devant de recherche théologique car elle correspond totalement aux besoins actuels, et ce contrairement à l'opinons de nombre de théologiens du XXe siècle qui la considéraient comme une décadence, une "occidentalisation" servile de la théologie orthodoxe alors que le père Paul considère au contraire que ces théologien russes ont "ecclésialisé" la pensée occidentale comme il dit, c'est-à-dire l'ont ramenée dans l'orthodoxie de l'Eglise.A partir de là il pense que cette tradition théologique peut faire repartir le dialogue œcuménique sur de bonnes bases théologiques, et cette idée est d'autant plus intéressante que c'est le dialogue théologique, dans le cadre de la Commission Foi et Constitution, qui marque les avancées les plus remarquables du mouvement œcuménique. (1)

Traduction légèrement abrégée de l'interview (titres et notes du traducteur)

Pourquoi étudier actuellement la théologie russe du XIXe siècle?

- Chaque peuple, comme chaque personne, qui s'approprie le message de l'Evangile, le lit à sa façon, trouve quelque chose de particulier, de personnel dans la parole du Christ. De la même façon le peuple russe a créé sa propre tradition spirituelle, riche et profonde. Et si nous ne continuons pas à suivre cette orientation, nous n'arriverons probablement à rien de valable, même si nous sommes remplis des meilleures intentions.

Le philosophe russe Simon Frank (2) a dit ces paroles remarquables: «Les référendums devrait prendre en compte les opinions des défunts." Il y a derrière nous de nombreuses générations qui ont vécu dans cette tradition, et si nous ne sommes pas capables de la retrouver, alors non seulement nous ne pourrons pas l'augmenter, mais nous ne pourrons pas non plus trouver le bon chemin vers notre propre renaissance spirituelle.
Il est inutile de réinventer des réponses aux problèmes déjà résolus - elles ont été trouvées depuis longtemps par nos grands théologiens. Ainsi nous pouvons trouver des approches pour comprendre les problèmes théologiques qui n'ont pas été résolues au XXe siècle dans ce qu'écrits saint Philarète (Drozdov) (3) au début du XIXe; on peut par exemple citer l'interprétation du dogme de la rédemption. Saint Philarète nous donne aussi l'exemple de l'analyse critique de la tradition occidentale, il a formulé les principes fondamentaux des relations Eglise-Etat, il s'est penché sur les questions de la justification théologique de l'action sociale de l'Église…

Mais il ne faut pas pour autant opposer les héritages théologiques grec et russe; les deux sont d'abord une seule et unique tradition orthodoxe commune mais, en même temps, il serait faut d'affirmer que toute la théologie orthodoxe se limite à la tradition grecque. Quelle que soit la profondeur de l'apport des Pères grecs de l'Eglise, tous les peuples orthodoxes apportent aussi toujours quelque chose de nouveau, et il est impossible de ne pas en tenir compte.

Quelle correspondance entre les héritages théologiques grec et russe?
- Les deux sont d'abord une seule et unique tradition orthodoxe commune, et il ne faut pas en les opposer. Mais en même temps, je ne pense pas exacte de dire que toute la théologie orthodoxe se limite à la tradition grecque. Quelle que soit la profondeur de l'apport des Pères grecs de l'Eglise, tous les peuples orthodoxes apportent aussi toujours quelque chose de nouveau, et il est impossible de ne pas en tenir compte.

La tradition théologique russe comme base de rapprochement entre l'Est et l'Ouest
- Les Catholiques s'intéressent maintenant à spiritualité russe, mais peu d'entre eux comprennent, je pense que la théologie russe crée un bon terrain pour un véritable dialogue entre l'Est et l'Ouest.Et cela précisément parce que la théologie russe n'a pas utilisé des sources occidentales "sans réfléchir" durant la période synodale (4), la théologie russe n'a pas utilisé des sources occidentales "sans réfléchir", mais a fait un excellent travail sur leur "ecclésiation". Et c'est en partant de ces enseignements occidentaux "ecclésialisés" (5) que nous pourrions rechercher une compréhension mutuelle.

Comment commencer une étude sérieuse de la théologie russe?
- Il faut d'abord tout collecter et de publier pour voir ce que nous possédons. Les travaux de Pères de l'Église grecs et occidentaux au ont été collectés et publiés au XIXe siècle dans la célèbre Patrologie Graeca (6) de Jacques Paul Migne. Nous avons besoin d'un Migne en Russie. A notre honte, nous n'avons pas encore d'édition complète de nos plus grands théologiens comme saint Joseph de Volokolamsk (7) et Saint Philarète de Moscou - tout ce qui a pu être fait jusqu'à présent vient d'initiatives privées. Mais c'est un travail difficile, complexe et aussi très coûteux pour des théologiens, des historiens, des linguistes; il faut rechercher les textes, comparez les copies, les commenter ... C'est tout un institut qu'il faudrait pour s'occuper de l'héritage de saint Philarète. (Ce travail a été commencé au sein du secteur de "Philaretologie" ouvert cette année dans le département de l'histoire moderne de l'Église russe du PSTGU continue le père Paul)

La théologie est à la base de la vie spirituelle et morale de notre société
- La théologie en général est bien plus étroitement liée à la vie qu'on ne le croit en général et les grands théologiens russes l'ont toujours senti et s'en sont préoccupés. Les dogmes de la foi doivent être directement liés à notre vie quotidienne - ce n'est qu'alors qu'elle sera digne de s'appeler «chrétienne». La théologie russe, précisément parce qu'elle est russe, doit justement nous aider à relever et sauvegarder la vie de notre société non seulement au plan intellectuel, mais aussi aux plans spirituel et moral. Saint Philarète (Drozdov) professait que le chrétien doit être une personne instruite. Il disait: «Le christianisme n'est pas une bizarrerie – c'est la sagesse de Dieu." Seule l'étude de cette sagesse peut donner une base à la véritable connaissance scientifique et à la véritable culture.

Reconnaissance de la tradition théologique russe en Occident

- L'Occident a fini par s'intéresser à la tradition russe spirituelle comme à une tradition indépendante qui a ses racines et ses résultats propres. Ainsi une délégation de l'Église orthodoxe russe a été invitée l'année dernière, à la prestigieuse conférence théologique de Bose (8), alors qu'auparavant les Orthodoxes n'étaient "officiellement" représentés que par les Grecs.

- En fait, l'Occident ne s'intéressait jusqu'ici qu'aux auteurs les pus anciens, antérieurs à la fin du XVI et au XVII siècle. Mais l'intérêt pour la période synodale s'éveille. Il y a peu de publications sur ce sujet, mais peu à peu ils commencent à apparaître. L'intérêt pour les textes anciens était essentiellement du domaine des études slaves - domaine de recherche développé dans le monde entier. La théologie russe est de fait inclue dans ce domaine scientifique et, soit dit en passant, la seule recherche fondamentale sur la littérature théologique russe pré-mongole a été réalisée par le célèbre jésuite allemand Heinrich Podskalskomu (8), slaviste reconnu; rien d'équivalent, malheureusement, n'a été fait chez nous.

Pour ce qui concerne la théologie de la période synodale, elle a été longtemps considérée comme une imitation de l'Occident mais, chez nous comme à l'Ouest, on commence à comprendre que ce n'est pas le cas, Dieu merci, et nous sommes heureux de voir que, ces dernières années, l'intérêt pour la théologie russe augmente en Russie et à l'étranger.


Fin de la traduction
Source: "Tzerkovniy-vestnik"
....................................
(1) "L'activité de "Foi et Constitution", à la différence des autres courants du mouvement œcuménique (et en cela réside sa valeur particulière et sa signification pour le témoignage orthodoxe), était conçue dès son origine en vue de la mise en place d'un dialogue théologique multilatéral. C'est dans le cadre du courant " Foi et Constitution " que les participants orthodoxes ont pu présenter à leur partenaires dans le dialogue théologique une vision catholique des thèmes abordés. Celle de l'Église et de son unité, de la conception des sacrements du Baptême, de l'Eucharistie et de l'ordination sacerdotale ; de l'Écriture et de la tradition, du rôle et de la signification des Symboles de foi, de l'incidence des facteurs dits " non théologiques " sur le problème de la division et de l'unité des chrétiens. Dans le cadre de " Foi et Constitution ", le dialogue théologique devient plus large et plus significatif grâce à la participation de l'Église catholique romaine qui n'est pas membre du COE. En raison de la pertinence particulière de la Commission " Foi et Constitution " pour le témoignage orthodoxe et aussi par suite de l'autonomie historique et structurelle de la Commission par rapport au COE, l'Église orthodoxe russe peut envisager de continuer à en faire partie, même au cas où serait modifié son statut d'appartenance au Conseil œcuménique des Églises". In " Principes fondamentaux régissant les relations de l'Eglise orthodoxe russe avec l'hétérodoxie"

(2) Simon (Semen) Ludvigovič Frank, né à Moscou en 1877, mort en 1950 prés de Londres, a consacré sa vie, à travers les épreuves de l'exil (en Allemagne, puis en France), à construire une philosophie apte à répondre aux attentes occultées, voire niées, mais irrépressibles qui sollicitent l'être humain ressaisi dans la multiplicité de ses défis et de ses espérances. A en particulier participé à la publication en mars 1909 du recueil d'articles « Vekhi » — « Jalons » avec Nicolas Berdiaev - Serge Boulgakov - Piotr Struve …ICI
(3) Cf

(4) On appelle "période synodale" dans l'histoire de l'Eglise russe (1721-1917) la période où le patriarcat de Moscou avait été supprimé par Pierre le Grand et remplacé par un Saint-Synode. Un fonctionnaire laïc nommé par l'empereur, le "haut-procureur", était placé à la tête du synode et l'Église se trouvait sous la tutelle du ministre des cultes. Le patriarcat fut rétabli par le Concile local de 1917.

(5) "Ecclésiation", "ecclésialisés", néologismes que je propose pour rendre les néologismes russes «воцерковление» «воцерковленных» que le père Paul utilise entre «».
(6) Wikipedia
(7) Encyclopedie
(8) PO.
(9) Christentum und theologische Literatur in der Kiever Rus' (988-1237), München 1982. Traduction russe: Христианство и богословская литература в Киевской Руси (988–1237 гг.), St. Peterbourg 1996, recension en français

Père Paul Hondzinsky: La théologie russe donne de bonnes bases au dialogue entre l'Est et l'Ouest

Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 30 Janvier 2013 à 09:47 | 0 commentaire | Permalien



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