Père  Wladimir Yagello: Incertitudes pour notre diocèse en 2003
"Parlons d'orthodoxie" estime nécessaire de rappeler cette position du père Vladimir datant de 2003. Comme de nombreux clercs de l'Archevêché le père Vladimir faisait partie du "cercle Euloge" fondé par Monseigneur Serge Konovalov qui aspirait à s'unir avec la Mère Eglise. Le père Vladimir se rend souvent en Russie où il intervient dans les médias.

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Avec quelques six mois de recul il est possible maintenant de revenir avec sérénité sur les idées exprimées par les uns et les autres en réaction à la lettre patriarcale du 2 avril 2003.

Il me semble que l'argumentation des détracteurs a révélé une incompréhension du message du patriarche sur le fond, ainsi qu'une haine profonde de l'Eglise russe, de la Russie, ainsi que de tout ce qui est russe en général, et en particulier de ceux qui au contraire ont une relation vivante avec la russité, fut-elle purement affective. Le patriarche propose au fond un projet somme toute logique.

Première étape - réunifier les juridictions russes qui n'en faisaient qu'une en 1922. Il est vain d'invoquer le phylétisme, qui n'a rien à voir dans cette affaire. On se demande d'ailleurs si ceux qui manient ce terme avec suffisance, savent de quoi ils parlent. Il serait opportun de rappeler les circonstances de la condamnation du phylétisme à Constantinople en 1872. Ce synode local condamnait non pas la russité, mais les bulgares qui avaient proclamé l'indépendance de leur exarchat national sans limites géographiques, tandis que les grecs eux-mêmes avaient déjà proclamé leur indépendance en 1833, avant de faire reconnaître l'autocéphalie de l'Eglise d'Hellade en 1850, alors que se posait déjà le problème de la survie du patriarcat de Constantinople.

Actuellement (en 2003) les roumains ont réalisé cette unité en Europe Occidentale, et je n'ai pas entendu parler de phylétisme à cette occasion, ni de protestations d'aucune sorte, ni de manifestation de haine. Nous ne pouvons que nous réjouir de constater que les roumains, très divisés, se sont réconciliés et ont retrouvé l'unité de leur communauté. Les serbes sont unis et fidèles à leur Eglise Mère, et des français de souche se sont intégrés à leur diocèse.

On peut aussi ajouter qu'aux Etats Unis, avant 1922, il n'y avait qu'une seule Eglise orthodoxe, unissant toutes les nationalités. Le patriarche Meletios Metaxakis rompit cette unité en détachant la communauté grecque, survie du patriarcat oblige, et les autres nationalités suivirent cet exemple.

Qui est phylétiste ? Dans un souci de dialogue et d'ouverture pacifique, il vaut mieux n'accuser personne.

La seconde étape concerne l'attribution de l'autonomie à l'éventuelle Métropole reconstituée. Ceci ne serait finalement qu'un retour légitime à la situation initiale en 1922. Cette autonomie a été plusieurs fois âprement défendue, jusqu'à conduire à la rupture, lorsqu'elle n'était plus garantie, avec le Synode de Karlovtsi en 1927 d'abord, puis avec Moscou en 1931. Le métropolite Euloge a fait preuve de sagesse, de courage et d'indépendance d'esprit, pour savoir dire "non" aux uns et aux autres. Quelles que soient les solutions qui seront retenues pour l'avenir il faudra toujours savoir dire non en temps opportun. De même qu'il faut aussi savoir dire "oui" au bon moment. Quand on pense aux conditions dans lesquelles fut attribuée l'autocéphalie à l'Eglise d'Amérique, aux réactions de l'Eglise Russe Hors Frontières en particulier, on ne peut s'empêcher de voir un certain parallèle, les détracteurs du projet patriarcal en Europe Occidentale brandissant pratiquement les mêmes arguments, la haine de la Russie en plus. Or l'union est toujours supérieure à la désunion. Ne cherche-t-on pas l'union de tous ?

Les détracteurs inconditionnels du projet patriarcal reprennent le flambeau de l'antiphylétisme en condamnant l'union des juridictions "russes". Il n'est pas inutile de rappeler qu'avec le temps, actuellement quatre vingt ans, les choses changent. Les diocèses russes sont les plus anciens en Europe Occidentale, et les fidèles de différentes générations et vagues d'émigrations sont dans l'ensemble intégrés aux pays d'Europe Occidentale, voire assimilés, de plus ils ont dans leur immense majorité acquis la citoyenneté de leur pays de résidence, qu'ils y soient nés ou pas.

Enfin les trois composantes de l'Eglise russe en Europe Occidentale ont attiré un nombre non négligeable de non-russes d'origine, qui ont découvert la foi, l'orthodoxie, dans l'Eglise orthodoxe, de tradition russe en particulier. Ces fidèles font preuve d'un attachement fort variable, généralement de caractère affectif, mais souvent plein de reconnaissance à l'Eglise Mère de la communauté qui les a accueillis. C'est pourquoi parler de phylétisme, de cloisonnement, de nationalisme russe fermé et étriqué est absurde. On percevrait plutôt l'émergence d'un phylétisme français inconditionnel, dont la haine est incompréhensible.

Les détracteurs de l'Eglise russe me paraissent très imprudents dans les arguments avancés, et semblent ne pas reconnaître l'Eglise russe comme orthodoxe, et digne de confiance. A force de se cristalliser sur des faits négatifs, dont soit dit en passant aucune Eglise n'est exempte, on passe à côté du miracle de la renaissance de l'Eglise russe, de l'immense activité caritative et missionnaire déployée ces dernières années à travers toute la Russie. Il est même incroyable et profondément regrettable que des descendants d'émigrés russes se laissent aller à ce genre de dénigrement systématique, agrémenté de haine. Je conseillerais pour ma part de faire preuve d'indulgence, de prudence dans les condamnations, en essayant de contribuer à l'amélioration de la situation. Faire valoir sa supériorité, les joies de l'assimilation, le dénigrement du pays d'origine de ses parents ou aïeux ne me paraît pas très judicieux. L'humilité s'impose.

La troisième étape est évidente, il s'agit de construire une Eglise locale en Europe Occidentale, avec la participation de tous les orthodoxes. En attendant que tousles orthodoxes s'unissent, une Eglise autonome est déjà un témoignage d'enracinement très significatif, une Eglise autonome est déjà un gage de fondation d'Eglise locale. Les trois juridictions d'origine et de tradition russe, présentant en fait les signes d'un enracinement manifeste sont légitimement appelées à faire ce pas décisif, prophétique et historique. Malheureusement ceux qui, de bonne foi penchent sans fanatisme ni agressivité pour cette démarche sont souvent taxés d'ennemis promoscovites, indignes de confiance. C'est incroyable. Cette attitude entraîne et favorise le soupçon et la délation, entraînant même des mesures de rétorsion pour délit d'opinion, ce qui rappelle plutôt les pratiques soviétiques d'une certaine époque.

Malheureusement cette démarche en direction de la construction d'une Eglise locale s'inscrivant dans un souci de témoignage de l'universalité de l'orthodoxie n'est pas clairement comprise non plus par certains inconditionnels de la russité. On croit par exemple la russité menacée, dans le cas d'une réponse unilatéralement négative au projet du patriarche. En fait la russité ne peut être menacée que par la soumission au processus de l'assimilation, difficile à maîtriser, même lorsqu'on s'est efforcé de tout faire pour y résister. L'assimilation suit des signes essentiellement affectifs qui échappent souvent à l'analyse rationnelle, et surtout aux arguments des parents et éducateurs, qui ne peuvent en fait les imposer à leurs descendants dans un sens comme dans l'autre. Souvent on croit avoir tout fait dans un sens, et on obtient le résultat inverse.

Ceci est valable dans les deux cas. Je voudrais rassurer ceux qui ont des craintes de se voir enlever ce qu'ils ont de plus cher. On continuera à prier en russe (slavon d'Eglise) tant qu'il y aura des fidèles qui le voudront, des chanteurs qui chanteront et des prêtres qui célèbreront. Toutefois il ne faut pas non plus se crisper, et surtout pas se replier sur ses trésors liturgiques, mais veiller à l'ouverture et à la vivacité de son témoignage du Christ ressuscité, sans oublier que la foi se partage. Rendre l'orthodoxie accessible à tous, dans tous ses aspects, liturgique, théologique et social, est une tâche évidente et même exaltante pour tout orthodoxe, où qu'il se trouve. Le métropolite Euloge ne cessait-il pas de rappeler à ceux qui avaient perdu leur pays, que la véritable patrie des hommes est le Royaume de Dieu.

Paris, décembre 2003


Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 1 Octobre 2019 à 12:52 | 7 commentaires | Permalien



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