Certains commentateurs occidentaux ont été surpris que la déclaration commune du patriarche de Moscou et de toute la Russie et du président de la conférence des évêques de Pologne a été signée le 17 août au château royal de Varsovie, sans aucune solennité religieuse ni prière commune et surtout sans messe ou Liturgie. Il s'agit bien évidement d'un manque d'information sur les fondements théologiques de l'Eucharistie, qui est le fondement de la messe comme de la Liturgie, et je propose cet article du père Jean Breck* qui en explique parfaitement les éléments les plus importants.

P. Jean Breck:

En particulier au moment de Pâques (Pascha), des Chrétiens non-Orthodoxes nous demandent pourquoi ils ne peuvent pas recevoir la Sainte Communion dans les paroisses Orthodoxes. Aussi douloureux que soit ce refus, il est basé sur notre compréhension de la véritable signification du Sacrement, telle que révélée par l'Écriture Sainte et l'expérience ecclésiale.

Il y a quelque mois, quelqu'un m'a transmis un article d'un site internet qui traitait du problème de la Communion parmi diverses confessions chrétiennes. Répondant à la question du refus de donner le sacrement à une Protestante, à Pâques, dans la paroisse catholique-romaine de son petit ami, l'auteur déclarait que les non-catholiques-romains ne croyaient pas dans "la présence du corps de Dieu dans l'hostie après transsubstantiation." Dès lors, "ils ne peuvent pas prendre la communion."

Et l'auteur d'ajouter: "Il n'existe qu'une exception à cette règle. Les Chrétiens Orthodoxes (tels que les Chrétiens Grecs Orthodoxes) peuvent prendre la communion dans toutes les paroisses catholiques-romaines. La raison est que le Christianisme Orthodoxe enseigne aussi la présence réelle de Dieu dans l'hostie."

Cette manière d'envisager le problème, bien que fort répandue, n'est cependant pas exacte, et elle requiert plusieurs mises au point, tant théologiques que pastorales. On pourrait écrire un volume entier pour expliquer tout cela, mais voici quelques uns des éléments les plus importants. Au cours des 2 articles à venir, nous en explorerons quelques autres.

En premier lieu, il nous faut reconnaître que nombre de Protestants (en ce compris nombre d'Anglicans) croient en fait que la sainte Communion leur offre une véritable participation au Corps et Sang du Christ. Ils peuvent ne pas exprimer leur croyance comme les catholiques-romains ou les Orthodoxes le voudraient; mais leur foi dans la "présence réelle du Christ dans l'Eucharistie" est authentique et ne devrait pas être dénigrée ou niée.

Ensuite, la théologie eucharistique Orthodoxe n'explique pas le changement du pain et vin en Corps et Sang du Christ comme un résultat d'une sorte de "transsubstantiation.", cet enseignement disant que les propriétés visibles des éléments restent inaltérées, alors que leur "substance" ou essence interne devient actuellement Corps et Sang. La tradition Orthodoxe parle d'un "changement" ou d'une "transformation" – "metamorphôsis", dans la prière eucharistique de la Divine Liturgie cela donne "metabalôn", "en les changeant" – mais toujours avec le souci de préserver le mystère de l'exploration de la raison humaine. Elle parle aussi du Corps et du Sang du Christ glorifié, expliquant clairement que notre communion est en l'être personne du Seigneur Ressuscité et Exalté, et non pas dans la chair et le sang de Jésus incarné, brisé et répandu sur la Croix. Le Jésus incarné et le Christ ressuscité sont bien sûr une seule et même Personne – "Jésus-Christ est Seigneur," déclare saint Paul (Philippiens 2,11). Mais notre communion est dans la réalité radicalement transformée du Christ Ressuscité, Qui est monté aux Cieux et qui Se rend accessible à nous par la présence et l'inhabitation du Saint Esprit au sein de l'Église.

Un autre point doit être mis en exergue. Il est vrai que les Chrétiens Orthodoxes sont considérés par certains prêtres catholiques-romains comme étant dans les conditions requises pour recevoir la communion dans leurs paroisses; mais cette pratique n'est pas officiellement admise par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (Saint Office ou Magisterium) [1]. D'un autre côté, les Églises Orthodoxes, unies par dessus tout par leur foi et pratique Eucharistique, n'acceptent à la communion que les baptisés Chrétiens Orthodoxes, et encore, elle n'est prévue que pour ceux qui se sont préparés par la prière, par une jeûne approprié et – dans la plupart des traditions – par la confession des péchés. De plus, les évêques Orthodoxes et autres docteurs ont clairement stipulé aux fidèles qu'ils ne peuvent correctement recevoir la communion que d'un prêtre ou évêque canoniquement ordonné, dans le contexte d'une Divine Liturgie Orthodoxe traditionnelle (ce qui inclut la communion portée aux malades).

Cependant, il n'est pas suffisant de déclarer que les Orthodoxes n'enseignent pas une "transsubstantiation" (bien que le terme apparaisse dans certains de nos livres liturgiques) et, si ils sont fidèles à leur tradition, ne reçoivent pas la communion hors de leur propre Église. Il y a aussi le problème crucial "d'identité ecclésiale." Nul Chrétien Orthodoxe ne reçoit la Sainte Communion en étant isolé. Nous sommes incorporés dans une communauté universelle d'humains, tant vivants que défunts, que la foi et la pratique commune unissent en l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Notre existence dans le Corps du Christ, notre identité ecclésiale en tant que Chrétiens Orthodoxes, est telle que nous représentons l'Église en tout ce que nous sommes et faisons. Si je défie les décrets de ma tradition ecclésiale et je reçois la communion dans une autre Eglise, ou comme prêtre j'invite un non-Orthodoxe à venir recevoir l'Eucharistie dans ma paroisse, j'agis en violation de ma propre tradition, à laquelle je me suis consacrée devant Dieu. Et du fait de ma solidarité avec tous les autres membres de l'Église Orthodoxe, je les implique implicitement dans mon acte de désobéissance.

Le fond du problème n'est cependant pas une question d'obéissance ou de désobéissance à des règles et dispositions. Si les Orthodoxes préservent la sainteté de l'Eucharistie comme une obligation suprême, c'est à cause de cette vérité souvent exprimée que la communion au Corps et Sang du Christ est la fin même ou l'accomplissement de l'existence Chrétienne. Elle ne peut pas, par exemple, être réduite à un moyen par lequel parvenir à "l'unité chrétienne" - en tout cas, l'histoire de l'Église a clairement montré que le partage de la communion entre Eglises aux enseignements théologiques contradictoires n'a jamais amené à une unité durable.

L'Eucharistie est la vie elle-même. Elle est la vie du Christ qui nous permet de vivre notre vie en Christ. Participer à l'Eucharistie comme nous sommes appelés à le faire, cela requiert notre acceptation d'une position doctrinale et d'un engagement qui est spécifiquement "orthodoxe", enraciné dans les Écritures et transmis à travers les âges sous la guidance et l'inspiration du Saint Esprit. Cela requiert de même l'acceptation d'une discipline ascétique, qui comporte la prière personnelle, la célébration liturgique, le jeûne, la confession des péchés, et des actes de charité: les ingrédients d'une vie de repentance et d'une quête incessante de la sainteté. Et cela requiert que nous honorions notre "identité ecclésiale" particulière, en plus de la soumission à l'autorité ecclésiale représentée avant tout par nos évêques: des personnes canoniquement ordonnées et établies, qui sont appelées par leurs actions et enseignements à préserver et à transmettre la vérité de la Foi Orthodoxe tout en maintenant un lien d'unité au sein du Corps du Christ. Une unité qui n'est pas enracinée dans le pouvoir, mais dans le respect mutuel et l'amour fraternel, partagés par tous les membres de l'Église.

Dans cette perspective, "l'intercommunion", l'accueil de non-Orthodoxes pour partager la célébration Eucharistique, n'est simplement pas possible sans miner la signification même du Sacrement. Cela n'implique pas un jugement particulier sur les offices eucharistiques d'autres églises. Cela reconnaît plutôt que pour les Orthodoxes, la Divine Liturgie est ce que son nom implique. Elle est à la fois le moyen et la fin de l'existence Chrétienne, une existence qui résulte de la Foi Orthodoxe, de la repentance continuelle, de la discipline ascétique, de l'identité ecclésiale, et des œuvres de charité. A ceux qui acceptent cette "Voie Orthodoxe", l'Eucharistie offre une véritable participation à la Vie même du Christ Ressuscité et Glorifié, de même qu'elle offre le pardon des péchés, la guérison de l'âme et du corps, et un avant-goût du Banquet céleste dans la présence éternelle de Dieu.

P. Jean Breck
* L'archiprêtre Jean Breck a été professeur de Nouveau Testament et d'Ethique au Séminaire Saint-Vladimir et est actuellement professeur d'Exégèse Biblique et de Bio-éthique à l'Institut de théologie Orthodoxe Saint-Serge à Paris, France. Avec son épouse, Lyn, il est le directeur du centre de retraite Saint Silouane en Caroline du Sud.

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SAINT SILOUAN RETREAT CENTER
Orthodox Church of America
6102 Rockefeller Rd.,
Wadmalaw Island, SC 29487, USA
Tel. : (843) 559-1404
Centre recommandé au clergé par le Saint-Synode de l'OCA en 1998

Note de traduction :


[1] Cette "Congrégation pour la Doctrine de la Foi" est un des principaux départements de l'État du Vatican; elle était anciennement appelée "Saint Office", et avant ça, "(sainte) Inquisition"; après la suppression de l'Inquisition en Espagne, en 1820, il y a eu changement de nom et un peu de méthodes, mais pas de but.

Traduit et publié par st Materne le 06 juin 2007




Rédigé par Vladimir GOLOVANOW le 29 Août 2012 à 10:47 | 17 commentaires | Permalien



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