Un navire à la coque trouée de brèches dans un océan de passions
J'envoie à P.O. un texte largement diffusé en français et en russe du père Vladimir Zelinsky. Le père Vladimir s'y adresse à l'Assemblée générale de l'archevêché réunie le 7 septembre. Les résultat du scrutin qui s'est tenu à l'Assemblée rendent ce texte encore plus d'actualité: la majorité du clergé et des laïcs se sont prononcés pour l'adhésion au patriarcat de Moscou. (104 ont répondu oui /soit 58,1% des votes exprimés valables)

La question se pose: comment doivent agir maintenant les recteurs des paroisses et les fidèles? Qui saura trouver une issue à cette impasse: soit les recteurs doivent se comporter comme le font les capitaines des vaisseaux en perdition, soit c'est aux paroissiens d'assumer l'initiative. Le père Vladimir estime que le chaos et le morcellement risquent de submerger l'archevêché. Il analyse la situation dans sa paroisse.

Le 8 septembre une réunion paroissiale présidée par l'archevêque Jean s'est tenue à la cathédrale Daru. Sur 80 ( 9 personnes sont contre le projet de rattachement MP) et 71 se sont prononcés pour un ralliement au patriarcat de Moscou. Pourquoi ne pas joindre le geste à la parole? L'archevêque Jean a bien reçu du Phanar une lettre dimissoriale.

Un paroissien de la cathédrale

Lettre aux participants de l’Assemblée Générale

Votre Eminence, cher Vladyka!

Chers confrères, frères et sœurs,

Je demande pardon à notre Assemblée pour mon absence pour les motifs de santé (les conséquences d'une brûlure). Mais j'accorde, comme j’espère, aussi mon confrère le père Lazare Lenzi, un soutien total à notre Archevêque Jean et je dois expliquer encore une fois les raisons de mon choix. Encore une fois, exactement parce que personne n’a prêté l’attention au message que j’essayé de porter auparavant. Toutes les discussions sur le destin de notre Archevêché ne sortent pas de la zone francophone ou anglophone, je dirais même francocentriste. L’Italie avec ses paroisses « historiques » ou formées récemment n’est jamais mentionnée.

J’ai été ordonné prêtre il y a juste 20 ans, le 5 septembre 1999, par Monseigneur Serge (Konovalov), de bienheureuse mémoire, pour la paroisse de Sanremo d’où j’ai été presque immédiatement chassé par le conseil paroissial. A ce temps-là je me suis trouvé dans le vide dans ma ville Brescia où j’ai habité et enseigné à l’Université locale depuis 1991. Très vite j’ai réussi à trouver une église catholique disponible à m’accueillir sous son toit. J’ai commencé à célébrer et ma communauté s’est remplie des émigrés de l’Europe de l’Est, surtout des ukrainiens. Ils pouvaient avoir des opinions différentes sur la politique de la Fédération Russe, surtout ces dernières années, mais pour eux tous (sans compter les enfants nés ici et quelques Serbes et Italiens), comme pour leurs parents et leurs grands-parents l’Eglise Orthodoxe Russe, où ils ont été baptisés, était l’Eglise tout court. Ils n’ont jamais entendu parler de notre Archevêché et je ne suis pas sûr qu’ils aient soupçonné qu’existe une telle chose comme le Patriarcat Œcuménique. Ils ont appris cette nouvelle, non sans perplexité, seulement à l’étranger. Ils m’ont dit quelques fois : vos services sont comme les nôtres, mais pourquoi nous n’entendons pas le nom de notre patriarche ? J’ai dû leur expliquer qui sommes-nous et pourquoi. Une fois, deux fois, trois fois, cela n’était pas toujours facile. Je pense que cette situation est plus ou moins typique pour toute l’Italie, pleine des ressortissants des pays de l’Est.

Après Sanremo, blessé par mon expérience traumatique, j’étais absolument libre. Il me semble qu’à l’époque mon nom ne figurait même pas dans la liste du clergé. J’aurais pu aller chez Moscou, chez les Grecs, chez l’Eglise-hors-frontière, dans n’importe quelle direction, la rue Daru m’aurait donné un congé canonique avec un sentiment de soulagement. Mais je vous dis la vérité : je n’avais aucune hésitation : je reste dans l’Archevêché. Et je peux vous assurer : si j’étais aujourd’hui le recteur à Sanremo, cette église resterait encore au sein de notre diocèse. Or, c’était la volonté de Dieu, j’en suis sûr, que je fonde une paroisse à Brescia, dans la ville devenue natale pour les gens qui habitent ici, et j’ai bien compris la leçon donnée. Maintenant j’essaie de comprendre : quelle est la volonté de Dieu pour moi et pour notre paroisse dans la situation actuelle?

Je lis attentivement toutes les discussions théologiques autour de notre choix ; les mots comme « paroisse » ou « communauté » n’entrent presque jamais dans leur vocabulaire. Les disputes se développent entre les clercs, les étudiants de St Serge ou les laïcs actifs qui font leurs beaux projets sur l’avenir de l’Archevêché et affirment que Moscou est insupportable. Comme si tous nos paroissiens avec leurs destins, leurs habitudes, leurs racines n’existent pas. Puis-je leur dire demain que nous sommes chez les Grecs désormais parce que quelqu’un situé très haut a pris cette décision pour eux ? La décision qui les coupe automatiquement de la communion dans leur pays d’origine? Ou puis-je leur dire que nous devons dédier encore une, deux, trois années à la réflexion approfondie sur notre ecclésialité en restant canoniquement personne ne sait pas bien où ? Que les auteurs des dissertations sur la « sobornost » orthodoxe au nom de la même « sobornost » me donnent un bon conseil !

Pour le moment notre paroisse « Notre Dame, la Joie des Affligés » à Brescia rassemble une barque construite avec tant d’efforts au cours de 20 ans qui a un trou dans le fond. Une bonne moitié l’a quittée tout de suite après les évènements à la fin de l’année 2018, une autre moitié se trouve en crise, car chaque fois quand nos paroissiens reviennent chez eux, ils doivent confesser qu’ils appartiennent à l’église « schismatique » aux yeux de Moscou. La nouvelle Eglise autocéphale, soit-elle bonne, canonique et glorieuse, n’est pas encore entrée dans leur horizon.

En bref, nous, en Italie, avons besoin de notre claire identité ecclésiale qui au moins soit en paix, donc, en communion eucharistique avec l’Eglise de Moscou. Quel autre choix pourrais-je faire, sinon suivre notre Archevêque ? En ce qui concerne notre autonomie, notre esprit de liberté, nos traditions, je crois que nous tous - avec la confiance à Dieu - sommes capables d’aider notre Archevêque à les défendre.

Merci de m’avoir écouté.

Vladimir Zelinsky, archiprêtre
5/IX 2019 Brescia

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 13 Septembre 2019 à 04:35 | 3 commentaires | Permalien



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