Contre l’oubli, vers le pardon
Aujourd'hui, 8 août, la Russie commémore le 75e anniversaire du début de la Grande Terreur. C'est à cette date qu'on eu lieu les premières exécutions massives au "polygone" de Boutovo, dans la banlieue de Moscou. Des victimes du régime y ont été fusillées jusqu'en 1952. Une grande église y a été construite il y a quelques années. Parlons reprend le récit de la soirée qui a eu lieu à la cathédrale du Christ Sauveur à la mémoire des camps Solovki.

Nikita KRIVOCHEINE

Nous avons assisté le 8 décembre à la soirée « Solovki » : elle était bouleversante. Une assistance d’environ 150 personnes : peu ou beaucoup ? La dialectique engelsienne nous explique les étranges corrélations entre quantité et qualité… Coïncidence dans le temps : nous nous étions réunis, alors que la la Maison de la Russie à l’étranger fondée par Soljenitsyne célébrait son quinzième anniversaire et l’avant-veille de la date de naissance de l’écrivain.

Que la soirée se soit tenue dans la crypte de la cathédrale du Christ Sauveur est une preuve, s’il en fallait, que l’Eglise est (avec l’association « Memorial ») l’entité qui se dévoue le plus pour ne pas laisser être effacée par une amnésie, souvent délibérée, la mémoire de toutes les victimes du bolchevisme, communistes fervents y compris. Il va sans dire que l’auditoire de l’Eglise est incommensurablement plus important que celui du petit Memorial.
C’est d’une voix presque tremblante, étonnant pour qui a auparavant écouté cette grande dame, que Nathalie Soljenitsyne, a donné lecture des pages de « L’Archipel » consacrées au premier camp de concentration soviétique fondé du vivant de Lénine.

Contre l’oubli, vers le pardon
Nous avions oublié, Soljenitsyne le rappelle, que les moines Sabbas et Zossima avaient choisi ces îles pour y fonder le plus important monastère du pays car aucune bête de proie n’y résidait.
Avaient-ils seulement la prescience de ce qu’allait devenir ce lieu de salut ? Un lieu de salut par le martyr.

L’une des premières interventions fut la plus déchirante. Le poète Youri Koublanovsky raconta qu’au tout début des années 90 il avait, avec quelques historiens, découvert à 200 kilomètres de la ville de Yaroslavl un charnier où gisaient plusieurs milliers de personnes fusillées par la NKVD lors de « la grande terreur ».
Une croix y fut érigée et une route asphaltée construite afin de faciliter l’accès aux pèlerins. Tout récemment Koublanovsky revisita ces lieux pour découvrir que la croix n’existait plus et que la route n’était plus carrossable. Les habitants des villages voisins réagissaient par la stupéfaction lorsqu’on leur demandait où se trouve la fosse de 1937…

Phénomène de censure mentale consternant. Le désarroi causé par la chute inopinée et brutale d’un pouvoir qui a duré 80 ans continue à régner dans les esprits. Les difficultés du quotidien n’incitent pas à relire « L’Archipel » ou à penser à ses aïeux annihilés dans la nuit et le brouillard. Les autorités politiques, l’éducation nationale, les mouvements nationalistes encouragent la conscience populaire à oublier l’essence même de ces 80 ans. Les analogies historiques valent ce qu’elles valent mais comment ne pas se référer aux mentalités allemandes des années soixante du siècle dernier : « Hitler, connais pas!».
Ce n’est qu’avec un recul de deux générations que les Allemands acceptèrent la réalité du passé nazi. J’irai jusqu’à dire que les émeutes nationalistes de ces derniers jours à Moscou aux cris de « la Russie pour les Russes » sont un effet secondaire de la disparition de la foi communiste d’une part et d’un sentiment, génétiquement transmis, de honte nationale infligée par la capitulation sans condition de l’ex URSS à l’issue d’une ruineuse guerre froide de quarante ans. Honte de la capitulation éprouvée par les Allemands à la suite du Traité de Versailles. On connaît la suite… Mais l’histoire ne se répète pas. Tout ceci est en relation directe avec l’appréhension chrétienne du passé communiste qui présidait à la soirée Solovki.
L’assistance et les intervenants n’étaient nullement mus par une volonté de vengeance ou de revendication, voire de compensation fiduciaire. Il ne s’agissait pas de faire traîner en justice des tchékistes nonagénaires détectés au prix de coûteuses recherches. Ni de culpabilité « collective » de tout un peuple. Ni d’obtenir pour les survivants, il y en a aujourd’hui plus que l’on ne pourrait s’imaginer (le fonds Soljenitsyne les assiste dans toute la mesure du possible) des avantages et des retraites mirobolants. Ni d’imposer « un devoir de mémoire » scolaire encore que « L’Archipel » vient, avec la bénédiction du premier-ministre de la Fédération d’être édité dans une version abrégée et accessible destinée aux lycées…

Ceux qui s’étaient réunis ce soir dans la cathédrale aspiraient à « mettre fin à la guerre civile » comme l’a dit Viatcheslav Stoliarov, adjoint de l’higoumène du monastère actuel, en avouant haut et fort les crimes du passé. Et surtout de désigner la croyance infernale qui avait servi de mobile au génocide russe. Comme l’a dit un autre intervenant il ne s’agit pas de se cacher derrière les euphémismes maintenant en vogue « d’histoire nationale commune » ou de «malheurs du XX siècle ». Mais simplement de tracer une ligne de démarcation claire entre le bien et le mal.
C’est à quoi s’est appliqué dans sa brillante allocution le père Serge Pravdolioubov, descendant de trois générations de prêtres déportés. Il se consacre actuellement à la publication des homélies de son défunt père.
Alors que la population de la mégalopole entassée dans les embouteillages et un métro invivable se fichait complètement de ce qui était en train de se dire dans la crypte de la cathédrale la dernière à intervenir y était l’animatrice d’un atelier vidéo scolaire qui se consacre à filmer les vestiges des camps et les lieux de sépulture afin qu’il en reste une trace. Les adolescents membres de ce club sont venus nous demander de leur indiquer nos coordonnées et c’est avec joie que nous attendons qu’ils se manifestent.

La photo qui accompagne ce texte est toute récente : c’est la tombe, fort bien entretenue, du camarade Staline dans la nécropole de la place Rouge au pied des murs d’enceinte du Kremlin.

Je promets d’exaucer les souhaits de celui qui m’enverra une image de la tombe de Himmler ou de Frank, le commandant d’Auschwitz.

Photo : Transfert de la croix de Saint Sabbas des Solovki à Moscou

" P.O." Une soirée consacrée à la mémoire des déportés des camps Solovki




Rédigé par Nikita KRIVOCHEINE le 7 Août 2012 à 08:47 | 0 commentaire | Permalien



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