Existe-t-il une collusion entre l’Etat et l’Eglise russe ?
Père Hyacinthe Destivelle, curé de la paroisse Sainte-Catherine à Saint-Pétersbourg

« Il faut d’abord tenir compte du fait que l’orthodoxie, historiquement, en Orient, s’est toujours développée dans le cadre d’un Etat chrétien. De ce fait, dans les pays orthodoxes, l’Etat a souvent prétendu assumer des fonctions aussi ecclésiales. Cela était d’autant plus réalisable que les institutions ecclésiales sont peu centralisées, avec un fonctionnement collégial et donc un pouvoir patriarcal bien moins puissant, par exemple, que celui du pape en Occident. De ce fait, la tradition des relations Eglise-Etat dans l’orthodoxie s’est souvent appuyée sur la théorie de la « symphonie des pouvoirs » formulée par Justinien. Cela dit, la position officielle de l’Eglise russe sur son rapport avec l’Etat est extrêmement claire. Elle a été exprimée dans un document sur la Doctrine sociale de l’Eglise, qui a été publié en 2.000. C’est notamment la première fois, avec ce texte, qu’une Eglise orthodoxe affirmait, de manière officielle, le droit à la désobéissance civile des chrétiens en cas de désaccord avec l’Etat.

Dans l’histoire, aucune communauté chrétienne n’a souffert vde l’Etat plus que l’Eglise orthodoxe en Russie. Ses soucis ont commencé avec Pierre le Grand, qui avait supprimé le Patriarcat, au début du XVIII siècle, et ce n’est qu’en 1917 que ce dernier a été rétabli. L’Eglise orthodoxe a eu juste le temps de tenir son Concile, avant de se voir férocement persécuter par le régime soviétique.

En 1927, le métropolite Serge, tenant lieu de primat, dut faire une Déclaration de loyalisme au régime communiste, alors que la plupart des évêques étaient en prison, Déclaration extrêmement critiquée par les Russes de l’émigration, à l’époque.

Aujourd’hui la Constitution affirme la séparation de l’Eglise et de l’Etat, même si la loi sur la liberté religieuse de 1997 reconnaît l’orthodoxie comme une religion traditionnelle, en même temps que l’islam, le judaïsme et le bouddhisme. En pratique, l’Eglise russe est beaucoup moins aidée par l’Etat que ne le sont, par exemple, les Églises catholique et protestante en Allemagne : les prêtres ne sont pas payés par l’Etat, il n’existe pas d’aumôniers dans les armées, et les hôpitaux, les moyens des paroisses restent modeste, surtout en province. Récemment, l’Etat a souhaité introduire des cours de morale et de religion à l’école mais leur mise en œuvre est laissée à la libre décision des régions.

Mais il est vrai que l’Eglise orthodoxe, qui compte plus de 80 millions de fidèles, représente une force dans le pays et que le gouvernement peut chercher à s’appuyer dessus, voire à l’instrumentaliser. La parole de l’Eglise, ses institutions, inspirent encore confiance. Au début de l’affaire des "Pussy Riot", le Patriarcat a donné l’impression d’une grande sévérité et cette attitude a été critiquée par un certain nombre de prêtres de la base, qui ne partageaient pas son avis. Depuis, le Patriarcat a adopté un profil plus bas. Mais le patriarche Cyrille reste très attentif au rôle que peut jouer l’Eglise orthodoxe en Russie. Il considère qu’il ne faut pas confondre séparation entre l’Eglise et l’Etat, nécessaire, et séparation entre l’Eglise et la société. »

Recueilli par Isabelle de Gaulmyn

La Croix, samedi 15-16 septembre 2012-09-16

"P.O." a repris cette très intéressante analyse du père Hyacinthe

Rédigé par Parlons D'orthodoxie le 20 Septembre 2012 à 16:00 | 10 commentaires | Permalien



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